"Ce
bonhomme de cinquante ans est en train, en quelques accords, de leur
donner une leçon."
Dave
King ramène ses copains pour un nouveau Fastway. Clarke a
trente-cinq piges, et ne comprend rien à ses gamins avec qui il n'a aucun point commun, et ne sait pas quoi faire. « Waiting For The Roar » est un
album sous influence ZZ Top de 1987, l'inspiration en moins à par un
ou deux titres comme « Backdoor Man ». Le reste sent le
Rock FM ultra-formaté, et sera un four commercial. Dave King se
désintéresse du Heavy-Rock. Et pourtant c'est lui que Clarke
appelle en 1987 pour la bande originale d'un film d'horreur cheap :
Trick or Treat. Clarke n'a plus de groupe, et c'est le
producteur qui demande les rythmiques des thèmes. Désormais seul
aux commandes, avec seulement un Dave King blasé, il offre un de ses
derniers albums captivants. Le doublage synthétique résonne
toujours sur la batterie, mais exit les claviers, c'est le grand
retour des guitares. En quelques trente minutes, Clarke compose une
poignée de chansons du niveau du premier disque de Fastway,
totalement esseulé et sans soutien. Le climax sera atteint avec le
superbe Boogie « Hold On To The Night », preuve éclatante
que Clarke n'est ni un compositeur fini, ni un guitariste dépassé.
Le coup de grâce lui ait porté lorsque le chanteur Dave King le
laisse pour se consacrer à son projet de Rock celtique.
Revenu
seul une fois de plus à la case départ, Clarke perd complètement
pied. Il nage dans l'alcool jour et nuit, se perd dans la dépression.
Il est un homme fini, semble-t-il. Les années Motorhead sont loins,
et Fastway a échoué. Dans la voie de garage, un jeune
guitariste-chanteur l'aborde et lui propose de travailler avec lui.
Clarke, surpris et ravi que l'on s'intéresse encore à lui, accepte.
Il vient de signer une forme de pacte avec le Diable. Le jeune homme
s'appelle Lea Hart et est un pur opportuniste du business musical. Il
compose, écrit, et joue dans des groupes de Pop depuis dix ans, mais
n'a jamais obtenu le succès commercial dont il rêve. Opportunément,
il a réorienté sa carrière vers le Hard-Rock FM, celui qui fait
fureur aux USA avec Foreigner, Def Leppard, ou Bon Jovi. Il se voit
en star, mais pour le moment, il se cherche une crédibilité. Il va
donc écumer les clubs où traînent les musiciens à la dérive. Lea
Hart va également récupérer dans ses filets Paul DiAnno et Dennis
Stratton, respectivement chanteur et guitariste sur le premier album
d'Iron Maiden. Il va leur faire enregistrer ses propres titres au
début des années 90, dont certaines chansons ont déjà été
utilisées avec Fastway. Il ira aussi récupérer le groupe Bad
Company. Fast Eddie Clarke est sa première grosse prise. Il
bénéficie toujours de la réputation de rocker intraitable de
Motorhead, mais est dans l'incapacité de composer quoi que ce soit,
ce qui permettra à Hart de fourguer ses chansons et ses
arrangements. L'album qui en résulte sort en 1988, il s'appelle On
Target. Comme si l'opportunisme ne sentait pas assez fort, la
pochette arbore le portrait de Clarke et de Hart. Musicalement,
quelques chansons pourraient être agréables, si ce n'est que Clarke
est inaudible, noyé dans les synthétiseurs et la rythmique FM. Les
interventions en guitare solo ne sont pas mentionnées afin de jeter
le trouble entre celles de Clarke et celles de Hart. Une version dite
Reworked paraîtra en 1997. On découvrira que Clarke ne fut pas si
distant de la composition. En livrant cette version, on découvre que
les guitares étaient plus présentes, et le disque plus Rock.
Pourtant, c'est le mixage Hart qui fut conservé. La sortie de
l'album ne sera suivi d'aucun concert : Hart n'aime pas ça, et
préfère faire le malin dans les clubs et les studios à la
recherche de proie. Pendant ce temps, Clarke dépérit un peu plus.
Il gagne un peu d'argent en vendant ses bandes de Motorhead au label
Receiver Records. Clarke en est le seul bénéficiaire, et cela
fâchera Lemmy qui considère ces disques comme pirates et sans
intérêt.
L'album
est un four commercial. Cela n'empêche pas l'équipage de remettre
le couvert avec l'album Bad Bad Girls en 1990. Cette fois,
Clarke sera quasiment absent de l'enregistrement et pour cause :
ses organes sont en train d'exploser à cause de l'alcool. Pétris
d'ulcère, le foie et la rate explosés, il souffre, ne tient plus
debout. Il rentre d'urgence à l'hôpital, entreprend une cure de
désintoxication. Il restera six mois. Il revient juste pour poser
quelques parties de guitare sur un disque qu'il n'aime pas et qui
n'aura aucune suite scénique. Fin du chapitre, Fastway disparaît en
1991. Revivifié, il enregistre son premier album solo en 1993. Lemmy
vient chanter sur un titre par amitié, et le résultat ressemble à
ce qu'aurait dû ressembler Motorhead si Clarke était resté.
L'alchimie est toujours là. Les deux brigands se sont réconciliés
il y a bien longtemps, dans les coulisses du festival de Reading en
1983. Clarke était venu joué un titre avec les Twisted Sister dont
il avait produit le premier album, Lemmy était là en spectateur.
Les deux hommes se sont réconciliés, et à chaque sortie d'album de
Fastway, Lemmy vint faire un tour à la télévision pour soutenir
son vieux copain, même en pleine période FM-Rock. Conscient qu'il
revient de loin, Lemmy n'a pas hésité une seconde pour donner un
coup de main à Clarke. Le disque se vend peu, mais musicalement,
Fast Eddie s'est retrouvé. Il va ensuite laisser les années
s'écouler tranquillement. Son retour sur scène se fait en 2001 pour
les 25 ans de Motorhead. Lemmy lui demande de venir jouer à la
Brixton Academy avec le line-up actuel. Clarke hésite, mal à
l'aise. C'est que ses dernières prestations scéniques remontent au
milieu des années 80. Qu'importe, il sera là. Il répète les
morceaux d'arrache-pied. Le soir venu, il apparaît vêtu de la
chemise de cow-boy et de la veste en cuir qu'il portait sur scène
sur la tournée Ace Of Spades en 1980. Clarke rentre toujours
parfaitement dedans. Ils vont jouer « Bite The Bullet/ The
Chase Is Better Than The Catch ». Placé devant les
amplificateurs, à droite sur la scène, et à la gauche de Lemmy,
comme c'était autrefois, il prend sa Fender Stratocaster, et
commence à équarrir les riffs aux côtés de Phil Campbell. Tout à
coup, un miracle se produit : Campbell disparaît du spectre
sonore. Malgré son enthousiasme scénique, et ses quinze années de
Motorhead, il vient d'être éclipser par Clarke. C'est qu'il sait
comment jouer avec la grosse basse de Lemmy, se placer en contrepoint
aigu, surmonter la machine et apporter de la puissance. Mikkey Dee
est ébahi, il n'en revient pas. Ce bonhomme de cinquante ans est en
train, en quelques accords, de leur donner une leçon. Campbell donne
tout ce qu'il peut, saute partout, riffe dans tous les sens, écrase
ses pédales d'effet, rien à faire : il a disparu de scène. Le
vieux sorcier est en train de lui donner une correction. Tout est
parfait : riffs impeccables, solo luisant de Blues
psychédélique. Timide, collé contre l'amplificateur, Lemmy et
Clarke n'arrêtent pas de se regarder comme un couple amoureux. Le
vieux bassiste se sent pousser des ailes avec son vieux frère, se
permet même quelques pas de Boogie, chose qu'il n'a quasiment plus
fait depuis les années 80. Son jeu de scène est devenu celui d'un
vieux cèdre multi-centennaire. Mais là, avec son vieux pote Clarke,
les deux hommes s'éclatent. Il ne manque que Taylor à la fête.
Après un ultime solo acéré et luisant comme la lame d'un couteau
de cuisine, Clarke se retire, saluant poliment les musiciens et le
public, ravi d'être là. Lemmy ne cesse d'hurler son nom, Clarke lui
offre l'accolade. Campbell, lui, est bien content que tout cela
s'arrête. Il s'en est fallu de peu pour qu'il se fasse virer et que
son patron, pourtant fidèle en amitié, ré-embauche son desperado
initial. Il n'en sera rien. Clarke vit tranquillement dans son petit
pavillon de l'Est de l'Angleterre, et ne sort de sa tanière que pour
travailler sur les rééditions des albums de Motorhead, par ailleurs
parfaites, quoiqu'en dise Lemmy.
Il
reforme un Fastway en 2007-2008 pour une tournée mondiale, puis un
album en 2011. Fastway revient au Hard-Blues et au Hard-Rock. Les
années Rock commerciales sont oubliées, Clarke les déteste. Il
veut retrouver l'esprit Blues – Led Zeppelin des débuts. Le
résultat est brillant, mais ses comparses ont tous une autre
carrière musicale pour joindre les deux bouts. Fastway, c'est
excellent, mais ça fait pas vivre son homme. Qu'importe, le résultat
est très bon, mais n'aura pas de suite. Le groupe ne réussira pas à
se réunir avant 2016 et une tournée en première partie de Saxon en
Grande-Bretagne. Clarke espère un album, mais sa santé le tracasse.
Entretemps,
il publie un superbe disque de Blues en 2014 : Make My Day,
Back To The Blues. Avec sa pochette de mauvaise compilation de
Country pour routiers, l'album renferme une musique de tout premier
plan. Clarke est du niveau d'un excellent Chicken Shack, et sa voix
gouailleuse n'est pas sans rappeler Stan Webb. Le jeu est impeccable,
d'une subtilité magique. Toutes ses influences originelles y passent :
Hendrix, Clapton, Led Zeppelin, Jeff Beck Group, Humble Pie…. Un
disque invendable en 2014 évidemment, mais un superbe disque,
inspiré de la première à la dernière note. Et puis Clarke voulut
réveiller le monstre Fastway, il semble que le destin lui ait
signifié la fin des hostilités. Nous échangeâmes ponctuellement
ensemble. Son message lorsque je fis paraître ma biographie sur lui
fut ce que je lus de plus beau. D'une humilité immense, j'entendis
presque ses sanglots de remerciements, comme un gosse. Un petit
français venait de se fendre, par pure passion, d'un livre consacré
à sa musique. Il ne me remercia jamais assez. J'aurais tant voulu
qu'il puisse en lire une version anglaise. Lorsque le livre parut,
Clarke était déjà affaibli, mais ne voulait pas se rendre. On me
reprocha de ne pas l'interviewer, mais il était trop loin, et trop
malade pour me consacrer du temps. Il voulait juste jouer sa musique
encore une fois. Il était incapable d'écrire le pourquoi de telle ou
telle chanson. Tout lui venait, sa vie se concentrait dans ses doigts,
les notes sortaient. Mais mes quelques analyses en anglais sur ses
morceaux finissaient toujours par un commentaire aussi laconique que
merveilleux : « C'est ça mec, t'as tout compris. Merci
beaucoup ». Merci pour tout Eddie.
tous droits réservés
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire