vendredi 20 décembre 2019

La New Wave Of British Heavy-Metal (NWOBHM) Part 2


"Un autre pionnier du mouvement et l'un des plus sous-estimés est sans doute Witchfynde."



Au sein des pionniers électriques, il convient d’abord d’évoquer un premier groupe que l’on évoque parfois comme étant un groupe de la NWOBHM à part entière, bien que les dates ne collent guère : Dirty Tricks. Ce quatuor fondé en 1974 sort son premier disque en 1975, et développe un Heavy-Metal zeppelinien de première catégorie, qui va se durcir jusqu’à l’ultime effort, Hit And Run en 1977. Ce troisième album voit les tempi s’accélérer, et se rapproche de Judas Priest à la même époque. L’autre argument plaidant pour les qualifier à ce nouveau Heavy-Metal est le fait que plusieurs de ses musiciens rejoindront des groupes de la NWOBHM : le bassiste Terry Horbury dans Vardis, le batteur Andy Bierne dans Grand Prix, et le guitariste Johnny Fraser-Binnie dans Rogue Male. Les quatre musiciens resteront très liés et formeront dans les années 2000 l’un des meilleurs tribute-band de Grande-Bretagne à Led Zeppelin : Stairway To Zeppelin.


Un autre pionnier du mouvement et l'un des plus sous-estimés est sans doute Witchfynde. Véritable vétéran, on retrouve des traces d'enregistrements discographiques en 1975, les bandes ayant été récemment publiées. Mais ce n'est qu'à partir de 1979 que Witchfynde devient une machine à broyer de l'os. Le son de guitare de Montalo se fait plus tranchant, plus lugubre, s'éloignant du psychédélisme rampant d'un Tony Iommi de Black Sabbath. C'est un château hanté que nous fait visiter Witchfynde au cours de ses quatre premiers albums entre 1980 et 1984. Give'Em Hell, le premier, est assurément un sacré obus au gaz moutarde, asphyxiant l'auditeur imprudent par son atmosphère lourde.


Puisque j’évoquais Dirty Tricks et son bassiste Terry Horbury, parlons de son second groupe : Vardis. Trio fondé par l’extravagant guitariste-chanteur Steve Zodiac, sorte de sosie musculeux de Johnny Winter, Vardis pratique un Hard-Blues ultravitaminé, sorte de Status Quo sous amphétamines. Le premier album de 1980 est un disque live : 100 MPH. C’est un excellent LP, puissant et efficace. Vardis publiera trois autres albums studio avant de disparaître dans l’indifférence générale. Depuis Steve Zodiac a réanimé son trio.


Diamond Head est formé fin 1976 par le guitariste Brian Tatler et le chanteur Sean Harris. Dès 1977, les deux musiciens stabilise leur formation et composent leurs propres morceaux. Il publie en 1980 un premier album dantesque, auto-produit, le White Album, qui fera date en étant repris par Metallica à raison de six titres sur sept. Les simples sont autant d'ajouts indispensables, véritables comètes émises par un Led Zeppelin possédé, sous speed : « It's Electric », « The Prince », « Helpless », « Streets Of Gold »… Par la suite, le quatuor va évoluer vers un Hard-Rock plus fin mais toujours doté de beaucoup de personnalité.


Samson, quartet précurseur fondé par le guitariste Paul Samson, publie son premier disque dès 1979. Mais c'est avec l'arrivée du chanteur Bruce Dickinson, surnommé ridiculement Bruce Bruce, que Samson va être propulsé dans la stratosphère avec l'album Head On. Et contrairement aux mauvaises langues, Samson survivra au départ de Dickinson avec l'arrivée du massif chanteur Nicky Moore et d'un batteur moins spectaculaire mais plus carré : Pete Jupp. Ce dernier remplaçait le volubile Barry Thunderstick Purkis, le batteur cagoulé des débuts. L'album de 1982, Before The Storm est un brûlot de Heavy-Blues puissant qui possède la fureur et le sens de la mélodie de Slide It In de Whitesnake.


Tygers Of Pan-Tang fait son apparition sur la scène dès 1978, et est un authentique pionnier de la NWOBHM aux côtés de Samson et Iron Maiden. Il va publier son premier album, Wild Cat, dès 1980 sur la major MCA, qui tente de contrer EMI avec Iron Maiden. Ce premier album est rugeux à souhait, notamment grâce aux riffs bluesy de Robb Weir et à la voix râpeuse de Jess Cox. Le quatuor devient quintet avec l'arrivée du prodige de la guitare John Sykes, puis par le remplacement au chant de Cox par Jon Deverill. Les Tygers Of Pan-Tang se mutent en véritable machine de guerre, avec deux disques impeccables en 1981, Spellbound puis le plus massif Crazy Nights. Les Tygers sont alors un alliage entre Iron Maiden et Thin Lizzy, une musique enflammée et précise, qui fait des ravages sur scène, comme le prouvera le Live At Nottingham Rock City. Le groupe est malheureusement trahi par Sykes qui se sauve rejoindre Thin Lizzy. Ils prennent alors une tournure largement plus mélodique, et la formation finit par s'autodétruire après plusieurs soubresauts de piètre qualité.


1980 voit aussi quelques comètes merveilleuses et rares : d'abord Angel Witch, influence majeure de Megadeth, qui délivre un Heavy-Metal précis et scintillant comme la lame d'un rasoir. Le premier disque éponyme est une pure réussite, mais le succès commercial n'est pas là, et le trio finira par se séparer avant de revenir régulièrement au cours des trente prochaines années sans atteindre le même niveau.


Ce début de NWOBHM donne naissance à plusieurs outsiders de tout premier niveau que l’Histoire a malheureusement oublié. Le premier que je tenais à évoquer est Gaskin. Trio fondé par le guitariste chanteur Paul Gaskin, il équarit un Heavy-Metal fusionnant Black Sabbath, Led Zeppelin et Motorhead. Le chant de Paul Gaskin est assez surprenant, doux et vaporeux, contrebalançant avec la puissance de sa musique. Deux excellents albums, End Of The World en 1980 et le sous-estimé No Way Out en 1981, sont publiés avant que Gaskin ne disparaisse corps et âme. Gaskin reforme sporadiquement son groupe depuis 2000, sans grand succès.


Le second est Sledgehammer. Ce trio fondé par le guitariste-chanteur Mike Cooke va publier l'authentique premier méfait NWOBHM avec le morceau éponyme « Sledgehammer » dès 1979. Metallica les ressortira de l'oubli sur sa compilation hommage au mouvement en 1990. Comme pour beaucoup de formations, Sledgehammer survit avec ses concerts et ses simples auto-produits. Autre pépite oubliée : « Fantasia ». C'est un authentique miracle électrique, obsédant. On retrouvera le trio avec son premier et unique album, le très sous-estimé Blood On Their Hands en 1983. Le son est moins sauvage que sur les simples, mais les compositions conservent toute l'ambiance malsaine, et ses riffs de Fender Stratocaster acides et entêtants.


Enfin, comment ne pas évoquer le destin maudit de Trespass. Auparavant nommé Illusion et formé en 1976, ces fabuleux guerriers du Heavy-Metal mélodique trouveront la lumière dès 1979 avec le simple auto-produit « One Of These Days », vanté par Metallica. Il semble connaître la lumière en étant la vedette, comme Iron Maiden sur le premier volume, du second volume compilation Metal For Muthas. Mais il n'y aura pas de second miracle. Trespass sera condamné à errer, cherchant à percer en vain. Trespass compose, enregistre, et publie parfois quelques simples, sans réel succès. L'ensemble de cette matière composera les compilations The Works puis une anthologie chez Sanctuary, devenue introuvable et très recherchée. Le guitariste leader Mark Sutcliffe formera Mendes Prey sans plus de succès, puis le noyau dur de Trespass, les frères Sutcliffe, Mark à la guitare-chant et Paul à la batterie, et le guitariste Dave Crawte, forment le très commercial et Glam-Metal Blue Blud, sans grand prestige. Depuis, Trespass est revenu à la vie, et a publié son premier album composé de morceaux des années 1979-1981, et capté en 2015. Les morceaux, joués et peaufinés depuis trente ans, sont interprétés sans fioritures et avec un brio ahurissant, faisant de cet album un disque indispensable.


(à suivre)




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vendredi 13 décembre 2019

La New Wave Of British Heavy-Metal (NWOBHM) Part 1

"Dans les petites salles, le rythme s'accélère, et les nouveaux groupes de Heavy-Metal trouvent enfin leur place sur l'affiche."

  
Johnny Rotten fixe le public du Winterland de San Francisco pendant que le reste des Sex Pistols ferraille « No Fun » derrière lui. Puis la lumière s'éteint et il s'exclame dans l’obscurité et d’un ton narquois : « Ah ! Ah ! On vous a bien eu ! ». Ainsi se termine le dernier concert du groupe Punk-Rock ultime, sonnant le glas d'un mouvement apparu durant l'été 1976. Le Punk fut un électrochoc pour le Rock anglais. Depuis le début des années 70, les formations britanniques dominent le monde, vendant des millions d'albums et remplissant les plus grands stades au cours de tournées américaines aussi lucratives qu'interminables. Le Hard-Rock et le Rock Progressif ont la main mise, accompagnés de quelques vétérans des années soixante devenus des institutions : Who, Rolling Stones, Kinks. Led Zeppelin, Deep Purple et Black Sabbath sont les rois du Metal lourd, et ont comme beaucoup des tendances à l'utilisation de synthétiseurs et aux improvisations interminables dignes du courant Progressif. Le Hard-Rock n'est d'ailleurs pas étanche à ce genre, et certains groupes très populaires ont osé la fusion délicate : Jethro Tull par exemple, mais aussi Yes, qui sait parfois faire rugir la guitare. Deep Purple a toujours eu une propension a traîné dans les structures Jazz et Classique, Led Zeppelin s'est lancé dans plusieurs morceaux très progressifs, notamment sur les albums IV et Houses Of The Holy. Et même les massifs Black Sabbath ont eu recours au clavier de Yes, Rick Wakeman, sur l'album Sabbath Bloody Sabbath, et progressivement, sa musique va se sophistiquer vers un point de non-retour pour les fans sur Technical Ecstasy en 1976 et Never Say Die en 1978.


Le Punk-Rock va être le rejet de ce Rock de trentenaires, virtuose, encombré de claviers et de double voire triple albums prétentieux. Le Rock anglais a perdu le contact avec la base de son public qui veut de l'électricité et une certaine forme de réalisme sur sa condition. Les Who échappent ainsi à ce classement péjoratif grâce à l'oeil averti de Pete Townshend sur la société. Les Anglais préfèrent s'éclater sur des groupes plus proches d'eux : Status Quo et Slade en tête, puis une nouvelle génération de groupes Hard-Rock plus simples et directs : UFO, Thin Lizzy, The Sweet ou Judas Priest. Pourtant, cette seconde génération arrive au milieu des années soixante-dix, et est vite assimilée aux mammouths du Hard'N'Heavy, notamment par leurs looks très Glam. L'autre aspect qui ne colle pas, c'est la virtuosité, que les groupes Punk bannissent, au nom du retour à la simplicité du Rock anglais du milieu des années soixante, sans chichi. Malgré tout, plusieurs personnages du renouveau Hard-Rock de la fin des années soixante-dix sauront se faire accepter des Punks grâce à leur ouverture d'esprit et leurs personnalités bien trempées : Phil Lynott de Thin Lizzy, Pete Way de UFO, Steve Marriott d'Humble Pie, ou Lemmy Kilmister de Motorhead.


Le Punk balaie donc tout, et les maisons de disques se précipitent sur le filon. Exit les groupes de Rock aux cheveux longs et aux accords bluesy. Tous survivront grâce aux tournées américaines, d'autres attendront que la tempête passe pour surgir le moment venu, et certains arrêtent les frais, faute d'engagements : Stray, Chicken Shack, Groundhogs….


Parmi ceux qui serrent les dents, on retrouve quelques pionniers d'une nouvelle vague métallique. Ils jouent dans les clubs, armés de leurs cheveux longs et de leurs Gibson Les Paul, un mélange de reprises Heavy-Rock pointues et de compositions originales. Ils s'appellent Iron Maiden, Sledgehammer, Def Leppard, Saxon, Illusion ou Diamond Head, et n'attendent qu'une chose : que ce satané Punk fiche le camp.


C'est que les gamins n'adhèrent pas vraiment à ces nouvelles formations. Quelques-unes brillent au-dessus du lot par leur audace et leur personnalité : Buzzcocks, Damned, Stranglers…. Mais beaucoup disparaissent au bout de quelques simples, incapables de faire vibrer les gosses. Car ils veulent des héros, des musiciens que l'on peut admirer, aduler. Il faut des guitar-heroes, des chanteurs charismatiques, des bassistes solides, des batteurs puissants et pas des tocards cachant leur médiocrité derrière du spectacle de mauvaise qualité. Les Sex Pistols ne pouvaient que disparaître, avec un bassiste incompétent, un manager requin, et des musiciens sans ambition, à part un Johnny Rotten dont les projets sont au-delà de la musique et de l'excitation de la scène.


La tornade finit par retomber. Les Sex Pistols lâchent la rampe en janvier 1978, et leur manager, dans une ultime bravade, explique que tout cela n'est qu'une escroquerie. Mais les gamins ne veulent pas d'une escroquerie. Ils croient au Rock, aux bienfaits de l'électricité, au pouvoir de ces fiers guerriers métalliques qui brisent le carcan de la société imposée par la politique sans pitié de Margaret Thatcher. Dès la mi-1978, il n'y a plus de groupes Punk dans les clubs. Ils laissent place au Post-Punk, à la New Wave, ses atmosphères glaciales et ses accords synthétiques. Quelques guerriers venus d'Australie ont pris la place des furieux : Angels, AC/DC, Rose Tattoo…. Ils sont suivis de quelques desperados renégats, venus de l'antre secrète des années soixante-dix : Motorhead, Judas Priest désormais vêtus de cuir noir, mais aussi Budgie, dont le retour sera fracassant en 1979. Motorhead va ainsi percer au jour après trois années de galère sans nom dans l'ombre du Punk avec Overkill début 1979. Quant à Budgie, après dix années sur la route, dont trois en Amérique du Nord, il a échoué. Il revient avec un nouveau guitariste, John Thomas, et la rage au ventre. Le maxi au titre Thrash If Swallowed Do Not Induce Vomiting, suivi de l’album Power Supply, publiés en 1980, sont de violents uppercuts à base d'AC/DC-Judas Priest, sales et méchants, presque Thrash avant l'heure, toujours torturés par l'esprit malsain du bassiste-chanteur Burke Shelley. Même le vénérable Black Sabbath revient au Heavy-Metal tranchant avec son nouveau chanteur, Ronnie James Dio et l’implacable album Heaven And Hell.


Dans les petites salles, le rythme s'accélère, et les nouveaux groupes de Heavy-Metal trouvent enfin leur place sur l'affiche. Samson, Iron Maiden, Sledgehammer, Saxon, Def Leppard, Diamond Head, Trespass, et Tygers Of Pan-Tang sont les nouveaux héros. Dès 1979, les majors du disque prennent le train. EMI publie la compilation Metal For Muthas avec Iron Maiden en vedette, Tygers Of Pan-Tang signe chez sur la major MCA. Mais cette nouvelle vague désormais appelée New Wave Of British Heavy-Metal (NWOBHM) par le magazine Sounds dès 1979 trouvent aussi sa place dans l'autoproduction. Def Leppard, Trespass, Diamond Head … publient leurs premiers disques par leurs propres moyens, pendant que quelques labels indépendants tentent de lancer de nouveaux groupes prometteurs : Neat Records, Ebony Records, Heavy-Metal Records, Rondelet Records….Beaucoup vont éclore grâce à ces circuits parallèles : Blitzkrieg, Venom, Witchfynde, Witchfinder General, Savage….


Musicalement, la NWOBHM est un véritable renouveau du Heavy-Metal. S’il est fortement imprégné de la musique des prédécesseurs, il gagne en nervosité en fusionnant avec l’urgence du Punk. Les tempi s’accélèrent, les riffs sont plus tranchants et acérés, se coupant de plus en plus nettement des bases Blues de la fin des années 60. Les longs soli disparaissent pour chercher la concision, le choc frontal. L’une des grandes faiblesses de la NWOBHM deviendra aussi sa grande force ; la quasi-totalité des albums du mouvement sont dotés d’une production frustre, voire limite garage, qui renforce l’esprit violent et sans concession de ce nouveau Heavy-Metal. C’est un paramètre important qui fera partie intégrante de l’esprit du Thrash à venir, mais aussi des premières productions Black-Metal norvégiennes du début des années 90. Un bon disque de NWOBHM se doit d’être cru, brutal, frustre, pour accentuer la violence de la musique , lui donner ce son de la rue, prolétaire, alors que Margaret Thatcher vient d’entamer la purge du Royaume-Uni.


Ce qui va aussi faire la grande force de la NWOBHM, c'est sa richesse. S'arrêter aux grandes formations est une erreur, car comme pour le Heavy-Rock du début des années soixante-dix, la magie réside aussi dans la seconde et la troisième division, avec des albums totalement passés inaperçus, mais parfaitement fabuleux. S'arrêter à Iron Maiden, Saxon et Def Leppard est une erreur, car la vraie matière de la NWOBHM réside dans ses publications secrètes. Ces groupes vont profiter du rayonnement des formations de tête et de leur succès commercial pour décrocher des tournées dans les clubs et les petites salles, puis publier quelques simples voire un ou deux albums. Preuve de l’engouement populaire pour le nouveau Heavy-Metal : le Festival de Reading. Son édition de 1980 va être un symbole de la suprématie de la NWOBHM sur le Rock anglais avec à l’affiche la fine fleur du mouvement : Iron Maiden, Budgie, Sledgehammer, Def Leppard, Praying Mantis, Angel Witch, Tygers Of Pan-Tang, Samson…. Les deux éditions suivantes conserveront d’ailleurs une affiche très métallique.


Il y eut en fait plusieurs générations dans la NWOBHM : la première, celle des pionniers historiques, avec Iron Maiden, Saxon, Sledghammer, Fist, Tygers Of Pan-Tang, Witchfynde. Puis il y eut la seconde, une fois la première établie, dès 1981 : Raven, Venom, Holocaust, Demon…. Et enfin, celle qui lutta avec les pionniers américains du Thrash soit en cherchant l'agression sonore : Jaguar, Blitzkrieg, Warfare, Cloven Hoof, Avenger, Rogue Male, Satan, Chateaux…. Soit en pliant aux sirènes mélodiques de Def Leppard : Jaguar encore, Cloven Hoof, Blue Blud, Tygers Of Pan-Tang, Saxon, Raven, Praying Mantis, Quartz, Grand Prix, Dark Star…. Voici quelques clés parmi les nombreux groupes palpitants de ces années métalliques anglaises entre 1980 et 1985.

(à suivre) 


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jeudi 31 octobre 2019

VAN DER GRAAF 1978


"Devant la vitre, mon esprit s'égare. J'ai peur, je suis déstabilisé. Il n'y aura pourtant aucune concession."



VAN DER GRAAF : Vital 1978

Il est presque sept heure du soir lorsque je quitte mon travail. C'est la fin d'une nouvelle journée bien chargée débutée peu avant huit heure ce matin. Je suis fatigué, état compliqué par un rhume tenace. Le ciel est gris, et l'obscurité nocturne enveloppe le ciel. L'air est plutôt doux, le vent souffle en bourrasques dans les grands arbres du quartier. Au loin, de l'autre côté des voies ferrées, je vois les peupliers d'Italie danser en rythme. Les feuilles jaunissent, l'automne s'installe.

Je n'ai pas beaucoup de chemin à faire entre mon lieu de travail et mon immeuble, quelques centaines de mètres au plus. Je suis un salarié flexible, rapidement sur mon lieu de travail, solide soldat du vingt-et-unième siècle qui turbine, paye des factures et consomme. Et encore, la troisième prérogative s'amenuise peu à peu pour se limiter à un étroit confort de vivre caché derrière l'apparence d'une réussite professionnelle et sociale.

Je passe la clé magnétique pour entrer dans le hall de mon immeuble, et j'ouvre ma boîte aux lettres. Je n'ai guère de courrier, et lorsqu'il y en a, il a tendance à m'angoisser. L'enveloppe siglée de ma banque n'est pas pour me réjouir : sûrement un avertissement facturé pour me signaler que je n'ai plus un rond. Je tourne la clé dans la serrure et j'entre dans mon appartement. Je range mon blouson dans la penderie de l'entrée, et j'enlève mes chaussures. La vision de mes livres et de mes disques me réchauffe l'âme. Je suis au coeur de mes passions, de ce qui me permet d'échapper à cette réalité si terne.

Je regarde par la fenêtre, et j'admire la danse des bouleaux dans le vent, leurs petites feuilles jaunissantes tombant sur l'herbe. Elles forment une constellation naturelle. Je laisse mon cerveau divaguer quelques maigres secondes avant de vaquer à quelques occupations ménagères, et de faire le point mental sur les obligations administratives qui me tracassent : un message électronique, un coup de fil, une échéance…. J'ai l'impression d'avoir le cerveau farci de ces tracas. Elles m'angoissent, me rongent. J'ai la sensation d'être harcelé en permanence, de ne jamais réussir à avoir l'esprit tranquille. Lorsque quelque chose s'améliore, c'est toujours pour que deux ou trois affaires se dégradent. Je n'ai plus la possibilité de souffler, de ne penser à rien. Je suis constamment sous la pression de créanciers, de justifications administratives. Je passe mes journées au travail, je dois jongler avec des serveurs d'appel pour dénouer des imbroglios, tout en me disant que tel ou tel loisir ne me sera pas permis, car je ne peux me le permettre financièrement.

Je regarde tomber les feuilles de bouleaux tomber sur l'herbe sous le ciel gris et le vent, et j'ai l'impression d'être obsédé par l'argent, ou plutôt le manque d'argent. Les puissants, eux-aussi obsédés par l'argent, ne font que l'accumuler sur notre dos, et nous, nous le sommes également, obsédés par l'argent, mais parce que nous n'en avons pas assez pour payer nos factures et jouir d'un peu de loisir.

J'ai fini par apprécier les week-ends de pluie, parce que ce temps vous interdit naturellement toute sortie, et donc dépense. Et je reste là, dans mon appartement, à regarder une émission de télévision intéressante dans une mer d'absurdités et d'émissions politiques écœurantes de mépris politique et intellectuel. La lumière douce et mon petit intérieur, mes précieux livres et disques, m'apportent le réconfort. Je suis à l'abri, dans ma petite bulle. Malgré les courriers électroniques, les sms, et toutes les agressions de cette société fasciste libérale, j'ai encore quelques mètres-carrés d'espace préservés dans lequel je peux m'échapper. Mais j'ai de plus en plus la sensation qu'il est violé par l'agressivité de cette société de malades mentaux ultra-libéraux. Nous sommes dans l'ère de la décadence du Capitalisme. La décadence de l'Empire Romain fut celle de toutes les aberrations avant la chute. Mais il n'était alors pas question de voir la nature s'effondrer avec.

Désormais, je n'ose plus bouger. Sortir de chez moi me coûte, et je suis aux abois. Je ne pensais pas en arriver à une telle situation. Mais j'y suis, et cela me torture mentalement. Je fais désormais un unique repas complet par jour, et tout le reste me permet de payer mes factures et d'apporter un peu de confort à ma fille. Je suis désormais un chien solitaire qui laisse son maigre butin à ces âmes les plus fragiles.

Devant la vitre, mon esprit s'égare. J'ai peur, je suis déstabilisé. Il n'y aura pourtant aucune concession. Cette musique me provoque des sensations étranges. Elle me parle si intensément en mon for intérieur.
Dans ce cataclysme intérieur émergea un jour un morceau d'un disque en concert de Van Der Graaf Generator. Ou plutôt de Van Der Graaf, parce le quatuor originel formé par Peter Hammill au chant, à la guitare, au piano, Hugh Banton aux claviers, David Jackson aux cuivres, et Guy Evans à la batterie. Je ne sais plus vraiment par quel biais, quel miracle. L'histoire de Van Der Graaf Generator est déjà une malédiction. Le quatuor s'imposa en Italie comme de véritables stars du Rock, alors qu'ils pratiquaient un Rock Progressif élaboré et complexe. Je connaissais Van Der Graaf Generator, jusqu'à ce que je tombe sur une version de « Nadir's Big Chance » en direct, un morceau d'un album solo de Peter Hammill. Je ne pensais pas que je pourrais être réduit à …

Le ciel bas et gris se brouille de bruine, une humidité froide qui pénètre les chairs. Ce devait être le même univers triste lorsque fut enregistré ce double live de Van Der Graaf, le 16 janvier 1978 au Marquee de Londres. Van Der Graaf Generator s'était séparé en 1972 avant de revenir deux petites années plus tard avec toujours autant de vigueur artistique, mais pas commercial. Et l'arrivée du Punk réduisit en cendres les derniers espoirs du quatuor, mis dans le même panier Prog que Pink Floyd, Yes, ELP et Genesis. David Jackson et Hugh Banton se retirèrent, la formation évolua en 1977. Nic Potter prit la basse, un ancien du line-up originel de 1969. Charles Dickie prit les claviers et le violoncelle, et Graham Smith le violon. Le groupe se renomma Van Der Graaf, et sortit le magnifique The Quiet Zone/ The Pleasur Dome.

Cet album live est tiré de la tournée de promotion de ce premier album sous le nom de Van Der Graaf. L'apport des cordes a coupé la musique du groupe de ses fondations Jazz portées par Jackson. L'influence musicale de Peter Hammill est plus présente. Sorte de barde électrique désespéré, il est un alter-ego typiquement anglais de Lou Reed, quelque part. Hammill ne se contente pas de scruter la société et les petites gens, il en est un acteur furieux et possédé, partie intégrante d'un monde brutal dont il est l'une des victimes.

« Ship Of Fools » ouvre le set. C'est une face B d'un simple de 1977. Ce morceau d'une brutalité totale ravage les oreilles des spectateurs imprudents et timides du Marquee. Ce qui frappe l'oreille d'entrée, c'est la ligne de basse monstrueuse de Potter, gorgée de saturation, sale, obsédante. Le violon et le violoncelle virevolte entre la basse, les riffs de guitare et la voix torturée de Peter Hammill. Guy Evans est impressionnant à la batterie, pilonnant ses fûts et sa cymbale ride avec démence. On est dans une forme de Heavy-Metal corrosif et malsain, quasiment symphonique et gothique avant l'heure. Toutefois, il n'est pas question de lamentations vaines et suicidaires. Le ton de Hammill est celui de la rage au ventre, de la colère noire, de l'homme qui se débat dans ses affres quotidiens, jusqu'à la folie. Le titre se termine en musique de chambre lugubre.
L'interprétation de « Still Life », pièce sonore de 1976, injecte son poison malsain. La scansion de Hammill rend la chose vertigineuse de douleur. « Last Frame » est issu du dernier album. La basse tonne sur un tapis de violon hululant et grinçant. Puis la rythmique démarre, celle de Evans et Potter. La mélodie est striée de quelques arpèges de guitare qui accentue la mélancolie profonde du morceau. L'incendie intérieur qui brûle dans la gorge et l'âme de Peter Hammill semble enfin trouvé son véritable accompagnement, son pendant instrumental. On ressent la virulence de l'être bafoué, constamment violenté par la société. Il hurle de rage, des larmes plein les yeux, les maxillaires serrées, de la salive plein la bouche, à genoux sur le sol de son modeste salon, tapant par terre à s'en faire saigner les points.

« Mirror Images » plane dans une brume de piano électrique liquide surmonté de violon et de flûte. La batterie frappe fort, accompagnée d'une ligne de basse aussi délicate que Potter peut offrir, c'est-à-dire fortement massive. Les nuages gris se dispersent pour laisser place à quelques lambeaux de ciel bleu. Il fait froid, et le vent souffle. Les feuilles jaunies des platanes virevoltent, le soleil n'apparaît que par éclats blanchâtres entre deux masses célestes grisonnantes. Mais cette lumière et ce bleu rallume un peu d'espoir à une journée qui aurait pu être aussi triste que les précédentes, puisque rien ne change.

Après cette interlude pâle, Van Der Graaf plonge dans son passé pour extirper un medley curieux et audacieux : « A Plague Of Lighthouse Keepers » issu de Pawn Hearts en 1971, et « Sleepwalkers » de Godbluff en 1975. Van Der Graaf fouille l'héritage de son passé si proche, jetant la passerelle évidente avec Van Der Graaf Generator, mais se libérant d'une étreinte artistique qui engendra la dislocation du groupe original. Cet audacieux alliage de deux morceaux absolument pas liés historiquement est exceptionnel. Il est encore renforcé par la présence de David Jackson lui-même qui vient apporter en voisin sa contribution, preuve que ces hommes sont artistiquement intensément liés. Aucune note n'est superflue. C'est une symphonie du quotidien, une mise en musique de cette vie de con. Toutefois, il y a ces stries précieuses de vie et d'humanité qui font de l'oeuvre de Van Der Graaf Generator et de Peter Hammill des biens précieux pour l'âme. Batterie et basse imprime un tempo féroce sur lequel se fixe le violon, le haut-bois et le piano. Et puis il y a cette voix féroce et corrosive.

Le second disque débute par une relique de Van Der Graaf Generator : « Pionneers Over C » de l'album H To He Who Am The Only One de décembre 1970. Le morceau se voit injecter une violente dose de colère noire. Le violon, la guitare et la basse accentuent ce terreau de rage furieuse. Ce qui ne sortait que par étincelles des disques originaux dégueulent sur ces deux galettes. L'étrange contraste entre les cordes et les instruments électriques provoquent un choc entre violence et abandon. Puis les deux se rencontrent pour provoquer un cataclysme sonore épais et visqueux comme le pétrole.

« Sci-Finance » est un sarcasme sur ceux qui nous asservissent. Derrière sa barrière folk se cache la haine de ces hommes qui nous condamnent à mourir avec le sourire, pour notre bien. La tension intellectuelle est telle sur scène qu'elle aboutit à l'impressionnant et obsédant instrumental : « Urban/Killer/Urban ».

Le set se clôt sur la reprise du morceau de Peter Hammill : « Nadir's Big Chance ». La chose est Punk soniquement parlant, bien plus que certaines merdes Pop. La furie de Peter Hammill, prestigieuse, plus belle encore que sur son album solo initial de 1975, déjà sacrément solide.

Je ressens la danse sur cette monstruosité sonore. Je bondis sur mon tapis IKEA poussiéreux devant la baie vitrée des années soixante. La lumière solaire baisse, la brume a envahi l'horizon. Nos arbres et nos collines ont soif. Elles vont se reconstituer, pendant que la noirceur de mon esprit rencontre celle du ciel. Cette atmosphère triste et grise ne me déplaît pas. Je n'ai aucun prétexte à sortir, je préfère la chaleur de mon appartement, celui dont le loyer contribue à mes charges. Et puis en fait, je n'en ai pas spécialement envie. Je préfère me replier sur moi-même. Cette météo perturbée est une bien belle excuse à fuir à une vie sociale dont je n'ai finalement pas vraiment envie. Je finis par apprécier la solitude ponctuée de quelques sorties. Je crois qu'il m'ait impossible de faire comprendre la fureur intérieure qui m'anime.

Je passe l'entrée de l'immeuble, et il tombe sur mon visage et mon crâne une pluie disparate. Je remonte la rue. J'aurais presque envie d'aller plus loin. Je n'irai pas. Ainsi s'arrête mon trajet quotidien. Je ne dépense pas grand-chose. Mais je suis cet homme en voisin. Peut-être que mon avenir me réservera un peu d'espoir, au-delà du Nadir.



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dimanche 8 septembre 2019

TRAPEZE 1979


"Le contenu de Hold On a une âme mélancolique et amère bien éloignée de la New Wave de l'époque. Trapeze a l'expérience de la vie pour eux."





TRAPEZE : Hold On 1979

Etre sur la brèche, le nez dans le vent. Etre aux abois, mais le ventre pétri de résignation. Se dire que l'on va faire du mieux que l'on peut, mais que cela ne suffira pas pour atteindre le sommet. Que la pierre que l'on va ajouter à l'édifice ne sera qu'une pierre de plus, mais qui donnera de l'ampleur au résultat final. Et que malgré tout, on aura passé de bons moments, qu'importe ce qu'il adviendra dans les années à venir.

Lorsque le guitariste Mel Galley fonda le groupe Trapeze en 1969 avec le batteur Dave Holland, il avait sans aucun doute de beaux rêves. A commencer par celui de fuir son quotidien de l'époque : le Black Country. Région située entre Birmingham et Cardiff, elle regroupe toutes les industries lourdes de la Grande-Bretagne : sidérurgie, mines de charbon et de minerais. Son surnom provient de la fumée et de la poussière omniprésentes qui flottent dans l'air et recouvrent le paysage. D'abord quintet psychédélique, Trapeze devient dès 1970 un power-trio : Galley à la guitare, Holland à la batterie et le bassiste-chanteur Glenn Hughes. Sa voix puissante, très soul survole désormais un hard-rock pétri de funk. Medusa est un premier chef d'oeuvre électrique, totalement oublié. Le troisième album de 1972, You Are The Music, We're Just The Band, est l'accomplissement de cette fusion inédite, surtout de la part d'un groupe de blanc-becs venu des tréfonds de la Grande-Bretagne industrielle, davantage bercé par le Pub-Rock, le Boogie et le riff lourd. Black Sabbath, Judas Priest, Budgie et la moitié de Led Zeppelin, Plant et Bonham, viennent eux-aussi de ces terres.

Cependant, alors que Trapeze galère dans les clubs dans son pays natal, les premières dates américaines portent leurs fruits, ils sont demandés aux USA. Le trio se retrouve sur les plus belles scènes de l'Ouest américain avec You Are The Music, We're Juste The Band, alors qu'il n'est quasiment rien en Europe. Cette brutale rupture sera le lot de Trapeze jusqu'à la fin de ses jours en 1982.

Alors que leur carrière est en pleine ascension, Glenn Hughes est débauché par Deep Purple en juillet 1973 pour remplacer Roger Glover et assurer les choeurs aux côtés du nouveau chanteur David Coverdale. La compilation The Final Swing regroupe les meilleurs titres des trois premiers albums ainsi que deux inédits destinés à un futur album qui ne verra jamais le jour. Elle connaîtra un joli succès grâce au coup de projecteur lié au départ de leur chanteur-bassiste vers une sommité du Rock international. Néanmoins, Trapeze est décapité. Hughes regrettera souvent son départ, d'abord confronté à un choix impossible entre son groupe de copains indéfectibles en pleine ascension, et une consécration fulgurante au sein de l'une des trois plus grandes formations de Hard-Rock du monde. Ensuite, il y aura les affres de la célébrité, et une consommation de cocaïne infernale qui détruira son existence et sa carrière de 1976 à 1995, année où il décrochera enfin, et reprendra avec application et frénésie une carrière solo qu'il gâcha copieusement.

Trapeze poursuit sa carrière en 1974, et embauche deux nouveaux musiciens : le guitariste-chanteur Rob Kendrick et le bassiste Pete Wright. Mel Galley assure aussi désormais le chant. Deux disques de très bonne facture sortent : Hot Wire en 1974 et Trapeze en 1975. Comme le démontre l'excellent disque en direct Live At The Boat Club 1975, Trapeze reste une tornade scénique. Dave Holland est un batteur exceptionnel à la frappe parfaite, précis et inventif. Galley et Kendrick délivrent des riffs et des chorus sensationnels. Le groupe est d'une cohésion époustouflante, puissant, sans concession. Le seul bémol se trouve dans la voix de Mel Galley : très bon chanteur, on sent qu'il s'essouffle pourtant en fin de set, et abîme la prestation de son groupe. Mais en 1975, peu de formations anglaises ont une telle puissance de feu, et un son aussi original, à la fois heavy et funk.

Sur l'album Trapeze, Glenn Hughes est venu chanter sur deux morceaux : « Chances » et « Nothin' For Nothing ». En novembre 1975, Trapeze est mis en suspens afin que Mel Galley et Dave Holland puissent assurer une série de concerts au sein des Blue Jays, une formation comptant également Justin Hayward et John Lodge des Moody Blues. Deep Purple a donné ses dernières dates au printemps 1976 et se séparera officiellement en juillet. Si l'album avec le nouveau guitariste Tommy Bolin, Come Taste The Band en 1975, est excellent, la tournée est massacrée par les problèmes d'héroïne et le manque de charisme de Bolin. Le dernier concert aura lieu le 15 mars 1976 à Liverpool : David Coverdale quittera brusquement la scène, exaspéré de voir Bolin incapable de jouer, et Jon Lord le couvrir du mieux qu'il peut avec son orgue. Hughes en sort vivant mais pas indemne. Bouffi, blanchâtre, il picole et sniffe un à deux grammes de cocaïne par jour. Toutefois, la première chose qu'il entreprend, c'est de retourner auprès de ses compères Holland et Galley afin de leur donner un coup de main. Hughes, encore sous contrat chez Purple Records, leur fait bénéficier du confort d'un grand groupe de Rock.

Toutefois, le fossé entre Galley et Holland d'un côté, et Hughes de l'autre, est évident. Les deux premiers se sont contentés de quelques bières et de cachets plus ou moins modestes, pendant que l'autre a plongé dans les excès de rock-star. Lorsqu'ils décident de repartir sur la route ensemble en novembre 1976 pour une tournée américaine, l'histoire tourne court. Au bout de quelques dates, tout est terminé. Hughes est insupportable, caractériel, ingérable. Deux morceaux sont mis en boîte pour un futur album : l'excellent « Space High » et le plus mitigé « LA Cut Off ». Ils atterriront finalement sur le premier album solo de Glenn Hughes : Play Me Out en 1977.

Après cette déconvenue, Mel Galley décide de reprendre en main son groupe, et de s'éloigner de Glenn Hughes. Dave Holland reste à ses côtés, et Pete Wright revient à la basse. Un jeune chanteur des West Midlands, ancien membre de Fable, est embauché : il s'appelle Pete Goalby. Nous sommes en 1978, et la scène musicale a bien changé. Le Punk a fait le ménage, le Rock Californien domine aux USA. Le Hard-Rock est en perte de vitesse et se cherche un nouveau souffle. Quelques courageuses formations font survivre le genre : UFO, Judas Priest, Thin Lizzy. Deep Purple n'existe plus, Led Zeppelin et Black Sabbath sont au bout du rouleau.

Dans le Lee Sound Studios de Walsall puis le Basing Street Studios de Londres se retrouve un concentré de losers magnifiques. Trapeze a toujours eu plus de succès aux USA, et plus particulièrement au Texas, sans toutefois faire le carton miraculeux grâce à un album en or. Le groupe est donc une attraction de scène appréciée, qui fera notamment la première partie de ZZ Top à plusieurs reprises. A la console, le producteur s'appelle Jimmy Miller. Il fut l'homme derrière les Rolling Stones entre 1968 et 1972, sur leurs meilleurs albums. Mais travailler à côté de Keith Richards à cette époque coûte cher : il deviendra héroïnomane, mettra cinq ans à s'en sortir. Il vient d'émerger, il est abordable en termes de tarifs, et n'a pas perdu son talent. C'est d'ailleurs lui qui va produire, quelques mois plus tard le magnifique Overkill de Motorhead.

Entre ces quatre murs, au coeur de l'automne 1978, Galley, Holland, Wright, et Goalby composent et enregistrent de nouveaux morceaux. L'ascension vertigineuse de 1972 est loin derrière, tout comme le coup de projecteur du départ de Glenn Hughes. Le Hard-Rock est bien loin aussi, remplacé par le Punk et le début de la New Wave.

Pete Goalby va décoincer la machine Trapeze. Si Hot Wire et Trapeze furent de bons disques, ils étaient dans la continuité des disques avec Hughes, cherchant à recréer la machine infernale Hard-Rock'N'Funk. Toutefois, le résultat, de qualité, n'égalait pas les exploits du début des années 70. Et lorsque l'on cherche à faire revivre un souvenir, c'est que l'on est déjà dans la panade.

Pete Goalby va apporter une voix plus nuancée, capable de travailler sur plusieurs registres : le côté Soul initial, le Hard-Rock FM, la ballade Rock pure. Il ne demande rien aux autres. Ils vont jouer comme ils le savent : riffs abruptes et funky, rythmiques impeccables transpirant le groove, lignes de basse obsédantes. Tout cela sera réalisé avec quelques bières, dans une atmosphère modeste, sans débordement de rock-star.

Le résultat des sessions sortira à la fin de l'année 1978 en Allemagne sous le titre Running, et avec une pochette psychédélique totalement décalée et composée de femmes nues digne des années 1969-1970. La formation a signé sur un label allemand : Aura Records, ce qui explique cette primeur, et peut-être aussi le mauvais goût de la pochette initiale. Une image plus stylisée sera utilisée pour la version anglo-saxonne de 1979 : Hold On.

Le contenu de Hold On a une âme mélancolique et amère bien éloignée de la New Wave de l'époque. Trapeze a l'expérience de la vie pour eux. Cette dureté de l'expérience humaine donne aux groupes du Black Country une puissance inédite. Ils seront plus résistants, plus acharnés, plus créatifs aussi : Spencer Davis Group, Move, Black Sabbath, Judas Priest, Budgie, Traffic, Chicken Shack…. C'est l'esprit de Detroit, côté Grande-Bretagne. Le Black Country était la version noire et infernale des Stones et des Beatles. Déjà, dès 1967, Move faisait trembler le Rock tout entier.

Toutefois, Trapeze ramène aussi avec lui le sens du riff punchy et accrocheur. Il en est un des inventeurs, mais l'écoute des groupes américains comme Foreigner, Boston et Blue Oyster Cult a patiné leur son. Trapeze, n'est toutefois pas authentiquement AOR, il conserve la teigne de son univers originel. On retrouve cette saveur sur le titre d'ouverture : « Don't Ask Me How I Know ».

En réalité, Trapeze est en train de créer une nuance subtile : celui du Hard-Rock mélodique. Il ne s'agit pas de morceaux sucrées ou empreints de synthétiseurs. Trapeze ne joue pas dans la même cour que Journey ou Foreigner. Sa musique est bien du Hard-Rock, musclé, mais avec cette touche mélodique qui le rend accrocheur. La frontière entre ce Hard-Rock mélodique et le Hard-FM est mince, toutefois, elle va permettre à des groupes d'atteindre un succès commercial important sans s'abandonner à des concessions musicales et esthétiques promptes à repousser le vrai fan de riffs. Hold On est ainsi le précurseur du Whitesnake de Slide It In qui comptera d'ailleurs dans ses rangs un certain… Mel Galley, du Blackfoot de Siogo, du Budgie de Nightflight et Deliver Us From Evil, ou des deux premiers albums de Def Leppard.

La musique de Trapeze dispose d'une âme unique, que l'on retrouve sur tous ses albums. Elle est toutefois difficile à définir. Elle dépend du jeu de batterie puissant de Dave Holland, précis, incisif, mais aussi du style de Mel Galley. Ses riffs puissants, mordants, et percutants teintés de Hard-Blues et de Funk, son approche très rythmée, presque syncopée, qui rend presque chaque morceau de Trapeze dansant. La basse est aussi très présente, tendue, appuyant la guitare. On la retrouve sur « Take Good Care », « When You Go To Heaven », ou « Livin' On Love ».

L'autre facette de l'identité sonore de Trapeze, c'est son talent pour le morceau mélancolique gorgé de rage. Le terme de power-ballad n'est même pas approprié. Ce sont des pièces de musique sur lesquelles rampent une tristesse infinie irradiée d'un soleil de fin d'orage, comme une lueur d'espoir, toujours. Plus que jamais, ce sont sur ces titres que le talent de mélodiste de Mel Galley est à son sommet. « Hold On » mêle mid-tempo et riff en forme de marche vers la lumière. « Running » est un cas particulier, puisqu'il mêle les deux facettes de Trapeze : Hard-Rock mélodique et mélancolie intense. Ultra-rythmé, il distille une atmosphère de course effrénée après un amour qui s'enfuit. Les paroles sont simples, chantées comme un mantra, à bout de souffle. Les harmonies vocales insufflent un côté dramatique supplémentaire à cette scène de rupture tragique. « Running » est entêtant, obsédant.

L'album se termine par deux pièces sonores totalement imprégnées de la facette mélancolique et mélodique de Trapeze. « You Are » a ce crescendo de sentiment qui monte, appuyé par les riffs, les choeurs en harmonie, et les cymbales qui claquent. Les parties de claviers sont assurées par Terry Rowley, qui fut membre de Trapeze dans son premier line-up à cinq de 1969. Mais les musiciens du Black Country aime faire appel aux copains. Quelques arrangements de cordes viennent apporter de l'ampleur au final.

Le second morceau, fermant le disque, s'appelle « Time Will Heal ». Quelques bruits de vagues sur la plage ouvre le morceau. Le chant de Mel Galley est perturbant. Il ressemble à plusieurs reprises, dans les intonations, à Glenn Hughes. Terry Rowley apporte un piano électrique fin et jazz. Mel Galley brode des motifs blues. La puissance émotionnelle de ce torrent de larmes électriques est incomparable. Au fur et à mesure des notes, on distingue une histoire d'amour qui se termine mal, mais aussi, peut-être, le départ brutal de Hughes qui a brisé le groupe. Et pourquoi pas, sans doute, des histoires d'amour que la vie de ces musiciens, perpétuellement sur la brèche, entre Amérique et Grande-Bretagne, a régulièrement brisé, au nom de la musique. C'est étrange d'ailleurs, car c'est sur cet ultime morceau à la mélancolie infinie que se termine la discographie studio de Trapeze. La formation n'en a aucunement conscience à ce moment-là. Pourtant, les choses vont se précipiter.

D'abord, il va y avoir le départ de Dave Holland le métronome pour Judas Priest en août 1979, juste avant la sortie de Hold On en Grande-Bretagne. Steve Bray prend sa place, et va assurer la batterie sur la tournée de promotion. Les concerts de mai 1981 aux USA serviront à alimenter le disque en direct : Live In Texas : Dead Armadillos la même année. Trapeze accompagne alors Humble Pie, Nazareth et Krokus. En 1982, Steve Goalby est embauché par Uriah Heep. Trapeze survit quelques mois, avant qu'à la fin de l'année, Mel Galley ne rejoigne Whitesnake. C'est lui qui va muscler Whitesnake, tout en conservant son identité Rock et bluesy. Trapeze disparaît. Il se reformera avec Glenn Hughes en 1992 pour quelques concerts. Mais la magie peine à redémarrer, comme en 1976. Parce qu'en réalité, la vraie âme de Trapeze est constituée de Dave Holland et Mel Galley. Les deux hommes sont désormais morts, laissant derrière eux quelques superbes albums trop méconnus.




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