lundi 5 septembre 2016

DEEP PURPLE 1974 Part 1

"Présenté à la presse en février 1974, Burn est le disque du renouveau."

DEEP PURPLE : Burn 1974

Dans les années 70, les choses allaient vite. Imaginez un peu que fin 1969, Deep Purple est un groupe en déroute. Après quelques simples à grand succès aux Etats-Unis en 1968, le quintet fondé par l'organiste Jon Lord publie un troisième album qui disparaît dans les tréfonds des classements internationaux. Le chanteur Rod Evans et le bassiste Nick Simper sont alors remplacés pour laisser la place respectivement à Ian Gillan et Roger Glover. L'objectif est d'opérer une mutation musicale profonde, et réorienter Deep Purple vers le Hard-Rock, qui triomphe grâce à Led Zeppelin. Le guitariste Ritchie Blackmore prend le contrôle des opérations après un ultime projet mené par Lord, un concerto enregistré au Royal Albert Hall avec le Royal Philharmonic Orchestra. Deep Purple devient un bombardier chromé, et va enchaîner les disques emblématiques : In Rock, Fireball, et Machine Head. Attraction scénique très demandée, Deep Purple n'arrête plus de jouer partout sur la planète, et en 1972, le groupe est au sommet du monde, triomphant au Japon où il enregistrera son mythique disque en public : Live In Japan.

Mais en 1973, rien ne va plus. Epuisés par trois années harassantes de travail, l'ambiance devient extrêmement tendue. Blackmore et Gillan ne se supportent plus, en venant régulièrement aux mains. Alors que le simple « Smoke On The W ater » est en haut des classements européens et américains, il faut penser à un nouvel album et à une nouvelle tournée mondiale. Et plus personne n'a vraiment envie de faire de la musique ensemble. A commencer par le guitariste Ritchie Blackmore.

Ce dernier a déjà participé à une escapade parallèle, accompagné du batteur Ian Paice. Il enregistre des classiques de Blues et de Soul en compagnie de Matthew Fisher de Procol Harum, et d'Albert Lee sous le nom de Green Bullfrog en 1972. Ces sessions sont très agréables, et provoque une rencontre capitale. Aux studios De Lane Lea, dans la pièce d'à côté, un autre groupe enregistre. Il s'agit d'un projet commercial qui se nommera Funky Junction, et qui a pour objectif de publier avec un budget plus que minimal un album de reprises de Deep Purple. Parmi les musiciens présents se trouvent Eric Bell, Brian Downey et Philip Lynott, soit Thin Lizzy au grand complet. Après deux albums sans succès, le trio irlandais, sans le sou, a accepté l'offre du producteur Leo Miller pour faire un peu de cash. Lynott se pose déjà de vraies questions sur les capacités de Thin Lizzy d'y arriver, mais il va persévérer en enregistrant un troisième disque, publié l'année suivante. En attendant, le contact avec Blackmore et Paice est excellent. Et il se trouve que ces deux derniers évoquent leur envie de faire évoluer Deep Purple vers un son plus Funk et Blues, soit exactement ce que pratique Lynott avec Thin Lizzy. Néanmoins, tout le monde repart de son côté.

Deep Purple publie en 1973 le tiède Who Do We Think We Are ?, qui montre au combien le groupe manque d'inspiration. La tournée qui suit est catastrophique, les relations entre Gillan et Blackmore sont arrivées à un point de non retour total. Deep Purple est au bord de la séparation. Le guitariste veut partir. Ce dernier est resté en contact avec Phil Lynott, qui lui aussi est en pleine crise. Le dernier album de Thin Lizzy, Vagabonds Of The Western World, ne s'est pas mieux vendu malgré le hit « Whisky In The Jar ». Il faut dire que cette chanson, une reprise d'un air traditionnel irlandais, ne reflète pas vraiment la musique du trio, et n'aura donc aucun impact sur les ventes du LP. Leur maison de disques Decca les lâche, et le guitariste Eric Bell décide de partir. Lynott est donc libre, et Blackmore est semble-t-il sur la même voie. Le batteur Ian Paice est prêt à le suivre. Lynott, Paice et Blackmore répète même ensemble, et décident qu'il faudrait un chanteur à part entière à la voix plus aigue, qui alternerait le chant avec Lynott. Le candidat idéal est aussitôt trouvé : il s'appelle Paul Rodgers. Lui aussi est disponible après la séparation de Free. Il se joint donc aux répétitions. Le projet se concrétise, et la rumeur arrive rapidement aux oreilles de Jon Lord.

L'organiste assiste à la déroute de son groupe. Il lui faut faire un choix : soit garder Gillan au chant et laisser Blackmore partir, soit conserver le noir guitariste et virer la voix de Deep Purple. Et la décision est d'autant plus urgente que Gillan a posé un ultimatum : il ne restera pas tant que Blackmore y sera. Mais Lord, Blackmore et Paice sont les trois membres fondateurs de Deep Purple d'une part, et Blackmore est l'artificier en chef du quintet, celui qui a composé les grands classiques Hard-Rock, et fait le show avec son jeu de guitare virtuose et incandescent. Il décide donc de laisser Gillan partir afin de récupérer son précieux guitariste. Les négociations sont entamées, et finalement, ce dernier revient. Une dernière série de concerts a lieu avec Gillan, qui assure tous ses engagements, dans l'animosité la plus totale avant son départ en juin.

Dans l'intervalle, Rodgers a accepté l'offre du guitariste de Mott The Hoople, Mick Ralphs, de le rejoindre dans son projet en gestation : le futur Bad Company. Quant à Lynott, abandonné à son triste sort, il décide de remonter son Thin Lizzy, aidé par son fidèle batteur Brian Downey et son ami et guitariste Gary Moore. Deep Purple se lance alors à la recherche d'un nouveau chanteur, mais il ne faudra pas très longtemps pour qu'un autre nom apparaisse, présenté par Ritchie Blackmore : Glenn Hughes. Il est le bassiste-chanteur d'un autre fantastique trio de Hard-Rock Funk : Trapeze. Ce dernier vient aux répétitions avec Deep Purple, Glover en est exclus. Hughes étant aussi bassiste, plus besoin de ce dernier. Qui plus est, Roger Glover étant un ami de Gillan, qu'il a ardemment défendu lorsque les tensions entre le chanteur et le guitariste étaient à leur paroxysme, voilà une excellente occasion de s'en débarrasser. De toute façon, il n'avait pas le jeu de basse requis pour les nouvelles idées de Blackmore. Glover prend donc son sac un mois à peine après Gillan. Hughes est confirmé à son poste en juillet.

Les répétitions du désormais quatuor vont bon train, mais deux problèmes se posent. D'abord, la transformation du format de quintet historique en quatuor chagrine Lord, et d'autre part, Hughes peine à assurer la basse et le chant sur les morceaux de Deep Purple, très exigeants techniquement. Il est donc décidé de trouver un autre chanteur, à part entière, et qui partagera le chant avec Hughes suivant les morceaux, et permettra des choeurs très Soul. Paul Rodgers fut un temps pressenti, mais le projet Bad Company étant bien avancé, il décline poliment. Des auditions débutent en août, et le choix se porte sur un chanteur inconnu, d'origine du Nord de la Grande-Bretagne : David Coverdale. Il est bedonnant, a de grosse lunettes fumées, mais a un timbre chaud et Blues parfait. De plus, il est totalement inconnu, ce qui évitera toute velléité d'égos face aux musiciens historiques.

Coverdale débarque de son salon de coiffure où il travaille pour rejoindre Deep Purple, pensant qu'il s'agit d'une simple audition. Personne ne lui adresse vraiment la parole, on lui indique simplement ce qu'il doit chanter. Il n'apprendra qu'à la fin de la journée qu'il est devenu le chanteur officiel de Deep Purple, mais moyennant une condition : exit les lunettes moches et le bide. On est une Rockstar ou on ne l'est pas. Le quintet débarque à Montreux, en Suisse, où la formation a déjà capté ses deux albums précédents, en compagnie du non moins fidèle producteur Martin Birch. Nous sommes fin 1973, et donc depuis 1969, Deep Purple, a viré son premier chanteur et son premier bassiste pour les remplacer, a publié quatre albums studios et deux albums en concert, a atteint les sommets des classements internationaux, a failli se séparer, a viré son second chanteur et son second bassiste, a embauché un nouveau bassiste-chanteur, avant d'opter pour un chanteur supplémentaire, et enfin se retrouve en studio pour enregistrer son huitième album. Le nouveau line-up est présenté le 23 septembre 1973 au château de Clearwell, où se déroulent les répétitions pour le nouvel album. Le 9 décembre, le groupe assure son premier concert à Copenhague.

Présenté à la presse en février 1974, Burn est le disque du renouveau. Deep Purple joue son va-tout après plusieurs rebondissements qui ont failli le conduire à sa perte. L'album aborde de nouveaux territoires musicaux. Et que valent les deux nouveaux venus ? Ces questions sont définitivement balayées dès le premier titre, l'éponyme Burn. Violente embardée de Speed-Rock, ce morceau devient instantanément un grand classique de scène pour le quintet. Vif, épique, agressif, il débute par un méchant riff de maître Blackmore, poursuivi par l'orgue de Lord, un peu en retrait. Paice fracasse ses caisses à grands coups de roulement sur les couplets. Coverdale chante en leader vocal le morceau, accompagné de Hughes sur le refrain et le pont central. Il est incontestable que les deux voix se marient à merveille, créant une puissance vocale inédite chez Deep Purple. Burn est le théâtre d'un somptueux solo de Blackmore suivi d'un chorus tout aussi néo-classique de Lord.

Après cet hymne authentiquement Hard-Rock, Deep Purple dévoile toute l'ampleur de sa nouvelle approche. « Might Just Take Your Life » est un superbe morceau de Hard-Soul dominé par la voix puissante et rauque de Coverdale. Son timbre ressemble parfois à celui de Stevie Wonder. La rythmique est puissante. L'orgue est très en avant, seul instrument à officier en solo. Blackmore se contente d'une rythmique efficace, visiblement très influencé par Booker-T And The MG's ainsi que par Albert Lee avec qui il joua avec Green Bullfrog.

« Lay Down Stay Down » mêle un peu plus clairement Hard-Rock et Funk Music : la rythmique est brutale, encore soutenu par d'innombrables roulements de caisses frénétiques. Le piano se fait très Blues, la basse a du groove, les choeurs sont très Soul. Coverdale et Hughes se répartissent le chant équitablement, croisant leurs organes admirables sur les refrains. L'interaction entre ces deux-là est superbe, d'un naturel confondant. Blackmore offre un solo audacieux, n'hésitant pas à aller à se frotter au Blues-Rock de manière plus évidente. On distingue l'influence de Peter Frampton, de Stan Webb, et d'Eric Clapton.

Le très bon « Sail Away » approfondit le sillon Heavy-Blues. L'atmosphère se fait plus noire, le riff est dense, le tempo se fait lourd et pesant. Les voix se croisent encore sur le refrain épique et lumineux. Lord a dégainé son Moog, et appuie le riff abrupte de Blackmore. Ce dernier se lance en fin de morceau dans un chorus sinueux et obsédant, à la saveur indianisante, circonvolutions de notes ondulant dans le lointain.

« You Fool No One » est un retour au Hard-Funk, avec sa batterie soutenue de cowbell et et son riff pointilliste, très rythmique. Le chant se fait à deux voix sur la quasi-totalité du morceau, comme un titre de la Motown. « You Fool No One » deviendra un autre grand classique du répertoire scénique de Deep Purple entre 1974 et 1976, théâtre de joutes virtuoses entre Paice, Blackmore et Lord sur près de vingt minutes. Le guitariste explore énormément, cherchant de nouvelles inspirations pour ses soli dans les musiques exotiques d'Afrique du Nord ou d'Orient. Il se montre ici particulièrement brillant, d'une expressivité rare, n'hésitant pas à laisser de la place à l'émotion là où il lui fut souvent reproché d'être un guitariste trop bavard et prétentieux.

« What's Going On Here » est un Boogie-Blues aux teintes rappelant ZZ Top. Ce n'est pas vraiment un hasard. Glenn Hughes connut avec Trapeze un succès aussi surprenant qu'important au Texas, alors que toujours inconnu dans son pays d'origine, jouant en tête d'affiche aux côtés de groupes comme ZZ Top, justement. Il est donc probable que « What's Going On Here » soit avant tout l'apport des deux petits nouveaux. Lord dégaine son piano de saloon, et s'offre un beau solo, le seul du morceau, Blackmore se contentant de bétonner la rythmique et d''enluminer les couplets et les refrains de petits chorus bluesy ravageurs.

Le paroxysme est atteint avec le sublime Blues « Mistreated ». Coverdale y est le roi, sa voix puissante et chaude fait des miracles, accompagné d'un Ritchie Blackmore tout aussi royal à la guitare. Là encore, lui à qui l'on a reproché de mettre des notes dans tous les coins, laisse parler le feeling. Il va notamment beaucoup jouer avec son vieil ami Stan Webb, guitariste de Chicken Shack. Leurs groupes respectifs partageront d'ailleurs la même affiche en mars 1975 en Europe. Webb lui enseigna la force de la note soutenue, et les attaques avant le retour au spleen. Blackmore découvre la nuance à la guitare, et son jeu à la technique unique gagne de manière éblouissante en force et en émotions. « Mistreated » en est la preuve éclatante, véritable Heavy-Blues dominé par le chant et la guitare.

« A200 » est un instrumental très spatial, au tempo martial, et dominé par les synthétiseurs de Lord. Il n'apporte pas grand-chose à la qualité du disque, mais le clôt de manière un peu déroutante. Sans doute est-ce une concession à l'organiste, plutôt discret sur ce nouveau disque dominé par les deux nouveaux et Blackmore. Ce dernier se permet d'y apporter un solo massif et cosmique du plus bel effet.


Burn déroutera dans un premier temps les fans de Deep Purple, notamment en Europe. Mais au pays du Blues et de la Soul, il décroche le sommet des classements, se vendant à huit millions d'exemplaires aux Etats-Unis. Deep Purple devient encore plus gros qu'avant, et va connaître les frasques mégalomaniaques des plus grandes Rockstars, comme les Rolling Stones et Led Zeppelin. Ils voyagent désormais dans un Boeing à leur nom, seront les têtes d'affiches du festival California Jam devant 350000 spectateurs. Pour l'occasion, un immense arc-en-ciel lumineux domine la scène. Leur prestation sera diffusée en direct par satellite à la télévision, privilège uniquement accordé à Elvis Presley en 1972. A la fin du set, Blackmore, exalté par l'événement, brise sa guitare puis s'attaque aux amplificateurs. Il y met le feu et les fait exploser, provoquant des dommages auditifs irrémédiables aux premiers rangs. Tous commencent bien évidemment à vivre les excès, à commencer par Coverdale et Hughes, qui découvrent la grande vie. Deep Purple domine le monde dans un cortège d'alcool, de cocaïne et groupies. Le rythme effréné de disques et de tournées va reprendre de plus belle, éreintant les esprits et les organismes. Et là encore, tout ira très vite.

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