"Je
suis resté un gosse émerveillé. "
OCEAN :
Océan 1981
Paris,
13ème arrondissement. Cette journée est décidément étrange. Le
ciel est gris et pluvieux sur la capitale, la Seine commence à
prendre ses aises dans la proche banlieue. Personnellement, je ne
suis pas venu pour cela. La journée est marquée par deux
rencontres : le matin avec le guitare-héros des Variations,
Marc Tobaly, l'après-midi avec celui d'Océan, Georges Bodossian.
Ces rencontres, je ne les aurais jamais imaginé une seule seconde il
y a dix ans. Amateur fou de musique Rock depuis mon enfance, dévorant
des disques depuis trente ans, les musiciens étaient pour moi des
gens inestimables. Il avaient réussi à mettre en musique un peu de
mon âme, sans me connaître, et pour cela, je leur devais une
reconnaissance et une admiration absolue. Nous étions connectés
mentalement par ce lien fabuleux : le Rock.
Malgré
ce que j'ai pu lire, ces remarques qui minimisent l'importance des
personnages, et les commentaires des amis et des collègues de bureau
qui ne partagent absolument pas votre enthousiasme, répondant par un
laconique : «i ça ? » n'ont aucun effet. Je
suis resté un gosse émerveillé. Donc aujourd'hui, dans ce café,
je vais rencontrer pour la première fois Georges Bodossian. J'arrive
plutôt confiant, car Marc Tobaly m'avait mis à l'aise le matin
après plusieurs heures de rencontres depuis un an, m'appelant « mon
ami Julien », ce qui était pour moi un immense honneur.
Pourtant, saluer Georges Bodossian m'impressionne. Nous devisons
autour d'un café, nous évoquons la carrière d'Océan, les rapports
avec la presse, et puis un projet que nous avons jeté ensemble sur
la table, chacun alimentant avec gourmandise ce qui pourrait être un
formidable ouvrage.
J'ai
du mal à réaliser que le mec en face de moi fut le guitariste
d'Océan. C'est quelque chose d'assez fou de se retrouver en face de
celui qui fut à l'origine de beaucoup d'émotions musicales. Il y a
toujours quelque chose de l'adoration de la Rock Star, comme si
Georges Bodossian était l'équivalent de Jimmy Page. Pour beaucoup
de « spécialistes », un ricanement balayait le doute,
pour moi, il n'était pas si évident. Certes, Océan ne fut pas Led
Zeppelin, mais cela n'avait aucune importance. J'aime Jimmy Page et
Led Zeppelin pour la force émotionnelle que sa musique véhicule, il
en est de même pour Océan. Les chiffres de ventes n'interfèrent
pas dans mon appréciation d'un groupe. Par contre, cela me permet de
rencontrer fort modestement des musiciens que j'admire sincèrement,
leur serrer la main, discuter, et pourquoi pas, travailler ensemble,
mettre à leur disposition mon humble plume.
Il
me remet un exemplaire numéroté du dernier album d'Océan en double
vinyle que j'adore. Il semble que malgré trente ans de stand-by, et
la mort du formidable Robert Belmonte, Océan a repris vie comme si
de rien n'était, ignorant la mode et les poses, comme il l'a
toujours fait depuis ses débuts.
Georges
Bodossian monte Océan en 1974 en fagocitant deux groupes. Robert
Belmonte prend le chant, Noël Alberola la basse, et puis Bernard
Leroy est à la batterie. D'entrée, on sent la misère
intellectuelle de la France avec le Rock. Le premier album paraît en
octobre 1977 sur le label Crypto. Ce dernier a été fondé à
Belfort par le groupe Ange, et accueille Little Bob Story et
Ganafoul. Ceux qui n'ont jamais écouté le premier album d'Océan
résument le disque à un mélange de Led Zeppelin et King Crimson.
C'est intéressant mais c'est finalement complètement con. C'est
avant tout l'explosion d'une culture musicale magistrale, du
Progressif au Jazz-Rock. Et l'ensemble est passé par la redoutable
guitare de Georges Bodossian. Cela devient quarante-cinq minutes de
Heavy-Metal Progressif gorgé de fureur, sans répit, qu'Océan
n'hésitera pas à jouer en entier sur ses premiers concerts, du Golf
Drouot à la province. C'est aussi le premier jalon inattendu d'un
groupe totalement novateur. En effet, alors que Océan ose la fusion
Hard-Rock et Progressif, en 1974, un trio canadien ose la même
audace : Rush. On retrouve bien des similitudes entre Rush et
Océan, les moyens en moins pour le second. Mais à l'heure où la
presse se demande « Punk ou pas Punk ? », Océan
est déjà tourné vers l'innovation électrique.
La
presse française ne sait quoi faire de ce quatuor. A l'heure du
Jazz-Rock et du Progressif, Océan est trop dur. C'est l'époque de
Magma, de Ange, de Malicorne, de Triangle, de Martin Circus…. Puis
le Punk éclaircit les rangs. Tout devient Punk : Bijou, Stinky
Toys, Taxi Girl, Marquis De Sade, Starshooter….mais pas Océan, qui
poursuit son voyage musical.
Le
Heavy-Metal arrive avec Trust. Ils sont la fusion du Punk et du
Heavy-Metal en 1978, et c'est exactement la même fusion qui alimente
la New Wave Of British Heavy-Metal. Certes, Diamond Head, Iron
Maiden, Saxon, Samson...sont des rois du Heavy-Metal, mais cela
manque de coffre. Océan est réduit à une mixture AC/DC-chanson
française de bien piètre valeur. Belmonte est comparé à
Balavoine, c'est facile et ça mange pas de pain.
En
fait, la presse musicale n'a une fois encore rien compris à
l'énergie d'Océan. Sur tous leurs albums, ils transfigurent la
musique par l'électricité. Le premier album était progressif, mais
furieusement Heavy. En fait, le seul équivalent était canadien, et
s'appelait… Rush. Au même moment, un trio écumait le continent
Nord Américain avec sa mixture ultra-technique de Rock Progressif et
de Heavy-Metal. Bien sûr, Océan n'a pas les moyens de sortir un
album de la qualité d'un Rush au pays du camembert. Par contre,
Océan est capable de jouer avec l'électricité, et de réduire
l'image de connards fusionneurs de Led Zeppelin-King Crimson à
néant. God's Clown fut un disque ambitieux, profondément
électrique. Mais lorsque débarquent sur le marché du disque
Téléphone, Bijou, Starshooter, et Trust, Océan fait pâle figure
car le public français ne semble rien comprendre. Pourtant, ce
Heavy-Metal trop ambitieux qui ressemble beaucoup à Presence
de Led Zeppelin, ce Prog-Rock ultra-puissant et dépourvu de claviers
exalte pourtant le public de province.
Océan
ne peut que plier ou disparaître après sa signature avec Barclay.
Il n'en fera rien ou si peu. D'abord, Océan abandonne la langue
anglaise, qui semblait absurde en France, et se prête au jeu des
paroles en français. Océan chante désormais en français, sans
concession. Les analyses de la société de Belmonte sont cruelles.
Nous sommes donc en 1979, et Trust arrive, deux ans à peine
après Téléphone. Trust sera la synthèse du Punk et du Heavy-Metal,
celle-là même qui conduira à la NWOBHM : Iron Maiden, Saxon,
Samson….
Océan
va procéder à une mutation inattendue. D'abord, le second album
marque clairement ses influences de Queen, notamment sur le
majestueux « Menteur ». Mais déjà, quelques uppercuts
de métal lourd font leur apparition : le fantastique « Joue »
brille de mille feux. Mais surtout, Océan se cale inconsciemment
dans un courant musical qu'il ne soupçonne pas. En effet, si le Punk
a balayé les velléités de morceaux longs dotés de moult
improvisations, il n'a pas balayé la notion de mélodie. Dans
l'esprit de Led Zeppelin et de Sweet, Le groupe va se caler sur une
formule gagnante : une rythmique implacable, des riffs simples
et sans concession. Et puis la ligne vocale qui fait toute la saveur
du morceau. Led Zeppelin entama l'idée sur le II, puis se
prolongea avec Physical Graffiti et Presence :
« Kashmir », « The Rover », «Achille's Last
Stand »… Plusieurs groupes autour de la planète opte pour ce
Hard-Rock simple et sans concession, mais surtout mélodique :
Led Zeppelin donc, Status Quo ensuite avec son Boogie nerveux mais
toujours entraînant, et puis Y&T dès 1980. Il y aura ensuite
les vétérans de Budgie en 1981 avec le magnifique Nightflight,
Mechanix de UFO et
Before The Storm de Samson
en 1982, Slide It In
de Whitesnake et Siogo de Blackfoot en 1983, The Seventh
Star de Black Sabbath en 1985…..
Les
synthétiseurs sont des accompagnements très symboliques. Le but est
de créer un Hard-Rock puissant et expressif, porté par la ligne
vocale du chanteur. En ce sens, Océan est tout-à-fait dans le
mouvement, il en est même le parfait précurseur. L'approche très
mélodique de ce Hard-Rock va rapidement assimiler ces groupes au
Hard-FM de Foreigner, Journey et Boston, ce qui est une erreur
totale. En effet, il s'agit d'un Hard-Rock puissant, simple et
efficace, dont les riffs doivent autant à Black Sabbath qu'à AC/DC.
Mais l'approche plus accrocheuse les rend suspect.
Le
cas Océan est encore plus particulier. Certes, le groupe traîne
derrière lui sa réputation de formation Progressive, avec leurs
tenues de scènes blanches jusqu'en 1979. Le second album, bien que
plus Hard, reste audacieux musicalement, et sa très belle pochette
aquarium ne laisse pas transpirer la musique sauvage à plein nez.
Pourtant, Océan a aussi sa réputation scénique, et elle est en
béton. Le quatuor est une formation redoutable en concert, délivrant
une énergie formidable similaire à Trust, mais avec une cohésion
musicale d'un autre niveau. Ce n'est pas un hasard si Téléphone,
pourtant aguerri à la scène, refuse de passer derrière Océan. Les
deux groupes ont répété dans les mêmes locaux, ils ont même
jammé ensemble. Téléphone opta d'ailleurs pour la même politique
de la terre brûlée qu'Océan : jouer partout, en permanence,
et gifler le public, où que ce soit. Mais à ce jeu Océan était le
meilleur dès 1977. Trust mis deux ans à se mettre au point pour
organiser le même type de campagne scénique entre 1979 et 1980 pour
permettre à leurs deux premiers albums de briller dans les
classements nationaux. En ce sens, Trust permit au Rock de s'imposer
en termes de ventes après Téléphone, mais dans la catégorie
Hard-Rock revendicatif, une musique sans concession.
Océan
fut souvent considéré comme un groupe de « chansons
Hard-Rock », simplement parce que Robert Belmonte avait
quelques intonations similaires avec Daniel Balavoine. Mais la
comparaison s'arrêtait bien là. Car Belmonte était davantage de la
trempe de Robert Plant/ Freddie Mercury, avec un grain de voix
agressif caractéristique. Et ne parlons pas de ses textes. Car
Robert Belmonte, derrière sa petite carrure, ses épaules carrées,
sa belles gueule de chanteur de Hard-Rock , était en fait un sacré
parolier. Il était évidemment moins revendicatif que Bernie
Bonvoisin, moins violent verbalement.
Pourtant, les textes qu'il chantait ne manquaient pas de lucidité sur la vie. Il n'en était pas totalement l'auteur : ils étaient la signature de Jean-Marie Moreau pour l'essentiel et de Jean-Jacques Taulelle. Une des plus
belles réussites reste « Qu'on Me Laisse Le Temps » :
« Et ils appellent cela la vie. ». Sur une ligne
Hard-Blues, Belmonte raconte la vie qui l'entoure, les gens qui
courent, l'urgence permanente, déjà, en 1980. Il demande à pouvoir
apprécier la vie, regarder ce qui l'entoure, il refuse l'horloge. Ce
magnifique texte, simple, direct, résonne toujours avec une force
incroyable en 2018. Mais l'homme aimait aussi jouer avec les images,
avec les mots. « Joue » s'amusait avec la
science-fiction, « Les Yeux Fermés » portait une immense
introspection avec des paroles à double sens d'une rare beauté.
Lorsque
finalement Barclay envoie Océan aux Battery Studios à Londres. Le
groupe va enfin bénéficier du son dont ils rêvaient. Ils viennent
avec un look plus agressif : jean, blouson de cuir, baskets….
Ils viennent aussi avec huit chansons rodées sur la route et en
répétitions. Le groupe a incroyablement progressé au cours de sa
tournée française en première partie d'AC/DC, la dernière avec
Bon Scott. Ils ont perfectionné leur art de la scène, et ont adapté
leurs tenues à leur musique. Finies les fringues blanches. Georges
Bodossian va opter pour la combinaison d'aviateur kaki, et va même
raser sa moustache seventies. Les autres optent pour l'uniforme
jeans-cuir noir.
Lorsque
sort le troisième album éponyme d'Océan, la superbe photo de
couverture ne laisse aucune hésitation. Océan est un vrai groupe de
Hard-Rock sans concession. C'est que chez Barclay, Océan n'est pas
une formation de seconde zone. Alors que la plupart des groupes
vendeurs plafonnent à 20000 ou 30000 exemplaires, Océan est plutôt
du côté des 80000. Le quatuor va d'ailleurs avoir l'honneur
d'assurer la première partie de la tournée française d'AC/DC en
1980, puis d'Iron Maiden en 1981, en concurrence avec Trust.
Pourtant, Barclay fera de belles erreurs : lors de la captation
des quatre titres pour la face Live de l'album Live A+B,
le label semblerait n'avoir
enregistré que les quatre titres concernés, et pas le reste…. Sur
les tournées avec AC/DC et Iron Maiden, aucun photographe
professionnel ne sera missionné pour couvrir les deux événements.
Ces erreurs minables, Océan
en paiera le prix. Barclay, label censé être professionnel, n'est
pas foutu de s'occuper du groupe mieux qu'une vieille star des
Yé-yés. Océan s'avouera
vaincu. Pourtant, le groupe ressuscitera l'énergie sans compromis.
tous droits réservés
4 commentaires:
Ce disque - le 3ème - est une tuerie. Un grand classique du Hard-rock.
T'as rencontré Bodossian et Tobaly ? Super. Ces gars là doivent avoir des tas de choses à raconter.
Je plaide coupable pour la mention "King Crimson - Led Zeppelin", même si j'ai tenu à spécifier également Yes (pré-Howe). D'ailleurs, Bodossian lui-même mentionne ces deux formations, lorsque l'on lui demande les influences du groupe dans les années 80.
Cependant, évidemment, cela ne signifie pas pour autant que la musique de "God's Clown" ne soit qu'un mélange de ses deux groupes mythiques (Ce qui serait déjà énorme). C'est avant tout une direction, qui pour l'époque, pouvait être assez novatrice. Deux références pour aiguiller.
J'avais mentionné T2, Budgie, Patto et Dillinger comme groupes effectuant la même démarche, empruntant le même chemin. Bien que chacun ait des différences bien notables. Et surtout, une forte personnalité.
Salut Bruno,
Oui je les ai rencontré, et ils ont des choses à dire. Pour Tobaly, ce sera sur papier très bientôt, pour Georges, c'est en réflexion.
Concernant l'approche du premier album d'Océan, Bodossian revendique Led Zeppelin et King Crimson effectivement, ainsi que la scène Jazz-Rock de l'époque. Pour l'approche musicale, Patto est une bonne référence, le groupe qui s'en rapproche le plus dans la démarche.
Il y a toute une relecture à faire sur les groupes de Rock en France. Beaucoup ont été mal jugés, mal analysés par rapport à la musique de l'époque. On a toujours qualifié le Rock français de suiveur, parce les Chaussettes Noires et Johnny Hallyday étaient des émulations du Rock'N'Roll américain des années 50. Si le Rock français s'inspirait des musiciens anglo-saxons, cela va de soi, certains ont apporté une démarche novatrice : Magma bien sûr, Océan ensuite à mettre en parallèle avec Rush, et puis Trust, qui fusionne Punk et Heavy-Metal deux ans avant les anglais.
Bonjour, Le parolier "Jean-Jacques Taulelle"... ne s'agit-il pas de Jacques Taulelle ? Je l'ai connu et il me semble qu'il m'avait parlé de sa collaboration avec eux. Mais gros doute...
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