mardi 28 mai 2019

NOUVEAU LIVRE !

Ca y est ! Il est sorti ! 
Pop Rock : Les Concerts de Légende a été écrit avec l'éminent journaliste Daniel Lesueur, sur le pont musical depuis les années 60 au sein des rédactions de Extra, Rock Hebdo, Jukebox Magazine....
Daniel évoque les concerts qui ont marqué l'histoire de la musique Pop ainsi que ses souvenirs en tant que spectateurs.
Quant à moi, je présente une série de bandes bootlegs de AC/DC, Black Sabbath, Bad Company, Judas Priest, Led Zeppelin, Procol Harum, Fleetwood Mac.... en revenant sur la biographie des formations, le contexte du concert, les set-lists....
L'ouvrage est disponible sur le site de Camion Blanc, sur les sites de vente en ligne et chez tous les bons libraires.

Achetez-le !!

 
 
 

dimanche 19 mai 2019

STAN WEBB AND CHICKEN SHACK STORY


"Je tombai immédiatement sous le charme de ce Heavy-Blues ravageur, incandescent, la fureur qui s'en dégageait était incroyable. "


Chicken Shack
A la découverte de la musique de Stan Webb

Un jour, je suis parti à la découverte du Blues blanc. J'avais parcouru les disques de plusieurs grands groupes de Hard-Rock des années soixante-dix, dont ma référence absolue : Led Zeppelin. Avec eux, et leurs deux premiers albums en particulier, impossible de passer à côté du Blues. Et j'aimais cela, cette mélancolie, cette force de l'âme torturée. Je partis donc à la découverte de cette musique sur les terres britanniques. Ma première découverte fut Fleetwood Mac, mené par le guitariste et chanteur Peter Green. Ce fut un vrai choc, car je découvris que l'émotion véhiculée pouvait être encore plus intense sans pour autant avoir recours à la puissance sonore.

Le filon trouvé, je commençais à écouter du Blues anglais, et à balayer les groupes clés du mouvement. Et ce fut plusieurs découvertes successives magnifiques, comme Savoy Brown par exemple. Une seul me déçut quelque peu au premier abord : Chicken Shack. J'avais fait l'acquisition d'une petite compilation se concentrant sur les quatre premiers albums sur le label Blue Horizon. Je ne fus pas emballé par ce Blues qui me parut bien timoré. Et puis il y avait une chanteuse, et je n'aimais pas vraiment les voix féminines, un problème d'identification sans doute. Pourtant, il était impensable que l'on en dise tant de bien, qu'ils soient l'une des formations phares du Blues anglais sans qu'il y ait une explication plausible, un vrai talent que je ne sus déceler.

Et puis, en fouillant dans le bac de disques d'une grande enseigne culturelle parisienne, je tombai sur une pochette magnifique, et qui n'était autre que celle d'un album de Chicken Shack. J'y regardai de plus près, et je m'aperçus que de la formation originelle des années Blues Horizon, il ne restait plus que le guitariste et chanteur Stan Webb. Il n'était entouré que d'un batteur et d'un bassiste, et la photo du groupe au verso les montrait en noir et blanc, avec des mines sombres, ce qui contrastait avec la pochette de l'album. Ce dernier s'appelait Imagination Lady. J'en fis l'acquisition, puis je rentrai chez moi l'écouter. Ce fut un choc dantesque.

Je tombai immédiatement sous le charme de Heavy-Blues ravageur, incandescent, la fureur qui s'en dégageait était incroyable. Je fus soufflé. Il devint l'un des disques de ma vie avec Smokin d'Humble Pie. Dès lors, je n'eus de cesse de faire l'acquisition de tout ce que publia Stan Webb et Chicken Shack pour retrouver ne serait-ce qu'une scorie de cette merveille d'album. Bien évidemment, la musique de Stan Webb n'est pas aussi facile à appréhender, elle ne se limite pas à une succession d'albums de Rock-Blues lourds. Le parcours du guitariste est erratique, complexe, et sa musique est le reflet de ses humeurs autant que de sa personnalité et des circonstances dans lesquelles il enregistra sa musique. Webb joua toujours du Blues, mais il en délivra des versions plus ou moins fidèles, plus ou moins Rock.

Surtout, Stan Webb est un incroyable compositeur. L'homme sut écrire de magnifiques morceaux toute sa carrière durant, qui montre sa personnalité et sa volonté de ne pas se laisser enfermer dans un carcan trop étroit. Le garçon a beaucoup d'humour, mais aussi des blessures. Sa carrière ne fut pas simple. J'allai de découverte en découverte. Même les disques les plus obscurs disposent de chansons incroyablement fortes et intenses, toujours enluminées par sa guitare magique, autre reflet de son talent. Car Webb est un guitariste extraordinaire, de ceux qui arrivent à littéralement faire parler une guitare, à lui faire articuler des syllabes : Jimmy Page, Peter Green, Joe Walsh… Webb n'est pas du genre bavard, il sait créer les climats, varier les couleurs, et appuyer avec une note soutenue là où ça fait mal dans le coeur.

Stan Webb est un homme honnête et discret, qui n'est extravertie que sur scène. Il n'est pas spécialement bavard sur lui-même et sa carrière, je l'appris lorsque je l'interviewai pour le magazine Blues Again il y a quelques années de cela. Fou de joie d'avoir décroché cet entretien, nous le réalisâmes par mail. Je lui envoyai mes questions en anglais, et reçus quelques réponses des plus laconiques. Il faut dire que ce qui m'enthousiasmais le plus, c'était de parler avec lui des albums des années soixante-dix, une décennie des plus compliquées pour lui. Il n'aimait pas particulièrement cette période, ni les albums qu'il produisit à cette époque. Les budgets minables, les managers véreux, les groupes instables avaient eu peu à peu raison de son enthousiasme à l'époque. Et puis Stan Webb n'est pas un homme à concept, qui a des explications pour tout lorsqu'il évoque sa musique. Il compose, les idées lui viennent, et il ne sait ni pourquoi, ni comment telle ou telle chanson a été écrite. A vrai dire, il s'en fiche royalement, car ce qui l'intéresse le plus, c'est de jouer sur scène. Il fait partie de cette catégorie de musiciens qui ne recherchent pas le disque studio parfait devant refléter tout leur art. Un album n'est qu'un recueil de chansons de plus, prétexte à retourner sur la route. Il ne s'y sent pas particulièrement à l'aise, et n'aime pas y passer trop de temps. Il est de la trempe des Status Quo, des Budgie ou des Black Sabbath. On enregistre les nouveaux morceaux, on en écrit parfois quelques-uns à l'arrache sur la table de mixage, et une fois l'album sorti, on repart sur la route. Stan Webb se fiche tellement du studio que ces dernières années, il se contente de jouer sur scène. Il n'a pas sorti un nouvel album depuis 2001, son premier album solo, Webb. Seuls les disques en concert et les disques d'archive viennent alimenter de temps en temps le souvenir de Chicken Shack chez ceux qui savent.

Car aujourd'hui, à l'heure du retour à l'underground du Rock et du Blues, Chicken Shack n'est plus qu'un souvenir lointain. Seuls les vrais amateurs de guitare, ceux qui aiment le Blues et le Rock ont une petite pensée pour Stan Webb. Il est aussi un des derniers survivants de cette génération de furieux de la guitare électrique qui bousculèrent les conventions à grands coups de kilowatts dévastateurs.


Vous ne trouverez pas dans ce texte une biographie officielle relatant heure par heure les faits et gestes de Stan Webb. Je ne ferai pas non plus une dissertation sur son jeu de guitare. J'ai tenu à vous conter sa vie, sa carrière, les grands faits, le contexte, et surtout, à vous parler musique. Stan Webb et Chicken Shack nous ont laissé une série d'albums merveilleux, qu'il convient de remettre en valeur comme il le convient. Et en évoquant ainsi sa musique, ce sera aussi pour moi l'occasion de mettre en lumière l'oeuvre d'un homme passionnant, dont l'âme profonde réside dans ses chansons et ses interprétations.
(à suivre)

tous droits réservés

lundi 6 mai 2019

ROBIN TROWER 1980


"Le trio est en combustion totale."




ROBIN TROWER : Victims Of The Fury 1980

Je verse l'eau bouillante dans l'emballage de plastique, et quelques minutes plus tard, me voilà avec un plein bol de nouilles chinoises prêtes à déguster. Je pose mon repas sur la table en formica de la cuisine, et je m'assied sur une chaise. Je mets la radio pour me tenir compagnie. C'est dimanche soir, et sur les grandes ondes, c'est l'heure du débat politique. Je n'ai pas le courage de changer de station pour trouver plus agréable, plus divertissant. Après tout, ce sera pour moi l'accompagnement sonore parfait pour basculer du week-end vers la réalité du travail, le lendemain matin. Je souffle sur les premières cuillerées de nouilles lyophilisées chaudement reconstituées sous la lumière blafarde du néon de ma cuisine. Je regarde par la fenêtre, et j'aperçois les lumières de la ville. Au loin, le périphérique est chargé de la circulation des citadins revenant de week-end. Les nouilles ne sont pas bonnes, et l'émission de radio ne l'est pas davantage. C'est un dimanche soir triste en banlieue.

Je jette mon gobelet de plastique vide à la poubelle et j'éteins la radio, ainsi que la lumière blanche de la cuisine. Je me dirige vers le salon, et je me décide à prendre en main cette soirée avant qu'elle ne bascule dans le sinistre absolu. Je fouille dans ma collection de disques vinyles, et après quelques hésitations, je décide de sortir l'album Caravan To Midnight de Robin Trower. Le disque est sorti il y a plus d'un an, et je ne l'ai pas souvent joué. C'est curieux, car j'adore profondément ce guitariste et son groupe. J'étais allé les voir en 1977 aux Abattoirs de Paris, avec Patti Smith en première partie. Ce fut un excellent show. Trower y fut brillant, et le chanteur Jim Dewar avait la voix magnifique des albums. Le set fut toutefois perturbé par quelques punks venus pour Patti Smith. Robin reçut même une canette sur la tête. Après s'être frotté le crâne en souriant, il reprit le concert, imperturbable dans son art. J'avais mal au ventre de voir ce public français incapable d'apprécier à sa juste valeur ce fantastique artiste. Que pouvait bien pouvoir penser Robin de nous ? Il devait se douter du tournant musical en train d'exploser en Europe.

C'est que le Punk a apporté un vent de fraîcheur dans le Rock. Il lui a permis de revenir à des chansons plus courtes et plus percutantes. Mais c'était aussi la fin du Rock issu de la fin des années soixante, toute cette musique progressive et psychédélique. Dans le même sac, il y eut les héritiers du Blues anglais : Led Zeppelin, les Rolling Stones…. Et mon Robin Trower, il en faisait partie. Il avait fait partie des pionniers de la musique progressive anglaise avec Procol Harum, avant de se lancer en solo avec une musique héritée du grand Jimi Hendrix. Trower n'était pas du style à improviser quinze minutes sur un morceau, mais il aimait développer de longs et beaux chorus qui m'ont toujours donné le frisson. Il voulait s'exprimer avec sa guitare, et il en avait mille fois la capacité. Sa carrière s'est toutefois développée aux Etats-Unis, avec un succès commercial indéniable.

Depuis 1977 et l'album In City Dreams, la musique du groupe se fit moins hard et plus subtile, avec des tonalités Funk, les influences de Santana et de la scène californienne. J'étais toujours très amateur, mais en cette même année, apprécier un tel disque était une erreur de goût qui vous projetait dans le panier des nazes. Mes amis comme certains de mes collègues avec qui j'avais l'habitude de discuter musique ne se privèrent pas de se payer ma tête. Ils ne juraient que par Johnny Thunders, Sex Pistols, Clash, Stranglers ou les français de Stinky Toys. Personnellement, je ne trouvais pas tout cela bien excitant. Johnny Thunders et ses Heartbreakers avaient grâce à mes yeux car il y avait deux sacrés guitaristes dans la bande. Je me permis d'ailleurs d'en faire les héritiers de Robin. Je préférais d'autres formations comme les irlandais de Thin Lizzy, où les français de Little Bob Story et d'Océan. Mais une fois encore, on me rabaissa au rang de vieux hippie ringard.

Le Punk ne fit pourtant pas long feu. Lorsque sortit Caravan To Midnight en 1978, les Pistols avaient disparu, et les autres cherchaient un second souffle. Ce fut le début de la New Wave. Les épingles à nourrices et les crêtes laissèrent la place à de petits costumes cintrés gris d'employé de bureau, et les guitares se firent moins mordantes. Caravan To Midnight me parut pertinent : il était selon mon avis personnel le disque New Wave de Robin Trower. Il y avait ce climat un peu froid et ces mélodies squelettiques. Il restait bien sûr le groove impeccable de Rustee Allen et de Bill Lordan, et ces éclats de soleil mélancolique sur la plage déserte. « I'm Out To Get You », « Fool » ou « It's For You » me semblaient si belles. Bien évidemment, je fus bien seul à partager cette analyse dans mon entourage. Et puis le disque ne fut pas suivi d'une tournée mondiale, comme d'habitude. Cela me parut inquiétant, comme si le groupe ne résistait pas à cette vague Punk qui aurait finalement eu sa peau.

1979 s'écoula sans nouvelle de Robin Trower, et l'absence de livraison discographique annuelle m'alarma particulièrement. J'étais bien triste. Entre-temps, j'avais pris ce logement social en banlieue Est de Paris, afin de partir de chez mes parents. Les immeubles étaient neufs, tout était pratique. Mais il y régnait comme une angoisse latente, une sensation de vide, de désincarnation. Et puis, pour aller chez les disquaires ou les salles de concerts à Paris, c'était plus loin, malgré le RER. Je me sentais un peu seul là-dedans. Je ne croisais les voisins que le matin ou le soir, échangeant un bref bonjour.

La banlieue parisienne avait pour vocation de faire de la mixité sociale. Pourtant, on sentait que les jeunes dans ses quartiers étaient sous pression. Je me suis éloigné de mes collègues et de mes amis, qui habitaient tous dans le Paris intra-muros. Toutefois, je me suis fait un copain : Rachid. Ses parents étaient d'origine tunisienne. Il avait trois ans de moins que moi, lui vingt-deux, moi vingt-cinq. J'étais déjà limite un vieux pour lui, surtout que j'avais un emploi installé depuis presque deux ans. Lui alignait les contrats sur des chantiers de construction. On avait fait connaissance dans le hall d'entrée. Je revenais un samedi de mon tour des disquaires avec quelques albums, et il aperçut le disque Powerage d'un groupe australien nommé AC/DC. Rachid portait les cheveux longs et bouclés, un jean serré, un perfecto de cuir et des bottes de moto, le look du parfait fan de Hard-Rock. Il m'a vu avec mon petit costume et mes Clarks, et il m'a abordé en montrant du doigt le disque : « Pas mal pour un beatnik ! ». On a commencé à discuter ensemble. Il connaissait AC/DC, mais pas cet album. Je lui ai proposé de venir chez moi l'écouter, ce qu'il a fait. Ce soir-là, on s'est amusé comme jamais. J'ai sorti une bouteille de bourbon, il a ramené de l'herbe. On s'est envoyé le dit disque, et puis quelques autres que j'avais et qu'il ne connaissait pas : Thin Lizzy, UFO… Il est parti chez lui et a ramené des albums de Téléphone, de Trust, et quelques simples anglais de Heavy-Metal : Motorhead, Samson, Raven.

Les soirées musique se firent régulières, et un soir, je lui passai un album de Robin Trower que j'adorais : le Live de 1976. Il fut impressionné par l'énergie et le feeling de la guitare, mais conclut l'écoute avec une petite moue en me disant : « Ouais, il joue super bien, mais ça rappelle quand même vachement Hendrix. Ca sonne vieux. ». L'effet du kiff et du bourbon s'arrêta aussi sec. Comment ce jeune impétueux osait critiquer Robin Trower ? Comment était-ce possible qu'il n'eut pas perçu la magie dans cette musique ? Je conclus le débat avec un sec : « J'espère que tous tes mecs-là, ils sauront un jour avoir un dixième de la puissance de Robin Trower. » Rachid éclata de rire, puis nous mîmes sur la platine un disque qui faisait consensus : Live And Dangerous de Thin Lizzy.

Cette petite anicroche intellectuelle n'entama en rien notre amitié. Pourtant, il resta comme une blessure. Rachid me faisait écouter Trust, nous allâmes même les voir en concert à Pantin. Ils furent effectivement fantastiques. Pourtant, il me manquait cette virtuosité au service de l'émotion : les improvisations sauvages de Robin, la voix puissante de Jim Dewar, les friselis de cymbales de Bill Lordan. Je savais que Robin Trower allait leur en montrer. Je voulais qu'il revienne avec un disque infernal qui mettrait tout le monde d'accord.

Nous étions en 1980, et je n'avais toujours pas de nouvelle de mon groupe préféré. Le Punk avait définitivement mué en New Wave avec les premiers synthétiseurs. Le Heavy-Metal s'était réveillé avec Iron Maiden, Def Leppard, Saxon, Motorhead…. Alors que je flânais dans les bacs, je tombai sur un album à la pochette noire et orange avec un nom qui me pétrifia : Robin Trower. Le disque s'appelait Victims Of The Fury, et il venait de sortir. Le vendeur, Jeannot, qui me connaissait, encaissa le disque en souriant : « Je me doutais bien que tu l'achèterais. Et mon pote, tu vas pas être déçu. ». Dans le RER, je contemplai la pochette du disque, avec ce fil barbelé orangé luisant sur un fond noir. Et il y avait ce titre agressif : Victims Of The Fury. Epluchant la pochette simple et sans fioritures, je constatai que le Robin Trower Band était revenu à sa configuration originale de 1975 : Bill Lordan à la batterie, Robin Trower à la guitare, Jim Dewar à la basse et au chant.

Je suis excité, j'ai l'impression d'avoir de l'or dans mes bras. Aussitôt rentré, je n'en peux plus. Je déchire le film plastique autour de l'album, et je le pose sur la platine. Je suis pris à la gorge par un chorus assassin de Robin Trower qui dégueule de larsen sale. Le groupe se met en route. La basse est énorme, la batterie puissante. Le morceau s'appelle « Jack And Jill », est je suis déjà KO. Je suis tellement fasciné que je remets le diamant à plusieurs reprises sur ce même morceau. Il sonne comme le Robin Trower Band que j'ai toujours rêvé. Le chorus est somptueux, hululant de wah-wah, agressif, possédé.

Le second morceau s'appelle « Roads To Freedom ». C'est un superbe Blues hendrixien. Sur l'entame du premier accord, on entend l'amplificateur souffler. On est là, avec le Robin Trower Band, dans le studio. Jim Dewar chante magnifiquement. Il module dans les aigus avec brio. Robin l'accompagne avec des accords Blues crasseux. Il ponctue de quelques chorus bluesy.

« Victims Of The Fury » est un morceau étrange, presque New Wave. Il y a beaucoup d'écho. Les paroles sont plutôt politiques, ce qui est surprenant dans ce groupe. Et puis le chuchotement sur le refrain, la reverb sur la guitare, le chant malsain de Dewar, la batterie nerveuse de Lordan font de cet ovni sonore une superbe pièce de Rock à part dans la musique de Robin, le Blues des années 80. Trower se fend d'un beau solo de guitare éclairant de sa lumière ce morceau triste.

On pensait pouvoir souffler, mais le trio enchaîne avec l'infernal « The Ring ». C'était un autre de ces morceaux que j'attendais tant. Il est heavy, sale, violent, sans concession. Le trio est en combustion totale. Il est même au-delà : je le trouve indépassable de puissance, de brio, de virtuosité. J'ai l'impression que rien n'équivaut ce disque en termes de qualité. Il est plus que parfait. Le son de guitare est ahurissant de violence et hargne, bien davantage que le premier Iron Maiden. « Only Time » est un Blues sale et lumineux. Je retrouve la sensation de bien-être des albums passés : Bridge Of Sighs, For Earth Below, Long Misty Days… Sur le solo, la wah-wah déchire l'air avec une férocité rare. Les morceaux sont courts mais intenses. « Only Time » se termine en furie électrique.

Voilà déjà quelques morceaux infernaux. Mais d'un coup rugit « Into The Flame ». Il s'agit d'un Blues moite, tendu, poisseux, gorgé de wah-wah. Le son est brut, on a l'impression d'être avec les trois musiciens dans une pièce aux murs sombres. La guitare bave de hargne. Il n'y a pas de guitare rythmique sur le solo, juste la ligne simple de basse. Robin Trower joue avec les vides et les silences. Ce genre d'exercice n'existe plus en 1980, mais Trower vient de le réactiver. Le Blues d'acier revit avec Robin. « The Shout » est un uppercut de Blues. Mais il est surpassé par le fantastique « Mad House ». La rythmique est rapide et vive. Le travail de cymbales de Bill Lordan est impressionnant. La guitare rugit, Jim Dewar est un animal grondant, possédé par le Blues.

Je terminai le disque terrassé. Robin Trower venait de renaître de ses cendres. Je le fis écouter à mon pote Rachid. Je vis son visage faire des expressions curieuses. Il semblait perplexe, entre admiration et retenue. Ce Blues incandescent venait de le terrasser, je le savais. Il finit par lâcher : « La vache, ça tabasse ! » Ce nouvel album, hors du temps et des modes, était un obus à fragmentation. La guitare de Robin eut le dernier mot.

Je me couchai, la sensation de la revanche enfin venue. J'avais hâte de voir la tête de mes amis de Paris, leur en montrer. Mais je me demandais si nous n'avions pas changé de route, moi d'un côté, eux là-bas. Rachid comme moi, nous étions ces êtres de banlieues à la dérive, à la recherche de la flamme électrique, l'étincelle de rage du Rock. La froideur du béton résonne sur « Into The Flame ». Un avenir meilleur nous attend.

tous droits réservés