"Au
Festival de Reading 1981 en août, deux groupes français sont à
l'affiche : Téléphone et Trust."
TRUST :
Savage 1982
La
France a décidément la dent dure avec ses groupes de Rock. Les
Variations au début des années 70 furent bannis pour n'être
considérés que comme des sous-Stones et des sous-Led Zeppelin. Et
puis ils chantaient en anglais alors c'était pas bien. Trust connut
pareille cabale à son encontre. Jugés trop politique, démagogique,
Rive Gauche même, ils ne durent leur célébrité qu'à d'excellents
albums et des prestations scéniques d'une rare intensité,
multipliée à l'infini.
Trust
voyait grand, et ne voulait pas s'arrêter aux seules frontières
nationales. A leur plus grand étonnement, l'album Répression
se vend en Grande-Bretagne dans sa version française de manière
significative. Une tournée au Royaume-Uni serait une sacrée
opportunité. Iron Maiden furent les premiers à les soutenir après
AC/DC, et les emmenèrent en tournée, en première partie. On ne
dira jamais assez de bien de groupes comme Iron Maiden, qui non
seulement sont brillants musicalement, mais se montrent
particulièrement généreux avec les groupes qu'ils admirent,
toujours ouverts à la nouveauté. Il faut dire que Steve Harris, le
bassiste, n'a jamais été chauvin envers ses influences, n'hésitant
pas à louer tout le bien qu'il pensait de groupes comme Golden
Earring ou Focus, de nationalité hollandaise. Et même si Trust leur
colla la pâtée un concert sur deux.
Embarqué
en première partie d'Iron Maiden, période Killers
avec Paul DiAnno au chant, Trust se frotte au public le
plus dur pour un groupe français : celui des villes
industrielles de Grande-Bretagne. Sheffield, Glasgow, Birmingham,
Manchester…. Toutes ces cités directement touchées par la
gangrène Thatcherienne n'ont pas beaucoup de remord envers les
groupes qui ne leur donneront pas l'extase électrique. Iron Maiden
le sait trop bien, et a conquis ce public difficile et exigeant à
coups de sets ravageurs de puissance. A Trust de faire de même, qui
plus est en étant français. L'un
des grands signes de succès fut que les lads anglais décrochèrent
le bar dès la première partie, époustouflés par ce qu'ils
entendaient.
Pour
cela, ils préparent le terrain en enregistrant une version anglaise
de l'album Répression.
Celle-ci était déjà en préparation depuis quelques temps, avec
l'ami Bon Scott, chanteur d'AC/DC, comme traducteur. Mais il
s'éteindra en février, laissant le projet à terre. Les ventes en
terres anglaises relancent le projet, et c'est Jimmy Pursey, le
chanteur du groupe Punk Sham 69, qui va s'en charger. Sham 69 est un
groupe politisé, et la maison de disques pense que l'homme est le
parfait traducteur. Seulement
voilà, Bernie Bonvoisin, le chanteur de Trust, parle difficilement
l'anglais, et devant l'échéance serrée, il ne pourra pas
correctement faire passer le message du contenu de ses textes. Jimmy
Pursey est un homme de slogans politiques, et va donc faire de même
pour les morceaux de Trust, éludant toute la subtilité de
l'écriture de Bernie Bonvoisin. Car contrairement à ce qui a été
souvent colporté, l'homme est un fin écrivain. Ses textes sont
certes puissants et sans concession, mais sont toujours dotés d'un
vocabulaire choisi et d'un humour cynique qui renforcent la puissance
de son message. Difficile de traduire une telle prose par un chanteur
politique en quelques jours. C'est pourtant ce qui va se passer.
Trust retourne en studio capter cette version anglaise. Si le mix
musicale est incontestablement plus puissant que sa version
française, les textes sont plus bassement politiques, ce qui sera
l'une des premières failles du disque, Répression version
anglaise.
La
presse anglaise, toujours aussi chauvine et de mauvaise foi, va
éreinter le disque sur ce point, considérant que les textes
politiques n'ont rien à faire dans le Heavy-Metal. Et puis l'on
ricane sur l'accent franchouillard de Bernie Bonvoisin. Mais ce
dernier aurait eu un accent d'Oxford que le groupe français aurait
été passé au vitriol de toutes les façons. Trust n'en aura que
faire, comme le public. La version anglaise de Répression
va monter dans les classements anglais de manière aussi inattendue
que surprenante. Trust va bénéficier d'un accueil d'abord froid en
première partie d'Iron Maiden avant de gagner rapidement le coeur
des fans de Heavy-Metal anglais. Le public répond présent à cette
musique puissante et engagée, qui résonnent tellement dans leurs
coeurs de prolétaires blessés.
Et
le succès sera tellement considérable que Trust va revenir début
1981 en tête d'affiche dans les mêmes salles, et les remplir sans
aucun souci, conquérant un public désormais acquis à sa cause
comme le fut celui de France un an auparavant. Le
tour de main mérite à lui seul tout le respect possible, car aucun
groupe français n'aura réussi tel coup, à part les Variations aux
Etats-Unis dix ans
auparavant.
Au
Festival de Reading 1981 en août, deux groupes français sont à
l'affiche : Téléphone et Trust. Le premier va se faire laminer
par le public anglais, recevant une pluie de canettes de bières
alors que Jean-Louis Aubert et son accent anglais ridicule tentent de
garder leur cool. Trust est programmé dans la soirée, juste avant
la tête d'affiche, le groupe Gillan de l'ancien chanteur de Deep
Purple, Ian Gillan. Trust a cinquante-cinq minutes pour convaincre,
et va tout donner, comme à son habitude. Le set va être explosif.
Désormais doté du batteur Nicko MacBrain, futur Iron Maiden, Trust
pulvérise le public anglais, alternant titres en anglais et en
français. Le concert se transforme en triomphe, et les spectateurs
rappellent pendant de longues minutes Trust pour de nouvelles
chansons. C'est alors que le
manager de Gillan menace d'annuler le passage de son groupe si Trust
assure des rappels non prévus au programme. Trust ne reviendra pas,
mais les musiciens garderont ce goût amer des musiciens pas très
généreux qui n'hésitent pas à descendre la concurrence par les
moyens les plus bas. Qu'importe,
Trust a triomphé. Malgré
les critiques acides de la presse spécialisée britannique et les
rats du business, l'album anglais monte dans les classements, et le
public s'est pris de sympathie pour le quintet français.
Dès
septembre 1981, Trust retrouvent les studios. Ils partent en Suède
pour les Polar Studios du groupe Abba, en compagnie du producteur
Tony Platt qui a travaillé avec AC/DC. Durant ce mois de travail, le
groupe va devoir enregistrer un album en français et son pendant en
anglais. Cette fois-ci, c'est
l'attachée
américaine du label CBS, Suzie
Glespen, qui va procéder à
la traduction. Bilingue, elle va pouvoir coller au mieux à la plume
de Bernie Bonvoisin. Trust ne se contente pas de coller des paroles
en anglais sur la version instrumentale du disque français. Les
prises sont totalement refaites dans le même studio, et Tony Platt
va devoir réaliser deux mixages. En effet, le disque en français
est prévu pour la fin de l'année 1981, et la version anglaise pour
le début de l'année 1982. Tony
Platt va prendre un soin particulier à faire de la version anglaise
de Marche Ou Crève un
disque puissant à la hauteur des meilleurs albums de Heavy-Metal
mondiaux. Le mixage du disque français sera d'ailleurs considéré
comme bâclé. Il est effectivement moins puissant que la version
internationale.
Les
versions anglaises des albums de Trust vont régulièrement faire
l'objet de ricanements
récurrents. C'est que la presse comme le public français trouvent
ces versions bien exotiques et caricaturales. En effet, comment la
version anglaise de « Antisocial » peut-elle avoir le
même impact que sa version anglaise, Bernie Bonvoisin semblant être
un chanteur tellement français?Pourtant, c'est bien ces versions
qu'Anthrax reprendra : « Antisocial » et « Sects ».
Alors la France serait-elle aveugle devant le brio de Trust ? Et
bien je dois vous répondre par l'affirmative. Et
si Pursey ne sut pas traduire
comme il se doit les textes de Bonvoisin, son successeur, Savage,
est un sacré bon disque.
Bien
sûr, il y a quelques défauts. D'abord, Bernie Bonvoisin a un petit
accent français incontestable. Mais Klaus Meine, le chanteur des
Scorpions, a un méchant accent allemand, et cela n'a nullement
empêcher le groupe de triompher. D'autre part, le passage du
français à l'anglais provoque parfois des carambolages dans les
rimes et le rythme des vers. Passés
ces défauts, il est temps de passer aux vrais grandes qualités.
D'abord,
la musique des morceaux sont d'une puissance exceptionnelle. Que les
versions soient françaises ou anglaises, le brio est inégalable. Et
puis Bernie Bonvoisin est capable de s'adapter de manière
surprenante. Son phrasé, son
intonation se transforment pour offrir ici une vraie version
anglo-saxonne du Heavy-Metal de Trust. Le prononcé de Bonvoisin
rappelle en version anglaise Judas Priest, Iron Maiden et AC/DC. Il
augure même Metallica et surtout Megadeth. Le phrasé noir,
nasillard et acide est le propre du Thrash-Metal débutant.
En
cela, Trust n'est pas qu'une simple émanation Punk du Heavy-Metal.
Dès ses premières chansons, Trust augure la New Wave Of British
Heavy-Metal, en 1977, alors qu'ils ne sont pas anglais. Ils seront un
cataclysme musical que la France sera bien incapable de mesurer, et
que ce second disque en anglais est la vraie révélation.
Savage
n'est pas cette mauvaise traduction franchouillarde que la presse
anglaise, relayée par la presse française, a
tant brocardé. On ricana sur
l'accent de Bernie, la presse anglaise critiqua encore le discours
politique de Bernie Bonvoisin, et puis sur ces Frenchies à la con
qui viennent pisser sur les terres d'Albion. Seulement voilà, Savage
est un sacré brûlot de
Heavy-Metal international. Les textes ont été traduits au plus près
du verbe de Bonvoisin, la musique est tout aussi impeccablement
brillante que la version française, et le second mixage de Tony
Platt donne à l'ensemble une puissance encore inédite.
Pour
écouter ce disque, il n'est en fait pas question de l'écouter avec
l'oreille française. On savourera toujours la puissance du verbe de
Bernie en français, et le fait que ce groupe était avant tout une
fierté nationale. Ce qui est plus difficile à comprendre, c'est que
cette musique géniale conquit le coeur des fans de Heavy-Metal
européens. La prestation de Trust à l'émission Rockpalast en
Allemagne en juin 1982 n'est qu'une preuve flagrante du succès
retentissant dont bénéficie Trust. Qu'importe le langage, les fans
adhèrent à cette musique puissante et incandescente.
Et ce qui interloqua les
spectateurs européens, c'est la force de conviction du chant de
Bernie Bonvoisin, qui, qu'importe
le langage, ne pouvait que
cacher des textes d'une puissance au-delà du petit rendez-vous
romantique. Même
incompréhensible, le phrasé de Bonvoisin marqua les amateurs. Ce
bonhomme éructant avec conviction ses paroles avait des choses à
dire, c'était incontestable, et le public Metal voulait l'entendre.
Savage
fut une première clé, et fit
de Trust un vrai grand groupe de Heavy-Metal novateur, à la lisère
entre New Wave Of British Heavy-Metal et Thrash-Metal. Le Trust en
anglais et le Trust en français ne sont plus tout à fait le même
groupe. Bernie n'articule d'ailleurs plus tout à fait de la même
manière, comme emporté par ce langage anglo-saxon. Il sut se
montrer expressif avec ses mots, comme un Léo Ferré, lorsqu'il
parlait en français. Passé en anglais, il était le hurleur de
Heavy-Metal dans la cour des meilleurs, de Saxon à Iron Maiden en
passant par AC/DC et Judas Priest. La
traduction en anglais des textes percussifs de Bonvoisin pouvait
laisser craindre les pires articulations laborieuses. Mais Suzie
Speglen et Bernie Bonvoisin réussir à retrouver la formule du
slogan brutal, identique à la version française. « Les
Brutes », devenu « Mindless », bénéficiait de ce
même impact revendicatif.
Savage
est incontestablement un immense disque de Heavy-Metal, mais cette
fois-ci international. Musicalement, les chansons prennent de
l'ampleur. Peu d'albums
bénéficient d'une telle puissance sonore. Peut-être Killers
d'Iron Maiden, mais il n'y en a guère d'autre. Et
c'est bien avec ce disque que se fait l'évidence : la presse
française a la dent dure, mais pour bénéficier d'un tant soit peu
d'intérêt au niveau extra-nationale, les groupes doivent se
transcender au-delà de se que pourrait le devoir un groupe anglais
ou américain. Trust est incontestablement l'un des groupes les plus
ambitieux de ce début d'années 80, loin devant la concurrence
anglo-saxonne.
Dès
« Big Illusion », le riff est presque méconnaissable
tant il explose de puissance et de lyrisme, alors qu'il est identique
à sa version française. Et en ces semaines d'élections
internationales,
ce morceau, qui a pourtant
trente ans, bénéficie d'une
maestria inédite. Comme en
langage français, le texte de Bernie Bonvoisin percute l'auditeur.
La traduction anglaise fait mouche à l'oreille. Bernie se prend au
jeu, manière son chant, dégueule les paroles, mais à la sauce
anglaise. Ca sonne Heavy-Metal, mais pas dans le sens lyrique,
chanteur à la mode Deep Purple. On est dans les pionniers du
Heavy-Thrash brutal, ce chant agressif imprégné de Punk. Et
Bonvoisin en est un pionnier miraculeux, un de ceux qui a fait de
cette approche une référence. L'homme aux textes politiques est en
fait un vocaliste d'exception, un de ceux dont le timbre unique
marque l'histoire du Rock international. La presse française comme
anglaise n'aura pas su percevoir ces qualités, mais le Thrash de San
Francisco l'a bien repéré.
« Savage »,
qui donne son nom à l'album, garde
toute sa puissance massive, avec son riff en power-chord et son tempo
martelé à la basse. Le travail de Nicko McBrain va être prodigieux
tout au long de l'album : puissant, précis, expert, fin, le
break subtil toujours à point. Il y a du Heavy-Metal dans son jeu,
mais aussi du Funk et du Blues, ce qui lui donne un groove magique,
et donne à la musique de Trust un swing inattendu, moins martelé et
brutal, parfaitement en adéquation avec les entrelacs de guitares de
Norbert Krief et Moho Chemlakh.
Ce dernier a apporté une incontestable profondeur aux tapis de
guitares de Trust. Nono s'envole pendant que Moho blinde avec
maestria.
« Repression »
est dégueulé
avec conviction. Le refrain garde toute son envergure, comme sa
version française. « The Junta » garde aussi toute son
ambiance maudite. Bernie Bonvoisin est décidément brillant sur ces
textes presque rappés, qu'ils soient français ou anglais. Certes,
il n'ont pas toujours la fluidité poétique de leur version
française, détail important du langage Bonvoisin. Mais la version
anglaise possède cette atmosphère démoniaque supplémentaire que
lui imprime le chanteur, et que l'on ne distingue pas immédiatement
en français.
Assurément,
le sommet du disque est « Mindless ». Le titre est en
lui-même bien plus percutant que sa version française, tel un titre
de Judas Priest. Le langage anglais trouve tout son tempo avec les
mots de Suzie Glespen, exactement comme sa version française. Cette
fois, le swing
du phrasé est conservé avec brio. Les guitares de Moho et Nono sont
magnifiées. Déjà brillantes sur la version française, Tony Platt
réussit à les mettre encore en avant, faisant des deux bretteurs
deux magiciens de la six-cordes comme le Heavy-Metal en eut
finalement bien peu. Les deux potences électriques s'enroulent et
fusionnent en un chorus lyrique, magique, emportant l'auditeur vers
des cimes d'émotion rarement atteintes. Bernie et Yves Brusco
matraquent le refrain : « Mindless ! »,
résonnant comme un slogan parfaitement Thrash-Metal. Il fallait tout
de même avoir les tripes de publier un disque avec un titre scandant
« Mindless ! » sur le refrain, soit « Abruti ! »
en français. Alors que la presse britannique prône que le
Heavy-Metal ne doit pas être politique, il semble évident la raison
pour laquelle le public anglais des cités industrielles a tant aimé
Trust, comme la banlieue française les aima tant.
« Loneliness »
fait aussi preuve d'une traduction bien trouvé, tout comme « Work
Or Die », tellement vraie sous Thatcher. « Crusades »
brutalise à nouveau l'auditeur. Le refrain touche encore sa cible
avec brio, exactement comme sa version française.
Vient ensuite la traduction
de « Ton Dernier Acte ». « Your Final Gig »
colle au plus près du texte français, quitte à buter sur quelques
rimes. Bernie Bonvoisin a voulu ne pas trahir son texte initial, si
cher, dédié à son ami Bon Scott, le chanteur d'AC/DC. Il mourut
quelques heures après avoir participé à la soirée du disque d'Or
de Trust à Londres. Scott partira finir sa soirée chez d'autres
amis qui ne prendront pas la peine de le sortir de la banquette
arrière d'une Renault 5, alors que ivre mort, il va s'étouffer dans
son vomi au petit matin, tétanisé par le froid de ce mois de
février 1980. Bernie
Bonvoisin en gardera un regret irrémédiable, et la version anglaise
conserve la rage intacte. Les larmes montent à nouveau dans la
gorge. Le Blues crée par Nono et Moho monte vers des cimes magiques.
Trust brille une dernière fois de tous ses feux avant
la fin du disque.
Il
manquera à cette version anglaise le titre « Misère »,
non traduit, évoquant de trop près la situation politique anglaise
du moment. CBS jugera que ce titre aurait été véritablement
préjudiciable pour la carrière britannique de Trust, la presse
anglo-saxonne les jugeant déjà bien assez politisés comme cela.
Qu'importe, avec neuf morceaux impeccables, Trust vient de produire
un vrai grand disque de Heavy-Metal international. Bien meilleur que
son prédécesseur, Savage
est plus qu'un simple album de Trust pour le public anglo-saxon.
C'est un album ultime, brisant les limites du langage français.
Trust est un immense groupe de Heavy-Metal, et seule la mauvaise foi
aura eu raison des qualités de cet incroyable disque.
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