mardi 6 février 2018

OCEAN 1981

"Je suis resté un gosse émerveillé. "

OCEAN : Océan 1981

Paris, 13ème arrondissement. Cette journée est décidément étrange. Le ciel est gris et pluvieux sur la capitale, la Seine commence à prendre ses aises dans la proche banlieue. Personnellement, je ne suis pas venu pour cela. La journée est marquée par deux rencontres : le matin avec le guitare-héros des Variations, Marc Tobaly, l'après-midi avec celui d'Océan, Georges Bodossian. Ces rencontres, je ne les aurais jamais imaginé une seule seconde il y a dix ans. Amateur fou de musique Rock depuis mon enfance, dévorant des disques depuis trente ans, les musiciens étaient pour moi des gens inestimables. Il avaient réussi à mettre en musique un peu de mon âme, sans me connaître, et pour cela, je leur devais une reconnaissance et une admiration absolue. Nous étions connectés mentalement par ce lien fabuleux : le Rock.
Malgré ce que j'ai pu lire, ces remarques qui minimisent l'importance des personnages, et les commentaires des amis et des collègues de bureau qui ne partagent absolument pas votre enthousiasme, répondant par un laconique : «i ça ? » n'ont aucun effet. Je suis resté un gosse émerveillé. Donc aujourd'hui, dans ce café, je vais rencontrer pour la première fois Georges Bodossian. J'arrive plutôt confiant, car Marc Tobaly m'avait mis à l'aise le matin après plusieurs heures de rencontres depuis un an, m'appelant « mon ami Julien », ce qui était pour moi un immense honneur. Pourtant, saluer Georges Bodossian m'impressionne. Nous devisons autour d'un café, nous évoquons la carrière d'Océan, les rapports avec la presse, et puis un projet que nous avons jeté ensemble sur la table, chacun alimentant avec gourmandise ce qui pourrait être un formidable ouvrage.
J'ai du mal à réaliser que le mec en face de moi fut le guitariste d'Océan. C'est quelque chose d'assez fou de se retrouver en face de celui qui fut à l'origine de beaucoup d'émotions musicales. Il y a toujours quelque chose de l'adoration de la Rock Star, comme si Georges Bodossian était l'équivalent de Jimmy Page. Pour beaucoup de « spécialistes », un ricanement balayait le doute, pour moi, il n'était pas si évident. Certes, Océan ne fut pas Led Zeppelin, mais cela n'avait aucune importance. J'aime Jimmy Page et Led Zeppelin pour la force émotionnelle que sa musique véhicule, il en est de même pour Océan. Les chiffres de ventes n'interfèrent pas dans mon appréciation d'un groupe. Par contre, cela me permet de rencontrer fort modestement des musiciens que j'admire sincèrement, leur serrer la main, discuter, et pourquoi pas, travailler ensemble, mettre à leur disposition mon humble plume.
Il me remet un exemplaire numéroté du dernier album d'Océan en double vinyle que j'adore. Il semble que malgré trente ans de stand-by, et la mort du formidable Robert Belmonte, Océan a repris vie comme si de rien n'était, ignorant la mode et les poses, comme il l'a toujours fait depuis ses débuts.
Georges Bodossian monte Océan en 1974 en fagocitant deux groupes. Robert Belmonte prend le chant, Noël Alberola la basse, et puis Bernard Leroy est à la batterie. D'entrée, on sent la misère intellectuelle de la France avec le Rock. Le premier album paraît en octobre 1977 sur le label Crypto. Ce dernier a été fondé à Belfort par le groupe Ange, et accueille Little Bob Story et Ganafoul. Ceux qui n'ont jamais écouté le premier album d'Océan résument le disque à un mélange de Led Zeppelin et King Crimson. C'est intéressant mais c'est finalement complètement con. C'est avant tout l'explosion d'une culture musicale magistrale, du Progressif au Jazz-Rock. Et l'ensemble est passé par la redoutable guitare de Georges Bodossian. Cela devient quarante-cinq minutes de Heavy-Metal Progressif gorgé de fureur, sans répit, qu'Océan n'hésitera pas à jouer en entier sur ses premiers concerts, du Golf Drouot à la province. C'est aussi le premier jalon inattendu d'un groupe totalement novateur. En effet, alors que Océan ose la fusion Hard-Rock et Progressif, en 1974, un trio canadien ose la même audace : Rush. On retrouve bien des similitudes entre Rush et Océan, les moyens en moins pour le second. Mais à l'heure où la presse se demande « Punk ou pas Punk ? », Océan est déjà tourné vers l'innovation électrique.
La presse française ne sait quoi faire de ce quatuor. A l'heure du Jazz-Rock et du Progressif, Océan est trop dur. C'est l'époque de Magma, de Ange, de Malicorne, de Triangle, de Martin Circus…. Puis le Punk éclaircit les rangs. Tout devient Punk : Bijou, Stinky Toys, Taxi Girl, Marquis De Sade, Starshooter….mais pas Océan, qui poursuit son voyage musical.
Le Heavy-Metal arrive avec Trust. Ils sont la fusion du Punk et du Heavy-Metal en 1978, et c'est exactement la même fusion qui alimente la New Wave Of British Heavy-Metal. Certes, Diamond Head, Iron Maiden, Saxon, Samson...sont des rois du Heavy-Metal, mais cela manque de coffre. Océan est réduit à une mixture AC/DC-chanson française de bien piètre valeur. Belmonte est comparé à Balavoine, c'est facile et ça mange pas de pain.
En fait, la presse musicale n'a une fois encore rien compris à l'énergie d'Océan. Sur tous leurs albums, ils transfigurent la musique par l'électricité. Le premier album était progressif, mais furieusement Heavy. En fait, le seul équivalent était canadien, et s'appelait… Rush. Au même moment, un trio écumait le continent Nord Américain avec sa mixture ultra-technique de Rock Progressif et de Heavy-Metal. Bien sûr, Océan n'a pas les moyens de sortir un album de la qualité d'un Rush au pays du camembert. Par contre, Océan est capable de jouer avec l'électricité, et de réduire l'image de connards fusionneurs de Led Zeppelin-King Crimson à néant. God's Clown fut un disque ambitieux, profondément électrique. Mais lorsque débarquent sur le marché du disque Téléphone, Bijou, Starshooter, et Trust, Océan fait pâle figure car le public français ne semble rien comprendre. Pourtant, ce Heavy-Metal trop ambitieux qui ressemble beaucoup à Presence de Led Zeppelin, ce Prog-Rock ultra-puissant et dépourvu de claviers exalte pourtant le public de province.
Océan ne peut que plier ou disparaître après sa signature avec Barclay. Il n'en fera rien ou si peu. D'abord, Océan abandonne la langue anglaise, qui semblait absurde en France, et se prête au jeu des paroles en français. Océan chante désormais en français, sans concession. Les analyses de la société de Belmonte sont cruelles. Nous sommes donc en 1979, et Trust arrive, deux ans à peine après Téléphone. Trust sera la synthèse du Punk et du Heavy-Metal, celle-là même qui conduira à la NWOBHM : Iron Maiden, Saxon, Samson….
Océan va procéder à une mutation inattendue. D'abord, le second album marque clairement ses influences de Queen, notamment sur le majestueux « Menteur ». Mais déjà, quelques uppercuts de métal lourd font leur apparition : le fantastique « Joue » brille de mille feux. Mais surtout, Océan se cale inconsciemment dans un courant musical qu'il ne soupçonne pas. En effet, si le Punk a balayé les velléités de morceaux longs dotés de moult improvisations, il n'a pas balayé la notion de mélodie. Dans l'esprit de Led Zeppelin et de Sweet, Le groupe va se caler sur une formule gagnante : une rythmique implacable, des riffs simples et sans concession. Et puis la ligne vocale qui fait toute la saveur du morceau. Led Zeppelin entama l'idée sur le II, puis se prolongea avec Physical Graffiti et Presence : « Kashmir », « The Rover », «Achille's Last Stand »… Plusieurs groupes autour de la planète opte pour ce Hard-Rock simple et sans concession, mais surtout mélodique : Led Zeppelin donc, Status Quo ensuite avec son Boogie nerveux mais toujours entraînant, et puis Y&T dès 1980. Il y aura ensuite les vétérans de Budgie en 1981 avec le magnifique Nightflight, Mechanix de UFO et Before The Storm de Samson en 1982, Slide It In de Whitesnake et Siogo de Blackfoot en 1983, The Seventh Star de Black Sabbath en 1985…..
Les synthétiseurs sont des accompagnements très symboliques. Le but est de créer un Hard-Rock puissant et expressif, porté par la ligne vocale du chanteur. En ce sens, Océan est tout-à-fait dans le mouvement, il en est même le parfait précurseur. L'approche très mélodique de ce Hard-Rock va rapidement assimiler ces groupes au Hard-FM de Foreigner, Journey et Boston, ce qui est une erreur totale. En effet, il s'agit d'un Hard-Rock puissant, simple et efficace, dont les riffs doivent autant à Black Sabbath qu'à AC/DC. Mais l'approche plus accrocheuse les rend suspect.
Le cas Océan est encore plus particulier. Certes, le groupe traîne derrière lui sa réputation de formation Progressive, avec leurs tenues de scènes blanches jusqu'en 1979. Le second album, bien que plus Hard, reste audacieux musicalement, et sa très belle pochette aquarium ne laisse pas transpirer la musique sauvage à plein nez. Pourtant, Océan a aussi sa réputation scénique, et elle est en béton. Le quatuor est une formation redoutable en concert, délivrant une énergie formidable similaire à Trust, mais avec une cohésion musicale d'un autre niveau. Ce n'est pas un hasard si Téléphone, pourtant aguerri à la scène, refuse de passer derrière Océan. Les deux groupes ont répété dans les mêmes locaux, ils ont même jammé ensemble. Téléphone opta d'ailleurs pour la même politique de la terre brûlée qu'Océan : jouer partout, en permanence, et gifler le public, où que ce soit. Mais à ce jeu Océan était le meilleur dès 1977. Trust mis deux ans à se mettre au point pour organiser le même type de campagne scénique entre 1979 et 1980 pour permettre à leurs deux premiers albums de briller dans les classements nationaux. En ce sens, Trust permit au Rock de s'imposer en termes de ventes après Téléphone, mais dans la catégorie Hard-Rock revendicatif, une musique sans concession.
Océan fut souvent considéré comme un groupe de « chansons Hard-Rock », simplement parce que Robert Belmonte avait quelques intonations similaires avec Daniel Balavoine. Mais la comparaison s'arrêtait bien là. Car Belmonte était davantage de la trempe de Robert Plant/ Freddie Mercury, avec un grain de voix agressif caractéristique. Et ne parlons pas de ses textes. Car Robert Belmonte, derrière sa petite carrure, ses épaules carrées, sa belles gueule de chanteur de Hard-Rock , était en fait un sacré parolier. Il était évidemment moins revendicatif que Bernie Bonvoisin, moins violent verbalement.
Pourtant, les textes qu'il chantait ne manquaient pas de lucidité sur la vie. Il n'en était pas totalement l'auteur : ils étaient la signature de Jean-Marie Moreau pour l'essentiel et de Jean-Jacques Taulelle. Une des plus belles réussites reste « Qu'on Me Laisse Le Temps » : « Et ils appellent cela la vie. ». Sur une ligne Hard-Blues, Belmonte raconte la vie qui l'entoure, les gens qui courent, l'urgence permanente, déjà, en 1980. Il demande à pouvoir apprécier la vie, regarder ce qui l'entoure, il refuse l'horloge. Ce magnifique texte, simple, direct, résonne toujours avec une force incroyable en 2018. Mais l'homme aimait aussi jouer avec les images, avec les mots. « Joue » s'amusait avec la science-fiction, « Les Yeux Fermés » portait une immense introspection avec des paroles à double sens d'une rare beauté.
Lorsque finalement Barclay envoie Océan aux Battery Studios à Londres. Le groupe va enfin bénéficier du son dont ils rêvaient. Ils viennent avec un look plus agressif : jean, blouson de cuir, baskets…. Ils viennent aussi avec huit chansons rodées sur la route et en répétitions. Le groupe a incroyablement progressé au cours de sa tournée française en première partie d'AC/DC, la dernière avec Bon Scott. Ils ont perfectionné leur art de la scène, et ont adapté leurs tenues à leur musique. Finies les fringues blanches. Georges Bodossian va opter pour la combinaison d'aviateur kaki, et va même raser sa moustache seventies. Les autres optent pour l'uniforme jeans-cuir noir.
Lorsque sort le troisième album éponyme d'Océan, la superbe photo de couverture ne laisse aucune hésitation. Océan est un vrai groupe de Hard-Rock sans concession. C'est que chez Barclay, Océan n'est pas une formation de seconde zone. Alors que la plupart des groupes vendeurs plafonnent à 20000 ou 30000 exemplaires, Océan est plutôt du côté des 80000. Le quatuor va d'ailleurs avoir l'honneur d'assurer la première partie de la tournée française d'AC/DC en 1980, puis d'Iron Maiden en 1981, en concurrence avec Trust. Pourtant, Barclay fera de belles erreurs : lors de la captation des quatre titres pour la face Live de l'album Live A+B, le label semblerait n'avoir enregistré que les quatre titres concernés, et pas le reste…. Sur les tournées avec AC/DC et Iron Maiden, aucun photographe professionnel ne sera missionné pour couvrir les deux événements. Ces erreurs minables, Océan en paiera le prix. Barclay, label censé être professionnel, n'est pas foutu de s'occuper du groupe mieux qu'une vieille star des Yé-yés. Océan s'avouera vaincu. Pourtant, le groupe ressuscitera l'énergie sans compromis.
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4 commentaires:

Anonyme a dit…

Ce disque - le 3ème - est une tuerie. Un grand classique du Hard-rock.


T'as rencontré Bodossian et Tobaly ? Super. Ces gars là doivent avoir des tas de choses à raconter.

Anonyme a dit…

Je plaide coupable pour la mention "King Crimson - Led Zeppelin", même si j'ai tenu à spécifier également Yes (pré-Howe). D'ailleurs, Bodossian lui-même mentionne ces deux formations, lorsque l'on lui demande les influences du groupe dans les années 80.
Cependant, évidemment, cela ne signifie pas pour autant que la musique de "God's Clown" ne soit qu'un mélange de ses deux groupes mythiques (Ce qui serait déjà énorme). C'est avant tout une direction, qui pour l'époque, pouvait être assez novatrice. Deux références pour aiguiller.
J'avais mentionné T2, Budgie, Patto et Dillinger comme groupes effectuant la même démarche, empruntant le même chemin. Bien que chacun ait des différences bien notables. Et surtout, une forte personnalité.

Julien Deléglise a dit…

Salut Bruno,
Oui je les ai rencontré, et ils ont des choses à dire. Pour Tobaly, ce sera sur papier très bientôt, pour Georges, c'est en réflexion.
Concernant l'approche du premier album d'Océan, Bodossian revendique Led Zeppelin et King Crimson effectivement, ainsi que la scène Jazz-Rock de l'époque. Pour l'approche musicale, Patto est une bonne référence, le groupe qui s'en rapproche le plus dans la démarche.
Il y a toute une relecture à faire sur les groupes de Rock en France. Beaucoup ont été mal jugés, mal analysés par rapport à la musique de l'époque. On a toujours qualifié le Rock français de suiveur, parce les Chaussettes Noires et Johnny Hallyday étaient des émulations du Rock'N'Roll américain des années 50. Si le Rock français s'inspirait des musiciens anglo-saxons, cela va de soi, certains ont apporté une démarche novatrice : Magma bien sûr, Océan ensuite à mettre en parallèle avec Rush, et puis Trust, qui fusionne Punk et Heavy-Metal deux ans avant les anglais.

nathalie a dit…

Bonjour, Le parolier "Jean-Jacques Taulelle"... ne s'agit-il pas de Jacques Taulelle ? Je l'ai connu et il me semble qu'il m'avait parlé de sa collaboration avec eux. Mais gros doute...