"C'est
un album époustouflant d'inspiration permanente, d'énergie, et
d'électricité enflammée."
LOBBY
LOYDE AND SUDDEN ELECTRIC : Live
With Dubs 1980
Lorsque
l'on découvre la musique Rock, on chemine toujours à la recherche
d'une forme d'extase musicale provoquée par l'écoute d'un disque.
J'en ai eu plusieurs, et des fabuleux : le Live At Leeds
des Who, Un Autre Monde de Téléphone, le II de Led
Zeppelin, le White Album de Diamond Head, Power Supply
de Budgie, ou encore Live And Dangerous de Thin Lizzy. Tous
des merveilles d'incandescence électrique, totalement possédées,
écoutables sans aucun temps mort dans une forme de transe
spirituelle totale, comme l'effet d'une drogue ou d'un alcool très
fort. Votre esprit divague, vos souvenirs personnels se cognent à
des images aussi diverses que vos passions personnelles. Etant aussi
un amateur pointilleux en termes de sport automobile des années 70,
de films de la même époque, de poids-lourds européens et
américains, de muscle-cars, de géographie, et d'histoire, en
particulier les deux conflits mondiaux, autant vous dire que cette
soupe donne quelques hallucinations de premier choix.
Pourtant,
il semble que l'âge émousse les certitudes et les illusions.
Pourtant, j’estime que la recherche paye toujours, et que mon
enthousiasme est demeuré intact. Aussi, à trente-sept ans, j'ai
trouvé un disque magique. La source ne semble donc pas se tarir, et
j'en suis fou de joie. D'autant plus que ce disque est une merveille
totale, issu d'un monde improbable. Il est un âge où l'on finit par
s'auto-convaincre que l'on a à peu près tout écouter, que les
découvertes à venir seront anecdotiques, aussi l'on cherche les dix
albums que l'on va emporter dans sa tombe. Mais pour tout vous dire,
je n'ai pas l'attention de mourir tout de suite.
Donc,
j'ai savouré cette découverte comme celle de Thin Lizzy avec Live
And Dangerous : une
merveille d'authenticité, de dynamisme et de puissance musicale. Cet
album de Lobby Loyde m'a été rapporté comme un disque moyen, et
c'est une erreur totale. TO-TALE. En
effet, comment peut-on classer un album aussi ambitieux ? Car il
s'agit bien d'un disque ambitieux, même si il est l'oeuvre de Lobby
Loyde. Mais qui est Lobby Loyde ?
C'est
un océan de poussière rougeâtre et de buissons ardents. Elle
s'infiltre partout, la poussière : dans les maisons, les
vêtements, les voitures. La route est un venin, il alimente la
solitude et l'imagination. Lobby Loyde est un jeune musicien
australien obsédé par le Rock anglais. Sauf que, voyez-vous la
Grande-Bretagne, c'est un peu particulier, c’est
loin. L'Australie,
c'est le Commonwealth, les colonies, les inférieurs… la colère….
C'est
un pays de poussière âcre. La musique y est plus violente
qu'ailleurs, c'est une certitude. The Saints, AC/DC, Rose Tattoo…..
La vie est un cauchemar, survivre est une épreuve. Et la Rock Music,
un échappatoire. Lobby Loyde fait partie de ces pionniers géniaux
qui vont transposer le Rock Anglais des Rolling Stones et des Beatles
en Australie. Loyde fera partie des Purple Hearts puis des Wild
Cherries, autant de formations australiennes garage. Il finira par
convaincre Billy Thorpe, le chanteur des très populaires Aztecs, de
laisser tomber la Soul et les costards cintrés pour le Heavy-Blues
qui arrache la couenne.
Lobby
Loyde aura son propre groupe après avoir quitté les Aztecs de Billy
Thorpe en 1970, non sans avoir participé aux sessions studios et aux
concerts.
Lobby Loyde est un acide fulgurant que l'on retrouve sur tous les
meilleurs disques de 1969-1970. Billy
Thorpe, vedette Rythm'N'Blues des années soixante, a besoin de
rebondir. Il n'est qu'un guitariste laborieux et amateur, le Mitch
Ryder australien. Les Wild Cherries se délitent à l'aube des années
soixante-dix. Il embauche
Loyde dans sa nouvelle mouture des Aztecs comme guitariste, Thorpe
tenant juste le micro. Mais sous l'influence de Loyde, le chanteur se
mue en un guitariste sauvage qui va faire des Aztecs l'un des groupes
de Rock australien les plus influents des années 1969-1975. Loyde ne
participe qu'à l'album The Hoax Is Over
en 1970, avant de s'en aller mener une carrière solo qui débute dès
1971 avec un surprenant premier album instrumental, Plays
With Georges Guitar, Georges
étant le surnom donné à sa Gibson Les Paul Custom noire
bien-aimée. C'est une sorte de Jazz-Rock joué à la sauce
Heavy-Blues, fulgurance électrique totale qui fait grande impression
en Australie.
La suite sera une participation à l'édition 1972 du Festival de
Sunbury. Il forme un groupe
du nom de Coloured Balls et participe à cette édition avec comme
second guitariste son vieux copain Billy Thorpe, qui va capter sa
prestation à Sunbury avec ses Aztecs pour un disque en direct
majeur. La matière de ce concert des
Coloured Balls servira de
base au premier album. Lobby Loyde est alors un type hirsute, la
barbe et le cheveu gras et long, la clope en permanence au bec. En
1973, changement de style, les Coloured Balls adopte le look sharpie.
Il s'agit là de l'équivalent entre les skinheads de la fin des
années soixante anglais et les futurs Punks. Le cheveu se porte
court, sauf dans la nuque.
Les
Coloured Balls sortent alors du sillon jam sauvage à rallonge pour
donner dans un Hard-Blues ultra-violent, totalement Punk dans
l'interprétation. Deux albums sont publiés, plus un recueil de
démos de 1972. Le groupe est dissous vers 1975, et Lobby Loyde
reprend ses pérégrinations solitaires à base de guitare électrique
folle : Obsecration
voit le jour en 1976. Mais Loyde tourne en rond en Australie, et part
en Grande-Bretagne. Il devait y rester deux semaines, il y restera
trois ans. Là-bas, il devient producteur et musiciens de studio, il
travaille notamment avec Devo.
Mais
l'envie de jouer et la plus forte. Il assure un premier concert en
solo au Marquee de Londres en guise d'échauffement, puis assure
quelques premières parties de groupes New-Wave comme Ultravox en
Grande-Bretagne. Il repart ensuite seul pour une tournée de
vingt-huit dates en Australie. Au passage, il passe voir son ami
Billy Thorpe à Los Angeles en train d'enregistrer son premier disque
solo : Children Of The Sun.Il
débauche au passage le batteur Gil Matthews, puis recrute un
bassiste en Australie : Gavin Carroll.
Le
trio prend le nom de Lobby Loyde And Sudden
Electric, et joue
donc en trio. La musique qu'ils interprètent
est nouvelle en
quasi-totalité. Toujours
sans limite artistique, Loyde a composé des morceaux prévus au
départ pour un septet. Ce sont ces titres que le guitariste va
réarranger pour les jouer à trois sur scène, utilisant
par moments une guitare-synthétiseur développée par la marque
Roland. Les
concerts se déroulent dans une ambiance excellente, le Rock étant
en totale explosion en Australie grâce à toute une génération de
groupes totalement redevables de Loyde et Thorpe : AC/DC, The
Angels, Rose Tattoo, Cold Chisel, Kevin Borich Express…. Le trio se
produit dans de petits théâtres devant un public qui, à l'été
1979, a attendu le retour du héros depuis trois longues années, et
ne l'a surtout pas oublié.
Les
concerts font suffisamment impression pour que la radio Radio 2-JJ
prenne la décision d'enregistrer le concert au Manly Flicks de
Sydney au mois de juillet. Quelques mois plus tard, le label Mushroom
Records, qui avait signé
autrefois Coloured Balls,
propose à Loyde de publier
un disque en public à partir de ces bandes, pensant
rééditer le succès de l'ancienne formation de Loyde.
Mais à la réécoute, les
pistes vocales sont faibles, et portent préjudice à la publication
du disque. Très populaire
auprès des musiciens, tous curieux d'entendre la nouvelle musique de
Loyde, ce dernier est alors entouré en studio des chanteurs Mandu et
de Angry Anderson de Rose Tattoo. Il a alors l'idée de faire
réenregistrer
les pistes vocales par les deux vocalistes. Mandu assurera l'ensemble
des morceaux à l'exception de « Gypsy In My Soul »,
dédié à Anderson. Le résultat est donc ce disque, publié en
1980, qui comme son nom l'indique est un disque en concert avec des
pistes en studio (« dubs »).
C'est
un album époustouflant d'inspiration permanente, d'énergie, et
d'électricité enflammée. On retrouve bien le son sale et agressif
des albums de Coloured Balls, mais sur des morceaux aux structures
parfois complexes, notamment sur les deux longues pistes que sont
« Weekend Paradise (Part 2) » et « Sympathy In D ».
Loyde y mêle Hard-Rock Blues, agressivité Punk, mélodies New Wave
et structures flirtant avec le Jazz-Rock. Parfaitement secondé par
Matthews et Carroll, Loyde déroule de longues improvisations de
guitare au lyrisme exceptionnel, prenant à la gorge en permanence,
sans le moindre temps mort, sans le moindre instant de flottement.
C'est que cette musique est en grande partie écrite, et même si il
y règne une grande liberté apparente, Loyde a pensé chaque
rebondissement, rendant en fait ce Hard-Rock fuligineux aussi
brillant qu'exigeant sans pour autant être prétentieux. Loyde
joue avec la pédale d'écho, la guitare-synthétiseur, et se lance
dans de grandes embardées électriques qui ne sont pas sans rappeler
les Pink Fairies dont Loyde fut un contemporain sans jamais les avoir
croisé en 1971-1972.
« Crazy As Loon »,
« Media Re-Make », et « Gypsy In My Soul »
sont des morceaux plus courts,
entre quatre et huit minutes, aux structures moins complexes, et aux
thèmes plus directs. L'ensemble est extrêmement homogène, au
rythme très enlevé, pied au plancher sur les cinq morceaux.
Ce
superbe album repositionne Lobby Loyde sur la scène Rock
australienne comme un artiste majeur. Pourtant, il ne profitera pas
du retentissement de cet album pour poursuivre sa carrière de
musicien. Il préférera se consacrer à la production de nouvelles
formations australiennes, ne revenant à la scène qu'épisodiquement.
Un set de 2000 a été ajouté sur la réédition en disque compact
de cet album, montrant combien Loyde est un
guitariste surdoué,
totalement inspiré, soliste majeur, jamais redondant, toujours
inventif. Il interprète « GOD », instrumental dédié à
sa guitare préférée qu'il enregistra pour la première fois en
1972 sur la scène du Festival de Sunbury. « Flash » est
un titre percutant du premier album de Coloured Balls, et même le
« Heartbreak Hotel » d'Elvis Presley prend une grande
gifle électrique.
Lobby
Loyde recevra un prix d'honneur aux Victoires de la Musique
australiennes, avant de s'éteindre, clope au bec en permanence
oblige, d'un cancer des poumons en 2007. Il aura, comme Thorpe,
propulsé le Rock australien
dans une autre dimension, en en
faisant l'un des plus
dangereux et intransigeant du monde. Il reste encore beaucoup à
apprendre de ces albums séminaux qui auront permis la naissance de
toute la scène Hard-Rock australienne de la seconde moitié des
années soixante-dix. Mais
plus que des pionniers, ils sont de purs génies, à la musique
totalement indépassable de passion et de feu sacré, brûlante
comme la terre d’Australie.
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1 commentaire:
Un drôle de bonhomme que ce Lobby Loyde. Pas spécialement ce que l'on peut considérer comme un virtuose, mais un gars authentique, droit dans ses bottes. Un pur et dur.
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