"Notre
ère est une gargouille de la cathédrale Notre Dame de Paris
grimaçant vers l'horizon toujours plus gris et plus laid."
TRIBULATION :
Down Below 2018
Une
chape de plomb est tombée sur la ville. Le froid glacial envahit les
rues, et malgré le soleil pâle, les organismes se rabougrissent
sous les assauts continus du froid de cette fin d'hiver. Les arbres
décharnés des bosquets urbains balancent sur leurs racines, leurs
bois s'entre-choquant les uns contre les autres, émettant des
grincements sinistres. Ils agitent leurs bras vers le ciel comme
autant de prières pour un peu de chaleur et d'eau. Mais le vent
s'engouffre toujours plus fort entre les maisons, dans les ruelles
étroites, cognant l'obstacle pour mieux le faire vaciller. Les
chairs sont meurtries par le froid. Les corps sont engourdis, les
yeux se plissent sous l'agression. Que dire de ces pauvres erres qui
dorment dehors, toujours plus nombreux, et que l'on laisse crever sur
un coin de trottoir. Accident économique Madame. Egoïsme bourgeois
surtout, qui conduit à toujours jalouser l'autre pour ce qu'il a de
plus, plutôt que de regarder ce que l'on a déjà, et ce que l'on
peut apporter pour faire de ce monde, un monde meilleur. Ce grand
cataclysme moral nous conduit toujours plus vite vers le trou final,
l'extinction de cette espèce dégénérative qu'est devenu l'homme.
Nous sommes désormais incapables de faire demi-tour, planter sur nos
ergots de coqs de basse-cour, les deux pieds dans la merde, à
chanter toujours plus fort la critique de l'autre plutôt que de nous
pencher sur le tas de fumier sur lequel nous vivons.
Notre
ère est une gargouille de la cathédrale Notre Dame de Paris
grimaçant vers l'horizon toujours plus gris et plus laid. Il est
l'incarnation de la pochette de ce disque aussi puissant que
terrifiant. Il a la beauté du romantisme noir anglais du 19ème
siècle, des nouvelles d'Edgar Poe, de la poésie de Shelley, de la
catharsis de Baudelaire. Alors que le Black-Metal avait
essentiellement enfanté des cinglés satanistes ou des arrivistes
maquillés, une fois l'esprit originel évaporé avec Venom et Celtic
Frost, le genre se raccrocha aux branches durant les années 2000.
Des vétérans firent leur coming-out musical, comme Darkthrone, qui
devint subitement passionnant après quelques errances Black-Metal
nazillonnes de mauvaise haleine. Le Black-Metal prit deux voies. La
première fut celle de l'accession au grand public, avec une musique
plus symphonique et une attitude plus grand public. On se travestit
toujours en cuir et clous, on se grime de corpse-paints et de faux
sang, mais on fait tous les festivals d'été, on fait des grimaces
dans les vidéos, comme un Kiss moderne. Rien en soi de foncièrement
nuisible, juste une approche plus grand public de la chose. Dimmu
Borgir, Cradle Of Filth, et même l'intouchable Satyricon ont décidé
cette voie, s'ouvrant les portes d'un succès commercial plus
important, touchant même le public féminin. D'autres décidèrent
de maintenir la férocité initiale, quitte à jouer avec l'Enfer.
Immortal maintint cet esprit, et des formations des pays de l'Est
comme Behemoth ravivèrent, l'odeur sulfureuse en moins, le souvenir
du désormais True Black-Metal du début des années 90. Mais il
semblait que le vrai état d'esprit, celui qui anima Hellhammer puis
Celtic Frost dans les années 80, ainsi que Bathory, et qui alimenta
le tout premier album de Darkthrone en 1991, n'était plus qu'une
question de merchandising. Darkthrone se referma définitivement sur
lui-même, enchaînant depuis plus de quinze ans les excellents
disques, de moins en moins extrémistes, mais toujours sans
concession, râclant l'os du Punk et du Heavy-Metal underground.
Et
puis voilà, le Black-Metal est devenu une sorte de Metal comme une
autre, qui joue avec des orchestres symphoniques, sur les plus
grandes scènes des festivals européens. Jusqu'à ce qu'une bande
d'ahuris en provenance de Suède décident de se moquer des
conventions, des clichés, et de ne faire que ce qu'ils ont envie.
Ils n'ont qu'une vingtaine d'années lorsqu'ils sortent de leur
purgatoire Thrash/Death Metal pour monter Tribulation. Adam Zaars et
Jonathan Hulten tiennent les guitares, Johannes Andersson le chant et
la basse. Le poste de batterie sera mouvant : Jakob Johansson
entre 2005 et 2012, Jakob Ljungberg entre 2012 et 2017, Oscar Leander
depuis. Partis de fondation Thrash et Death, la musique de
Tribulation va explorer bien des univers qui n'ont aucun rapport avec
le Black-Metal : Wishbone Ash, Thin Lizzy, UFO, Judas Priest,
Celtic Frost, Motorhead…. Et puis le Stoner, le Grunge…..
Ces
garçons ne sont pas comme tout le monde. Hulten explore la scène
avec son Epiphone demi-caisse, grimé, portant de petites chaussures
de danse, et des chemises volant dans l'air comme un fantôme. Il
parcourt la scène comme un démon, une chauve-souris maléfique. Il
n'est pas non plus question de triggs de double grosse caisse. Le
batteur est ici un homme humble, qui respecte ses caisses autant
qu'il les maltraite, comme un Bill Ward ou John Bonham. Il est ici
question de Rock'N'Roll, et c'est bien là toute la différence. Car
enfin, un groupe de Black-Metal retrouve ses origines Rock'N'Roll,
plutôt que de chercher à fuir dans une quelconque filiation dite
Metal. Tout cela est né avec le Rock'N'Roll de Chuck Berry, et doit
le rester. Ce n'est qu'une évolution, à la fois temporelle et
géographique. Les hommes du Nord ont du spleen à revendre, ils
proposent donc cette incroyable mixture de Heavy-Thrash et de Black
Metal. Nos quatre garçons travaillent à l'ouvrage depuis 2005, et
produisent un premier disque en 2009 : The Horror. Très
Thrash-Death, il n'annonce qu'avec parcimonie ce qui viendra. La
mixture prend forme avec le second album : The Formulas Of
Death en 2013. Elle va s'affiner avec le superbe Children Of
The Night en 2015. Et puis il y a ce quatrième disque. Du Black,
il ne reste que ce chant sauvage et mortifère, la musique étant un
Heavy-Metal sombre et ambitieux.
Tribulation
arrive à un carrefour magique. En trois albums, il vient de franchir
le Rubicon. De ses expérimentations Thrash-Metal, il décide de se
lancer dans une musique plus ambitieuse. Down Under est une
étape majeure dans la construction d'un groupe qui n'est plus que
Black-Metal. Il s'agit d'une formation qui n'a peur de rien, et qui
compose de superbes pièces de musiques imprégnées de mélancolie.
Telle la goule de Notre Dame qui regarde l'horizon, Tribulation
bouscule le Rock de manière audacieuse. Se fichant des oripeaux
Black, le groupe se grime à sa bonne mesure. Ils jouent sur Gibson,
Epiphone, et copie de Rickenbacker de la marque Eagle. Ils
virelvoltent sur scène comme un Jimmy Page imprégné d'héroïne.
Ils portent vêtements de danseuses obscures comme Queen, mais aussi
pantalons, vestes et tee-shirts des années 70 comme de vieux fans de
Stoner, ces gamins nés à la fin des années 80. Ils ont créé un
univers à eux. Leur musique est aussi cruelle que puissante. Ils
sont le reflet de cette société pourrie, où les illusions des
vétérans du 20ème siècle se fracassent sur la vision de ces
jeunes gens vierges de douleur matérielle et morale.
L'univers
de Down Under commence avec la sublime supplication « The
Lament ». Tempo enlevé, riffs cathartiques, le riff vrille le
cortex, la voix maléfique gronde comme un chant de mort. L'écoute
sera une pénitence de musique dévolue à l'écoute commerciale
asservie. La ligne mélodique piano-guitare est obsédante. Le
sublime « Nightbound » vient dévoiler les amertumes de
la vie. Le chant grogne autant que le riff cogne de fureur. La
femme de la Mort vient rappeler que nous ne sommes que des erres sans
espoir : « Lady Death » vient rappeler la médiocrité
de nos esprits. Cette fille de la Mort est une enfant de l'Enfer, son
âme déchire ma vie comme elle semble condamner mon âme. Et puis la
découverte de cet univers subterrien….
« Subterranea »
s'ouvre par une ligne au piano. Décidément, les touches d'ivoire
noirs et blanches sont davantage mis à contribution sur ce disque,
pour installer des climats sombres et fuligineux. Le morceau a le
goût de la cendre et de la malédiction de la terre, âme distordue.
On y distingue les influences d'Iron Maiden dans cette dimension
épique du Heavy-Metal. « Purgatorio » est un
instrumental vaporeux et sombre avant le retour à l'électricité
sauvage : « Cries From The Underworld ». Visiblement
obsédé par l'univers de HP Lovecraft, Tribulation traduit à
merveille cette souffrance souterraine, qui n'attend qu'un signe pour
exploser de rage au grand jour. Comme depuis le début, les
interventions solistes des deux guitaristes, et de Zaars en
particulier, volent très haut dans le ciel, superbes respirations
lyriques au milieu de cet univers pré-Apocalypse.
Cette
obsession de la souffrance, du monde au bord de l'abîme est plus que
jamais palpable sur les superbes « Lacrimosa » et « The
World ». Le premier est un écrin de guitares noirs et de
mellotron gothique. Progressif dans sa construction, il est avant
tout l'assemblage de climats. La colère noire est interrompu par un
interlude de guitare et de lointains chants grégoriens
d'ecclésiastiques possédés. La seconde partie s'envole
littéralement vers les cieux : riffs, claviers, soli, tous
montent vers un climax épique de toute beauté, avant qu'un piano
triste et souterrain ne vienne briller ce bref instant de lumière.
De
la lumière, il y en aura encore moins sur « The World ».
Superbe cavalcade au romantisme désespéré, elle galope sur la
steppe des plaines arctiques de Suède. Le chant n'est plus qu'une
complainte, la batterie se fait tribale, le riff est hypnotique,
soutenu d'orgue sépulcral. Les chorus sont d'une beauté froide
majestueuse. C'est le monde qui dérive, se consume, et laisse la
sensation du désespoir de ne pas entrevoir la lumière de
l'intelligence malgré les signaux aussi nombreux qu'alarmants. Il
faut écouter cette pièce de musique, et les poings serrés, les
yeux fermés, intériorisant la colère.
« Here
Be Dragons » est une belle pièce de plus de sept minutes,
alliage fulgurant de Heavy-Metal Noir et de structures progressives
et habiles. On y distingue encore le fantôme d'Iron Maiden, celui
des grands morceaux épiques du milieu des années 80, mais avec la
rage mortifère de Celtic Frost en plus. Plus technique, plus
complexe dans sa construction, il montre combien Tribulation a de
l'ambition, mais sait aussi ménager sa technique pour laisser avant
tout parler l'émotion musicale, c'est-à-dire l'essentiel. Hulten et
Zaars se relaient dans les chorus, faisant monter toujours plus
l'intensité avant qu'elle s'évapore dans quelques notes vaporeuses
de mellotron. Ainsi se clôt ce superbe album d'un groupe aussi
étonnant que passionnant. Qu'ils puissent trouver leur place dans ce
vaste fourre-tout numérique, et que brillent à nouveau
l'intelligence, le talent, et la Rock Music.
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