"L’écoute de ce concert,
plus de quarante années après, offre un plaisir intense."
JIMI HENDRIX : Miami Pop Festival 2013
Il m’arrive régulièrement d’avoir
une crise « Jimi Hendrix ». Sans trop savoir pourquoi, j’ai besoin
d’écouter sa musique. Les raisons me restent mystérieuses, mais lorsque cela me
prend, j’achète un album manquant à ma collection. Et ils m’en manquent
toujours. Jimi Hendrix est mort en septembre 1970, mais depuis, des albums
d’enregistrements studio ou de bandes en concert paraissent. Il n’est pas
médisant de déclarer que tout cela est avant tout mercantile, car comme les
grands groupes de la fin des années 60, la publication d’un album d’inédits est
rentable. Et pendant plus de trente ans, tout cela fut avant tout totalement
intéressé. A la mort d’Hendrix, son producteur, Mike Jeffery, parfait truand
qui aura exploité le guitariste jusqu’à la corde, partit avec la caisse sans
payer les employés de sa compagnie. Furieux, ces derniers piquèrent les clés de
l’appartement du pauvre Jimi, et pillèrent tout ce qu’il y avait :
guitares, bandes, manuscrits, vêtements…. Tout cela se retrouva sur le marché
dans la plus complète anarchie. Jeffery lui-même avait conservé un certain
nombre d’enregistrements, et en fit publier sur des labels divers et variés. La
maison de disques officiel Polydor publia donc des albums, et plusieurs labels
plus ou moins légaux aussi, à partir de bandes sorties d’on ne sait trop où.
La
longue procédure qu’entama la famille Hendrix, elle aussi intéressée, il faut
le dire, aboutit dans les années 90. Le label Experience Hendrix devint le seul
label autorisé à publier les enregistrements de Jimi Hendrix. Et cela fut selon
moi plutôt une bonne chose. Car beaucoup d’enregistrements studios et en
concert, inédits ou déjà parus sous des formes peu orthodoxes, refirent surface
de manière propre et aboutie. Le tout est de plus produit par Eddie Kramer,
précieux producteur du vivant d’Hendrix, et gardien du temple du son du
guitariste. Les puristes considèrent tout cela comme simplement dégoûtant, ne
voyant la publication de ces disques que comme de simples machines à cash
dénaturant l’héritage et l’esprit du musicien, qui avait laissé toute cette
musique de côté de son vivant. Et qui l’avait fait car il devait considérer
cela comme insuffisant en termes de qualité. Si ce n’est que son nom atterrit
sur des disques comme le live Band Of
Gypsys, qui n’était pour lui qu’un simple moyen de se débarrasser de
contrats foireux. Si aujourd’hui, cette musique s’éclaire d’un jour nouveau,
elle fut fortement critiquée à sa sortie. Et Jimi Hendrix avait l’esprit plus
préoccupé par son projet de double album à paraître fin 1970, ainsi que celui
avec Miles Davis, par deux fois repoussé pour des questions d’emplois du temps
des deux hommes. Alors oui, la famille Hendrix encaisse désormais des fortunes
grâce à ces publications : les deux derniers albums d’inédits ont atterri
dans le Top 10 des ventes d’albums aux USA et en Grande-Bretagne, preuve de
l’importance toujours vivace de l’homme sur le monde la musique. Mais le
résultat est à la hauteur, en tout cas à des années-lumières en termes de qualité
de ce qui fut paru auparavant.
Personnellement,
je ne juge pas la démarche, ni les enregistrements comme étant indignes ou non
du travail du guitariste. Il faut savoir prendre ce qui est proposé pour ce que
c’est vraiment : des versions studio inédites, des improvisations de
travail, et des bandes en concert, à vif. Ce qui m’impressionne, c’est la
quantité d’enregistrements publiés, et ce qui dort sans doute encore pour une
publication officielle. Quand on sait que l’homme n’a travaillé que quatre
années, c’est le temps qu’il faut à un groupe moderne pour pondre un album de
dix chansons…. Certes l’homme travailla à plein temps, ne prenant que deux
maigres semaines de vacances au Maroc entre ses enregistrements en studio et
les concerts. Il capta tout sur bandes, et ce qui est absolument hallucinant,
c’est qu’il n’y a quasiment rien à jeter. La qualité augmente même avec le
temps, car tout ce matériau s’éclaire d’un jour nouveau, et prend une valeur
incroyable. J’en suis même toujours plus admiratif quand on pense que tout cela
a désormais plus de quarante-cinq ans, et quand on compare tout cela avec la
musique mainstream d’aujourd’hui. L’inventivité, l’audace de ce type dans son
jeu, le son, les improvisations, les mélodies, tout cela avec un batteur, un bassiste
et une guitare électrique et un amplificateur…. c’est sidérant.
Mon
dernier achat est ce disque en concert au Miami Pop Festival de 1968. Paru en
2013, il n’est pas la dernière publication du label Experience Hendrix, ni la
plus mythique, et sans doute pas la meilleure de tous les temps selon les
spécialistes. Mais son écoute m’a ébouriffé, du moins ce qu’il reste de ma
longue chevelure blonde. Il s’agit d’une prestation absolument époustouflante
d’intensité et de puissance. Le contexte n’est pourtant pas très reluisant.
Jimi Hendrix est en passe de s’imposer dans son pays natal, les Etats-Unis.
L’homme a publié deux albums, Are You
Experienced et Axis : Bold As
Love en 1967, tous deux de parfaits succès commerciaux en Grande-Bretagne
et en Europe. Lui et son groupe, l’Experience, enfoncent les portes de
l’Amérique en défenestrant le public à l’aide d’un set incandescent sur la
scène du festival de Monterey, et au cours de laquelle il brûlera sa guitare.
Afin de capitaliser sur le succès des deux premiers albums, une compilation
nommée Smash Hits paraît au mois
d’avril 1968 en Grande-Bretagne. Une tournée américaine le même mois en tête
d’affiche doit installer Jimi Hendrix sur le continent américain. Mais pour
cela, le répertoire de l’Experience se concentre sur les morceaux de cette
fameuse compilation, au grand dam du guitariste. En effet, ce dernier est déjà
passé à autre chose, et est en train d’enregistrer son grand œuvre : Electric Ladyland. Lassé du format des
chansons de quelques minutes, et du strict Blues-Rock, il veut explorer des
terres plus vastes. Cette tournée est pourtant abordée avec l’envie d’en
découdre. Jimi Hendrix n’est pas du genre à tourner en rond. Il va donc
subtilement déformer ses vieux classiques, usés durant deux ans sur toutes les
scènes du monde. Il leur injecte de petites improvisations et chorus, tout en
conservant le rythme et la mélodie initiaux.
Etape plutôt saugrenue de cette
tournée américaine : le Festival Pop de Miami. La Floride ne fait pas
partie des Etats au cœur de la scène musicale Rock américaine. Tout se passe en
Californie, dans le Michigan, et à New York. Le Sud des Etats-Unis est un
berceau de la musique Blues, mais cela concerne essentiellement le Delta du
Mississippi. Miami est en marge, peu de formations en sont issues. Il faudra
attendre une dizaine d’année pour voir apparaître des groupes Southern-Rock
comme les Outlaws de Tampa ou Blackfoot de Jacksonville. Ce festival Pop fut
organisé par Richard O’Barry et Michael Lang, les deux promoteurs du Festival
de Woodstock l’année suivante. Etabli sur deux journées, la seconde sera
fortement perturbée par des trombes d’eau, décidément une malédiction des
événements montés par les deux hommes. L’affiche comprend Frank Zappa And The Mothers Of
Invention, Blue Cheer, John Lee Hooker ou Arthur Brown. Jimi
Hendrix Experience doit clore les festivités le dimanche. 25000 personnes ont
fait le déplacement, pour admirer les groupes jouant sur une remorque de camion
posée sur un hippodrome. La seconde édition de ce festival aura lieu au mois de
décembre de la même année, et sera un succès bien plus grand.
Pour
l’heure, les deux promoteurs se font la main : c’est leur premier
événement majeur. Et à leur plus grande surprise, Jimi Hendrix accepte de venir
jouer, alors que ce dernier est en plein enregistrement de Electric Ladyland, et alors que le guitariste venait de terminer sa
première série de dates. Le concert est donc ajouté au dernier moment. Sa
prestation sera pour le moins épique. A son arrivée à l’aéroport, les
organisateurs oublient d’aller le chercher. Ils envoient une voiture d’urgence,
mais Hendrix, qui s’impatiente, loue un hélicoptère. Il fera ainsi une arrivée
spectaculaire sur le site, l’appareil se posant à quelques dizaines de mètres
de la scène avant que le groupe ne monte sur scène par une échelle. L’Experience jouera le samedi à deux
reprises : l’après-midi, qui sera filmé par la chaîne ABC, et le soir. Un
troisième set est prévu le dimanche. Mais la météo sera tellement déplorable
qu’aucune formation ne pourra se produire. Jimi Hendrix rentrera donc au
studio, non sans écrire une chanson inspirée de cette anecdote :
« Rainy Day, Dream Away ». Le set du Jimi Hendrix Experience sera
purement et simplement explosif. Hendrix, Mitchell et Redding sont dans une
forme éblouissante, et pulvérisent littéralement leur répertoire de l’époque
dans un set d’une intensité exceptionnelle. Injectant énergie, puissance et
modulations brillantes de leurs thèmes les plus connus, les trois musiciens
vont assoir leur réputation de showmen. Cet album est donc la publication de ce
concert explosif. Débuté par une version de « Hey Joe » propulsée par
un larsen hurlant, l’Experience joue avec les faux départs. Mitch Mitchell est
éblouissant, son jeu est sans faille, brillant. La grosse caisse tape fort,
très fort. Hendrix est transporté, ses solos sont sublimes, inspirés,
audacieux. Plusieurs de ses grands morceaux sont explorés de la même
manière : « Foxey Lady », « Fire », « Purple
Haze ».
Du
Blues dans le Sud des Etats-Unis, il en est aussi question, avec une longue jam
sur « Red House » toute en subtilités et finesse, et une version
magistrale de « Hear My Train A Comin’ ». Ce morceau, uniquement
interprété en concert, mais jamais publié en studio de son vivant, est un thème
poignant, grondant d’une douleur sourde teintée de résignation. Il est
l’ancêtre de « Voodoo Chile », exceptionnel Blues mid-tempo que l’on
retrouvera sur Electric Ladyland.
Seule nouveauté au répertoire de Jimi Hendrix Experience : un instrumental
dénommé « Tax Free », qui n’aura pas de publication studio officiel
avant la mort du guitariste gaucher. Durant huit minutes, les trois musiciens
explorent le riff en un Funk métallique et retors.
Ce
concert est sans doute le plus représentatif de ce que Jimi Hendrix Experience
était capable de produire en termes de qualité musicale : le groupe est
concis, inspiré, puissant, dynamique, sans le moindre dérapage. Il est une
quintessence de ce qu’ils avaient à offrir en 1968, et donne un bon aperçu de
ce qu’était la révolution Jimi Hendrix sur la Pop Music de l’époque. L’écoute
de ce concert, plus de quarante années après, offre un plaisir intense. Il fut
en tout cas à ce point marquant, que Frank Zappa lui-même tint à en conserver
un souvenir. A la fin de sa prestation, Hendrix incendiait sa guitare,
reproduisant son gimmick du Festival de Monterey. Zappa récupéra les morceaux
de la Fender Stratocaster brûlée grâce à un roadie d’Hendrix. Il la conservera
comme décoration pour son studio, avant de la faire reconstruire après la mort
de Jimi en 1970, tout en conservant son aspect carbonisé. Il s’en servira durant
toute la décennie, en hommage à ce set percutant parmi ceux qui
révolutionnèrent l’approche de la guitare électrique.
tous droits réservés
3 commentaires:
Captivant et instructif ton article.
il est vrai que le nombre d'albums d'Hendrix est un copieux fatras et qu'il n'est pas simple de s'y retrouver.
Des chutes de studio, des concerts captés à l'arrache, des officiels, bref, la guerre des requins avec en toile de fond toujours ces satanés droits d'auteur et d'édition...
mais prenons effectivement ce qu'il y a de bon à prendre.
comme avec Miles que tu évoques et dont je reste un inconditionnel...
quand tu connais la discographie "officielle" d'un artiste l'écouter sous d'autres angles et avec un recul lucide ou passionné n'est pas un plaisir à bouder.
je vais me procurer ce concert grande époque...
tu m'as fait envie...
moi aussi de temps à autre je replonge hendrix, tout comme Miles ou Trane...
une fois que c'est parti on ne saurait s'arrêter.
parmi les bandes enregistrées perdues... il y aurait toujours celles avec John Mc Laughlin... il est permis de rêver.
à +
Merci pour tes compliments Pascal. C'est je crois la somme de tous ces disques qui fait la vraie dimension du travail de Jimi Hendrix. Il y avait la face visible, ses disques officiels, dont il fut rarement totalement satisfait en fait, à part "Electric Ladyland". Et puis il y a toutes ces jams, ces concerts, qui donnent un vrai aperçu de sa musique, son évolution, ses influences. Et ça c'est passionnant. Je te conseille aussi le concert au Atlanta Pop Festival en juillet 1970. Moins ébouriffant, il voit Hendrix se frotter au Funk, au Jazz et même au Flamenco dans ses soli. Ses intonations au chant se font aussi plus Soul.Un vrai grand concert.
Pour les bandes avec Mc Laughlin, j'ai eu la chance d'en entendre des bribes via des bootlegs. Ce sera à mon avis compliqué de les entendre un jour, car cela fait partie de ces bandes disséminées, comme celles avec Johnny Winter. Mais la famille Hendrix se débrouille bien. Ils ont réussi à récupérer les droits sur les premiers enregistrements de Jimi quand il était musicien de session pour d'autres. Ca n'a pas grand intérêt musicalement parlant, mais la prouesse réside dans la publication même du disque !
Ce que je souhaite surtout, c'est que Eddie Kramer soit encore de ce monde pour mixer les bandes. Je ne suis pas de ceux qui considèrent qu'il mixe trop lourd. Il a travaillé avec Jimi, et c'est mieux que quiconque comment le faire sonner. Et à la vue des dernières publications, il a parfaitement réussi.
Des bribes...
tu me fais rêver.
D'accord avec toi pour Kramer, car aujourd'hui cette pâte d'authenticité est une forme de "patrimoine", comme Macero pour Miles, même si j'aime le travail de Belden qui a repris les enregistrements bruts, avant collages...
Le génie de mise en forme associé au génie défricheur s’associaient avec magie.... (Jack Johnson, Get up with it...)
Le live/le studio, sont les deux axes que tu mets en avant dans ta réponse.
En live on essaie, on expérimente, on progresse, on joue et donc on se maintient, au pire, on avance, au mieux, et la cohésion d'un groupe passe aussi par là. A mon niveau de zicos (modestement) j'en sais quelque chose... c'est en live que j'avance et de ce côté là je suis un boulimique.
Et alors en studio tu mets la somme de tout ça pour ce sentiment de graver vers, pour ou avec une forme "d'éternité"...
Avec hendrix on aura été servis - même si le studio, une fois le recul pris ne laisse jamais totale satisfaction...
Mais un artiste satisfait n'en est pas un... ou du moins il le sera en de très rares cas...
à +
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