"Plus
brutal, plus dynamique, tout en conservant son côté écrasant,
Dopethrone est un vrai grand chef d'oeuvre."
ELECTRIC
WIZARD : Dopethrone 2000
Il
y avait les élus, et puis il y avait les autres, ceux qui avaient
été initiés, et ceux qui restèrent sur le bord du sentier.
Plonger dans le monde d'Electric Wizard, c'est ouvrir une lourde
porte secrète, découvrir le Monde de l'Au-Delà et en revenir
carbonisé, le regard fixe, la Vérité dans l'âme.
Au
coeur des années 90, le Rock avait retrouvé une grande vitalité
par l'entremise du mouvement Grunge. Le monde du Metal était en
ébullition grâce aux grosses locomotives Guns'N'Roses et Metallica,
mais également par le sulfureux Black-Metal norvégien. A ces
phénomènes médiatiques, de nouveaux mouvements alternatifs comme
Le Stoner et le Doom prirent forme. Connectés au Rock des années 70
et 80, ils refusèrent le formatage, et décidèrent d'explorer les
frontières de la civilisation. Cet univers obscur va coexister avec
tout un pan de musique de moins en moins Rock et de plus en plus
Electro : le Grunge va s'éteindre, laissant sa place aux
bidouillages de Radiohead, à la Pop resucée d'Oasis, et au New
Metal de Linkin Park. Déjà, un monde s'éteint, laissant sans
héritier grand public le Rock des glorieuses années 70, survivant
uniquement par l'existence toujours vivaces d'AC/DC, Black Sabbath,
Deep Purple, Motorhead ou Status Quo. En somme, un monde comme celui
d'aujourd'hui, avec encore un peu de Rock dedans, tout de même, le
terme n'étant pas encore l'indicatif d'une mode vestimentaire, mais
bien d'un courant musical toujours vivace.
Les
groupes Stoner-Doom l'ont bien compris, et d'ailleurs, ne ils veulent
plus rien avoir avec ce monde commercial et formaté. Ils veulent
développer leurs propres univers, souvent connectés par les mêmes
références littéraires, musicales et cinématographiques : HP
Lovecraft, Edgar Allan Poe, Black Sabbath, Budgie, Mountain, Celtic
Frost, Tolkien, les films de la Hammer, Aleister Crowley…. Cet
univers noir, malsain, empreint de démence dénote clairement un
besoin de s'échapper au plus loin de la réalité, quitte à opposer
à la société un monde parallèle violent et satanique.
Jus
Osborne est un jeune garçon du Dorset, dans la campagne anglaise,
définitivement imprégné de cette contre-culture mortifère. Il
s'est construit seul, loin des codes de ses camarades de classe. Il a
bu jusqu'à la lie le calice de la subversion, et vit désormais dans
ce fantasme noir qui va alimenter toute sa musique. Garçon au
physique un peu épais et court sur patte, il a depuis longtemps
renoncé à être un gamin dans la norme, conscient que si il ne
trace pas sa propre voie, il sera un éternel perdant. Quitte à
rester dans l'obscurité, autant le faire avec la plus grande
sincérité.
Tim
Bagshaw et Mark Greening le rejoignent respectivement à la basse et
à la batterie. Ce sont également deux marginaux imprégnés
d'occulte, deux parfaits lieutenants pour le noir dessein qui
s'annonce. Le trio est signé sur le label Rise Above, crée par Lee
Dorrian, chanteur de Cathedral, pour permettre à toutes ces
formations funestes mais surdouées de pouvoir s'exprimer sans
contraintes. Le premier album éponyme paraît en 1995. Il n'a pas
encore toute la puissance subversive à venir, mais contient déjà
les germes de tout ce qui fera la furie de la musique d'Electric
Wizard.
La
seconde offrande, Come My Fanatics.., paraît en 1997, et
dispose cette fois-ci de tout le venin nécessaire. Le son est
sombre, brumeux, possédé, consumé par cette flamme noire qui
alimentera toute l'oeuvre à venir. La batterie mate de Greening, la
basse grondante de Bagshaw, la guitare au pétrole de Osborne, et son
chant de gamin hystérique perdu dans l'écho, tout est là, couché
sur un tapis de Doom et de Stoner aux paroles occultes. Les trois
n'hésitent pas à se perdre volontairement dans leur propre monde
pour respirer tous les relents fétides au plus près. Ils
s'imprègnent de drogues de toutes sortes, parfois dures, afin de
pénétrer au plus près de l'Enfer démoniaque qu'ils tentent de
construire.
Dopethrone
est le troisième album du groupe. Il est publié en la fatidique
année 2000. Prophétique si elle en est, elle devait être celle de
tous les cataclysmes, annoncés pêle-mêle par Nostradamus ou les
Incas. Il n'en sera finalement rien pour nos pauvres âmes, à part
ce disque dantesque, monument de granit impénétrable venu sur Terre
par on ne sait quelle force obscure. La musique est plus compacte que
son prédécesseur, mais tout aussi possédée. La voix sature, la
guitare tronçonne d'épaisses tranches de sapin, les baguettes
rebondissent sur la caisse claire comme un corps décharné sur un
mur. Aucun genre Metal n'avait produit une telle déflagration sonore
depuis vingt ans, depuis le premier album de Celtic Frost et de
Pentagram, en l'an de grâce 1984. Ces deux disques avaient à la
fois passé un cap supplémentaire en termes de violence, tout en
restant fidèles à des codes de Blues blanc estampillés 1968-1972.
Electric
Wizard ne fait pas dans la surenchère grand guignol, les bols
d'hémoglobine, le maquillage et les pochettes à base de boyaux. Ils
équarrissent un Rock ravageur, halluciné, et habité d'esprits
venus de la culture populaire, les romans de science-fiction, les
films d'horreur, la sorcellerie ancestrale britannique, l'Histoire,
la démonologie antique. La musique, impressionnante, parle pour eux.
Il n'y a ici aucune démonstration technique, tout est au service de
l'atmosphère crée, empruntant çà et là quelques bribes de
dialogues de films, instaurant des climats fuligineux et imprégnés
d'une noirceur appuyée par le Doom-Metal implacable de ces trois
démons. La pochette est symbolique de cet univers, avec son diable
enfumé, et ses inscriptions au graphisme psychédélique.
« Vinum
Sabbathi » qui ouvre l'album est un épais tapis de Heavy-Doom
au tempo massif mais plus rapide que la moyenne des morceaux
d'Electric Wizard. On pourrait même parler de groove pour le trio,
la dynamique malsaine étant belle et bien présente. On retrouve la
force du grand Black Sabbath, sans doute ce vin de Sabbath qui
irrigue le titre. « Funeralopolis » débute de curieuse
manière, sorte de Blues psychédélique dominé par la basse de Tim
Bagshaw, et à la saveur assez proche de Cream. Puis le riff se met à
tonner comme un orage, enfonçant dans le sol le côté léger de son
introduction. Osborne hurle des paroles mortifères comme un gamin
possédé. La ligne mélodique se déforme sous les volutes
lysergiques, bientôt rattrapée par le riff en enclume. Puis en
seconde partie, le tempo s'emballe, créant une sorte d'hystérie
collective, une hallucination cauchemardesque. Cette accélération
possédée n'est pas sans rappeler Black Sabbath et Budgie sur leurs
longues pièces aux constructions progressives.
D'ailleurs,
puisque l'on parle de Progressif, « Weird Tales » est une
pièce en trois actes de quinze minutes. Elle débute par une
première partie entre Heavy et Punk, rappelant Venom et Motorhead.
La seconde partie, très atmosphérique, instaure un climat froid et
lugubre, qui laisse la place à une troisième partie,
particulièrement épaisse, Doom en diable, au tempo mortuaire.
Malgré le riff répétitif, obsédant, il n'y a rien de trop, créant
un climat sombre et possédé, comme sut le faire Sleep avec
« Jerusalem » en 1998.
« Barbarian »
débute par le cri désespéré d'un homme : « The
wizard ! ». C'est l'esprit du Mal qui prend possession de
ce fantastique obus de Doom . Le riff est malsain, Punk, soutenu par
une batterie impitoyable, enfonçant de grands pieux de bois dans le
sol comme le Golem en colère. Jus Osborne et Tim Bagshaw déroulent
un tapis de bombes électriques avec leurs guitares, une herse
fermant tout accès à la moindre douceur.
« I,
The Witchfinder » est une reddition brutale et plombée du
Grand Inquisiteur, film de Michael Reeves et dont l'acteur principal
était Vincent Price. Sorti en salles en 1968, il obsède toute une
génération de musiciens de la scène Stoner et Doom. « Witchfinder
General », titre du film en anglais, fut même le nom d'une des
grandes formations fondatrices du genre dans les années 80. Electric
Wizard est le premier à déterrer ce symbole trouble du cinéma
britannique. Le trio déroule un climat glauque, entre cri de
désespoir et résignation vers la Mort.
« We
Hate You » est une déclaration on ne peut plus claire du
groupe envers le monde qui l'entoure. L'incompréhension est
complète, et il n'est nullement question de rallier l'un vers
l'autre. Electric Wizard a décidé de suivre sa voie, et rejette
massivement la bonne société. Une voie alternative se trace dans la
violence, et le groupe l'annonce fièrement sur un tempo massif et un
riff meurtrier. « Dopethrone » clôt l'album dans un
fracas d'acier. Malsain, menaçant, le groupe construit à coup de
médiator un temple du riff noir. Le riff se déforme dans la fumée
des drogues, obsessionnel jusqu'à la moelle. Jus Osborne développe
un dernier chorus, rare chez Electric Wizard, qui tient davantage du
dérapage possédé. Le groupe est une entité musicale soudée qui
ne laisse place à aucune mise en avant individuelle. Le solo ne sert
qu'à ajouter de la matière à l'atmosphère suffocante de la
musique.
Plus
brutal, plus dynamique, tout en conservant son côté écrasant,
Dopethrone est un vrai grand chef d'oeuvre. Le trio en
publiera plusieurs, même une fois que la section rythmique sera
partie après l'album Let Us Prey en 2002. Néanmoins la
cohérence du trio original est des plus démoniaques, et restera un
jalon majeur dans l'histoire de cette formation. Electric Wizard
jouit d'ailleurs d'un petit succès commercial ces dernières années,
sa musique publiée entre 1995 et 2002 connaissant enfin la
reconnaissance qui lui ait dû en tant qu'influence pour de
nombreuses formations modernes. Sleep vit d'ailleurs lui aussi ce
retour du public après avoir oeuvré dans les années 90 dans
l'indifférence et l'incompréhension générale. Ils étaient des
pionniers, et ont ouvert la route vers d'autres mondes.
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