lundi 30 janvier 2017

TRUST 1982

"Au Festival de Reading 1981 en août, deux groupes français sont à l'affiche : Téléphone et Trust."

TRUST : Savage 1982

La France a décidément la dent dure avec ses groupes de Rock. Les Variations au début des années 70 furent bannis pour n'être considérés que comme des sous-Stones et des sous-Led Zeppelin. Et puis ils chantaient en anglais alors c'était pas bien. Trust connut pareille cabale à son encontre. Jugés trop politique, démagogique, Rive Gauche même, ils ne durent leur célébrité qu'à d'excellents albums et des prestations scéniques d'une rare intensité, multipliée à l'infini.

Trust voyait grand, et ne voulait pas s'arrêter aux seules frontières nationales. A leur plus grand étonnement, l'album Répression se vend en Grande-Bretagne dans sa version française de manière significative. Une tournée au Royaume-Uni serait une sacrée opportunité. Iron Maiden furent les premiers à les soutenir après AC/DC, et les emmenèrent en tournée, en première partie. On ne dira jamais assez de bien de groupes comme Iron Maiden, qui non seulement sont brillants musicalement, mais se montrent particulièrement généreux avec les groupes qu'ils admirent, toujours ouverts à la nouveauté. Il faut dire que Steve Harris, le bassiste, n'a jamais été chauvin envers ses influences, n'hésitant pas à louer tout le bien qu'il pensait de groupes comme Golden Earring ou Focus, de nationalité hollandaise. Et même si Trust leur colla la pâtée un concert sur deux.

Embarqué en première partie d'Iron Maiden, période Killers avec Paul DiAnno au chant, Trust se frotte au public le plus dur pour un groupe français : celui des villes industrielles de Grande-Bretagne. Sheffield, Glasgow, Birmingham, Manchester…. Toutes ces cités directement touchées par la gangrène Thatcherienne n'ont pas beaucoup de remord envers les groupes qui ne leur donneront pas l'extase électrique. Iron Maiden le sait trop bien, et a conquis ce public difficile et exigeant à coups de sets ravageurs de puissance. A Trust de faire de même, qui plus est en étant français. L'un des grands signes de succès fut que les lads anglais décrochèrent le bar dès la première partie, époustouflés par ce qu'ils entendaient.

Pour cela, ils préparent le terrain en enregistrant une version anglaise de l'album Répression. Celle-ci était déjà en préparation depuis quelques temps, avec l'ami Bon Scott, chanteur d'AC/DC, comme traducteur. Mais il s'éteindra en février, laissant le projet à terre. Les ventes en terres anglaises relancent le projet, et c'est Jimmy Pursey, le chanteur du groupe Punk Sham 69, qui va s'en charger. Sham 69 est un groupe politisé, et la maison de disques pense que l'homme est le parfait traducteur. Seulement voilà, Bernie Bonvoisin, le chanteur de Trust, parle difficilement l'anglais, et devant l'échéance serrée, il ne pourra pas correctement faire passer le message du contenu de ses textes. Jimmy Pursey est un homme de slogans politiques, et va donc faire de même pour les morceaux de Trust, éludant toute la subtilité de l'écriture de Bernie Bonvoisin. Car contrairement à ce qui a été souvent colporté, l'homme est un fin écrivain. Ses textes sont certes puissants et sans concession, mais sont toujours dotés d'un vocabulaire choisi et d'un humour cynique qui renforcent la puissance de son message. Difficile de traduire une telle prose par un chanteur politique en quelques jours. C'est pourtant ce qui va se passer. Trust retourne en studio capter cette version anglaise. Si le mix musicale est incontestablement plus puissant que sa version française, les textes sont plus bassement politiques, ce qui sera l'une des premières failles du disque, Répression version anglaise.

La presse anglaise, toujours aussi chauvine et de mauvaise foi, va éreinter le disque sur ce point, considérant que les textes politiques n'ont rien à faire dans le Heavy-Metal. Et puis l'on ricane sur l'accent franchouillard de Bernie Bonvoisin. Mais ce dernier aurait eu un accent d'Oxford que le groupe français aurait été passé au vitriol de toutes les façons. Trust n'en aura que faire, comme le public. La version anglaise de Répression va monter dans les classements anglais de manière aussi inattendue que surprenante. Trust va bénéficier d'un accueil d'abord froid en première partie d'Iron Maiden avant de gagner rapidement le coeur des fans de Heavy-Metal anglais. Le public répond présent à cette musique puissante et engagée, qui résonnent tellement dans leurs coeurs de prolétaires blessés.

Et le succès sera tellement considérable que Trust va revenir début 1981 en tête d'affiche dans les mêmes salles, et les remplir sans aucun souci, conquérant un public désormais acquis à sa cause comme le fut celui de France un an auparavant. Le tour de main mérite à lui seul tout le respect possible, car aucun groupe français n'aura réussi tel coup, à part les Variations aux Etats-Unis dix ans auparavant.

Au Festival de Reading 1981 en août, deux groupes français sont à l'affiche : Téléphone et Trust. Le premier va se faire laminer par le public anglais, recevant une pluie de canettes de bières alors que Jean-Louis Aubert et son accent anglais ridicule tentent de garder leur cool. Trust est programmé dans la soirée, juste avant la tête d'affiche, le groupe Gillan de l'ancien chanteur de Deep Purple, Ian Gillan. Trust a cinquante-cinq minutes pour convaincre, et va tout donner, comme à son habitude. Le set va être explosif. Désormais doté du batteur Nicko MacBrain, futur Iron Maiden, Trust pulvérise le public anglais, alternant titres en anglais et en français. Le concert se transforme en triomphe, et les spectateurs rappellent pendant de longues minutes Trust pour de nouvelles chansons. C'est alors que le manager de Gillan menace d'annuler le passage de son groupe si Trust assure des rappels non prévus au programme. Trust ne reviendra pas, mais les musiciens garderont ce goût amer des musiciens pas très généreux qui n'hésitent pas à descendre la concurrence par les moyens les plus bas. Qu'importe, Trust a triomphé. Malgré les critiques acides de la presse spécialisée britannique et les rats du business, l'album anglais monte dans les classements, et le public s'est pris de sympathie pour le quintet français.

Dès septembre 1981, Trust retrouvent les studios. Ils partent en Suède pour les Polar Studios du groupe Abba, en compagnie du producteur Tony Platt qui a travaillé avec AC/DC. Durant ce mois de travail, le groupe va devoir enregistrer un album en français et son pendant en anglais. Cette fois-ci, c'est l'attachée américaine du label CBS, Suzie Glespen, qui va procéder à la traduction. Bilingue, elle va pouvoir coller au mieux à la plume de Bernie Bonvoisin. Trust ne se contente pas de coller des paroles en anglais sur la version instrumentale du disque français. Les prises sont totalement refaites dans le même studio, et Tony Platt va devoir réaliser deux mixages. En effet, le disque en français est prévu pour la fin de l'année 1981, et la version anglaise pour le début de l'année 1982. Tony Platt va prendre un soin particulier à faire de la version anglaise de Marche Ou Crève un disque puissant à la hauteur des meilleurs albums de Heavy-Metal mondiaux. Le mixage du disque français sera d'ailleurs considéré comme bâclé. Il est effectivement moins puissant que la version internationale.

Les versions anglaises des albums de Trust vont régulièrement faire l'objet de ricanements récurrents. C'est que la presse comme le public français trouvent ces versions bien exotiques et caricaturales. En effet, comment la version anglaise de « Antisocial » peut-elle avoir le même impact que sa version anglaise, Bernie Bonvoisin semblant être un chanteur tellement français?Pourtant, c'est bien ces versions qu'Anthrax reprendra : « Antisocial » et « Sects ». Alors la France serait-elle aveugle devant le brio de Trust ? Et bien je dois vous répondre par l'affirmative. Et si Pursey ne sut pas traduire comme il se doit les textes de Bonvoisin, son successeur, Savage, est un sacré bon disque.

Bien sûr, il y a quelques défauts. D'abord, Bernie Bonvoisin a un petit accent français incontestable. Mais Klaus Meine, le chanteur des Scorpions, a un méchant accent allemand, et cela n'a nullement empêcher le groupe de triompher. D'autre part, le passage du français à l'anglais provoque parfois des carambolages dans les rimes et le rythme des vers. Passés ces défauts, il est temps de passer aux vrais grandes qualités.

D'abord, la musique des morceaux sont d'une puissance exceptionnelle. Que les versions soient françaises ou anglaises, le brio est inégalable. Et puis Bernie Bonvoisin est capable de s'adapter de manière surprenante. Son phrasé, son intonation se transforment pour offrir ici une vraie version anglo-saxonne du Heavy-Metal de Trust. Le prononcé de Bonvoisin rappelle en version anglaise Judas Priest, Iron Maiden et AC/DC. Il augure même Metallica et surtout Megadeth. Le phrasé noir, nasillard et acide est le propre du Thrash-Metal débutant.

En cela, Trust n'est pas qu'une simple émanation Punk du Heavy-Metal. Dès ses premières chansons, Trust augure la New Wave Of British Heavy-Metal, en 1977, alors qu'ils ne sont pas anglais. Ils seront un cataclysme musical que la France sera bien incapable de mesurer, et que ce second disque en anglais est la vraie révélation.

Savage n'est pas cette mauvaise traduction franchouillarde que la presse anglaise, relayée par la presse française, a tant brocardé. On ricana sur l'accent de Bernie, la presse anglaise critiqua encore le discours politique de Bernie Bonvoisin, et puis sur ces Frenchies à la con qui viennent pisser sur les terres d'Albion. Seulement voilà, Savage est un sacré brûlot de Heavy-Metal international. Les textes ont été traduits au plus près du verbe de Bonvoisin, la musique est tout aussi impeccablement brillante que la version française, et le second mixage de Tony Platt donne à l'ensemble une puissance encore inédite.

Pour écouter ce disque, il n'est en fait pas question de l'écouter avec l'oreille française. On savourera toujours la puissance du verbe de Bernie en français, et le fait que ce groupe était avant tout une fierté nationale. Ce qui est plus difficile à comprendre, c'est que cette musique géniale conquit le coeur des fans de Heavy-Metal européens. La prestation de Trust à l'émission Rockpalast en Allemagne en juin 1982 n'est qu'une preuve flagrante du succès retentissant dont bénéficie Trust. Qu'importe le langage, les fans adhèrent à cette musique puissante et incandescente. Et ce qui interloqua les spectateurs européens, c'est la force de conviction du chant de Bernie Bonvoisin, qui, qu'importe le langage, ne pouvait que cacher des textes d'une puissance au-delà du petit rendez-vous romantique. Même incompréhensible, le phrasé de Bonvoisin marqua les amateurs. Ce bonhomme éructant avec conviction ses paroles avait des choses à dire, c'était incontestable, et le public Metal voulait l'entendre.

Savage fut une première clé, et fit de Trust un vrai grand groupe de Heavy-Metal novateur, à la lisère entre New Wave Of British Heavy-Metal et Thrash-Metal. Le Trust en anglais et le Trust en français ne sont plus tout à fait le même groupe. Bernie n'articule d'ailleurs plus tout à fait de la même manière, comme emporté par ce langage anglo-saxon. Il sut se montrer expressif avec ses mots, comme un Léo Ferré, lorsqu'il parlait en français. Passé en anglais, il était le hurleur de Heavy-Metal dans la cour des meilleurs, de Saxon à Iron Maiden en passant par AC/DC et Judas Priest. La traduction en anglais des textes percussifs de Bonvoisin pouvait laisser craindre les pires articulations laborieuses. Mais Suzie Speglen et Bernie Bonvoisin réussir à retrouver la formule du slogan brutal, identique à la version française. « Les Brutes », devenu « Mindless », bénéficiait de ce même impact revendicatif.

Savage est incontestablement un immense disque de Heavy-Metal, mais cette fois-ci international. Musicalement, les chansons prennent de l'ampleur. Peu d'albums bénéficient d'une telle puissance sonore. Peut-être Killers d'Iron Maiden, mais il n'y en a guère d'autre. Et c'est bien avec ce disque que se fait l'évidence : la presse française a la dent dure, mais pour bénéficier d'un tant soit peu d'intérêt au niveau extra-nationale, les groupes doivent se transcender au-delà de se que pourrait le devoir un groupe anglais ou américain. Trust est incontestablement l'un des groupes les plus ambitieux de ce début d'années 80, loin devant la concurrence anglo-saxonne.

Dès « Big Illusion », le riff est presque méconnaissable tant il explose de puissance et de lyrisme, alors qu'il est identique à sa version française. Et en ces semaines d'élections internationales, ce morceau, qui a pourtant trente ans, bénéficie d'une maestria inédite. Comme en langage français, le texte de Bernie Bonvoisin percute l'auditeur. La traduction anglaise fait mouche à l'oreille. Bernie se prend au jeu, manière son chant, dégueule les paroles, mais à la sauce anglaise. Ca sonne Heavy-Metal, mais pas dans le sens lyrique, chanteur à la mode Deep Purple. On est dans les pionniers du Heavy-Thrash brutal, ce chant agressif imprégné de Punk. Et Bonvoisin en est un pionnier miraculeux, un de ceux qui a fait de cette approche une référence. L'homme aux textes politiques est en fait un vocaliste d'exception, un de ceux dont le timbre unique marque l'histoire du Rock international. La presse française comme anglaise n'aura pas su percevoir ces qualités, mais le Thrash de San Francisco l'a bien repéré.

« Savage », qui donne son nom à l'album, garde toute sa puissance massive, avec son riff en power-chord et son tempo martelé à la basse. Le travail de Nicko McBrain va être prodigieux tout au long de l'album : puissant, précis, expert, fin, le break subtil toujours à point. Il y a du Heavy-Metal dans son jeu, mais aussi du Funk et du Blues, ce qui lui donne un groove magique, et donne à la musique de Trust un swing inattendu, moins martelé et brutal, parfaitement en adéquation avec les entrelacs de guitares de Norbert Krief et Moho Chemlakh. Ce dernier a apporté une incontestable profondeur aux tapis de guitares de Trust. Nono s'envole pendant que Moho blinde avec maestria.

« Repression » est dégueulé avec conviction. Le refrain garde toute son envergure, comme sa version française. « The Junta » garde aussi toute son ambiance maudite. Bernie Bonvoisin est décidément brillant sur ces textes presque rappés, qu'ils soient français ou anglais. Certes, il n'ont pas toujours la fluidité poétique de leur version française, détail important du langage Bonvoisin. Mais la version anglaise possède cette atmosphère démoniaque supplémentaire que lui imprime le chanteur, et que l'on ne distingue pas immédiatement en français.

Assurément, le sommet du disque est « Mindless ». Le titre est en lui-même bien plus percutant que sa version française, tel un titre de Judas Priest. Le langage anglais trouve tout son tempo avec les mots de Suzie Glespen, exactement comme sa version française. Cette fois, le swing du phrasé est conservé avec brio. Les guitares de Moho et Nono sont magnifiées. Déjà brillantes sur la version française, Tony Platt réussit à les mettre encore en avant, faisant des deux bretteurs deux magiciens de la six-cordes comme le Heavy-Metal en eut finalement bien peu. Les deux potences électriques s'enroulent et fusionnent en un chorus lyrique, magique, emportant l'auditeur vers des cimes d'émotion rarement atteintes. Bernie et Yves Brusco matraquent le refrain : « Mindless ! », résonnant comme un slogan parfaitement Thrash-Metal. Il fallait tout de même avoir les tripes de publier un disque avec un titre scandant « Mindless ! » sur le refrain, soit « Abruti ! » en français. Alors que la presse britannique prône que le Heavy-Metal ne doit pas être politique, il semble évident la raison pour laquelle le public anglais des cités industrielles a tant aimé Trust, comme la banlieue française les aima tant.

« Loneliness » fait aussi preuve d'une traduction bien trouvé, tout comme « Work Or Die », tellement vraie sous Thatcher. « Crusades » brutalise à nouveau l'auditeur. Le refrain touche encore sa cible avec brio, exactement comme sa version française. Vient ensuite la traduction de « Ton Dernier Acte ». « Your Final Gig » colle au plus près du texte français, quitte à buter sur quelques rimes. Bernie Bonvoisin a voulu ne pas trahir son texte initial, si cher, dédié à son ami Bon Scott, le chanteur d'AC/DC. Il mourut quelques heures après avoir participé à la soirée du disque d'Or de Trust à Londres. Scott partira finir sa soirée chez d'autres amis qui ne prendront pas la peine de le sortir de la banquette arrière d'une Renault 5, alors que ivre mort, il va s'étouffer dans son vomi au petit matin, tétanisé par le froid de ce mois de février 1980. Bernie Bonvoisin en gardera un regret irrémédiable, et la version anglaise conserve la rage intacte. Les larmes montent à nouveau dans la gorge. Le Blues crée par Nono et Moho monte vers des cimes magiques. Trust brille une dernière fois de tous ses feux avant la fin du disque.


Il manquera à cette version anglaise le titre « Misère », non traduit, évoquant de trop près la situation politique anglaise du moment. CBS jugera que ce titre aurait été véritablement préjudiciable pour la carrière britannique de Trust, la presse anglo-saxonne les jugeant déjà bien assez politisés comme cela. Qu'importe, avec neuf morceaux impeccables, Trust vient de produire un vrai grand disque de Heavy-Metal international. Bien meilleur que son prédécesseur, Savage est plus qu'un simple album de Trust pour le public anglo-saxon. C'est un album ultime, brisant les limites du langage français. Trust est un immense groupe de Heavy-Metal, et seule la mauvaise foi aura eu raison des qualités de cet incroyable disque.

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