dimanche 11 février 2018

TYGERS OF PAN-TANG 1981

"Ce disque, cette pochette était pour moi un Graal absolu, à l'heure où tout n'avait pas encore été réédité en disque compact."

TYGERS OF PAN-TANG : Spellbound 1981

La boutique faisant l'angle sur la place du marché couvert d'Albi. J'adorais cette bâtisse mêlant construction de briques rouges typique et des encadrements de fenêtres et de portes en pierre calcaire, finement ouvragée. Je rentrais dans la boutique par la vieille porte vitrée qui forçait, lâchant un grincement sinistre avant que la clochette ne signale mon arrivée. L'intérieur du magasin était constitué d'une pièce unique avec au centre des dizaines de bacs de cds. Dessous se trouvait les bacs de disques vinyles, revendus une bouchée de pain car à l'époque, tout le monde s'en séparait. J'y ai trouvé mille trésors toujours en ma possession, que je garde précieusement.Ce sont ces bacs qui me firent découvrir à moindre frais des groupes géniaux : Judas Priest, Thin Lizzy, Wishbone Ash….

Adolescent solitaire, je plongeai tête baissée dans l'histoire du Rock. Avide de groupes géniaux que personne ne connaîtrait à part moi, je me mis à explorer la New Wave Of British Heavy-Metal, fier renouveau du Heavy-Metal anglais des années 1979-1985. Metallica, superstar en ce début des années 90, avait été biberonné à la chose, et Lars Ulrich, le batteur, en était un fan absolu. Le premier album de Metallica, Kill'Em All, ne fut qu'une synthèse pubère de tous ces sons supersoniques. Je découvris des groupes bruts, sans concession, capable d'écrire des morceaux puissants tout en les interprétant avec fureur et agressivité. Au début des années 80, cette nouvelle vague et certains anciens du Hard-Rock anglais comme UFO et Thin Lizzy croisent le fer. Je découvris une passerelle entre Thin Lizzy et un groupe nommé Tygers Of Pan-Tang. Visiblement, ils étaient l'un des fleurons perdus de la NWOBHM, l'un des espoirs les plus prometteurs comme Diamond Head et Samson.

J'aperçus dans des magazines les images des pochettes de disques, avec ce tigre fier. Cela semblait si loin, comme des Graals vinyliques impossibles à trouver, peut-être en Grande-Bretagne, qui sait… Les Tygers Of Pan-Tang eurent une première période à quatre avec le chanteur Jess Cox, le bassiste Rocky, le batteur Brian Dick et le guitariste Robb Weir. Cox avait une voix râpeuse, très bluesy, et les Tygers délivraient un Heavy-Metal teigneux, inspiré des premiers albums de ZZ Top. Le premier album fut publié sur la major MCA, et se classa dans le Top 20 anglais. Weir désirant étoffer le son de son groupe, il rechercha un deuxième guitariste, et tomba sur un petit prodige : John Sykes. De simple guitariste rythmique, il devint le principal soliste, son style rapide et virevoltant, en connexion directe avec Michael Schenker de UFO, écrasant le style plus pataud de Weir. Doté d'un tel guitariste, Cox semblait bien faiblard, car le groupe devint musicalement extrêmement puissant et habile. Le chanteur se retira spontanément, obligeant les Tygers à trouver un nouveau vocaliste. Une petite audition révéla un jeune homme à longue crinière châtain : Jon Deverill. L'homme, plutôt bien physiquement, avait l'attitude d'un Robert Plant de Led Zeppelin, et des capacités vocales d'un tout autre niveau que Cox. Plus haut perché, teigneux, lyrique, le chant de Deverill ouvrait mille possibilités en adéquation avec le prodige électrique qu'était John Sykes. Le disque suivant sera la révélation : Spellbound.

Serti dans une superbe pochette bleue sur laquelle trône un tigre impérial devant le soleil. L'image est un reflet de puissance, mais ses inspirations asiatiques ne semblent pas très conformes avec l'image d'un groupe de Heavy-Metal sans concession. Heureusement, la photo de dos révèle cinq garçons chevelus, en uniforme jean-blouson de cuir. Seul Deverill brise le code avec sa veste et son gilet de complet veston. Ce disque, cette pochette était pour moi un Graal absolu, à l'heure où tout n'avait pas encore été réédité en disque compact.

Ce samedi après-midi, j'attaquai ma fouille habituelle des bacs de disques vinyles avec l'intention de découvrir un petit groupe de Prog-Rock ou de Heavy sans prétention. Je faillis m'étouffer lorsque sous mes yeux, entre mes doigts, je tins la dite pochette bleue avec le tigre : Spellbound des Tygers Of Pan-Tang. Je ne sus que faire. Le prix était bon marché, j'eus presque envie de le cacher pour que personne ne le voit. Et ce prix…. C'était certain, mon cher dealer de disques n'en connaissait pas la valeur. Je ne pouvais exprimer une joie trop démonstrative, cette découverte inespérée aurait pu faire changer d'avis mon ami disquaire sur le prix. Je feins un intérêt un peu blasé en posant mes découvertes sur le comptoir. Lorsqu'il vit la pochette de Spellbound et la photo au verso avec les cheveux et les moustaches, il ricana devant les looks de durs des années 80. Je mimai un sourire entendu, mais au fond de moi, ces mecs avaient toute mon admiration. Moi qui aimait beaucoup mon ami Gilles le disquaire, je faillis être agressif, lui dire qu'il n'avait pas intérêt à se foutre de leur gueule, alors que je ne connaissais même pas la teneur dudit album.

Je revins chez moi avec ce mythique album, puis je le mis sans plus attendre sur la platine vinyle de la chaîne hifi familiale. « Gangland » m'explosa au visage sans pitié. Je ne désserrai pas les dents quarante minutes durant. J'avais l'impression d'avoir découvert un disque mieux enregistré que le premier Iron Maiden, plus rageur et fougueux que le premier Def Leppard, tous ces classiques que tout le monde encensait à longueur de magazines. Il était évident que ces références n'étaient là que par pur vision historique et commerciale, sans se soucier d'aller fouiller ce que le Rock anglais avait de mieux à proposer. Je commençai alors à émettre de sérieux doutes sur la capacité de discernement de certains scribouillards musicaux. Je découvris que la passion du disque n'animait pas toujours ces êtres, mais plutôt celle de gagner sa croûte chaque fin de mois. L'intention est fort louable, sauf que lorsque l'avis critique se met au service de l'argent….

Qu'importe, j'avais un joyau de la NWOBHM entre mes mains. J'en fis des copies cassette pour les écouter sur ma chaîne personnelle, puis dans l'autoradio cassette de ma première voiture. Ce disque garda une place inestimable dans mon coeur. Il a quasiment tout : la virtuosité intelligente, la fureur, l'énergie, le son sans concession, les compositions de tout premier ordre. « Gangland » vous percute avec force. C'est un Speed-Metal à l'ancienne, Boogie de l'espace exalté, porté par le chant rageur de Jon Deverill. Les deux guitares sont impeccables. Le son a gagné en férocité, porté par la section rythmique simple mais efficace de Rocky et Brian Dick. Sykes délivre son premier chorus sur vinyle avec une virtuosité déconcertante. Les notes volent dans l'air, pendant que les gars pompent comme des acharnés le thème. Les soli de Sykes sont déconcertants de technique et de vivacité, sans perdre de leur inspiration et de leur lyrisme. Il ne s'agit pas de démonstration technique idiote, mais bien d'une respiration lyrique au milieu d'un torrent d'acier en fusion.

« Take It » qui suit deviendra le morceau qui ouvre tous les concerts des Tygers jusqu'à sa séparation en 1982. Riff rageur, rythmique en béton armé, « Take It » est du grand art. Uppercut vif, c'est le Heavy-Metal des banlieues, lorsque la grisaille bouffe la vie. Weir délivre le premier chorus très ZZ Top, avant de se faire ratatiner par le volubile Sykes, ils vont remettre cela deux fois, et le duel marche à merveille. « Hellbound » est un Speed-Rock infernal, qui définit l'exacte nature de la fusion Led Zeppelin-Punk. Les embardées électriques sont fabuleuses, le tempo superbe, ici magnifié par une superbe remasterisation qui permet d'apprécier enfin tous les instruments. Weir et Sykes se livrent à des joutes dignes de Thin Lizzy, mais le rythme ne faiblit jamais, comme une obsession. Curieusement, le refrain chante « Spellbound », du nom de l'album, mais le disque affiche « Hellbound ». Petite curiosité historique.

« Mirror » est une simili-ballade inspirée des Scorpions, mais l'explosion électrique rappelle davantage Led Zeppelin. C'est une merveille électrique à vous arracher les larmes des yeux. « Silver And Gold » revient aux uppercuts électriques à pleine puissance. L'oiseau de proie plane au-dessus de la plage, scrutant les proies de son œil acéré. S'en suit ma chanson préférée : « Tyger Bay ». Speed-Rock encore. Ce Boogie frénétique porté par la Ride de Dick est totalement lyrique. Les guitares sont redoutables, véritable alliage de sauvagerie. Jon Deverill est un chanteur superbe, expressif, volant vocalement au-dessus du tapis de bombes. Cette rythmique infernale qui virevolte m'obsède. La baie du Tigre, la guigne, trop de frustrations….

Jusqu'à ce que l'histoire aille trop loin : « The Story So Far ». Encore une histoire de gonzesse, une conne de plus. Du genre qui ne sait pas ce qu'elle veut, mais le Rocker sait où il va. Et il sait ce qu'il ne veut pas. Il ne lâchera pas sa liberté chérie pour une vie de couple fade et sans relief. On retrouve le bon vieux Boogie de Status Quo serti de duels électriques à la Thin Lizzy.

« Blackjack » est une putain de partie de cartes. Sur un thème proto-Thrash, les Tygers ravagent le plancher. Le disque se conclut sur le lumineux et mélancolique « Don't Stop By ». Superbe pièce d'électricité moite, c'est un cri dans la nuit. Entre deux barres d'immeubles insipides, L'amour cherche son expression. « Don't Stop By » est la quintessence de la fusion Deverill-Sykes. Sur un tempo métallique, les deux hommes brodent la douleur de l'homme seul. Sur le chorus, Sykes est princier, comme l'est Deverill de son chant emphatique. Quelques nappes de synthétiseurs donnent une atmosphère froide et sans lumière. Quelque chose se brise. Le disque est complété par le redoutable et fuligineux « Don't Give A Damn ». C'est une cavalcade en bagnole de quatre minutes. Le pied dans la moquette, le Rock'N'Roll coule dans les tripes, infernal.

Le disque suivant sera de très bonne qualité, mais Sykes cherche déjà à s'échapper. Il échoue à rejoindre Ozzy Osbourne, puis devient le second bretteur avec l'inamovible Scott Gorham dans Thin Lizzy. L'album Thunder And Lighting est une nouvelle preuve du talent de Lynott, enluminé de guitare magique, pour peu de temps…. Thin Lizzy est au bout du rouleau, rongé par la gnôle et la dope.

On oublie souvent le second disque de l'année des Tygers Of Pan-Tang, Crazy Nights, publié seulement huit mois après le précédent. Cet excellent album aurait mérité un peu plus d'attention, et mettre en valeur les morceaux qui transpirent la folie en concert. Q'importe, Sykes se sauve en mai 1982, laissant le groupe exsangue. Les Tygers vont plonger tête baissée dans le Hard mélodique de supermarché sous la direction de Jon Deverill. Même l'arrivée de Fred Purser du groupe Punk Penetration n'empêchera pas le naufrage FM. Pourtant, en 1982, les Tygers brille une dernière fois dans les charts, avec une reprise du classique Soul « Love Potion n°9 », dernier morceau enregistré avec…. John Sykes.


Depuis Sykes est millionnaire grâce à sa participation active à l'album de Whitesnake, 1987, en ...1987, et vendu à huit millions d'exemplaires aux USA. Il formera Blue Murder, reformera Thin Lizzy sans Lynott, mort en 1986. Rien ne sera vraiment pareil. Il semble que le bonhomme ait gâché son talent à des projets sans relief. Sans doute aurait-il dû rester dans les Tygers afin de se faire les griffes, plutôt que de chercher le gros projet commercial à tout prix. Mais l'histoire est ainsi faite. Les Tygers avec pour seul survivant Robb Weir font les beaux jours des festivals Metal de seconde zone. Il reste ce Spellbound, espoir fou mort dans l'oeuf.

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