mercredi 28 septembre 2016

ANDROMEDA 1969

 "Andromeda est un album riche, fourmillant d'idées et d'influences pour donner une musique unique et totalement novatrice."

ANDROMEDA : Andromeda 1969

L'Histoire du Rock a gardé en tête les principaux protagonistes du Hard-Rock et du Heavy-Metal comme des innovateurs après qui le monde ne fut plus le même. Led Zeppelin, Deep Purple et Black Sabbath sont le triangle d'or du Metal chromé. L'idée que rien ne fut plus pareil après eux n'est pas faux, du moins aux Etats-Unis. En effet, seuls les groupes les plus importants pouvaient s'exporter Outre-Atlantique, et le Hard-Rock américain de la seconde moitié des années 70 leur doit tout, sans hésitation. En ce qui concerne la Grande-Bretagne, rien n'est si simple.
Bien évidemment, au pays d'où naquirent les Géants de Fer et d'Acier, une arrière-garde existait. Vivant dans l'ombre de ces grandes formations, ils développèrent une musique parfois plus agressive, plus abrupte et encore davantage sans concession. Ils s'appellent Leaf Hound, Stray, Budgie, Crushed Butler, Three Man Army, Bedlam, ou Steamhammer et font le bonheur des amateurs, ravis de découvrir de petits groupes brillants mais inconnus du grand public, véritables pépite d'un riche univers musical.

Certains sont carrément capitaux pour le développement du genre. Ils sont apparus peu ou prou en même temps que Led Zeppelin, et ont souvent croisé le chemin de ces derniers comme de Black Sabbath. Et il semble évident qu'ils aient indirectement apporté leur pierre à l'édifice par quelques emprunts ci et là. Deux semblent à ce titre primordiaux en Grande-Bretagne : Bakerloo et Andromeda.
Le second a partagé à plusieurs reprises l'affiche des Yardbirds, des New Yardbirds, puis de Led Zeppelin entre 1968 et 1969, et enfin de Black Sabbath au tout début de l'année 1970. Et il est indéniable que le son d'Andromeda et ses compositions acides ont fait grande impression chez Jimmy Page comme Tony Iommi.

L'histoire d'Andromeda est liée à celle de son guitariste : John Cann. Il débute en 1964 dans un groupe de reprises Rythm'N'Blues du nom de The Sonics, sans relation avec le groupe Garage américain de la même époque. Ils deviennent The Attack et se tourne vers ce que l'on appelle le Freak Beat, un Rythm'N'Blues rugueux et Rock'N'Roll, dont sont notamment friands les Mods. The Attack publie une poignée de simples sur le label Decca, mais se fait virer par manque de succès commercial malgré une réputation flatteuse sur le circuit des clubs.
John Cann devient John DuCann sous la suggestion de son manager, considérant qu'une particule noble donne une touche typiquement British décadente. Cann forme un trio avec le bassiste Mick Hawksworth, et le batteur Jack Collins, alias Jack MacCullough, le frère de Jimmy, futur guitariste des Wings de Paul MacCartney. Il signe avec un label de disques bon marché du nom de Saga, qui leur commande un disque psychédélique. Ils deviennent les Five Day Week Straw People, et enregistre le dit album en quatre petites heures.

Parallèlement, le trio travaille ses propres compositions, et jouent de plus en plus intensément dans les clubs. Leur musique est basée sur le Blues électrique anglais d'alors, les amplificateurs poussés dans le rouge comme Cream. Cela est suffisant pour intéresser l'animateur radio de la BBC, le mythique John Peel, qui les invite à participer à son émission, Top Gear. Le trio se nomme désormais Andromeda, du nom de la constellation. John Cann laisse libre court à son grand intérêt pour la magie, l'astronomie et la science-fiction.
La session est diffusée, et Andromeda joue dans le circuit des universités en tête d'affiche ou aux côtés des Yardbirds de Jimmy Page, puis de son nouveau quatuor. John Peel pense même signer le groupe sur son propre label, Dandelion. Pourtant, intervient un changement de batteur qui contrarie fortement l'animateur radio. MacCullough est débarqué pour laisser sa place à un batteur plus puissant du nom de Ian MacLane. Andromeda enrichit son Heavy-Blues psychédélique de structures plus complexes que l'on peut qualifier de progressives. Cette évolution déconcerte John Peel qui retire son offre de signature. Qu'importe, Andromeda intéresse déjà le producteur des Who, Kit Lambert, et son guitariste, Pete Townshend. Là encore, il s'agira d'un faux espoir.

Finalement Andromeda signe sur RCA pour un simple et un album. Le disque est produit par John Cann lui-même, mais sa première mouture est jugée trop brute par la maison de disques. Le guitariste retravaille quelque peu les bandes, et ce premier et unique album éponyme voit le jour.
Mais déjà, Led Zeppelin a gagné la course, et publie son premier disque en janvier 1969. Quant à Jeff Beck, il publie l'incendiaire Beck-Ola quelques mois plus tard, rendant obsolète le psychédélisme d'Andromeda.

Pourtant, le trio de John Cann a toujours de nombreuses coudées d'avance en termes de créativité. Sa musique est d'abord l'une des plus agressives du moment. Les tempos lourds préfigurent toujours Black Sabbath, même si Led Zeppelin a franchi un pas capital en terme de violence sonore. Enfin, l'introduction du morceau « Return To Sanity » basé sur l'instrumental « Mars » de la Suite des Planètes du compositeur contemporain Gustav Holzt sera réutilisée quelques mois plus tard par un autre groupe novateur : King Crimson. Andromeda est également l'une des premières formations de Rock psychédélique à découper ses morceaux en plusieurs parties avec un intitulé individuel correspondant à l'ambiance du thème. La construction des morceaux s'inspire ainsi des pièces de musique classique, idée que reprendra également la formation de Robert Fripp.
Indépendamment de tous ces éléments historiques, Andromeda est un disque magique. Il est l'un des tous meilleurs albums de Heavy-Blues psychédélique de toute l'Histoire de la musique, dont la qualité surpasse de plusieurs têtes celle de disques de Rock de la même époque et à la renommée bien plus grande.

Tout débute par le trépidant « Too Old », galop wagnérien qui débouche sur un riff sale. Le son de la guitare est rugueux, les chorus hantés, rampant sur le plancher comme des ectoplasmes en colère. Andromeda joue une musique glauque, noire, maudite, sur laquelle poussent d'étranges fleurs multicolores. « Too Old » est un violent démarrage suivi du mystérieux « The Day of The Change ». La ligne mélodique a les saveurs de l'Afrique du Nord. Mick Hawksworth assure des lignes de basse puissantes et foisonnantes. Son jeu rappelle celui de Jack Bruce, mais contrairement à ce dernier, il ne cherche pas à rentrer en compétition avec la guitare, il la suit et la soutient en permanence tout en enrichissant le son du trio. Le thème s'emballe pour laisser John Cann s'envoler en solo. Le trémolo très particulier de sa Fender Telecaster imprime une atmosphère entre psychédélisme et ésotérisme.

« Now The Sun Shines » est une chanson délicate sur laquelle Cann superpose plusieurs couches de guitares électrique et acoustique. Sa voix est un élément important. Son timbre chaleureux, presque crooner sur certaines intonations, rappelle le premier chanteur de Deep Purple, Rod Evans. Il est toutefois moins maniéré dans son interprétation, et rend chaque morceau fluide. Ces trois premiers morceaux sont suivis de deux pièces plus progressives en trois parties chacune. Le premier est « Turn To Dust ». Il débute dans une atmosphère entre orage et lumière lyrique. L'atmosphère presque monastique se poursuit sur le début de la seconde partie, avant de plonger dans un riff violent et malsain que n'aurait pas renié Black Sabbath. « Turn To Dust » semble conçu comme une symphonie, avec choeurs quasi grégoriens, et lignes harmoniques autant empruntées au Blues, au Jazz, qu'à la musique classique. Cann déambule dans le ciel, faisant onduler les notes délicates comme des violons. Puis la dernière partie explose, en matraquage de Heavy-Blues trépidant, avant de revenir au thème introductif.

« Return To Sanity » débute donc par « Mars » de Gustav Holzt repris en format Rock. Cette idée sera donc reprise par King Crimson, mais aussi par Diamond Head en 1980 en introduction de « Am I Evil ». Le son de guitare noir de Cann imprime une violence toute particulière à ce thème. Puis la douceur d'après la tempête reprend le dessus. Quelques arpèges de guitare soutenus par une batterie délicate dévoile le thème. Une atmosphère angoissante de solitude s'installe durant le couplet avant que ne rugissent à nouveau basse et guitare. Le morceau se clôt une fois encore par une frénésie de chorus possédés.
Deux petits morceaux poursuivent l'album : « The Reason », agréable mais un petit cran en-dessous de ses brillants prédécesseurs, puis le monacal et lumineux « I Can Stop The Sun ». Ce second morceau est une merveille qui renoue avec l'atmosphère de soleil levant sur la mer. Cann y chante et joue seul, accompagné d'un discret piano, et de choeurs une fois encore quasi religieux.

« When To Stop » est l'ultime pièce de l'album. C'est encore une petite symphonie en trois actes. L'atmosphère se fait d'abord très Jazz, les trois musiciens swinguant sur le tempo. Puis John Cann appuie sur les cordes, le son se fait de plus en plus agressif. Puis l'orage éclate à nouveau, la batterie et la basse s'emballent. Le second thème est plus classiquement Heavy-Blues, avant de subir une accélération frénétique. Cette montée de folie électrique trouvera écho sur les quatre premiers disques de Budgie, qui utilisera souvent ces ruptures de thèmes et ces accélérations en forme de maelstroms obsédants. La troisième et dernière partie est une superbe coda acoustique, qui s'inspire de la musique classique espagnole dans la tonalité de la guitare et la mélancolie du thème. L'album se termine comme l'envol de grands oiseaux blancs vers l'horizon.

Andromeda est un album riche, fourmillant d'idées et d'influences pour donner une musique unique et totalement novatrice. Il n'aura malheureusement pas de successeur. La maison de disques ne fait rien pour soutenir le trio, et lorsqu'il réussit à nouveau à décrocher un nouvel engagement, John DuCann se retrouve face à des individus peu motivés pour les soutenir. Quelques morceaux sont enregistrés début 1970, et Andromeda partage l'affiche avec un Black Sabbath sur le point de sortir son premier disque fondateur. Lassé de ce climat d'échec, John DuCann accepte l'offre de l'organiste Vincent Crane de rejoindre son groupe, Atomic Rooster. Le guitariste fera des merveilles le temps d'un disque splendide, Death Walks Behind You, en 1970.

Le petit bijou électrique qu'est Andromeda fera alors le bonheur d'une nouvelle génération de Heavy-Rock psychédélique : les formations dites Stoner font y puiser mille idées. Après avoir servi de vivier créatif pour trois des plus grandes formations de l'Histoire du Rock anglais, le disque irradie toujours de sa magie le Rock moderne. Chaque écoute est une source inépuisable de plaisirs soniques et de découvertes. Je n'ai pour l'heure pas encore réussi à en épuiser les ressources, seize années après sa découverte.

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2 commentaires:

Malvers a dit…

c'est fou ce disque je le mettais exactement dans la catégorie "perle poisonneuse passée à l'as dans le foisonnant brouet brutale de fin 60 tout début 70" comme ceux de Bakerloo, Steamhammer, ou le trop terrible The End of the Game de Peter Green! Des génies peut être pas assez consensuels dans la forme pour avoir été entendu... Très très grand Album, merci pour l'éclairage sur le contexte et les bonhommes... C'est fou qu'il y ait eu autant de talent albionnesque en si peu de temps... c'est tellement minuscule par rapport aux USA...

Julien Deléglise a dit…

Merci à toi. Ce qui est également fou, c'est de se dire qu'en cinq petites années, on est passé de "Help" des Beatles au premier album de Led Zeppelin. C'est le temps qu'il faut à Coldplay pour sortir péniblement deux albums.