" Il
suffit d’un peu d’imagination, et la route s’offre à nous."
JOHN
FAHEY : Vol.6
Days Have Gone By 1967
Il
n’est pas nécessaire d’aller très loin pour voyager. Il suffit
d’un peu d’imagination, et la route s’offre à nous. J’ai
souvent fait ce type de voyage, faute d’argent, faute de temps,
faute d’une certaine inconscience peut-être. John Fahey est un
type singulier. Né dans une famille de musiciens, il vit dans le
quartier de Takoma Park, vers Washington, et découvre la musique
avec le Blues. Comme beaucoup il va y consacrer sa vie. Il aurait pu
faire partie de Grateful Dead ou du Band, mais il n’en sera rien.
Fahey
est un garçon discret et introspectif, qui va faire sa musique dans
son coin, sortant lui-même ses disques sur son propre label, Takoma,
et ne quittant son univers que pour faire partager sa musique lors de
quelques sets à travers le pays, entre deux cours de musique à
l’université. Il a une bouille de professeur, John Fahey, avec sa
chemise en grosse toile, ses pompes cirées et sa mèche cachant
difficilement une calvitie naissante. Il ressemble à ces
travailleurs du début du vingtième siècle, avec leur veston raide,
et leur pantalon de jean.
Fahey
se passionne pour le Blues ancestral, celui, noir américain, des
années 20 à 40, mais aussi pour la musique classique contemporaine,
celle de Bartok ou Varese. Son jeu de guitare acoustique est
l’étrange mixture de toutes ces influences, et bien plus encore.
Il est à ce point bon et authentique qu’il capte ses premiers
thèmes à la fin des années 50 sur un petit label, Fonotone. Ce
dernier ne les publiera pas, et Fahey récupérera les bandes. Il
fonde son propre label, Takoma, et presse quelques centaines de
disques qu’il vend à la fin de ses prestations. Il se fait appeler
d’abord Blind Thomas, en référence à Blind Lemon Jefferson,
avant de reprendre son nom. Ses premiers admirateurs vont eux le
surnommer Blind Joe Death, qui donnera son nom au premier véritable
album Takoma de Fahey, en 1959. Ce qui est certain, c’est que ce
premier pseudonyme comme son surnom traduit l’importante similitude
de la musique avec un Blues primitif hérité des noirs américains.
Et c’est ce qui attire ce public d’étudiants, qui vont par la
suite se passionner pour le Folk de Bob Dylan et Joan Baez.
John
Fahey n’est pas un auteur-compositeur qui chante ses compositions
dans de petites salles universitaires ou
des clubs branchés ourdis à la bière.
Sa musique est entièrement instrumentale, et n’est dotée
d’aucun accompagnement. Fahey joue seul, avec sa guitare, des
thèmes originaux oscillant entre trois et dix minutes, qu’il
développe au gré de ses voyages et de ses influences. Le Blues en
est bien sûr le squelette originel, dont il conserve la douleur et
l’authenticité. Mais il y greffe habilement des chansons
traditionnelles américaines, des mélodies médiévales et
liturgiques, et de la musique contemporaine. Sa musique est aride,
emplie des immenses espaces de l’Amérique. La guitare se suffit à
elle-même, et ne se révèle ni ennuyeuse, ni élitiste. C’est une
vaste musique de film, celle des songes de son auteur comme des
auditeurs qui sauront capter toute la force de ces joyaux auditifs.
Fahey
a publié des dizaines de disques entre 1959 et sa mort en 2001. Tous
vont du très bon au merveilleux.
Vol.6,
paru en 1967, possède toutes les qualités d’un grand disque du
guitariste. Il possède encore l’âpreté brute des premiers thèmes
Blues du début des années 60, et voit les thèmes musicaux devenir
plus ambitieux. Il a en lui cette ampleur majestueuse du voyage
intérieur, entre les petites villes du centre des Etats-Unis, les
grandes forêts de résineux du Michigan, et les plaines désertiques
du Texas et du Nevada. La seconde partie des années 60 va être
aussi pour Fahey une période inespérée dans sa carrière de
musicien. La jeunesse s’intéresse fortement au Folk, grâce à
Dylan et au Band aux Etats-Unis, à Bert Jansch, John Renbourn,
Fairport Convention et plusieurs artistes constituant une nouvelle
génération inspirée des musiques traditionnelles anglo-saxonnes.
Fahey va faire partie des musiciens qui vont bénéficier de cette
mise en lumière inédite, comme étant une des sources d’inspiration
majeure de ces courants musicaux, mais aussi un des interprètes les
plus authentiques, alors que sa musique est un alliage complexe et
totalement original.
Sa
réputation va même dépasser le cadre strict du Folk. Iggy Pop
citera souvent John Fahey comme étant un artiste totalement libre et
possédé, imprégné de sa propre musique, refusant toute
concession. Il est l’une des figures musicales les plus
représentatives du son de l’Amérique profonde, celle des
laissés-pour-compte, perdu dans les grands espaces. Iggy connaissait
bien cela, lui qui vécut dans une caravane dans la banlieue de
Detroit, à Ann Arbor. Ce spleen poussiéreux qui se dégage des
mélodies de Fahey, c’est ce qu’il avait dans le coeur. Il en
formentera
une version électrique et sauvage, qui deviendra les Stooges.
Pour
débuter l’exploration de sa fantastique et riche discographie, il
fallait un disque représentatif de son art. Fahey enregistra
essentiellement seul avec sa guitare acoustique, mais il s’est
parfois entouré d’un ou deux percussionnistes. Il a aussi, à la
fin de sa carrière, exploré les effets électro-acoustiques. Mais
il n’est jamais aussi bon que quand il est seul avec sa guitare.
C’est l’âme des Etats-Unis qui vibre en lui, autant le Blues que
le Country et les influences slaves ou amérindiennes. Chaque morceau
est un voyage, lui qui aimait tant les trains et les paysages de
voies ferrés. Tout un symbole de ce rêveur musical qui laisse
divaguer ses doigts sur le bois. Les titres de ses compositions sont
des références à son enfance, à l’histoire des Etats-Unis, au
Far-West ou au voyage à travers les grands paysages de l’Ouest.
Parfois
il s’exprime en une poignée de minutes, parfois il développe ses
thèmes sur huit minutes, comme sur « Raga Called Pat Part 1 »
et « Raga Called Pat Part 2 », ou encore « My
Sheperd Will Supply My Needs ». Sur ces morceaux, on s’approche
d’une certaine forme de musique classique teinté de Blues
ancestral, totalement enivrante. Par la suite, il développera sur
ses albums de longues suites dépassant les dix minutes, audacieuses
mais jamais ennuyeuses. Fahey est un conteur musical, il lui faudra
de plus en plus d’espace pour développer ses idées, supprimer les
limites de ses influences initiales. Il
s’agira aussi pour lui de prendre ses distances avec cette scène
Folk qui l’encense mais avec laquelle il ne se sent pas en phase.
Lui est un explorateur, la compromission n’est pas son crédo.
John
Fahey connaîtra un certain succès, qui permettra de donner quelques
concerts à travers le pays, régulièrement. Il sera aussi le point
de départ pour bien des musiciens, qu’ils soient anglais ou
américains : Bert Jansch, John Renbourn, Leo Kottke, Pete Lang…
l’anglais
Bert Jansch distillera durant les années soixante-dix des disques
composés de longs développements, comme Fahey, qu’il dédiera aux
oiseaux, son autre grande passion. Il est impossible d’être
insensible à la musique de John Fahey, elle est sublime. Mais elle
nécessite aussi d’être prêt à s’ouvrir à des horizons si
vastes qu’ils pourraient profondément vous bouleverser.
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