dimanche 5 août 2018

THE GROUNDHOGS 1970


"McPhee veut également exploiter le potentiel du trio au maximum. "



THE GROUNDHOGS : Thank Christ For The Bomb 1970

Le soleil écrase les rues de la ville. Le goudron bout, les arbres se dessèchent sur pied. Les feuilles roussissent comme en automne, en plein mois d'août. La lumière brûle la peau, la blancheur pâle du ciel est aveuglante. Chaque geste provoque la transpiration, chaque objet en plein soleil brûle les doigts. Je rêve d'un orage dantesque. Je veux voir les éclairs se déchaîner dans le ciel, le vent humide et frais courir à travers les fenêtres grande ouverte de mon appartement surchauffé, et me caressant la nuque comme un bienfait miraculeux. La pluie abreuverait alors les sols jaunis par la folie exterminatrice de ce soleil de plomb devenu une menace. Le soleil est devenu un enfer. Lui qui était source de vie, qui abreuve nos corps en vitamines, joue sur nos humeurs, est en train de carboniser sur place.

Nous sommes des êtres naïfs, n'écoutant pas la vigilance, ne comprenant pas comment cet astre pourrait devenir une menace pour l'homme. Et puis les vieillards se meurent de soif, les hommes et les femmes transpirent à grosses gouttes dans leur salon aux volets fermés, cherchant un peu de répit, s'inquiétant pour ses jeunes enfants insouciants.
On attend la pleine Lune, celle qui marque le pas de la nuit. Elle est le signe du repos, de l'apaisement des organismes surchauffés. Le gamin de la pleine Lune est un mythe. C'est celui de la forêt, le môme rejeté, la gamine sauvageonne. Ce sont les récits des légendes de Claude Seignolles. La rouquine maudite, les Hauts Vents, les fermes perdues dans les marais, les pouvoirs obscurs, les guérisseurs.

Le Blues est le nutriment de ce sentiment de brûlure intérieure. Les musiciens anglais en ont offert une version tellement incandescente, elle brûle comme ce soleil d'août. Les Noirs américains avaient l'authenticité, ce touché rustique, la force du propos. Ils vivaient cette misère avec une telle violence que le Blues était forcément leur musique. Mais les Anglais surent se l'approprier, bien plus que les Américains blancs. Ils en firent leur musique de prolétaires, celles des ouvriers des mines, de la sidérurgie… Pas étonnant que des villes comme Birmingham soient des creusets du Blues lourd anglais, ce qui va générer le Hard-Rock à venir.

J'ai découvert les Groundhogs totalement par hasard. Quand j'y repense, je n'avais que quinze ans, on était en 1994, et j'achète un double cd des Groundhogs : quel curieux gamin j'ai pu être en fait. Mes parents et moi allions acheter des vêtements à Toulouse, toute proche d'Albi. Il y avait un disquaire à proximité de l'endroit où nous garions systématiquement la voiture familiale, et j'étais déjà un passionné patenté de Rock. Il avait dans ses stocks un nombre considérable d'albums, et notamment des rééditions en cd d'albums des années 70. J'y ai découvert Mountain, Savoy Brown, Taste…. Il y avait une une grosse boîte en plastique qui m'interpellait à chaque visite, ainsi se présentait les boîtiers double cd. La pochette montrait un type moustachu et dégarni devant un mur d'enceintes, et au-dessus, Groundhogs 1969-1972. Pour moi, la période était doré, et je constatai qu'il s'agissait d'un trio guitare-basse-batterie. Je me décidai à en faire l'acquisition. Et je découvris un univers magique qui m'obsède encore aujourd'hui.

Ce qui me frappa, c'est l'incroyable sensibilité des mélodies derrières un Blues lourd et rustre. Les Groundhogs sont un groupe du British Blues-Boom et un des meilleurs, ayant accompagné par trois fois John Lee Hooker en tournée anglaise, et les deux suivantes à sa demande même. Ce terreau Boogie frustre reste la charpente du Blues-Rock des Groundhogs. Mais il vit grâce au cerveau génial de son guitariste et chanteur, Tony McPhee. L'homme est d'une discrétion et d'une modestie absolue. Je me souviens avoir eu la chance de l'interviewer pour un magazine de Blues. J'étais fou de joie, mais ses réponses furent laconiques. L'homme était incapable de parler de sa musique. C'était un tourment intérieur. McPhee avait une vie des plus banales, il avait un physique peu avantageux, mais était pétri d'une inspiration magique qui lui fit composer de fantastiques albums. Son jeu de guitare est à plus d'un titre exceptionnel, entre Blues rustique, et exploration électrique Hard-Progressive. Le succès commercial fut là durant la période dorée 1969-1972, avant que le groupe ne se fasse casser les pattes par la presse anglaise, et par son échec aux Etats-Unis malgré une tournée des plus prometteuses en 1972.

Les Groundhogs avaient déjà enregistré deux albums en 1970, deux disques de Blues-Rock anglais charnus et dotés de la patte pince-sans-rire de McPhee. Les Groundhogs étaient alors un quatuor, avec un chanteur-harmoniciste : Steve Rye. Curieusement, sur la pochette du second album, il figure mort dans un cercueil pendant que McPhee est en révérend, et que le batteur Ken Pustelnik et le bassiste Pete Cruickshank sont en croque-morts. Le nom de l'album annonce d'ailleurs l'évolution à venir : Blues Obituary.

Rye disparaît, en désaccord avec l'évolution musicale du groupe. McPhee a pris le contrôle des compositions, et les enrichit de ce qu'il capte autour de lui. Vivant une vie paisible et modeste avec son épouse, il lit beaucoup, sort peu, et écoute du Jazz, du Blues et les groupes de Rock qu'il croise en tournée. Il apprécie notamment l'approche de Jethro Tull, qui a évolué du groupe de Blues initial vers une musique plus riche, piochant dans le Folk et la musique classique.

Thank Christ For The Bomb est le troisième album des Groundhogs. Totalement en trio, McPhee a de grands projets. Il veut se couper de cet héritage Blues obligatoire. Il va rester présent dans le sang du trio, mais le guitariste a des choses à dire. Il s'intéresse à la politique, et veut évoquer les marchands d'armes, et les dégâts des guerres sur les populations civiles. Pour cela, il envisage une sorte de concept-album, comme Tommy des Who, une série de chansons autour d'un sujet unique.
McPhee veut également exploiter le potentiel du trio au maximum. Il ne veut pas voguer sur l'improvisation, mais construire une musique où les trois instruments interagissent. Pour cela, McPhee va aller jusqu'à écrire les parties de basse de Cruikshank afin qu'elles complètent parfaitement les lignes de guitare.

Le disque sort en mai 1970, et atteint la neuvième place des classements de meilleures ventes d'albums en Grande-Bretagne. Le sujet est pourtant controversé, et la pochette ne fait aucune concession : les trois musiciens figurent en soldats anglaise de la Première Guerre Mondiale, et le titre même du disque n'a rien de commercial : Thank Christ For The Bomb.

Pourtant, les Groundhogs deviennent des Pop-stars, bien malgré eux. Ils continuent leur ratissage consciencieux du pays, et défendent leur disque sur scène. Désormais, les nouveaux morceaux sont l'occasion pour Tony McPhee de développer des improvisations redoutables sur sa Gibson SG qu'il porte à l'épaule, comme John Lee Hooker.
Thank Christ For The Bomb est un album de fer et de sang. Comme ses musiciens en soldats éprouvés par le combat, où sa pochette intérieure avec cet avion et sa coulée rouge sang qui le suit, c'est un album polémique, bien plus violent et contestataire que n'importe quel disque de Punk. D'ailleurs les Groundhogs développent un Blues-Rock barbelé, violent, brutal, frontal. Leur musique est un choc sonore. Les mélodies sont superbes, emplies d'une sensibilité exceptionnelle, presque cinématographique. Mais se trame aussi les violentes embardées de guitare de McPhee. Violent, teigneux, il agresse l'auditeur, utilisant le Blues comme un cri d'horreur.

Thank Christ For The Bomb est une œuvre d'où se distingue des merveilles sonores multiples et enthousiasmantes. Le Boogie ivre de « Strange Town » ouvre le disque avec une curieuse bonne humeur, mais les paroles font bien vite tomber le sourire. « Soldier » est un hommage poignant aux hommes au combat, ces Tommies, ces Poilus… Je n'arrive pas à conserver mon bon jugement avec « Garden ». La mélodie est d'une telle beauté, imprégnée de mélancolie, fleurant bon le jardin anglais alors que tombent au loin les bombes. On retrouve cette beauté mélancolique sur le sublime et acoustique titre éponyme, mêlant Blues et Folk.

« Eccentric Man » m'a interpellé bien plus tard. Son acidité retors est un choc sonore. On n'approche pas ce genre de pièce musicale avec dilettantisme. La batterie fracasse des caisses comme les vagues sur les rochers. Basse et guitare ne font qu'un pour provoquer un agrégat de fer rouillé qui déchire les chairs. Les versions live à venir subliment ce matériau magique.

McPhee offrira des versions ahurissantes en première partie des Rolling Stones en 1971, ou sur la tournée du grand retour en 1974. Les Groundhogs vont se séparer brièvement en 1972 après le départ de Ken Pustelnik. Mais la force créatrice de McPhee est trop forte. Pourtant, il est lié au nom des Groundhogs, qui vont voir leurs deux disques entre 1971 et 1972 en tête des classements en Grande-Bretagne.
Mais le guitariste n'a que faire de ce vedettariat. Il est toujours le même homme, et le contrat avec Liberty ne leur apporte pas vraiment la fortune malgré le succès. Tout est relatif, tout est fragile. Mais les Groundhogs viennent de produire un disque exceptionnel. Puissant, contestataire, profondément Blues anglais dans l'âme, il ouvre la voie à un album encore plus novateur et brillant à venir...

tous droits réservés