L'homme de Fulham
Stanley
Frederick Webb est né le 3 février 1946 dans le quartier de Fulham,
dans le Sud-Ouest de Londres. On sait peu de choses de son enfance.
Incontestablement, il est de cette génération de gamins anglais
traumatisés par le Rock'N'Roll américain qui débarque sur les
ondes britanniques. Stan développe un intérêt plus particulier
pour la musique noire américaine, le Rythm'N'Blues et le Blues. Il
faut dire que ce dernier genre est en pleine effervescence à
Londres. Les prémices du British Blues Boom se forment grâce à des
musiciens pionniers comme Alexis Korner et Cyril Davies, qui jouent
le Blues devant un public qui n'en a jamais entendu parlé. Le Blues
est à l'origine une musique afro-américaine, qui n'a que peu
dépassé les frontières américaines. Depuis le début des années
soixante, quelques esthètes, également amateurs de Jazz, font
tourner en Europe les grands maîtres du Blues noir : John Lee
Hooker, Muddy Waters, Lightnin Hopkins, ou Howlin Wolf participent à
des revues communes ou à des tournées individuelles.
Peu
intéressé par sa scolarité, et bien davantage à la musique, Stan
quitte l'école de Kidderminster dans les environs de Birmingham où
ses parents ont déménagés quand il était gamin pour se lancer
pleinement dans la musique . Ils forment plusieurs orchestres de
Rythm'N'Blues à destination des clubs : Blue Four, Shades Five,
Sound Five et Sounds Of Blue. Nous sommes dans les années 1964 et
1965. Stan s'est constitué une petite équipe de musiciens autour de
lui : le chanteur David Yeats, le bassiste Andy Silvester, le
batteur Rob Elcock et une pianiste, Christine Perfect. Ils sont
également accompagné d'un saxophoniste : Chris Wood, qui
rejoindra deux ans plus tard Traffic. Le groupe reprend du Chuck
Berry, du Bo Diddley, ou du Mose Allison. Perfect a fait la
connaissance de Sylvester et Stan à l'école de Beaux-Arts de
Birmingham, sorte d'écoles-voies de garage où les jeunes gens peu
passionnés par les études atterrissent. Beaucoup de futurs grands
noms du Rock feront les Beaux-Arts à Londres ou ailleurs : Pete
Townshend des Who, Mick Jagger des Rolling Stones…. Le cursus peu
intensif permet à tous ces apprentis musiciens de se faire la main
dans les clubs. Christine Perfect fut d'abord pressenti pour être
bassiste, mais finalement, elle se mettra derrière le piano,
Sylvester se chargeant de la potence à quatre cordes.
Sounds
Of Blue décroche un engagement régulier, se produisant tous les
dimanches. Les musiciens repartent avec trois livres chacun. Ils
jouent presque un an ensemble. Stan apprécie cette période, mais
Christine Perfect beaucoup moins. Elle trouve Sounds Of Blue limité,
et une fois son diplôme de sculpture en poche, elle part dans le Sud
de Londres où elle serait étalagiste.
Stan
Webb, Andy Silvester, et le batteur Alan Morley décident de faire de
la musique sérieusement. Ils se produisent dès le début de l'année
1967 au Star-Club de Hambourg, le célèbre club qui a vu les Beatles
se forger leur musique. Le nom de Chicken Shack a plusieurs
explications. Selon Webb, il proviendrait d'une chanson de Lightnin
Hopkins : « Meet Me At The Chicken Shack », et
repris notamment par Jimmy Smith. Une autre anecdote veut que leur
nom provienne du morceau de Champion Jack Dupree qu'ils
accompagnèrent : « Back At The Chicken Shack ».C'était
le nom d'un restaurant. La légende, elle, fut colporter par le
producteur Mike Vernon qui les découvrit en 1967. Le groupe,
redevenu quatuor avec le retour de Christine Perfect, répétait dans
un poulailler situé sur la ferme des parents d'Andy Silvester à
Stourbridge, dans le Worcestershire, la campagne autour de
Birmingham.
Pour
l'heure, Stan Webb, Andy Silvester, et Andy Morley jouent au
Star-Club et se font une réputation des plus flatteuses, grâce à
des prestations particulièrement puissantes, notamment en termes de
volume sonore. Le groupe joue sur des rampes d'amplificateurs
Marshall situé derrière eux, une première pour un groupe à
l'époque. Ils jouent du Rythm'N'Blues, du Muddy Waters, du
Howlin'Wolf. Webb se fait la main, joue des soir après soir,
affinant son jeu de scène.
Lorsqu'ils
reviennent en Grande-Bretagne, Sylvester et Webb croisent Christine
Perfect. Ils cherchent un pianiste, et la jeune femme n'en peut plus
de sa vie terne de petite employée. Elle veut faire de la musique sa
vie. D'abord mal à l'aise au milieu de ces trois bonhommes, elle
finira pour trouver sa place, notamment en prenant le chant sur
certains morceaux et en composant. Cette dernière a pris le chant
afin de permettre à Webb de reprendre son souffle pendant les sets.
Afin qu'elle saisisse ce qu'attend Stan d'elle, il lui prête une
série d'albums de Freddie King. Le guitariste veut qu'elle
s'imprègne du jeu du pianiste de King. Stan Webb en est un immense
admirateur, et Chicken Shack accompagnera par ailleurs Freddie King
lors de sa venue en Grande-Bretagne.
En avril 1967, Chicken Shack se compose alors de Perfect, Webb,
Sylvester et Morley. La réputation du groupe est tellement flatteuse
qu'un fan écrit au producteur Mike Vernon, qui vient de monter son
label de Blues en 1967 : Blue Horizon. Rapidement, Vernon signe
plusieurs groupes anglais ainsi que des musiciens noirs américains
qu'il apprécie. Il se déplace peu hors de Londres, mais à la vue
de ce courrier enflammé, il fait le déplacement au local de
répétition de Chicken Shack à Stourbridge. Il les trouve aussitôt
formidable, considérant qu'il s'agit du meilleur groupe jouant du
Blues de Chicago depuis les Rolling Stones.
Mike
Vernon devient le manager du groupe, et les signe sur son label, peu
de temps avant le nouveau groupe de Peter Green, guitariste de John
Mayall And The Bluesbreakers : Fleetwood Mac. Rapidement, Alan
Morley ne fait pas vraiment l'affaire à la batterie, et il est
d'abord remplacé par Alvin Sykes, un américain, ancien batteur de
BB King, également chanteur. Malheureusement, son visa n'est pas
reconduit et il doit repartir. Finalement, c'est un certain Dave
Bidwell qui est recruté. Il ne fait pas l'unanimité dans le groupe
au départ, car Bidwell est en cure de désintoxication pour sevrage
à la drogue. Mais au fur et à mesure, son traitement fonctionne, et
Bidwell se révèle comme un batteur de Blues exceptionnel.
Chicken
Shack retourne à Hambourg pour se produire cinq fois par soirée
pendant un mois. La réputation scénique du groupe est
exceptionnelle, grâce à la présence scénique de Stan Webb. Outre
le volume sonore particulièrement impressionnant de sa guitare, il
aime à déambuler dans la salle, s'asseyant sur les genoux d'une
spectatrice ou buvant un verre tout en jouant un solo. Il dispose
d'un câble de soixante mètre qu'un roadie déroule et enroule,
suivant le musicien partout dans la salle.
En
août 1967, Chicken Shack revient en Grande-Bretagne et se produit au
Jazz&Blues Festival de Windsor. Il y font une prestation
remarquée qui permet à Vernon de leur décrocher un contrat de
management avec le tourneur Harry Simmonds, qui n'est autre que le
frère de Kim Simmonds, guitariste de Savoy Brown. A ce même
festival, Christine Perfect fait la connaissance du bassiste John
McVie, qui deviendra son mari deux ans plus tard. Pour l'heure, McVie
n'est pas encore le bassiste de Fleetwood Mac qui fait une de ses
premières apparitions sur scène au festival de Windsor. Outre
Green, Fleetwood Mac est alors composé de Mick Fleetwood à la
batterie, de Jeremy Spencer à la guitare, et de Bob Brunning à la
basse.
(à suivre)