"Il
possède toute la dynamique furieuse des Pink Fairies, mais surtout
laisse la part belle au talent éblouissant de guitariste de Paul
Rudolph."
THE
PINK FAIRIES : What
A Bunch Of Sweeties
1972
L’aboutissement
sonore cataclysmique que fut le Heavy-Metal dans les années 80 fut
le résultat d’une longue odyssée sonique qui débuta quelque part
à la fin des années 60 avec la montée du volume sonore des
amplificateurs chauffés à blanc. On connaît les pionniers :
Jimi Hendrix, Jeff Beck, les Who, Cream, puis les accoucheurs :
Black Sabbath, Deep Purple, Led Zeppelin. Mais on oublie souvent
quelques fiers guerriers qui produisirent la musique la plus violente
des années 70, de par leur esprit sans concession comme par leur
brutalité pure de leur musique. Car le Heavy-Metal se fit aussi par
ces seconds couteaux magiques, que l’on redécouvre via la
discothèque exemplaire de musiciens arrivés au firmament et à la
culture musicale certaine. On trouve ainsi dans celle de Steve Harris
d’Iron Maiden ou de Lars Ulrich de Metallica des noms comme Budgie,
Stray, Sir Lord Baltimore, Cactus ou les Pink Fairies.
Ils
faisaient tous partie de l’underground musical. Leurs disques se
vendaient grâce au bouche à oreille, et à la réputation de
concerts tonitruants dans les clubs et les petites salles anglaises
ou américaines. Ces hommes restèrent abordables par leur public,
car vivant la même vie qu’eux. Ils travaillaient pour gagner
modestement leurs vies, et même si la plupart étaient
professionnels, ils devaient se battre pour survivre chichement grâce
aux cachets gagnés. Ils partageaient les mêmes comptoirs une fois
descendus de scène, et malgré le statut de légende de la musique
que leur conférait la publication d’un disque marquant pour leurs
fans, ils conservaient cette humilité disparue une fois les grandes
scènes et la tête des charts atteintes.
Les
Pinks Fairies faisaient partie d’un collectif fondé à la fin des
années 60 par le journaliste underground d’extrême-gauche Mick
Farren. Autour de lui se forma un premier groupe psychédélique
anglais assez brutal dans son approche : les Deviants. Un trio
devint la colonne vertébrale du groupe : le batteur Russell
Hunter, le bassiste Sandy Sanderson, et le guitariste d’origine
canadienne Paul Rudolph. Ce petit monde résidait dans le quartier
londonien de Ladbroke Grove, milieu interlope loin des lieux chics de
la capitale anglaise, et où se croisent les petits blancs
psychédéliques branchés révolution et musique sans concession, et
les premières communautés jamaïcaines et africaines. Vivant dans
des squats, consommant l’acide et l’herbe autant pour planer que
pour couper la faim, ils jouent souvent gratuitement, soit dans le
quartier, soit dans des festivals. Outre les Pink Fairies, on croise
dans le coin les copains d’Hawkwind, Edgar Broughton Band, mais
aussi les Pretty Things. C’est via ces derniers que les Deviants
jamment avec le batteur John Alder, alias Twink. Hunter, Sanderson et
Rudolph sont en rupture de groupe suite à la dissolution du
collectif de Mick Farren. Le projet d’un nouveau groupe avec Twink
se dessine lorsque les trois participent au premier album solo de ce
dernier, Think
Pink
en 1969. Ils deviennent les Pink Fairies, et se font rapidement un
nom grâce à des prestations scéniques puissantes et inspirées.
Ils sont invités dès 1970 à participer à des sessions à la BBC
sur la seule foi de l’énergie de leurs concerts, qui
enthousiasment au plus haut point l’animateur John Peel. Ce soutien
s’accompagne d’un coup médiatique inattendu fin août : le
festival de l’Ile de Wight. Soucieux que la musique Rock reste
accessible à la jeunesse dans le cadre d’un festival censé être
celui de la communion d’une génération autour de la musique et de
la paix, les Pink Fairies et Hawkwind protestent contre le prix des
places d’une part, et la fermeture de l’enceinte du festival par
un épais grillage condamnant toute invasion intempestive, comme à
Woodstock. Les deux groupes vont donc jouer gratuitement à
l’extérieur devant un public de freaks totalement conquis et
acquis à leur cause. Les musiciens deviennent ainsi, à la faveur
des positions politiques de leur leader Mick Farren, le pendant
britannique du courant White Panthers initiés par les américains du
MC5 de Detroit.
Un
premier album fondamental paraît en 1971, Never
Never Land,
accompagné en éclaireur du percutant simple The
Snake.
On distingue alors tout ce qui fait la qualité de leur musique :
un mélange de chansons psychédéliques planantes et rêveuse, et de
Heavy-Blues charnu et inspiré, hendrixien dans ses improvisations.
La participation au premier festival de Glastonbury la même année
entérine leur réputation scénique démoniaque. Pourtant, dès ce
premier album se dessine la fracture musicale inhérente aux Pink
Fairies : d’un côté Twink qui veut orienter le quatuor vers
une musique acidulée proche des Pretty Things et des Kinks, et les
autres qui préfèrent un Rock mordant et bluesy. Twink s’en ira
fin 1971 pour partir au Maroc, laissant Hunter, Sanderson et Rudolph
de leurs agissements. Le fruit de leur travail sera ce second
disque : What
A Bunch Of Sweeties.
Cet
album n’a pas souvent la grâce des amateurs, pour la simple et
bonne raison qu’il est moins ouvertement planant et pop. La musique
est un furieux Heavy-Blues psychédélique d’une rare puissance,
parfait prolongement de la grande pièce de résistance des concerts
du groupe paru sur le premier disque : « Uncle Harry’s
Last Freakout ». La critique aura toujours tendance à
critiquer vertement ces formations pratiquant le Hard-Blues Boogie en
jeans et tee-shirts, plutôt qu’une musique de bon goût, lettrée,
du Velvet Underground à David Bowie. Les premiers ne jouaient que
pour le plaisir de se défouler et faire plaisir au public venu les
voir et passer un bon moment, celui des milieux populaires. Status
Quo, Humble Pie, Chicken Shack ou Rory Gallagher seront ainsi traités
avec dédain, leur ligne de conduite musicale stricte n’étant pas
du goût de ceux qui veulent faire du Rock une affaire
d’intellectuels branchés. Les Pink Fairies, qui faisaient partie
de l’underground londonien, trahissaient quelque part leurs racines
culturelles pour rejoindre le brouet démoniaque du Rock-Blues
prompts à exciter les gamins et à jammer pour le plaisir de longues
minutes durant.
Personnellement,
cet album est de loin celui que je préfère. Il possède toute la
dynamique furieuse des Pink Fairies, mais surtout laisse la part
belle au talent éblouissant de guitariste de Paul Rudolph. Cet homme
au bras droit atrophié, compensa selon les dires de Sanderson « son
handicap en jouant comme Jimi Hendrix ». Ce qui fait tout le
charme de Heavy-Rock est sa férocité sans concession couplé à une
vraie inspiration psychédélique. Les envolées instrumentales sont
certes ancrées dans un terreau typiquement Blues anglais de la fin
des années, mais Rudolph fait sonner ses chorus avec un lyrisme plus
proche du Grateful Dead et de la scène Rock psychédélique
américaine. On y retrouve aussi un soupçon de poésie Folk anglais.
Les morceaux des Pink Fairies font tous entre cinq et neuf minutes,
et sont de parfaites petites odyssées électriques. La voix de
Rudolph est chaude, grave, mais aussi un peu fragile, se fêlant
lorsque celle-ci monte quelque peu vers les aigus. On y distingue
déjà les lignes de chant de plusieurs groupes Punk à venir, et
dont les Fairies seront des précurseurs. Le trio est partagé entre
l’énergie, l’urgence, une certaine forme d’amateurisme, et un
brio musical exceptionnel.
Le
groupe reste une bande de rigolards, en atteste la pochette avec ses
reliques psychédéliques, sa bande dessinée à l’intérieur, et
les surnoms des musiciens au verso. Le tout débute par un petit
dialogue rigolo sous forme d’un coup de fil vers l’espace,
l’organisation avec un promoteur d’un concert sur … Uranus,
avant que ne décolle Right
On,Fight On,
qui vient rappeler l’esprit libertaire et révolutionnaire des
musiciens. On sent une pointe d’ironie envers tout cela, mais aussi
un attachement profond à cette volonté d’échapper au système.
Boogie trépidant mené sur un roulement de caisses et un riff Blues,
il ouvre de manière frontale un disque intransigeant.
De
Boogie, il en est encore question avec le massif « Portobello
Shuffle ». On y retrouve l’âme du Status Quo de Piledriver…
qui ne paraîtra qu’en décembre 1972 alors que cet album apparaît
en juillet. Trevor Burton, des Move, fait une apparition à la
seconde guitare. Il viendra régulièrement épauler le désormais
trio en tant que musicien complémentaire, sur ce disque, mais aussi
auparavant pour une session à la BBC fin 1971. Sa première
participation en studio le 23 novembre 1971 avec les Fairies sera
pour une reprise de « I’m Going Down » de Don Nix,
figurant désormais judicieusement sur la réédition cd de cet
album. On y découvre un groupe clairement orienté vers un
Heavy-Blues dense et rugueux, et où brille la guitare de Rudolph.
Sur « Portobello Shuffle », on entend un groupe tendu,
féroce, lourd, avec une guitare grasse, poisseuse. Mais parce que
les Fairies ne se prennent pas au sérieux, ils y injectent des
chœurs inspirés de ceux des Beatles, mais avec leur précision à
eux, c’est-à-dire débraillée. Paul Rudolph se montre brillant,
inspiré, que ce soit sur le solo central où il joue une demi-minute
seul, faisant hurler sa Les Paul Gibson, ou sur le final
mélancolique, où il fait preuve d’une poésie cosmique.
« Marilyn »
est un furieux Hard-Rock, mais doté de chorus au tempo très Jazz.,
et d’un solo de batterie de Hunter. « Pigs Of Uranus »
est une pochade très Country-Rock, aussi drôle que bien
interprétée. Cet instant de dérision laisse place à la
merveilleuse reprise de « Walk Don’t Run » de Johnny
Smith. De lourds coups de grosse caisse sous forme de semonce
annoncent un riff menaçant. Rudolph chante le thème seul, égrainant
des arpèges imbibés de magie noire, d’une immense tristesse. Puis
la batterie intervient dans un roulement de caisse claire, et le
tempo s’emballe. La guitare décolle, et s’envole dans un long
chorus possédé. Pied au plancher, Rudolph, poussé par Sanderson et
Hunter, enroule des mélopées de notes électriques, avant que le
rythme ne se ralentisse brutalement. Les trois fées se lancent
aussitôt dans une magnifique improvisation psychédélique, emplie
de cette âme magique, à la fois abrasive et rêveuse, brûlant de
ce feu sacré qu’est l’inspiration du musicien en état de grâce.
En une dernière pirouette, les trois reviennent au thème de
l’embardée initiale, et écrase le morceau en une symphonie de
riffs heavy et de cymbales.
Cette
délicatesse amère, ce spleen profond qui habite Rudolph et ses
comparses lorsqu’ils improvisent, et qui définit totalement ce que
l’on appelle le Heavy-Blues Psychédélique, se retrouve à nouveau
sur le merveilleux « I Went Up, I Went Down ». Un thème
doux, planant, se gorge d’électricité comme montent les larmes.
Les Pink Fairies se lancent dans un refrain encore une fois inspiré
des Beatles. Le côté bancal de leur interprétation rend leur
musique touchante, presque enfantine. Le solo spatial, aux notes en
apesanteur, illumine ce superbe morceau. L’expressivité du jeu de
Rudolph rend chacune de ses improvisations proprement passionnante.
Après
deux pièces de musique aussi denses, « X-Ray » est un
Heavy-Rock vif, nerveux, mais à l’amertume toujours au bord des
lèvres, comme le suggèrent les chœurs sur le solo. L’album se
clôt par une reprise des Beatles, « I Saw Her Standing
There », dans une version aussi râpeuse que foutraque, mais
totalement irrésistible. On y retrouve finalement tout ce qui fera
le Punk cinq ans plus tard, ce mélange de Rock 60’s anglais joué
pied au plancher sans se soucier de la précision de
l’interprétation. On y retrouve toute la saveur du second degré
des Pink Fairies, décidément aussi puissants musicalement
qu’attachants humainement.
Cet
album sera le premier et le seul à se classer dans les charts
britanniques, à une prometteuse 49ème
place des ventes d’albums. Malgré leur engagement politique et
leur musique sans concession, une partie du public Rock a su leur
reconnaître une vraie légitimité, sans aucun doute due à leur
grande cohésion et au brio instrumental de Paul Rudolph. Ce dernier
partira malheureusement du groupe à la fin de l’année 1972 pour
travailler avec Brian Eno, puis assurer le poste de bassiste au sein
d’Hawkwind en remplacement de Lemmy Kilmister, débarqué en 1975
en pleine tournée au Canada. Parallèlement, Rudolph va entamer une
carrière de coureur cycliste et deviendra… champion de VTT. Il
sera remplacé au sein des Pink Fairies par Larry Wallis. Le disque
qui suivra, Pigs
Of Oblivion,
sera de grande qualité, plus nettement Punk, mais n’aura pas la
puissance émotionnelle du Blues de son prédécesseur, à jamais
imprimer sur ce second album. What A Bunch Of Sweeties.
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4 commentaires:
Je ne l'avais jamais écouté... belle erreur, j'avoue que je m'étais arrêté à ce premier album que j'avais trouvé un peu fade... ceci dit je l'avais écouté en même temps que je découvrais le monde de The deviants qui était assez corrosif, mordant, ,... et je ne sais pas si ils ont un lien, mais écouter les pink faires m'a donné une furieuse envie d'écouter Stray...peut être ce quartier de londres auquel tu fais allusion avec Edgar broughton...
C'est effectivement l'univers d'un Rock dur et sans concession, à la fois dans le psychédélisme, une forme de prog et surtout, surtout, le Blues anglais.
Stray est un peu moins psychédélique, ils ont la même démarche que les Groundhogs. Tu trouveras dans ces pages deux articles sur Stray d'ailleurs.
Le quartet de Del Bromham est très injustement sous-estimé.
Oui je les avais lu justement, c'est comme ça que j'ai pu découvrir Stray!Et oui il est très injustement sous-estimé, le premier album a tout pour concurrencer les grande têtes d'affiches... Après je crois vraiment que ce n'est pas la popularité ou la reconnaissance qui doivent être à l'origine de l'élan musical... ni le concept d'ailleurs... Si par contre tu pouvais m'en dire un peu plus sur le quartier londonien de Ladbroke Grove????
Le quartier de Ladbroke Grove doit son nom à la station de métro situé juste à côté. Notting Hill dans lequel il est inclus, se trouve entre Ladbroke et Portobello, d'où le fameux "Portobello Shuffle".
A la fin des années 60, c'est un quartier du Nord-Ouest de Londres, situé juste à côté du Greater London (l'hyper centre ville), et desservi par une ligne de métro directe pour y aller. Ladbroke Grove est un quartier triste et sinistré, où se croisent dealers et émigrés sans papiers. l'avantage sont les bâtisses industrieuses aux loyers très faibles, qui permettent aux groupes de Rock de trouver un local de répétition, tout en ayant de l'herbe à disposition pas très loin. De très nombreux groupes vont y poser leurs valises, et vont former une communauté psychédélique très ancrée à gauche politiquement. Les premiers sont les Pretty Things, Tomorrow, et Hawkwind en 1969. L'écrivain de science-fiction Michael Moorcock y a également élu domicile, ce qui le rapprochera d'Hawkwind, même si il supportera parfois difficilement de se faire réveiller en pleine nuit par les musiciens raides défoncés en quête de clopes ou de nourriture.
Le journaliste Mick Farren y pose ses valises, et participe à la fondation du journal alternatif International Times. Il fondera également là ses Deviants, qui deviendront par la suite Pink Fairies. Les derniers groupes à s'y développer furent les Clash et Motorhead.
Le quartier fut par la suite réhabilité du fait de sa mauvaise réputation à proximité du centre de Londres, ce qui pose problème à toute la frange politique de droite qui y voit d'un très mauvais oeil tout cela. La réhabilitation se fera sous Thatcher, et depuis Notting Hill est davantage connu aujourd'hui pour être un quartier gentiment bohème pour comédie romantique.
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