"Andromeda
est un album riche, fourmillant d'idées et d'influences pour donner
une musique unique et totalement novatrice."
ANDROMEDA :
Andromeda 1969
L'Histoire
du Rock a gardé en tête les principaux protagonistes du Hard-Rock
et du Heavy-Metal comme des innovateurs après qui le monde ne fut
plus le même. Led Zeppelin, Deep Purple et Black Sabbath sont le
triangle d'or du Metal chromé. L'idée que rien ne fut plus pareil
après eux n'est pas faux, du moins aux Etats-Unis. En effet, seuls
les groupes les plus importants pouvaient s'exporter
Outre-Atlantique, et le Hard-Rock américain de la seconde moitié
des années 70 leur doit tout, sans hésitation. En ce qui concerne
la Grande-Bretagne, rien n'est si simple.
Bien
évidemment, au pays d'où naquirent les Géants de Fer et d'Acier,
une arrière-garde existait. Vivant dans l'ombre de ces grandes
formations, ils développèrent une musique parfois plus agressive,
plus abrupte et encore davantage sans concession. Ils s'appellent
Leaf Hound, Stray, Budgie, Crushed Butler, Three Man Army, Bedlam, ou
Steamhammer et font le bonheur des amateurs, ravis de découvrir de
petits groupes brillants mais inconnus du grand public, véritables
pépite d'un riche univers musical.
Certains
sont carrément capitaux pour le développement du genre. Ils sont
apparus peu ou prou en même temps que Led Zeppelin, et ont souvent
croisé le chemin de ces derniers comme de Black Sabbath. Et il
semble évident qu'ils aient indirectement apporté leur pierre à
l'édifice par quelques emprunts ci et là. Deux semblent à ce titre
primordiaux en Grande-Bretagne : Bakerloo et Andromeda.
Le
second a partagé à plusieurs reprises l'affiche des Yardbirds, des
New Yardbirds, puis de Led Zeppelin entre 1968 et 1969, et enfin de
Black Sabbath au tout début de l'année 1970. Et il est indéniable
que le son d'Andromeda et ses compositions acides ont fait grande
impression chez Jimmy Page comme Tony Iommi.
L'histoire
d'Andromeda est liée à celle de son guitariste : John Cann. Il
débute en 1964 dans un groupe de reprises Rythm'N'Blues du nom de
The Sonics, sans relation avec le groupe Garage américain de la même
époque. Ils deviennent The Attack et se tourne vers ce que l'on
appelle le Freak Beat, un Rythm'N'Blues rugueux et Rock'N'Roll, dont
sont notamment friands les Mods. The Attack publie une poignée de
simples sur le label Decca, mais se fait virer par manque de succès
commercial malgré une réputation flatteuse sur le circuit des
clubs.
John
Cann devient John DuCann sous la suggestion de son manager,
considérant qu'une particule noble donne une touche typiquement
British décadente. Cann forme un trio avec le bassiste Mick
Hawksworth, et le batteur Jack Collins, alias Jack MacCullough, le
frère de Jimmy, futur guitariste des Wings de Paul MacCartney. Il
signe avec un label de disques bon marché du nom de Saga, qui leur
commande un disque psychédélique. Ils deviennent les Five Day Week
Straw People, et enregistre le dit album en quatre petites heures.
Parallèlement,
le trio travaille ses propres compositions, et jouent de plus en plus
intensément dans les clubs. Leur musique est basée sur le Blues
électrique anglais d'alors, les amplificateurs poussés dans le
rouge comme Cream. Cela est suffisant pour intéresser l'animateur
radio de la BBC, le mythique John Peel, qui les invite à participer
à son émission, Top Gear. Le trio se nomme désormais Andromeda, du
nom de la constellation. John Cann laisse libre court à son grand
intérêt pour la magie, l'astronomie et la science-fiction.
La
session est diffusée, et Andromeda joue dans le circuit des
universités en tête d'affiche ou aux côtés des Yardbirds de Jimmy
Page, puis de son nouveau quatuor. John Peel pense même signer le
groupe sur son propre label, Dandelion. Pourtant, intervient un
changement de batteur qui contrarie fortement l'animateur radio.
MacCullough est débarqué pour laisser sa place à un batteur plus
puissant du nom de Ian MacLane. Andromeda enrichit son Heavy-Blues
psychédélique de structures plus complexes que l'on peut qualifier
de progressives. Cette évolution déconcerte John Peel qui retire
son offre de signature. Qu'importe, Andromeda intéresse déjà le
producteur des Who, Kit Lambert, et son guitariste, Pete Townshend.
Là encore, il s'agira d'un faux espoir.
Finalement
Andromeda signe sur RCA pour un simple et un album. Le disque est
produit par John Cann lui-même, mais sa première mouture est jugée
trop brute par la maison de disques. Le guitariste retravaille
quelque peu les bandes, et ce premier et unique album éponyme voit
le jour.
Mais
déjà, Led Zeppelin a gagné la course, et publie son premier disque
en janvier 1969. Quant à Jeff Beck, il publie l'incendiaire Beck-Ola
quelques mois plus tard, rendant obsolète le psychédélisme
d'Andromeda.
Pourtant,
le trio de John Cann a toujours de nombreuses coudées d'avance en
termes de créativité. Sa musique est d'abord l'une des plus
agressives du moment. Les tempos lourds préfigurent toujours Black
Sabbath, même si Led Zeppelin a franchi un pas capital en terme de
violence sonore. Enfin, l'introduction du morceau « Return To
Sanity » basé sur l'instrumental « Mars » de la
Suite des Planètes du compositeur contemporain Gustav Holzt sera
réutilisée quelques mois plus tard par un autre groupe novateur :
King Crimson. Andromeda est également l'une des premières
formations de Rock psychédélique à découper ses morceaux en
plusieurs parties avec un intitulé individuel correspondant à
l'ambiance du thème. La construction des morceaux s'inspire ainsi
des pièces de musique classique, idée que reprendra également la
formation de Robert Fripp.
Indépendamment
de tous ces éléments historiques, Andromeda est un disque
magique. Il est l'un des tous meilleurs albums de Heavy-Blues
psychédélique de toute l'Histoire de la musique, dont la qualité
surpasse de plusieurs têtes celle de disques de Rock de la même
époque et à la renommée bien plus grande.
Tout
débute par le trépidant « Too Old », galop wagnérien
qui débouche sur un riff sale. Le son de la guitare est rugueux, les
chorus hantés, rampant sur le plancher comme des ectoplasmes en
colère. Andromeda joue une musique glauque, noire, maudite, sur
laquelle poussent d'étranges fleurs multicolores. « Too Old »
est un violent démarrage suivi du mystérieux « The Day of The
Change ». La ligne mélodique a les saveurs de l'Afrique du
Nord. Mick Hawksworth assure des lignes de basse puissantes et
foisonnantes. Son jeu rappelle celui de Jack Bruce, mais
contrairement à ce dernier, il ne cherche pas à rentrer en
compétition avec la guitare, il la suit et la soutient en permanence
tout en enrichissant le son du trio. Le thème s'emballe pour laisser
John Cann s'envoler en solo. Le trémolo très particulier de sa
Fender Telecaster imprime une atmosphère entre psychédélisme et
ésotérisme.
« Now
The Sun Shines » est une chanson délicate sur laquelle Cann
superpose plusieurs couches de guitares électrique et acoustique. Sa
voix est un élément important. Son timbre chaleureux, presque
crooner sur certaines intonations, rappelle le premier chanteur de
Deep Purple, Rod Evans. Il est toutefois moins maniéré dans son
interprétation, et rend chaque morceau fluide. Ces trois premiers
morceaux sont suivis de deux pièces plus progressives en trois
parties chacune. Le premier est « Turn To Dust ». Il
débute dans une atmosphère entre orage et lumière lyrique.
L'atmosphère presque monastique se poursuit sur le début de la
seconde partie, avant de plonger dans un riff violent et malsain que
n'aurait pas renié Black Sabbath. « Turn To Dust »
semble conçu comme une symphonie, avec choeurs quasi grégoriens, et
lignes harmoniques autant empruntées au Blues, au Jazz, qu'à la
musique classique. Cann déambule dans le ciel, faisant onduler les
notes délicates comme des violons. Puis la dernière partie explose,
en matraquage de Heavy-Blues trépidant, avant de revenir au thème
introductif.
« Return
To Sanity » débute donc par « Mars » de Gustav
Holzt repris en format Rock. Cette idée sera donc reprise par King
Crimson, mais aussi par Diamond Head en 1980 en introduction de « Am
I Evil ». Le son de guitare noir de Cann imprime une violence
toute particulière à ce thème. Puis la douceur d'après la tempête
reprend le dessus. Quelques arpèges de guitare soutenus par une
batterie délicate dévoile le thème. Une atmosphère angoissante de
solitude s'installe durant le couplet avant que ne rugissent à
nouveau basse et guitare. Le morceau se clôt une fois encore par une
frénésie de chorus possédés.
Deux
petits morceaux poursuivent l'album : « The Reason »,
agréable mais un petit cran en-dessous de ses brillants
prédécesseurs, puis le monacal et lumineux « I Can Stop The
Sun ». Ce second morceau est une merveille qui renoue avec
l'atmosphère de soleil levant sur la mer. Cann y chante et joue
seul, accompagné d'un discret piano, et de choeurs une fois encore
quasi religieux.
« When
To Stop » est l'ultime pièce de l'album. C'est encore une
petite symphonie en trois actes. L'atmosphère se fait d'abord très
Jazz, les trois musiciens swinguant sur le tempo. Puis John Cann
appuie sur les cordes, le son se fait de plus en plus agressif. Puis
l'orage éclate à nouveau, la batterie et la basse s'emballent. Le
second thème est plus classiquement Heavy-Blues, avant de subir une
accélération frénétique. Cette montée de folie électrique
trouvera écho sur les quatre premiers disques de Budgie, qui
utilisera souvent ces ruptures de thèmes et ces accélérations en
forme de maelstroms obsédants. La troisième et dernière partie est
une superbe coda acoustique, qui s'inspire de la musique classique
espagnole dans la tonalité de la guitare et la mélancolie du thème.
L'album se termine comme l'envol de grands oiseaux blancs vers
l'horizon.
Andromeda
est un album riche, fourmillant d'idées et d'influences pour donner
une musique unique et totalement novatrice. Il n'aura malheureusement
pas de successeur. La maison de disques ne fait rien pour soutenir le
trio, et lorsqu'il réussit à nouveau à décrocher un nouvel
engagement, John DuCann se retrouve face à des individus peu motivés
pour les soutenir. Quelques morceaux sont enregistrés début 1970,
et Andromeda partage l'affiche avec un Black Sabbath sur le point de
sortir son premier disque fondateur. Lassé de ce climat d'échec,
John DuCann accepte l'offre de l'organiste Vincent Crane de rejoindre
son groupe, Atomic Rooster. Le guitariste fera des merveilles le
temps d'un disque splendide, Death Walks Behind You, en 1970.
Le
petit bijou électrique qu'est Andromeda fera alors le bonheur
d'une nouvelle génération de Heavy-Rock psychédélique : les
formations dites Stoner font y puiser mille idées. Après avoir
servi de vivier créatif pour trois des plus grandes formations de
l'Histoire du Rock anglais, le disque irradie toujours de sa magie le
Rock moderne. Chaque écoute est une source inépuisable de plaisirs
soniques et de découvertes. Je n'ai pour l'heure pas encore réussi
à en épuiser les ressources, seize années après sa découverte.
tous droits réservés
2 commentaires:
c'est fou ce disque je le mettais exactement dans la catégorie "perle poisonneuse passée à l'as dans le foisonnant brouet brutale de fin 60 tout début 70" comme ceux de Bakerloo, Steamhammer, ou le trop terrible The End of the Game de Peter Green! Des génies peut être pas assez consensuels dans la forme pour avoir été entendu... Très très grand Album, merci pour l'éclairage sur le contexte et les bonhommes... C'est fou qu'il y ait eu autant de talent albionnesque en si peu de temps... c'est tellement minuscule par rapport aux USA...
Merci à toi. Ce qui est également fou, c'est de se dire qu'en cinq petites années, on est passé de "Help" des Beatles au premier album de Led Zeppelin. C'est le temps qu'il faut à Coldplay pour sortir péniblement deux albums.
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