lundi 29 janvier 2018

FAST EDDIE CLARKE PART 3

"Ce bonhomme de cinquante ans est en train, en quelques accords, de leur donner une leçon."

Dave King ramène ses copains pour un nouveau Fastway. Clarke a trente-cinq piges, et ne comprend rien à ses gamins avec qui il n'a aucun point commun, et ne sait pas quoi faire. « Waiting For The Roar » est un album sous influence ZZ Top de 1987, l'inspiration en moins à par un ou deux titres comme « Backdoor Man ». Le reste sent le Rock FM ultra-formaté, et sera un four commercial. Dave King se désintéresse du Heavy-Rock. Et pourtant c'est lui que Clarke appelle en 1987 pour la bande originale d'un film d'horreur cheap : Trick or Treat. Clarke n'a plus de groupe, et c'est le producteur qui demande les rythmiques des thèmes. Désormais seul aux commandes, avec seulement un Dave King blasé, il offre un de ses derniers albums captivants. Le doublage synthétique résonne toujours sur la batterie, mais exit les claviers, c'est le grand retour des guitares. En quelques trente minutes, Clarke compose une poignée de chansons du niveau du premier disque de Fastway, totalement esseulé et sans soutien. Le climax sera atteint avec le superbe Boogie « Hold On To The Night », preuve éclatante que Clarke n'est ni un compositeur fini, ni un guitariste dépassé. Le coup de grâce lui ait porté lorsque le chanteur Dave King le laisse pour se consacrer à son projet de Rock celtique.

Revenu seul une fois de plus à la case départ, Clarke perd complètement pied. Il nage dans l'alcool jour et nuit, se perd dans la dépression. Il est un homme fini, semble-t-il. Les années Motorhead sont loins, et Fastway a échoué. Dans la voie de garage, un jeune guitariste-chanteur l'aborde et lui propose de travailler avec lui. Clarke, surpris et ravi que l'on s'intéresse encore à lui, accepte. Il vient de signer une forme de pacte avec le Diable. Le jeune homme s'appelle Lea Hart et est un pur opportuniste du business musical. Il compose, écrit, et joue dans des groupes de Pop depuis dix ans, mais n'a jamais obtenu le succès commercial dont il rêve. Opportunément, il a réorienté sa carrière vers le Hard-Rock FM, celui qui fait fureur aux USA avec Foreigner, Def Leppard, ou Bon Jovi. Il se voit en star, mais pour le moment, il se cherche une crédibilité. Il va donc écumer les clubs où traînent les musiciens à la dérive. Lea Hart va également récupérer dans ses filets Paul DiAnno et Dennis Stratton, respectivement chanteur et guitariste sur le premier album d'Iron Maiden. Il va leur faire enregistrer ses propres titres au début des années 90, dont certaines chansons ont déjà été utilisées avec Fastway. Il ira aussi récupérer le groupe Bad Company. Fast Eddie Clarke est sa première grosse prise. Il bénéficie toujours de la réputation de rocker intraitable de Motorhead, mais est dans l'incapacité de composer quoi que ce soit, ce qui permettra à Hart de fourguer ses chansons et ses arrangements. L'album qui en résulte sort en 1988, il s'appelle On Target. Comme si l'opportunisme ne sentait pas assez fort, la pochette arbore le portrait de Clarke et de Hart. Musicalement, quelques chansons pourraient être agréables, si ce n'est que Clarke est inaudible, noyé dans les synthétiseurs et la rythmique FM. Les interventions en guitare solo ne sont pas mentionnées afin de jeter le trouble entre celles de Clarke et celles de Hart. Une version dite Reworked paraîtra en 1997. On découvrira que Clarke ne fut pas si distant de la composition. En livrant cette version, on découvre que les guitares étaient plus présentes, et le disque plus Rock. Pourtant, c'est le mixage Hart qui fut conservé. La sortie de l'album ne sera suivi d'aucun concert : Hart n'aime pas ça, et préfère faire le malin dans les clubs et les studios à la recherche de proie. Pendant ce temps, Clarke dépérit un peu plus. Il gagne un peu d'argent en vendant ses bandes de Motorhead au label Receiver Records. Clarke en est le seul bénéficiaire, et cela fâchera Lemmy qui considère ces disques comme pirates et sans intérêt.

L'album est un four commercial. Cela n'empêche pas l'équipage de remettre le couvert avec l'album Bad Bad Girls en 1990. Cette fois, Clarke sera quasiment absent de l'enregistrement et pour cause : ses organes sont en train d'exploser à cause de l'alcool. Pétris d'ulcère, le foie et la rate explosés, il souffre, ne tient plus debout. Il rentre d'urgence à l'hôpital, entreprend une cure de désintoxication. Il restera six mois. Il revient juste pour poser quelques parties de guitare sur un disque qu'il n'aime pas et qui n'aura aucune suite scénique. Fin du chapitre, Fastway disparaît en 1991. Revivifié, il enregistre son premier album solo en 1993. Lemmy vient chanter sur un titre par amitié, et le résultat ressemble à ce qu'aurait dû ressembler Motorhead si Clarke était resté.

 L'alchimie est toujours là. Les deux brigands se sont réconciliés il y a bien longtemps, dans les coulisses du festival de Reading en 1983. Clarke était venu joué un titre avec les Twisted Sister dont il avait produit le premier album, Lemmy était là en spectateur. Les deux hommes se sont réconciliés, et à chaque sortie d'album de Fastway, Lemmy vint faire un tour à la télévision pour soutenir son vieux copain, même en pleine période FM-Rock. Conscient qu'il revient de loin, Lemmy n'a pas hésité une seconde pour donner un coup de main à Clarke. Le disque se vend peu, mais musicalement, Fast Eddie s'est retrouvé. Il va ensuite laisser les années s'écouler tranquillement. Son retour sur scène se fait en 2001 pour les 25 ans de Motorhead. Lemmy lui demande de venir jouer à la Brixton Academy avec le line-up actuel. Clarke hésite, mal à l'aise. C'est que ses dernières prestations scéniques remontent au milieu des années 80. Qu'importe, il sera là. Il répète les morceaux d'arrache-pied. Le soir venu, il apparaît vêtu de la chemise de cow-boy et de la veste en cuir qu'il portait sur scène sur la tournée Ace Of Spades en 1980. Clarke rentre toujours parfaitement dedans. Ils vont jouer « Bite The Bullet/ The Chase Is Better Than The Catch ». Placé devant les amplificateurs, à droite sur la scène, et à la gauche de Lemmy, comme c'était autrefois, il prend sa Fender Stratocaster, et commence à équarrir les riffs aux côtés de Phil Campbell. Tout à coup, un miracle se produit : Campbell disparaît du spectre sonore. Malgré son enthousiasme scénique, et ses quinze années de Motorhead, il vient d'être éclipser par Clarke. C'est qu'il sait comment jouer avec la grosse basse de Lemmy, se placer en contrepoint aigu, surmonter la machine et apporter de la puissance. Mikkey Dee est ébahi, il n'en revient pas. Ce bonhomme de cinquante ans est en train, en quelques accords, de leur donner une leçon. Campbell donne tout ce qu'il peut, saute partout, riffe dans tous les sens, écrase ses pédales d'effet, rien à faire : il a disparu de scène. Le vieux sorcier est en train de lui donner une correction. Tout est parfait : riffs impeccables, solo luisant de Blues psychédélique. Timide, collé contre l'amplificateur, Lemmy et Clarke n'arrêtent pas de se regarder comme un couple amoureux. Le vieux bassiste se sent pousser des ailes avec son vieux frère, se permet même quelques pas de Boogie, chose qu'il n'a quasiment plus fait depuis les années 80. Son jeu de scène est devenu celui d'un vieux cèdre multi-centennaire. Mais là, avec son vieux pote Clarke, les deux hommes s'éclatent. Il ne manque que Taylor à la fête. Après un ultime solo acéré et luisant comme la lame d'un couteau de cuisine, Clarke se retire, saluant poliment les musiciens et le public, ravi d'être là. Lemmy ne cesse d'hurler son nom, Clarke lui offre l'accolade. Campbell, lui, est bien content que tout cela s'arrête. Il s'en est fallu de peu pour qu'il se fasse virer et que son patron, pourtant fidèle en amitié, ré-embauche son desperado initial. Il n'en sera rien. Clarke vit tranquillement dans son petit pavillon de l'Est de l'Angleterre, et ne sort de sa tanière que pour travailler sur les rééditions des albums de Motorhead, par ailleurs parfaites, quoiqu'en dise Lemmy.

Il reforme un Fastway en 2007-2008 pour une tournée mondiale, puis un album en 2011. Fastway revient au Hard-Blues et au Hard-Rock. Les années Rock commerciales sont oubliées, Clarke les déteste. Il veut retrouver l'esprit Blues – Led Zeppelin des débuts. Le résultat est brillant, mais ses comparses ont tous une autre carrière musicale pour joindre les deux bouts. Fastway, c'est excellent, mais ça fait pas vivre son homme. Qu'importe, le résultat est très bon, mais n'aura pas de suite. Le groupe ne réussira pas à se réunir avant 2016 et une tournée en première partie de Saxon en Grande-Bretagne. Clarke espère un album, mais sa santé le tracasse.


Entretemps, il publie un superbe disque de Blues en 2014 : Make My Day, Back To The Blues. Avec sa pochette de mauvaise compilation de Country pour routiers, l'album renferme une musique de tout premier plan. Clarke est du niveau d'un excellent Chicken Shack, et sa voix gouailleuse n'est pas sans rappeler Stan Webb. Le jeu est impeccable, d'une subtilité magique. Toutes ses influences originelles y passent : Hendrix, Clapton, Led Zeppelin, Jeff Beck Group, Humble Pie…. Un disque invendable en 2014 évidemment, mais un superbe disque, inspiré de la première à la dernière note. Et puis Clarke voulut réveiller le monstre Fastway, il semble que le destin lui ait signifié la fin des hostilités. Nous échangeâmes ponctuellement ensemble. Son message lorsque je fis paraître ma biographie sur lui fut ce que je lus de plus beau. D'une humilité immense, j'entendis presque ses sanglots de remerciements, comme un gosse. Un petit français venait de se fendre, par pure passion, d'un livre consacré à sa musique. Il ne me remercia jamais assez. J'aurais tant voulu qu'il puisse en lire une version anglaise. Lorsque le livre parut, Clarke était déjà affaibli, mais ne voulait pas se rendre. On me reprocha de ne pas l'interviewer, mais il était trop loin, et trop malade pour me consacrer du temps. Il voulait juste jouer sa musique encore une fois. Il était incapable d'écrire le pourquoi de telle ou telle chanson. Tout lui venait, sa vie se concentrait dans ses doigts, les notes sortaient. Mais mes quelques analyses en anglais sur ses morceaux finissaient toujours par un commentaire aussi laconique que merveilleux : « C'est ça mec, t'as tout compris. Merci beaucoup ». Merci pour tout Eddie.

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