"Présenté
à la presse en février 1974, Burn est le disque du
renouveau."
DEEP
PURPLE : Burn 1974
Dans
les années 70, les choses allaient vite. Imaginez un peu que fin
1969, Deep Purple est un groupe en déroute. Après quelques simples
à grand succès aux Etats-Unis en 1968, le quintet fondé par
l'organiste Jon Lord publie un troisième album qui disparaît dans
les tréfonds des classements internationaux. Le chanteur Rod Evans
et le bassiste Nick Simper sont alors remplacés pour laisser la
place respectivement à Ian Gillan et Roger Glover. L'objectif est
d'opérer une mutation musicale profonde, et réorienter Deep Purple
vers le Hard-Rock, qui triomphe grâce à Led Zeppelin. Le guitariste
Ritchie Blackmore prend le contrôle des opérations après un ultime
projet mené par Lord, un concerto enregistré au Royal Albert Hall
avec le Royal Philharmonic Orchestra. Deep Purple devient un
bombardier chromé, et va enchaîner les disques emblématiques :
In Rock, Fireball, et Machine Head. Attraction
scénique très demandée, Deep Purple n'arrête plus de jouer
partout sur la planète, et en 1972, le groupe est au sommet du
monde, triomphant au Japon où il enregistrera son mythique disque en
public : Live In Japan.
Mais
en 1973, rien ne va plus. Epuisés par trois années harassantes de
travail, l'ambiance devient extrêmement tendue. Blackmore et Gillan
ne se supportent plus, en venant régulièrement aux mains. Alors que
le simple « Smoke On The W ater » est en haut des
classements européens et américains, il faut penser à un nouvel
album et à une nouvelle tournée mondiale. Et plus personne n'a
vraiment envie de faire de la musique ensemble. A commencer par le
guitariste Ritchie Blackmore.
Ce
dernier a déjà participé à une escapade parallèle, accompagné
du batteur Ian Paice. Il enregistre des classiques de Blues et de
Soul en compagnie de Matthew Fisher de Procol Harum, et d'Albert Lee
sous le nom de Green Bullfrog en 1972. Ces sessions sont très
agréables, et provoque une rencontre capitale. Aux studios De Lane
Lea, dans la pièce d'à côté, un autre groupe enregistre. Il
s'agit d'un projet commercial qui se nommera Funky Junction, et qui a
pour objectif de publier avec un budget plus que minimal un album de
reprises de Deep Purple. Parmi les musiciens présents se trouvent
Eric Bell, Brian Downey et Philip Lynott, soit Thin Lizzy au grand
complet. Après deux albums sans succès, le trio irlandais, sans le
sou, a accepté l'offre du producteur Leo Miller pour faire un peu de
cash. Lynott se pose déjà de vraies questions sur les capacités de
Thin Lizzy d'y arriver, mais il va persévérer en enregistrant un
troisième disque, publié l'année suivante. En attendant, le
contact avec Blackmore et Paice est excellent. Et il se trouve que
ces deux derniers évoquent leur envie de faire évoluer Deep Purple
vers un son plus Funk et Blues, soit exactement ce que pratique
Lynott avec Thin Lizzy. Néanmoins, tout le monde repart de son côté.
Deep
Purple publie en 1973 le tiède Who Do We Think We Are ?,
qui montre au combien le groupe manque d'inspiration. La tournée qui
suit est catastrophique, les relations entre Gillan et Blackmore sont
arrivées à un point de non retour total. Deep Purple est au bord de
la séparation. Le guitariste veut partir. Ce dernier est resté en
contact avec Phil Lynott, qui lui aussi est en pleine crise. Le
dernier album de Thin Lizzy, Vagabonds Of The Western World,
ne s'est pas mieux vendu malgré le hit « Whisky In The Jar ».
Il faut dire que cette chanson, une reprise d'un air traditionnel
irlandais, ne reflète pas vraiment la musique du trio, et n'aura
donc aucun impact sur les ventes du LP. Leur maison de disques Decca
les lâche, et le guitariste Eric Bell décide de partir. Lynott est
donc libre, et Blackmore est semble-t-il sur la même voie. Le
batteur Ian Paice est prêt à le suivre. Lynott, Paice et Blackmore
répète même ensemble, et décident qu'il faudrait un chanteur à
part entière à la voix plus aigue, qui alternerait le chant avec
Lynott. Le candidat idéal est aussitôt trouvé : il s'appelle
Paul Rodgers. Lui aussi est disponible après la séparation de Free.
Il se joint donc aux répétitions. Le projet se concrétise, et la
rumeur arrive rapidement aux oreilles de Jon Lord.
L'organiste
assiste à la déroute de son groupe. Il lui faut faire un choix :
soit garder Gillan au chant et laisser Blackmore partir, soit
conserver le noir guitariste et virer la voix de Deep Purple. Et la
décision est d'autant plus urgente que Gillan a posé un ultimatum :
il ne restera pas tant que Blackmore y sera. Mais Lord, Blackmore et
Paice sont les trois membres fondateurs de Deep Purple d'une part, et
Blackmore est l'artificier en chef du quintet, celui qui a composé
les grands classiques Hard-Rock, et fait le show avec son jeu de
guitare virtuose et incandescent. Il décide donc de laisser Gillan
partir afin de récupérer son précieux guitariste. Les négociations
sont entamées, et finalement, ce dernier revient. Une dernière
série de concerts a lieu avec Gillan, qui assure tous ses
engagements, dans l'animosité la plus totale avant son départ en
juin.
Dans
l'intervalle, Rodgers a accepté l'offre du guitariste de Mott The
Hoople, Mick Ralphs, de le rejoindre dans son projet en gestation :
le futur Bad Company. Quant à Lynott, abandonné à son triste sort,
il décide de remonter son Thin Lizzy, aidé par son fidèle batteur
Brian Downey et son ami et guitariste Gary Moore. Deep Purple se
lance alors à la recherche d'un nouveau chanteur, mais il ne faudra
pas très longtemps pour qu'un autre nom apparaisse, présenté par
Ritchie Blackmore : Glenn Hughes. Il est le bassiste-chanteur
d'un autre fantastique trio de Hard-Rock Funk : Trapeze. Ce
dernier vient aux répétitions avec Deep Purple, Glover en est
exclus. Hughes étant aussi bassiste, plus besoin de ce dernier. Qui
plus est, Roger Glover étant un ami de Gillan, qu'il a ardemment
défendu lorsque les tensions entre le chanteur et le guitariste
étaient à leur paroxysme, voilà une excellente occasion de s'en
débarrasser. De toute façon, il n'avait pas le jeu de basse requis
pour les nouvelles idées de Blackmore. Glover prend donc son sac un
mois à peine après Gillan. Hughes est confirmé à son poste en
juillet.
Les
répétitions du désormais quatuor vont bon train, mais deux
problèmes se posent. D'abord, la transformation du format de quintet
historique en quatuor chagrine Lord, et d'autre part, Hughes peine à
assurer la basse et le chant sur les morceaux de Deep Purple, très
exigeants techniquement. Il est donc décidé de trouver un autre
chanteur, à part entière, et qui partagera le chant avec Hughes
suivant les morceaux, et permettra des choeurs très Soul. Paul
Rodgers fut un temps pressenti, mais le projet Bad Company étant
bien avancé, il décline poliment. Des auditions débutent en août,
et le choix se porte sur un chanteur inconnu, d'origine du Nord de la
Grande-Bretagne : David Coverdale. Il est bedonnant, a de grosse
lunettes fumées, mais a un timbre chaud et Blues parfait. De plus,
il est totalement inconnu, ce qui évitera toute velléité d'égos
face aux musiciens historiques.
Coverdale
débarque de son salon de coiffure où il travaille pour rejoindre
Deep Purple, pensant qu'il s'agit d'une simple audition. Personne ne
lui adresse vraiment la parole, on lui indique simplement ce qu'il
doit chanter. Il n'apprendra qu'à la fin de la journée qu'il est
devenu le chanteur officiel de Deep Purple, mais moyennant une
condition : exit les lunettes moches et le bide. On est une
Rockstar ou on ne l'est pas. Le quintet débarque à Montreux, en
Suisse, où la formation a déjà capté ses deux albums précédents,
en compagnie du non moins fidèle producteur Martin Birch. Nous
sommes fin 1973, et donc depuis 1969, Deep Purple, a viré son
premier chanteur et son premier bassiste pour les remplacer, a publié
quatre albums studios et deux albums en concert, a atteint les
sommets des classements internationaux, a failli se séparer, a viré
son second chanteur et son second bassiste, a embauché un nouveau
bassiste-chanteur, avant d'opter pour un chanteur supplémentaire, et
enfin se retrouve en studio pour enregistrer son huitième album. Le
nouveau line-up est présenté le 23 septembre 1973 au château de
Clearwell, où se déroulent les répétitions pour le nouvel album.
Le 9 décembre, le groupe assure son premier concert à Copenhague.
Présenté
à la presse en février 1974, Burn est le disque du
renouveau. Deep Purple joue son va-tout après plusieurs
rebondissements qui ont failli le conduire à sa perte. L'album
aborde de nouveaux territoires musicaux. Et que valent les deux
nouveaux venus ? Ces questions sont définitivement balayées
dès le premier titre, l'éponyme Burn. Violente embardée de
Speed-Rock, ce morceau devient instantanément un grand classique de
scène pour le quintet. Vif, épique, agressif, il débute par un
méchant riff de maître Blackmore, poursuivi par l'orgue de Lord, un
peu en retrait. Paice fracasse ses caisses à grands coups de
roulement sur les couplets. Coverdale chante en leader vocal le
morceau, accompagné de Hughes sur le refrain et le pont central. Il
est incontestable que les deux voix se marient à merveille, créant
une puissance vocale inédite chez Deep Purple. Burn est le
théâtre d'un somptueux solo de Blackmore suivi d'un chorus tout
aussi néo-classique de Lord.
Après
cet hymne authentiquement Hard-Rock, Deep Purple dévoile toute
l'ampleur de sa nouvelle approche. « Might Just Take Your
Life » est un superbe morceau de Hard-Soul dominé par la voix
puissante et rauque de Coverdale. Son timbre ressemble parfois à
celui de Stevie Wonder. La rythmique est puissante. L'orgue est très
en avant, seul instrument à officier en solo. Blackmore se contente
d'une rythmique efficace, visiblement très influencé par Booker-T
And The MG's ainsi que par Albert Lee avec qui il joua avec Green
Bullfrog.
« Lay
Down Stay Down » mêle un peu plus clairement Hard-Rock et Funk
Music : la rythmique est brutale, encore soutenu par
d'innombrables roulements de caisses frénétiques. Le piano se fait
très Blues, la basse a du groove, les choeurs sont très Soul.
Coverdale et Hughes se répartissent le chant équitablement,
croisant leurs organes admirables sur les refrains. L'interaction
entre ces deux-là est superbe, d'un naturel confondant. Blackmore
offre un solo audacieux, n'hésitant pas à aller à se frotter au
Blues-Rock de manière plus évidente. On distingue l'influence de
Peter Frampton, de Stan Webb, et d'Eric Clapton.
Le
très bon « Sail Away » approfondit le sillon
Heavy-Blues. L'atmosphère se fait plus noire, le riff est dense, le
tempo se fait lourd et pesant. Les voix se croisent encore sur le
refrain épique et lumineux. Lord a dégainé son Moog, et appuie le
riff abrupte de Blackmore. Ce dernier se lance en fin de morceau dans
un chorus sinueux et obsédant, à la saveur indianisante,
circonvolutions de notes ondulant dans le lointain.
« You
Fool No One » est un retour au Hard-Funk, avec sa batterie
soutenue de cowbell et et son riff pointilliste, très rythmique. Le
chant se fait à deux voix sur la quasi-totalité du morceau, comme
un titre de la Motown. « You Fool No One » deviendra un
autre grand classique du répertoire scénique de Deep Purple entre
1974 et 1976, théâtre de joutes virtuoses entre Paice, Blackmore et
Lord sur près de vingt minutes. Le guitariste explore énormément,
cherchant de nouvelles inspirations pour ses soli dans les musiques
exotiques d'Afrique du Nord ou d'Orient. Il se montre ici
particulièrement brillant, d'une expressivité rare, n'hésitant pas
à laisser de la place à l'émotion là où il lui fut souvent
reproché d'être un guitariste trop bavard et prétentieux.
« What's
Going On Here » est un Boogie-Blues aux teintes rappelant ZZ
Top. Ce n'est pas vraiment un hasard. Glenn Hughes connut avec
Trapeze un succès aussi surprenant qu'important au Texas, alors que
toujours inconnu dans son pays d'origine, jouant en tête d'affiche
aux côtés de groupes comme ZZ Top, justement. Il est donc probable
que « What's Going On Here » soit avant tout l'apport des
deux petits nouveaux. Lord dégaine son piano de saloon, et s'offre
un beau solo, le seul du morceau, Blackmore se contentant de bétonner
la rythmique et d''enluminer les couplets et les refrains de petits
chorus bluesy ravageurs.
Le
paroxysme est atteint avec le sublime Blues « Mistreated ».
Coverdale y est le roi, sa voix puissante et chaude fait des
miracles, accompagné d'un Ritchie Blackmore tout aussi royal à la
guitare. Là encore, lui à qui l'on a reproché de mettre des notes
dans tous les coins, laisse parler le feeling. Il va notamment
beaucoup jouer avec son vieil ami Stan Webb, guitariste de Chicken
Shack. Leurs groupes respectifs partageront d'ailleurs la même
affiche en mars 1975 en Europe. Webb lui enseigna la force de la note
soutenue, et les attaques avant le retour au spleen. Blackmore
découvre la nuance à la guitare, et son jeu à la technique unique
gagne de manière éblouissante en force et en émotions.
« Mistreated » en est la preuve éclatante, véritable
Heavy-Blues dominé par le chant et la guitare.
« A200 »
est un instrumental très spatial, au tempo martial, et dominé par
les synthétiseurs de Lord. Il n'apporte pas grand-chose à la
qualité du disque, mais le clôt de manière un peu déroutante.
Sans doute est-ce une concession à l'organiste, plutôt discret sur
ce nouveau disque dominé par les deux nouveaux et Blackmore. Ce
dernier se permet d'y apporter un solo massif et cosmique du plus bel
effet.
Burn
déroutera dans un premier temps les fans de Deep Purple, notamment
en Europe. Mais au pays du Blues et de la Soul, il décroche le
sommet des classements, se vendant à huit millions d'exemplaires aux
Etats-Unis. Deep Purple devient encore plus gros qu'avant, et va
connaître les frasques mégalomaniaques des plus grandes Rockstars,
comme les Rolling Stones et Led Zeppelin. Ils voyagent désormais
dans un Boeing à leur nom, seront les têtes d'affiches du festival
California Jam devant 350000 spectateurs. Pour l'occasion, un immense
arc-en-ciel lumineux domine la scène. Leur prestation sera diffusée
en direct par satellite à la télévision, privilège uniquement
accordé à Elvis Presley en 1972. A la fin du set, Blackmore, exalté
par l'événement, brise sa guitare puis s'attaque aux
amplificateurs. Il y met le feu et les fait exploser, provoquant des
dommages auditifs irrémédiables aux premiers rangs. Tous commencent
bien évidemment à vivre les excès, à commencer par Coverdale et
Hughes, qui découvrent la grande vie. Deep Purple domine le monde
dans un cortège d'alcool, de cocaïne et groupies. Le rythme effréné
de disques et de tournées va reprendre de plus belle, éreintant les
esprits et les organismes. Et là encore, tout ira très vite.
tous droits réservés
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire