mardi 7 février 2017

JOHN FAHEY 1967

" Il suffit d’un peu d’imagination, et la route s’offre à nous."

JOHN FAHEY : Vol.6 Days Have Gone By 1967

Il n’est pas nécessaire d’aller très loin pour voyager. Il suffit d’un peu d’imagination, et la route s’offre à nous. J’ai souvent fait ce type de voyage, faute d’argent, faute de temps, faute d’une certaine inconscience peut-être. John Fahey est un type singulier. Né dans une famille de musiciens, il vit dans le quartier de Takoma Park, vers Washington, et découvre la musique avec le Blues. Comme beaucoup il va y consacrer sa vie. Il aurait pu faire partie de Grateful Dead ou du Band, mais il n’en sera rien.

Fahey est un garçon discret et introspectif, qui va faire sa musique dans son coin, sortant lui-même ses disques sur son propre label, Takoma, et ne quittant son univers que pour faire partager sa musique lors de quelques sets à travers le pays, entre deux cours de musique à l’université. Il a une bouille de professeur, John Fahey, avec sa chemise en grosse toile, ses pompes cirées et sa mèche cachant difficilement une calvitie naissante. Il ressemble à ces travailleurs du début du vingtième siècle, avec leur veston raide, et leur pantalon de jean.

Fahey se passionne pour le Blues ancestral, celui, noir américain, des années 20 à 40, mais aussi pour la musique classique contemporaine, celle de Bartok ou Varese. Son jeu de guitare acoustique est l’étrange mixture de toutes ces influences, et bien plus encore. Il est à ce point bon et authentique qu’il capte ses premiers thèmes à la fin des années 50 sur un petit label, Fonotone. Ce dernier ne les publiera pas, et Fahey récupérera les bandes. Il fonde son propre label, Takoma, et presse quelques centaines de disques qu’il vend à la fin de ses prestations. Il se fait appeler d’abord Blind Thomas, en référence à Blind Lemon Jefferson, avant de reprendre son nom. Ses premiers admirateurs vont eux le surnommer Blind Joe Death, qui donnera son nom au premier véritable album Takoma de Fahey, en 1959. Ce qui est certain, c’est que ce premier pseudonyme comme son surnom traduit l’importante similitude de la musique avec un Blues primitif hérité des noirs américains. Et c’est ce qui attire ce public d’étudiants, qui vont par la suite se passionner pour le Folk de Bob Dylan et Joan Baez.

John Fahey n’est pas un auteur-compositeur qui chante ses compositions dans de petites salles universitaires ou des clubs branchés ourdis à la bière. Sa musique est entièrement instrumentale, et n’est dotée d’aucun accompagnement. Fahey joue seul, avec sa guitare, des thèmes originaux oscillant entre trois et dix minutes, qu’il développe au gré de ses voyages et de ses influences. Le Blues en est bien sûr le squelette originel, dont il conserve la douleur et l’authenticité. Mais il y greffe habilement des chansons traditionnelles américaines, des mélodies médiévales et liturgiques, et de la musique contemporaine. Sa musique est aride, emplie des immenses espaces de l’Amérique. La guitare se suffit à elle-même, et ne se révèle ni ennuyeuse, ni élitiste. C’est une vaste musique de film, celle des songes de son auteur comme des auditeurs qui sauront capter toute la force de ces joyaux auditifs.

Fahey a publié des dizaines de disques entre 1959 et sa mort en 2001. Tous vont du très bon au merveilleux. Vol.6, paru en 1967, possède toutes les qualités d’un grand disque du guitariste. Il possède encore l’âpreté brute des premiers thèmes Blues du début des années 60, et voit les thèmes musicaux devenir plus ambitieux. Il a en lui cette ampleur majestueuse du voyage intérieur, entre les petites villes du centre des Etats-Unis, les grandes forêts de résineux du Michigan, et les plaines désertiques du Texas et du Nevada. La seconde partie des années 60 va être aussi pour Fahey une période inespérée dans sa carrière de musicien. La jeunesse s’intéresse fortement au Folk, grâce à Dylan et au Band aux Etats-Unis, à Bert Jansch, John Renbourn, Fairport Convention et plusieurs artistes constituant une nouvelle génération inspirée des musiques traditionnelles anglo-saxonnes. Fahey va faire partie des musiciens qui vont bénéficier de cette mise en lumière inédite, comme étant une des sources d’inspiration majeure de ces courants musicaux, mais aussi un des interprètes les plus authentiques, alors que sa musique est un alliage complexe et totalement original.

Sa réputation va même dépasser le cadre strict du Folk. Iggy Pop citera souvent John Fahey comme étant un artiste totalement libre et possédé, imprégné de sa propre musique, refusant toute concession. Il est l’une des figures musicales les plus représentatives du son de l’Amérique profonde, celle des laissés-pour-compte, perdu dans les grands espaces. Iggy connaissait bien cela, lui qui vécut dans une caravane dans la banlieue de Detroit, à Ann Arbor. Ce spleen poussiéreux qui se dégage des mélodies de Fahey, c’est ce qu’il avait dans le coeur. Il en formentera une version électrique et sauvage, qui deviendra les Stooges.

Pour débuter l’exploration de sa fantastique et riche discographie, il fallait un disque représentatif de son art. Fahey enregistra essentiellement seul avec sa guitare acoustique, mais il s’est parfois entouré d’un ou deux percussionnistes. Il a aussi, à la fin de sa carrière, exploré les effets électro-acoustiques. Mais il n’est jamais aussi bon que quand il est seul avec sa guitare. C’est l’âme des Etats-Unis qui vibre en lui, autant le Blues que le Country et les influences slaves ou amérindiennes. Chaque morceau est un voyage, lui qui aimait tant les trains et les paysages de voies ferrés. Tout un symbole de ce rêveur musical qui laisse divaguer ses doigts sur le bois. Les titres de ses compositions sont des références à son enfance, à l’histoire des Etats-Unis, au Far-West ou au voyage à travers les grands paysages de l’Ouest.

Parfois il s’exprime en une poignée de minutes, parfois il développe ses thèmes sur huit minutes, comme sur « Raga Called Pat Part 1 » et « Raga Called Pat Part 2 », ou encore « My Sheperd Will Supply My Needs ». Sur ces morceaux, on s’approche d’une certaine forme de musique classique teinté de Blues ancestral, totalement enivrante. Par la suite, il développera sur ses albums de longues suites dépassant les dix minutes, audacieuses mais jamais ennuyeuses. Fahey est un conteur musical, il lui faudra de plus en plus d’espace pour développer ses idées, supprimer les limites de ses influences initiales. Il s’agira aussi pour lui de prendre ses distances avec cette scène Folk qui l’encense mais avec laquelle il ne se sent pas en phase. Lui est un explorateur, la compromission n’est pas son crédo.

John Fahey connaîtra un certain succès, qui permettra de donner quelques concerts à travers le pays, régulièrement. Il sera aussi le point de départ pour bien des musiciens, qu’ils soient anglais ou américains : Bert Jansch, John Renbourn, Leo Kottke, Pete Lang… l’anglais Bert Jansch distillera durant les années soixante-dix des disques composés de longs développements, comme Fahey, qu’il dédiera aux oiseaux, son autre grande passion. Il est impossible d’être insensible à la musique de John Fahey, elle est sublime. Mais elle nécessite aussi d’être prêt à s’ouvrir à des horizons si vastes qu’ils pourraient profondément vous bouleverser.

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