lundi 6 juillet 2020

STAN WEBB - CHICKEN SHACK - BROKEN GLASS 1970-1976 PART 2


"Avec ce disque, le guitariste règle ses comptes avec tout le monde "




Stan Webb poursuit son aventure avec Paul Hancox, et un nouveau bassiste d'origine australienne du nom de Bob Daisley. Le groupe effectue une tournée britannique avant que Daisley ne se voit proposer le poste de bassiste du groupe de Mungo Jerry, qui a obtenu plusieurs hits : 'In The Summertime' en 1970 et 'Baby Jump' en 1971. Daisley reviendra pourtant en 1974 auprès de Stan Webb, qualifiant lui-même l'expérience musicale avec le guitariste de passionnante.


L'album 'Unlucky Boy' de Chicken Shack en août 1973, et accentue toute la résignation de Webb. Déjà sur le sublime 'Imagination Lady', le dernier morceau s'appelait 'The Loser'. Cette fois, on voit le guitariste au milieu d'une caricaturale remise de disque d'or en couleurs, tout sourire, entre secrétaire, homes d'affaires et peut-être sa maman. Le verso montre Webb se faisant prendre en photo en noir et blanc avec la femme de ménage de Deram.


Malheureusement, 'Unlucky Boy' ne poursuit pas la trajectoire toute en puissance de 'Imagination Lady'. Il y a pourtant de merveilleux morceaux d'une noirceur rare. 'You Know You Could Be Right' qui ouvre le disque est un titre blues-rock massif, urbain, radical. Il est suivi par le poignant 'Revelation'. Le blues-rock se fait plus fainéant. Il réside cette amertume puissante dans la bouche. Il n'est pas question que de blues-rock, mais aussi d'âme torturée. Et sans le savoir, Webb les bouleverse.


Le disque ouvre la voie à une nouvelle tournée. Chicken Shack se lance dans le circuit des universités anglaises en compagnie de Savoy Brown. C'est à la Brunel University en 1973 que fut capté le concert d'un live sorti en février 1974 : 'Go Live'. Le groupe n'est que celui de merveilleux mercenaires du blues-rock : Rob Hull à la basse, Dave Wilkinson au piano électrique, et Alan Powell à la batterie. Témoignage du talent du quatuor, il n'a pas retrouvé la folie saturée du 'Imagination Lady'. Stan Webb joue un blues-rock brillant, presque trop carré. Pourtant il témoigne d'une mélancolie profonde. Webb ne cherche plus la respectabilité vis-à-vis des années, pas plus que celle face à la concurrence heavy-blues. Il a baissé les armes, et traîne son spleen électrique sur de superbes compositions, qu'elles soient siennes ou non : 'Thrill Is Gone', 'Goin' Down', 'You're Mean', 'Poor Boy'….


Chicken Shack s'éteint, et Kim Simmonds vient bientôt solliciter Stan Webb. Il avance aussi pour chercher Miller Anderson du Keef Hartley Band. L'idée est de créer une sorte de super-groupe du blues anglais. Le groupe prend forme, mais prend rapidement le nom de Savoy Brown, parce que le plus évocateur aux Etats-Unis selon le manager de Savoy Brown : Harry Simmonds, frère de Kim. Savoy Brown nouvelle formule enregistre 'Boogie Brothers' en 1974, qui frise le Top 100 US à la 101ème place. Webb ne s'y implique guère en tant que compositeur, sur la réserve, méfiant. Ils sont programmés dans les plus belles salles américaines, et notamment le Madison Square Garden de New York. Stan Webb donne tout ce qu'il a en tant que show-man, découvre qu'il n'est payé que comme musicien de session. De plus, alors que la tournée s'achève et que personne n'a encore touché un centime, Harry Simmonds annonce aussitôt qu'il faut repartir dans l'autre sens pour autant de shows. C'est la goutte d'eau. Le départ de Webb marque la fin de cette formation de Savoy Brown. Kim Simmonds réanimera le groupe un an plus tard avec le fidèle Paul Raymond.


Stan Webb reforme aussitôt un groupe comprenant le dévoué Bob Daisley à la basse, Robbie Blunt à la guitare rythmique, et Bob Clouter, ex-Legend de Mickey Jupp. Ils font la première partie de Deep Purple en Europe en mars 1975. Un bel enregistrement sort en 2015, une bande issue de la collection de Daisley, capté en Allemagne sur cette tournée. Le groupe joue serré. Ritchie Blackmore est un grand admirateur, lui qui n'a jamais su jouer le blues comme ses idoles que sont Hendrix et Clapton. Il admire les alternances de notes déliées et d'accélérations, ainsi que l'usage tout en nuances de la wah-wah de Webb. Il prendra des cours en coulisses avec Webb pour user de la bottleneck.


Le disque paru en 2015 mentionne le nom de Chicken Shack, ce qui est alors le cas sur cette tournée en compagnie de Deep Purple en Grande-Bretagne et en Allemagne en mars 1975. Le groupe Elf, dont le chanteur n'est autre que Ronnie James Dio, est aussi à l'affiche, en ouverture. Puis, Stan Webb cherche à couper avec son passé Blues. Certes, le répertoire des concerts précédents sont une magnifique mixture de morceaux de Blues, de Rythm'N'Blues et de vieilles scies de Chicken Shack, mais le guitariste veut donner à sa musique une couleur plus Rock. La formation devient donc Stan Webb's Broken Glass. La formation évolue au cours de l'année.


Bob Clouter s'en va. Bob Daisley accepte de rejoindre un super-groupe nommé Widowmaker, et réunissant les guitaristes Luther Grosvenor de Spooky Tooth et Mott The Hoople et Huw Lloyd-Langhton de Hawkwind, le chanteur Steve Ellis de Love Affair, et le batteur Paul Nichols de Lindisfarne. Puis il rejoindra Rainbow en 1977, formation réunissant Ritchie Blackmore et Ronnie James Dio.


Webb fait appel au batteur Mac Poole de Warhorse et à Bob Rawlinson à la basse. Keef Hartley a aussi fait un court intérim, et Miller Anderson est venu jouer en ami. Broken Glass sort son premier et unique album en 1975 chez Capitol Records. La superbe pochette est faite de verre brisée, de sang et de vieille mécanique.


Stan Webb jette sur ce disque tout ce qu'il aime à ce moment, sans plaire à son public ni à séduire une audience mainstream qui est entre le Glam-Rock, le Rock Californien et le Disco. Le 33 tours s'ouvre sur l'une des plus belles compositions de Webb : 'Standing On The Border'. Il y évoque avec de l'ironie mais aussi beaucoup d'amertume son divorce. Le titre est rageur, à la fois sombre et brillant d'une lumière pâle et désenchantée. Miller Anderson est venu prêter main forte à la guitare slide et au chant. Mac Poole imprime un tempo rude, puissant, brutal, sec, mais incroyablement solide. Le timbre de Webb se voile, se gorge de colère et de désespoir. L'homme est presque à nu, ne se cachant plus derrière une pointe d'humour. Les voix de Anderson et Blunt se croisent superbement sur le refrain, tels des Crosby, Stills And Nash du Blues.


'It's Alright' poursuit la déstabilisation de l'amateur de blues anglais, avec une atmosphère brumeuse et quelques réminiscences… Funk. Rawlinson débute le titre avec une ligne de basse souple, Blunt et Webb croisent leurs guitares en laid-back, mi-blues, mi-soul-funk. Le solo de Webb n'est pas sans rappeler ceux de Mark Knopfler en 1978 avec Dire Straits, tout en picking à peine saturé. Stan Webb chante merveilleusement bien sur cette mélodie mélancolique et narquoise. Tout va bien pour moi, hein, t'inquiètes. Même si la chanson suit celle qui évoque son divorce….


Broken Glass finit de perdre les derniers amateurs de Chicken Shack avec 'Keep Your Love', qui n'est autre qu'un… reggae ! Certes, Eric Clapton avait repris Bob Marley et son 'I Shot The Sheriff' dès 1974. Pourtant, ce morceau original a bien plus de reggae dans les veines que la reprise de Clapton. D'abord, il y a ce superbe rythme syncopé accompagné de sa ligne de basse inventive, parfaitement imbibé de musique jamaïcaine, et notamment celle de Toots And the Maytals et de Jimmy Cliff dont Webb imite parfois le timbre. Un orgue Hammond vient apporter du corps, et les choeurs de Anderson et Blunt rappellent ceux des Maytals. Le résultat est aussi surprenant que réussi. C'est un excellent morceau, audacieux.


'Can't Keep You Satisfied' retourne sur les terres du Blues ancestral, celui qui berça les origines de Chicken Shack. Mais il y traîne une brume étrange. La slide gluante imprime une drôle d'atmosphère, tout comme la section rythmique collante. Il y a quelque chose de Pub-Rock qui frissonne entre ces gammes, avant l'explosion de guitare de Webb, impérial et concis. L'instrumentation minérale donne une drôle de sensation. Mais depuis le début, cet album a un je-ne-sais-quoi de prolétaire, d'urbain, de triste, de mélancolique. Il ressemble à une rue de maisons de briques descendant vers la mer, sur une jetée froide et venteuse où se balancent de fiers bateaux de pêches aux contours rouillés.


'Jersey Lightning' est une petite pochade Country-Blues fort réussie. Elle est suivie par l'une des plus réussies des reprises Rock de 'Evil' de Howlin' Wolf. Le vainqueur est celle de Cactus, mais Broken Glass perd de peu. Il y a beaucoup de choses dans ce morceau : la progression du riff électrique, les ponts Funk, la voix narquoise de Webb, les choeurs Soul de Miller Anderson.


'Ain't No Magic' est sans doute ce qu'il y a de plus surprenant à écouter de la part de Stan Webb. On y croise du Funk lourd, notamment imprimé par la basse de Rawlinson, et un synthétiseur moog. Webb chante comme un acteur, sa voix nasillarde et grave est parfois déformée, comme une illusion sonique. La chanson est obsédante jusqu'à la moelle, faite de motifs répétitifs rappelant Can.


'Crying Smiling' est un morceau plus ensoleillé, entre Blues et Rock. 'Take The Water' est une redoutable embardée Funk. Stan Webb se prend pour James Brown, le reste du groupe pour Funkadelic. Cette belle improvisation démontre encore combien Stan Webb a du talent à intégrer de la musique hors du blues classique. 'Broken Glass' et son âme triste clôt un disque superbe. C'est une superbe chanson acoustique, imbibé de Folk anglais : Davy Graham, Bert Jansch, John Renbourn. La suite sera une tournée de Broken Glass en première partie de Uriah Heep en février 1976 en Allemagne.


Mais surtout, le Punk viendra, et fera des guerriers Blues-Rock des losers. En 1976, Stan Webb a trente ans. Il forme un nouveau groupe : Stan Webb's Speedway. Il fait le Marquee à Londres, il suit les mêmes circuits que le Heavy-Metal de l'époque : Samson, Tygers Of Pan-Tang, Sledgehammer, Angel Witch. Il joue ses standards préférés de Blues et de Rythm'N'Blues dans des salles de plus en plus petites, aux côtés de briscards comme Groundhogs ou Stray. Et Stan est toujours là, entre la Grande-Bretagne et l'Allemagne. Il joue, imperturbable, et les vagues ne l'inquiètent guère.



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