BONNE ANNEE A TOUS, chers lecteurs. Je n'aime guère cette phase de congratulation réciproque afin de se souhaiter une bonne année alors qu'elle sera forcément pourrie par les mêmes conneries que les années précédentes. Néanmoins, souhaitons-nous en une qui ne soit pas pire que 2016, ce sera déjà ça.
Et pour bien commencer :
"Les
amateurs de Rock'N'Roll américain en France sont rares en 1959."
LES
CHAUSSETTES NOIRES : L'Intégrale 2011
A
la fin des années cinquante, la France retrouve le sourire. Les
plaies de la Guerre se referment doucement, l'économie du pays
tourne à plein régime. De grands ensembles remplacent peu à peu
les bidonvilles des faubourgs des grandes villes où s'entassent des
familles entières d'ouvriers. Les rues s'emplissent d'amples robes
fleuries, de Renault Dauphine et de Citroën DS, et d'une génération
d'adolescents née juste après la guerre. Certains vont bientôt
pouvoir profiter de leurs services militaires pour découvrir les
joies du conflit colonial en Algérie, et le Général de Gaulle
profite du souk de la quatrième République pour créer la cinquième
en 1958, prenant au passage la place toute neuve de Président de la
République.
Les
gamins s'ennuient pourtant dans cette France de l'après-guerre. Le
pays est tout entier tourné vers sa reconstruction, et laisse bien
peu de place au divertissement. La musique se cantonne à Tino Rossi
et les Frères Jacques, alors que de l'autre côté de l'Antlantique,
les Etats-Unis semblent tout entier à l'écoute de leur jeunesse.
Quelques bribes de cette culture appelée Rock'N'Roll apparaît sur
les écrans nationaux via les films où chantent Elvis Presley ou
Bill Haley. Ces artistes vont avoir un retentissement majeur sur les
gamins des faubourgs, qui rêvent de cette Amérique qui semble si
joyeuse et moderne.
Plusieurs
artistes émergent au tournant des années soixante : Johnny
Hallyday, les Chats Sauvages de Nice, et les Chaussettes Noires de
Paris, parmi les plus fameux.Tous ne vont pas se qualifier de
Rock'N'Roll, mais plutôt de Rock'N'Twist. La plupart ne savent pas
que le terme Twist est en faite un sous-genre du Rock'N'Roll crée de
toutes pièces par le business. Le but est de produire une forme de
Rock'N'Roll dénuée de ses oripeaux de musique noire : paroles
à connotation sexuelle, guitare agressive, tempi Soul et Blues, et
tant qu'à faire, interprètes blancs. A la fin des années
cinquante, l'Amérique puritaine chasse les artistes dévergondés :
Chuck Berry est emprisonné pour détournement de mineure, Elvis Presley
part au service militaire, Little Richard rentre dans les ordres
après des déboires avec la Justice concernant sa consommation de
drogue et son homosexualité. Quant à Jerry Lee Lewis, il doit se
faire oublier après avoir crée le scandale en épousant sa cousine
âgée de treize ans. Le Twist remplace alors le Rock'N'Roll sur les
ondes américaines. Les artistes américains s'expatrient en Europe
afin de poursuivre leur carrière : Chuck Berry, Gene Vincent,
Bo Diddley… et s'adaptent pour certains au Twist afin de survivre,
et de profiter du succès de l'Elvis du pauvre en Grande-Bretagne : Cliff Richard. La démarche française est bien plus naïve, guidée
par un furieux besoin de donner vie à cette nouvelle musique dans le
pays.
Les
amateurs de Rock'N'Roll américain en France sont rares en 1959. En
région parisienne, ils sont généralement tous amis, et s'échangent
les disques uniquement disponibles en import à prix d'or, où via
les bases américaines implantées dans le pays. C'est cette passion
qui va réunir le chanteur Claude Moine, et le guitariste Aldo
Martinez. Ils forment un groupe avec l'ajout de deux autres
guitaristes : Tony d'Arpa et William Benaïm, et le batteur
Jean-Pierre Chichportich. Claude Moine se rebaptise d'un pseudonyme
plus Rock'N'Roll : Eddy Mitchell.
Le
groupe se nomme d'abord Eddy Dane And The Danners, les Cinq Rocks,
puis les Five Rocks. Ils répètent dans une salle paroissiale en
1960 sur Paris. Le responsable de la salle, Daniel Gouin, non-voyant,
les enregistre sur un magnétophone lors d'une de ces répétitions,
et captent quatre morceaux dont trois serviront tels quels sur les
deux premiers quarante-cinq tours du groupe en 1961.
Eddy
Mitchell recherche activement une maison de disques, porté par le
succès tout neuf de son ami Jean-Philippe Smet, alias Johnny
Hallyday. Les Five Rocks obtiennent une audition aux studios Hoche
devant Jean Fernandez et Eddie Barclay. Leur adaptation de « Wild
Cat » de Gene Vincent impressionne particulièrement, et ils
décrochent un contrat pour trois ans. Ce dernier sera paraphé par
les parents des musiciens, tous mineurs, la majorité étant à vingt
et un ans en 1960.
En
décembre 1960, les premières sessions d'enregistrements commencent.
Elles sont pour le moins laborieuses, car aucun des musiciens n'a la
moindre notion de solfège, et les erreurs sont fréquentes. De plus,
emportés par la fougue, aucun n'a réfléchi à la configuration
musicale d'un groupe, chacun prenant l'instrument qui lui plaît. Les
artistes américains se sont tous entourés de musiciens rompus au
fonctionnement d'un groupe, et les sessions ont été réalisées par
des producteurs ayant déjà officié dans le Blues et le Jazz. Les
Five Rocks ont trois guitaristes mais aucun bassiste. Le batteur ne
dispose pas d'un kit complet avec grosse caisse, mais d'une simple
caisse claire et d'une cymbale. Chichportich, complètement dépassé
par les événements, est remplacé par des musiciens de studios.
Quant à la basse, elle est tenue par le contrebassiste Jean
Bouchéty, tandis qu'Aldo Martinez apprend les rudiments de la
quatre-corde. Ces cafouillages de jeunesse ont ainsi alimenté les
rivalités entre les Chaussettes Noires de Paris, et les Chats
Sauvages, de Nice. Le chanteur de ces derniers, Dick Rivers, n'a pas
hésité à insister sur le fait que les Chats enregistraient tout
eux-mêmes en studio, EUX.
Le
premier quarante-cinq tours sort en janvier 1961, et bénéficie du
soutien de la radio Europe 1. Seulement voilà, au lieu d'annoncer
les Five Rocks, le présentateur les désigne sous un nouveau nom :
les Chaussettes Noires. Le patronyme figure également sur le premier
disque. Il s'agit d'un contrat signé entre Eddie Barclay et les
chaussettes Stemm, avec la complicité du directeur de la
programmation d'Europe 1. La marque Stemm, désireuse de se forger
une image plus jeune, aboutit à cet accord avec Barclay, dans le dos
des musiciens. Ces derniers n'obtiendront d'ailleurs pas grand-chose
en retour, à part une boîte de dix paires de chaussettes noires
chacun. Néanmoins, ce nom plus français leur permet une
programmation sur les radios plus aisées. Elle donnera toutefois
lieu à un incident. Alors que le groupe est programmé à l'émission
de télévision Toute La Chanson,
l'ORTF menace d'annuler leur passage à cause de cette publicité
détournée que la maison de télévision nationale trouve honteuse.
Finalement, les musiciens seront présentés sous un de leurs
anciens
patronymes :
les Cinq Rocks. Le succès
sera immédiat, et les Chaussettes Noires deviendront l'un des
groupes emblématiques du Rock Français naissant, ainsi
qu'une
figure majeure des Yé-Yé du début des années 60.
Les
Chaussettes Noires seront aussi l'un de mes groupes emblématiques me
permettant mon immersion dans le vaste
monde du Rock'N'Roll. Si
Téléphone fut mon choc initial, les
Chaussettes Noires seront
l'autre découverte de mon
jeune âge. Pour un gamin de sept-huit ans, la bonne humeur
contagieuse de ce Rock'N'Twist, ces chansons accrocheuses facilement
mémorisables firent des ravages dans mon jeune cerveau, et
remplacèrent avantageusement les artistes destinés au jeune public
comme Chantal Goya ou Dorothée que
je n'écoutai d'ailleurs jamais.
Je pense aussi que cette
musique fut ma porte d'entrée vers le Rock vintage. Le Rock'N'Roll
des Chaussettes Noires était certes Twist et dansant, mais il était
particulièrement rugueux et sans fioriture comparé à la musique
sophistiquée des années 80. Dès
lors, les Who et Led Zeppelin ne pouvaient plus me choquer l'oreille,
mais au contraire me ravirent au plus haut point. Comme pour
Téléphone, j'y reviens régulièrement, toujours transporté par
ces chansons à l'atmosphère insouciante tout en étant profondément
sincères. Elles irradient de ces images d'Epinal des années
soixante ensoleillées, une
ballade en Renault Floride le long de la côte, avant la crise
économique et le
tourisme de masse.
J'étais
resté sur une fantastique compilation nommée Chaussettes
Noires Story, parue en vinyle en
1974 et rééditée en cassette dans les années 80. Cette intégrale
me réjouit au plus haut point. J'avais envisagé de ne retenir que
l'un de ces vingt-cinq centimètres réédités en fac-similés, mais
il m'est tout simplement impossible de choisir, et il vous sera de
toute façon plus aisée de trouver ce coffret qu'un quelconque
album. La voix croonante d'Eddy Mitchell, les guitares râpeuses
entre Surf et Garage, la batterie jazzy, les mélodies simples et
entraînantes, tout est parfait
au plus
haut point. Je
connais encore les paroles des chansons par coeur, comme au temps de
mon enfance.
Et
pourtant, l'aventure Chaussettes
Noires ne durera que trois petites années. Le groupe connaît son
apogée en 1961, alignant les concerts et les disques sans répit,
avant que le succès s'étiole peu à peu. La formation se délite
également, les musiciens étant appelé un par un sous les drapeaux,
et remplacé.
Le départ d'Eddy Mitchell sonnera le glas de la formation, lui
permettant de clore le chapitre pour partir sur une carrière solo
préparée avant son départ au service militaire. Eddy publiera
quelques excellents albums entre 1963 et 1974, piochant dans le
Rock'N'Roll, la Soul, le Jazz-Rock et le Heavy-Blues. L'homme
connaîtra le succès commercial complet à partir de 1975, grâce
aux albums à Nashville puis
les chansons plus orientées variété française. Et contrairement à
Johnny Hallyday, Claude Moine écrit tous les
textes de ses chansons et participe à la composition de la musique.
Il
reste ce merveilleux héritage, au swing intact, qui ouvrira la voix
à Bijou ou Au Bonheur Des Dames. Je suis heureux d'avoir retrouvé
ce vieux compagnon après l'avoir laissé de côté durant bien des
années. Plus
qu'un souvenir des Yé-Yé, les Chaussettes Noires étaient de vrais
pionniers, comme Chuck Berry, et ont toute leur place dans le
Panthéon du Rock national.
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4 commentaires:
Les Chaussettes Noires !??! Incroyable ! C'est un joke ? Nan ? C'est sûr que c'est mieux que Doro et ses "Musclés" ...
Quoi qu'il en soit, Bonne Année. Meilleurs vœux.
Merci à toi. Eh non, ce n'est pas une blague ah ah !
Eddy Mitchell est mon plaisir coupable. Il y a aussi un petit côté sentimental, je dois avouer.
Dick l'enfonce !
C'est Dick, le vrai rockeur !
Pas de musiciens de studio, avec "Les Chats".
No bullshit, just Roc'k 'n Roll !
Signé : Big Dick
Ce n'est pas faux, c'est en tout cas ce que défend Dick Rivers. Ce dernier a fait quelques disques solo intéressant au début des années 70, il a travaillé avec Alain Bashung.
Ceci étant, je préfère Eddy Mitchell, sa voix, le second degré, et aussi son audace en solo pendant les années Zig Zag.
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