lundi 9 mai 2016

CHICKEN SHACK 1975

 "Ce qu’apporte cet enregistrement de 1975 est lui aussi essentiel."
CHICKEN SHACK : Live In Germany ’75 2015

 Voici une nouveauté qui parut bien inaperçue en fin d’année dernière. Qui s’intéresse encore à Chicken Shack aujourd’hui, et à son leader, Stan Webb ? Pas grand monde visiblement, puisque cet enregistrement n’est disponible que via le site internet de Bob Daisley, qui tenait la basse à ce moment-là, et qui disposait de la bande. L’homme trouvait alors la qualité des concerts donnés par cette mouture de Chicken Shack tellement exceptionnelle qu’il entreprit de capter l’une de leurs prestations en tête d’affiche en Allemagne afin de conserver un témoignage, juste pour lui. Il se décida finalement à le publier, avec l’accord de Webb, et l’envoie par courrier à l’acheteur, dédicacé. Sympathique attention de la part d’un bassiste qui joua aux côtés du Rainbow de Ritchie Blackmore, de Uriah Heep ou d’Ozzy Osbourne.

En 1972, Daisley l’australien débarqua en Grande-Bretagne pour rejoindre son groupe, Kahvas Jute, parti quelques mois auparavant tenter leur chance à Londres. Le quatuor se disloque, et Daisley décroche le poste de bassiste de Chicken Shack pour la tournée qui suit l’excellent album Imagination Lady. Le trio composé de Webb, Daisley et Paul Hancox à la batterie carbure à plein régime, et fait le bonheur des salles des universités anglaises, ainsi que celles d’Allemagne et de Hollande ou le Shack obtient un succès aussi conséquent qu’inattendu. Daisley participe au disque suivant, Unlucky Boy, avant de partir rejoindre Mungo Jerry, alors bien plus populaire que Chicken Shack dans les classements britanniques. Pendant ce temps-là, Stan Webb dissout Chicken Shack début 1974 pour rejoindre un supergroupe comptant en ses rangs Kim Simmonds de Savoy Brown et Miller Anderson du Keef Hartley Band. Sur les conseils du manager de la nouvelle équipe, le propre frère de Simmonds, le groupe redevient Savoy Brown, nom alors populaire aux Etats-Unis. Simmonds en devient donc le leader de fait, ce qui ne plaît guère à un Stan Webb qui voyait plutôt le projet comme un groupe avec trois musiciens collaborant à égalité. Le disque Boogie Brothers paraît en 1974, et Webb s’y montre en retrait. Il ne le sera par contre pas sur scène, où son talent de showman exceptionnel va reprendre le dessus. Les tensions inhérentes à toutes ces frustrations aboutissent à la mort de ce Savoy Brown, et Webb retourne à son Chicken Shack l’année suivante. Il retrouve Bob Daisley, et les deux recrutent Robbie Blunt, ex-Bronco et Silverhead, à la guitare, et Bob Clouter, ex-Legend avec Pete Jupp, à la batterie. Ils obtiennent la première partie de la tournée européenne de Deep Purple, et font une série de concert en tête d’affiche en Allemagne en mars 1975.

Chicken Shack est totalement en perte de vitesse depuis des années vis-à-vis de la scène musicale de l’époque. Dominé par le Hard, le Progressif, le Jazz-Rock et le Glam, le Blues-Rock de Stan Webb n’a pas grand-chose à apporter de nouveau. Mais l’homme n’a de toute façon jamais été en tête de file d’aucun mouvement. Même lorsqu’il apparaît au grand jour avec Chicken Shack en 1967 sur la scène du British Blues-Boom, il ne sera qu’un second couteau talentueux à l’ombre des Bluesbreakers de John Mayall, et du Fleetwood Mac de Peter Green. Et lorsque le mouvement accouche de Cream, Jimi Hendrix Experience, puis Led Zeppelin, Stan Webb et Chicken Shack sont de l’arrière-garde. Excellent chanteur, guitariste brillant et inspiré, compositeur doué, Stan Webb ne se révèlera qu’une fois la première mouture du Shack dissoute et le label Blue Horizon quitté. A partir de ce moment précis, la musique de Webb va devenir capitale. Il va y exprimer tout son talent, mais dans une semi-obscurité, car maintenant le cap d’un Heavy-Rock très fortement teinté de Blues. Les albums Imagination Lady, Unlucky Boy et Go Live paru entre 1972 et 1974 en sont les preuves flagrantes. Les compositions originales sont fortes, et les réarrangements de vieux classiques de Blues, brillants, comme cette version magistrale de « The Thrill Is Gone » de BB King sur le disque en concert Go Live. Stan Webb est un musicien essentiel, à l’empreinte unique, mais à l’image à jamais ancrée dans le British-Blues Boom de la fin des années 60.

Ce qu’apporte cet enregistrement de 1975 est lui aussi essentiel. Il est la démonstration flagrante de ce talent exceptionnel, d’autant plus qu’il est entouré d’un excellent groupe, totalement dévoué à sa cause, et relançant leur leader dans ses improvisations pour lui permettre de tutoyer des cimes d’inspiration rares. La qualité sonore est excellente pour un enregistrement capté sur une console de mixage. Rugueux, électrique, tous les instruments sont parfaitement audibles et équilibrés. Chicken Shack développe sur ce set plusieurs reprises de Blues et de Rock’N’Roll, ainsi que plusieurs originaux, dont deux pièces du majestueux et fulgurant Imagination Lady, dont un « Poor Boy » de vingt minutes aux atours plutôt Funk.

Le spectacle commence par un morceau de Willie Dixon, « Homework ». Sujet à multiples rebondissements. Il est gorgé d’électricité ravageuse, et d’un groove puissant. Stan Webb développe au bout d’à peine une minute un premier chorus de toute beauté, court, serré et précis, mordant la chair de l’amateur de sensations soniques au plus profond. Stan Webb aimait jouer cette musique, profondément. Il aimait interpréter ses propres morceaux, improviser, jammer sur de vieux classiques de Rock’N’Roll et de Blues, pour un public populaire, souvent ouvrier, aussi amateur de Status Quo et de Humble Pie. Il aimait ces ambiances de clubs et de petites salles teintées de jean délavé, sentant la cigarette, et la bière. Webb joue pour le prolétaire, pas pour le branché qui de toute façon, ne l’aime pas, ni lui, ni sa musique monolithique. Ce sera la même critique pour Status Quo, puis Motorhead et AC/DC. Pas de concept-album, de synthétiseur, de maquillage ou de paillettes, juste du bon vieux Blues gorgé de Rock anglais. Rien de novateur en somme, mais comme Rory Gallagher, Stan Webb le faisait avec un tel talent et une sincérité telle qu’il en faisait une musique exceptionnelle. Sur « Homework », il transperce le vieux classique de wah-wah gargouillante, poussé par une section rythmique impeccable, souple, relançant sans cesse le guitariste pour le pousser dans ses retranchements. Blunt est un second guitariste parfait, épaulant Webb, faisant le contrepoint permanent pour permettre à ce dernier de broder encore et encore, sans retenue.

« Have You Ever Loved A Woman » est un autre grand classique du Blues. Chicken Shack imprime un mid-tempo collant, moite, sur lequel Webb enlumine le thème de petits chorus liquide. Il y chante merveilleusement bien, sa voix que l’on jugea coassante à la fin des années 60 a gagné en ampleur, et se fêle parfois, donnant un peu plus d’émotion à un thème déjà saisissant d’amertume. Clouter et Daisley accentuent parfois le tempo, épaississant le climat pour permettre à Webb de déclencher de grands orages de notes dégringolantes, rappelant le brio d’un Jimmy Page sur le premier disque de Led Zeppelin. Webb y imprime ses trémolos si caractéristiques, qui donnent un surplus d’émotion à chacun de ses chorus. « I’m Tore Down » est une nouvelle reprise de Blues, au tempo nettement plus Boogie. Blunt a saisi son bottleneck. Il va faire jeu égal avec Webb en termes de chorus. C’est une nouveauté, car jamais le leader de Chicken Shack n’a partagé les solos avec un autre guitariste au sein de son propre groupe. Mais la complicité entre lui et Blunt est forte, et leur collaboration se poursuivra jusqu’en 1980, date à laquelle il quittera le Shack pour rejoindre le groupe solo de Robert Plant. Ce nouveau morceau est une réussite, les deux hommes se complétant à merveille, entre slide et chorus gorgés de wah-wah.

Preuve de cette complicité entre les deux musiciens, ils vont interpréter deux compositions de leur cru : « Rain On My Window Pane » et « Delilah ». La première est un Blues au climat mélancolique mais détendu, presque country, interprétée sans section rythmique. Il est pour moi le point faible de ce disque, le thème ne décollant jamais vraiment, mais il est une respiration sympathique dans le maelström de Blues-Rock ravageur délivré depuis le début du set. La seconde, « Delilah » est un Heavy-Rock nerveux, tendu, s’éloignant des terres du Blues pour une structure mélodique plus classique, mais furieusement efficace. Webb était un grand compositeur d’excellentes chansons Rock, comme il le prouvera notamment avec son projet suivant, Broken Glass. « Delilah » est un excellent morceau, brillant, aux riffs accrocheurs. Chicken Shack joue en rangs serrés, et dessine ce qu’aurait pu être l’album studio potentielle de cette formation.

L’album Imagination Lady de 1972, ayant été un grand succès populaire en Allemagne, il était impossible pour Chicken Shack de ne pas en jouer l’un de ses grands sommets : « Poor Boy ». C’est une version prolongée qui est proposée. Le thème original était très Heavy-Blues, abrupt, noir et amer. Webb décide d’en proposer une version plus Funk, plus élastique. Les guitares rugissent toujours, mais Bob Clouter et Bob Daisley lui impriment un groove plus épais, et la guitare rythmique de Robbie Blunt colle des accords funky teintés de wah-wah. Sur ce swing imparable, Webb joue avec la rythmique de Blunt, doublant ses lignes, avant de décocher des chorus pointillistes gloussant de wah-wah poisseuse. Les quatre dessinent peu à peu un paysage vaporeux, hanté, plein de mélancolie contenue et de solitude. Quelques notes imbibées de wah-wah disparaissent peu à peu dans l’air avant que le thème ne redémarre, et que l’électricité explose à nouveau.

Robbie Blunt sort à nouveau son bottleneck pour l’amer Blues « Crying Again », un thème original du nouveau quartet. Webb poinçonne d’âpres chorus de guitare, poussé par ses comparses, totalement en embuscade. Les quatre musiciens font monter l’émotion comme les larmes un triste soir de pluie. Ils s’y entendent ces gaillards, pour jouer le Blues. S’enchaîne une reprise de l’antédiluvien « Dust My Broom » de Elmore James. Une reprise rugueuse, grondante, et sur laquelle traîne la voix narquoise de Webb. Blunt est un brillant soliste à la slide, un sacré lieutenant pour Stan The Man, qui lui laisse tout le champ pour s’exprimer, avant de décocher ses chorus furibards.

L’album se clôt par une fantastique version de « I’m Going Down » de Don Nix. L’orage gronde tout au long de la chanson, vrombissant sous le riff tendu. Stan Webb dévale des cascades de notes furieuses sur le solo avant de calmer le climat pour jouer avec le public, ponctuant son propos de quelques coups de Les Paul Gibson. Puis il se lance dans un solo, sur lequel Blunt lui répond, et les deux hommes échangent plusieurs minutes. Puis le son s’éteint progressivement sur ce dialogue musical. On aurait désiré en entendre plus, mais comme l’explique Bob Daisley, la bande s’arrête brutalement quelques secondes plus tard, trop courte pour capter la totalité du concert. Qu’importe, ce concert est brillant, et éclaire d’un jour nouveau la musique de Stan Webb. Cette incarnation de Chicken Shack avait énormément à offrir. Cette bande permet d’en apprécier toute la dimension. Webb et Blunt poursuivront leur collaboration au sein de Broken Glass, dont l’unique album solo sera un nouveau sommet de la carrière du guitariste anglais. Par son Blues-Rock sans concession et hors des modes, il ouvrira la voie au Pub-Rock. Il manquait à sa discographie un grand disque en public témoignant de cette époque aussi mouvementée que riche, cet album est cette pierre angulaire.

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