"Le
Humble Pie de 1981 conserve donc de la teigne, mais ne cherche pas à
être le plus Heavy des groupes de Rock, pari de toute façon perdu
face à Iron Maiden, Saxon, ou Motorhead."
HUMBLE
PIE : Go
For The Throat
1981
Ce
sera le dernier. Il n’y en aura plus d’autre, de disque d’Humble
Pie avec Steve Marriott. Ses anciens comparses se réuniront une
dernière fois en 2001 pour un ultime disque sous le nom d’Humble
Pie, Back
On Tracks,
sans intérêt, parce que ne disposant pas de son irremplaçable
chanteur-leader. Humble Pie disparaîtra quelques mois plus tard
pendant l’année 1981, une seconde et dernière fois.
Humble
Pie, quatuor fondé par les chanteur-guitaristes Peter Frampton et
Steve Marriott en 1968, se dissout une première fois en mars 1975.
Frampton était parti en 1971, laissant Marriott seul aux commandes.
Ce dernier va emmener le groupe vers un Hard-Rock fortement teinté
de Blues et de Soul, que l’on pourrait qualifier de Heavy
Rythm’N’Blues. Mais la coloration de plus en plus Soul et de
moins en moins Hard perturbe la maison de disques A&M, qui
considère que le succès d’Humble Pie est avant tout dû à son
étiquette Hard’N’Heavy. Marriott sut jongler habilement entre
ses envies de musique noire et la musique Heavy qu’il affectionne
également pour son agressivité brute. Néanmoins, lorsqu’il
s’enferme dans son propre studio avec Humble Pie fin 1974, c’est
pour enregistrer un vrai disque de Blues et de Soul, loin de toutes
contingences commerciales à venir. Le résultat est rejeté par la
maison de disques, qui force le groupe à retourner en studio
« enregistrer un vrai disque d’Humble Pie ». Furieux,
désabusé, Steve Marriott et ses comparses enregistrent à la
va-vite un nouveau disque, Street
Rats,
dont la moitié des compositions sont des reprises et sont
interprétées par le bassiste Greg Ridley. Une ultime tournée
américaine en guise d’adieu se tient début 1975, puis le chanteur
se lance dans une carrière solo. Un unique album est publié,
Marriott,
en 1976, à la musique écartelée entre influences américaines et
anglaises. L’album recycle une partie du matériel abandonné par
Humble Pie, et fait un petit bout de chemin modeste dans les
classements américains et britanniques.
Steve
Marriott vit à ce
moment-là une période
difficile . La fin d'Humble Pie fut précipitée par d'autres
paramètres que
musicaux. D'abord, la
consommation galopante de cocaïne et d'alcool fait perdre aux
musiciens le sens des réalités. Marriott commence à souffrir de
signes de schizophrénie, et son mariage n'en réchappe pas. D'autre
part, le groupe est ruiné. Dee Anthony a semble-t-il siphonné
l'argent pour soutenir la carrière de Peter Frampton, son autre
poulain. Lorsque Marriott réclame son dû, il se retrouve face à
des parrains de la mafia sicilienne à New York, amis d'Anthony, qui
lui explique qu'il n'aura pas un sou, et que si il insiste, il
connaîtra une fin funeste. Terrorisé, il se tait, et survit en
volant des légumes dans un champ voisin à sa maison.
En
1977, le Punk débarque, et théoriquement, Marriott fait partie de
ces vieux dinosaures du Rock anglais des années 60 à jeter aux
orties. Pourtant, les Punks respectent profondément les groupes
Mods, influences majeures du genre, et parmi eux, les Who et les
Small Faces, première formation 60’s de Marriott. Il est même
invité à chanter sur « Daddy Rolling Stone » sur le
premier album solo du guitariste Johnny Thunders, en 1978. Voyant ce
regain d’intérêt pour son ancien groupe, il reforme les Small
Faces sans Ronnie Lane en 1977 et 1978, et tentent de raviver la
flamme des années 60. Cette tentative fait long feu, et c’est
désormais vers son cher Humble Pie que Marriott se tourne lorsqu’il
recroise la route du batteur Jerry Shirley.
Ce
dernier joue dans une formation avec plusieurs anciens musiciens de
Badfinger, du nom de Magnet, qui a publié un disque en 1979. Le
groupe survit péniblement, et Shirley se retrouve rapidement seul
aux commandes de son groupe inconnu. Il tente de reformer un nouveau
Magnet, et pour cela, auditionne des musiciens, dont un bassiste noir
américain, un certain Anthony « Sooty » Jones. Lorsque
Marriott réapparaît avec sous le bras le projet de remettre sur la
route Humble Pie, Shirley accepte volontiers. Les autres anciens sont
rappelés, mais refusent : Greg Ridley vit tranquillement en
Espagne, et Clem Clempson vient d’intégrer le groupe de Jack
Bruce. Le nouveau bassiste est rapidement trouvé en la personne
d’Anthony Jones. Un second guitariste-chanteur serait nécessaire,
et une évidence se dessine : Bobby Tench. L’homme a chanté
dans le second Jeff Beck Group, et a tenu la guitare dans les
Streetwalkers de Michael Chapman, excellent quintet de Blues-Rock
teinté de Soul. Il est disponible, il est aussitôt appelé à la
rescousse. Le nouveau Humble Pie est prêt à mordre. Comme si un
vent de chance semblait souffler, le groupe signe chez Atco, filiale
d’Atlantic, et label d’AC/DC et Blackfoot, notamment. Un premier
simple, « Fool For A Pretty Face », est envoyé en
éclaireur début 1980… et accroche le Top 100 américain. Le
trente-trois tours qui suit, On
To Victory,
atteint la 60ème
place des charts américains. Fort de cette belle performance pour un
groupe que l’on n’attendait plus au milieu de Journey, Boston,
Heart, et Foreigner, le quatuor part sur la route avec Mahogany Rush,
Angel et Mother’s Finest pour une tournée appelée Rock’N’Roll
Marathon. Le succès est là, Humble Pie reste une impressionnante
machine à Heavy-Rock Blues, prenant la scène d’assaut, le couteau
entre les dents. Marriott, requinqué par cet inattendu regain
d’intérêt pour sa musique, veut rapidement enregistrer un nouveau
disque.
On
To Victory
est un bon disque, nerveux, et doté de très bonnes compositions
comme d’excellentes reprises. Ceci étant, Humble Pie Mark III
avait appréhendé sa musique de manière assez variée, faisant
jaillir la Soul et même le Reggae, avec l’apport d’orgue
Hammond, de piano, et de chœurs féminins rappelant la belle époque
des Blackberries. Par certains aspects, et connaissant le tempérament
de Steve Marriott, ce nouvel album semblait un peu terne et
mollasson. On attendait de lui un disque explosif, vengeur. Il
préféra dans un premier temps faire la démonstration de toutes les
facettes de sa musique, dont celles qu’il eut bien du mal à
imposer juste avant la première séparation d’Humble Pie en 1975.
Avec On
To Victory,
le ton est donné, Humble Pie joue du Hard-Blues, mais ne s’interdit
rien en termes d’influences noires américaines, à partir du
moment où cela leur plaît. Avec Go
For The Throat,
Steve Marriott décide de revenir plus proche de l’os, et de jouer
une musique plus resserrée, Heavy Rythm’N’Blues.
L’enregistrement sera assuré par les quatre musiciens, et personne
d’autre. Quelques notes d’orgue Hammond, quelques chœurs, mais
l’essentiel est de se recentrer sur une musique plus Rock, plus
mordante. La production reste dans la même tonalité, à savoir une
prise de son sans fioriture, mais avec un mixage plutôt policé, pas
trop violent, afin de séduire les radios potentielles. Ainsi, on ne
retrouve pas la furie d’un Smokin,
ni celle du nouveau Heavy-Metal emmené par Judas Priest, Motorhead
et Iron Maiden. Néanmoins, Steve Marriott sait que l’air du temps
change, et que pour son plus grand bonheur, il souffle dans le sens
d’un retour au Hard-Rock et au Heavy-Metal. Il va donc réinjecter
de la hargne à sa musique afin de séduire les gamins, y compris
américains, qui commencent à craquer pour ce nouveau Heavy-Metal,
et sont déjà fans d’un Hard-Rock un peu plus mélodique, celui de
Ted Nugent, Blue Oyster Cult, Journey, ou Pat Travers. Go
For The Throat
est donc un compromis, qui louche néanmoins davantage du côté
américain pour la prise de son, continent toujours adepte de la
musique d’Humble Pie.
Marriott,
Shirley, Jones et Tench vont sélectionner de nouvelles compositions,
et des reprises, selon la formule inoxydable des albums du Pie.
Preuve flagrante d’un durcissement musical certain, le morceau
d’ouverture, une reprise du « All Shook Up » d’Elvis
Presley, est un méchant uppercut de Hard-Blues teigneux. Totalement
Humble Pie dans son approche, il n’est pas sans rappelé également
le Whitesnake de David Coverdale, qui a ce moment pratique un
Hard-Blues des plus savoureux, et qui connaît un grand succès en
Grande-Bretagne et en Allemagne. Marriott hurle comme un possédé,
sa voix s’est éraillée depuis la première moitié des années
70, mais garde toute sa puissance. Tench aiguise de vicieux chorus
Blues et la rythmique Shirley-Jones blinde les arrière-gardes.
« Teenage
Anxiety » est une belle chanson, à la mélodie imparable,
tendre, mais au tempo relevé, qui rappelle les belles heures des
Small Faces. On oublie parfois que Marriott ne fut pas qu’un
hurleur de Blues et un showman teigneux, il fut aussi un exceptionnel
compositeur de Rock anglais, avec les Small Faces, dont les chansons
font partie du patrimoine au même titre que celles des Beatles, des
Who, des Kinks et des Rolling Stones. D’ailleurs, Humble Pie
reprend un de ces hymnes : « Tin Soldier ». Si cette
version n’apporte rien à l’originale de 1966, elle a le mérite
de ne pas la défigurer sous un couvert Hard-Metal. Elle conserve son
nerf, sa tension, et ses beaux arpèges de guitares. Le son du groupe
n’est pas sans rappeler celui des Streetwalkers. Le groupe avait
une réputation flatteuse chez tous les lads qui aimaient Status Quo
et les Faces, ce Blues-Rock rugueux et bravache, qui ne bénéficiait
pas de l’enthousiasme de la presse, mais celui d’un public
ouvrier friand de Blues-Rock poisseux. Les Streetwalkers n’étaient
pas un groupe spécialement Hard, mais ils étaient mordants,
urbains. Une sorte de quintet de Punks avant l’heure au moment du
Punk, un groupe totalement décalé en somme, mais qui sut trouver
son public. Marriott était de la même école, et Bobby Tench aussi,
assurément, lui qui tint la guitare auprès des Walkers durant toute
leur existence.
Le
Humble Pie de 1981 conserve donc de la teigne, mais ne cherche pas à
être le plus Heavy des groupes de Rock, pari de toute façon perdu
face à Iron Maiden, Saxon, ou Motorhead. Steve Marriott voulut
recréer un peu de la magie des Streetwalkers en y injectant son
amour inconditionnel de la Soul, et sa hargne personnelle, celle qui
anima depuis toujours Humble Pie. Ce dernier, nouvelle version, est
donc un aéropage curieux, bloqué entre deux velléités, celle de
faire un Blues-Rock poisseux et prolétaire, et celle d’aller faire
la nique à la nouvelle génération du Heavy-Metal, sans grands
espoirs toutefois. « Keep It On A Island » rappelle
fortement la maestria des Streetwalkers, avec ce mélange de Blues et
de Soul teinté de Rock, à la mélodie toujours imparable.
« Driver » vient par contre rappeler que Humble Pie était
avant tout un groupe de Heavy-Blues saignant. S’inspirant de loin
de « La Grange » de ZZ Top, Marriott fait fumer
l’harmonica, les guitares sont rageuses, Shirley tape comme un
sourd sur ses caisses. La production propre stoppe toutefois cette
approche plus métallique, limitant l’impact agressif. Toutefois,
cet excellent titre est une démonstration de la belle vitalité du
Humble Pie de 1981.
Elle
est encore plus flagrante sur l’excellente chanson « Restless
Blood ». Elle n’est pourtant pas du quartet, mais de Richie
Supa, également pourvoyeur de chansons pour Aerosmith à la fin des
années 70. Il signe également l’ultime morceau de ce disque :
« Chip Away (The Stone) », déjà enregistré par …
Aerosmith. On distingue bien clairement les contours d’Humble Pie
en 1981 : du fil à retordre, du Rock saignant, mais toujours du
feeling Blues’n’Soul, une approche très adulte de ce type de
Hard-Blues, sans excès particulier. Marriott ne veut plus hurler le
plus fort, et son groupe coller des beignes à toute la terre. La
petite équipe a connu les hauts et les bas du Rock business, le bon
temps des tournées à succès, et les ingratitudes des maisons de
disque. En 1981, les musiciens d’Humble Pie sont des has-beens
complets. Plus personne n’attend plus rien d’eux. A à peine
trente ans, on ne parle d’eux qu’au passé, on les invite à
participer à des sessions avec le respect dû aux vieilles gloires.
L’amertume du temps qui passe se ressent sur « Go For The
Throat » et « Lottie And The Charcoal Queen », deux
morceaux middle of the road un peu blasés mais pourtant parfaitement
touchants. Sur le second, Marriott pousse un peu ses cordes vocales
accompagnées de choristes Soul, comme en 1973, comme au bon vieux
temps. Il sort même son piano électrique, comme en 1970.
Mais
comme Steve Marriott n’est pas du genre à se laisser aller à la
nostalgie, ni à se laisser enterrer trop facilement, « Chip
Away (The Stone) » vient revigorer l’ambiance. Bobby Tench
chorusse subtilement, pendant que Marriott bétonne un riff d’égoût
comme il sait si bien le faire, presque Punk. Les Soul Sisters aux
chœurs sont à nouveau là pour soutenir le refrain, ainsi que
l’orgue Hammond que Marriott viole comme un allumé. Ce dernier
morceau retrouve le feeling saignant de « All Shook Up »
inaugurant le disque.
L’écoute
de ce trente-trois tours est, avec une écoute sans à-priori,
totalement réjouissant. Il permit à Humble Pie de rejoindre une
tournée américaine en compagnie de Judas Priest et Iron Maiden,
rien de moins. Malheureusement, après quelques concerts, Steve
Marriott s’écroule sur scène, victime d’une hépathite sévère,
résultat d’une consommation galopante de brandy. Marriott promet à
ses camarades de se remettre rapidement pour poursuivre la tournée,
mais les médecins ne sont pas de cet avis. Humble Pie se dissout au
bord du lit d’hôpital de Steve, contraint à l’évidence que le
chanteur aura besoin d’une longue convalescence. Il ne remontera
sur scène qu’en 1983. Jerry Shirley deviendra peintre en
décoration avant d’être récupéré par Fast Eddie Clarke, en
rupture de Motorhead, pour fonder Fastway.
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1 commentaire:
Il y a de la matière dans ce disque, cependant, à mon sens, il est terni par une production qui cherche trop à coller au son de groupes US vendeurs. Notamment au niveau de la guitare. Ce qui lui fait perdre de la personnalité, le noyant plus ou moins dans le marché américain d'alors.
Peut-être que si je l'avais écouté en 1981 je n'aurais pas pensé ça (à l'époque).
Ça reste un disque intéressant, au dessus de pas mal de truc à succès de l'époque.
(j'aime bien "Street Rats")
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