mercredi 11 novembre 2015

JIMI HENDRIX MIAMI 1968

"L’écoute de ce concert, plus de quarante années après, offre un plaisir intense."

 JIMI HENDRIX : Miami Pop Festival 2013

            Il m’arrive régulièrement d’avoir une crise « Jimi Hendrix ». Sans trop savoir pourquoi, j’ai besoin d’écouter sa musique. Les raisons me restent mystérieuses, mais lorsque cela me prend, j’achète un album manquant à ma collection. Et ils m’en manquent toujours. Jimi Hendrix est mort en septembre 1970, mais depuis, des albums d’enregistrements studio ou de bandes en concert paraissent. Il n’est pas médisant de déclarer que tout cela est avant tout mercantile, car comme les grands groupes de la fin des années 60, la publication d’un album d’inédits est rentable. Et pendant plus de trente ans, tout cela fut avant tout totalement intéressé. A la mort d’Hendrix, son producteur, Mike Jeffery, parfait truand qui aura exploité le guitariste jusqu’à la corde, partit avec la caisse sans payer les employés de sa compagnie. Furieux, ces derniers piquèrent les clés de l’appartement du pauvre Jimi, et pillèrent tout ce qu’il y avait : guitares, bandes, manuscrits, vêtements…. Tout cela se retrouva sur le marché dans la plus complète anarchie. Jeffery lui-même avait conservé un certain nombre d’enregistrements, et en fit publier sur des labels divers et variés. La maison de disques officiel Polydor publia donc des albums, et plusieurs labels plus ou moins légaux aussi, à partir de bandes sorties d’on ne sait trop où.

La longue procédure qu’entama la famille Hendrix, elle aussi intéressée, il faut le dire, aboutit dans les années 90. Le label Experience Hendrix devint le seul label autorisé à publier les enregistrements de Jimi Hendrix. Et cela fut selon moi plutôt une bonne chose. Car beaucoup d’enregistrements studios et en concert, inédits ou déjà parus sous des formes peu orthodoxes, refirent surface de manière propre et aboutie. Le tout est de plus produit par Eddie Kramer, précieux producteur du vivant d’Hendrix, et gardien du temple du son du guitariste. Les puristes considèrent tout cela comme simplement dégoûtant, ne voyant la publication de ces disques que comme de simples machines à cash dénaturant l’héritage et l’esprit du musicien, qui avait laissé toute cette musique de côté de son vivant. Et qui l’avait fait car il devait considérer cela comme insuffisant en termes de qualité. Si ce n’est que son nom atterrit sur des disques comme le live Band Of Gypsys, qui n’était pour lui qu’un simple moyen de se débarrasser de contrats foireux. Si aujourd’hui, cette musique s’éclaire d’un jour nouveau, elle fut fortement critiquée à sa sortie. Et Jimi Hendrix avait l’esprit plus préoccupé par son projet de double album à paraître fin 1970, ainsi que celui avec Miles Davis, par deux fois repoussé pour des questions d’emplois du temps des deux hommes. Alors oui, la famille Hendrix encaisse désormais des fortunes grâce à ces publications : les deux derniers albums d’inédits ont atterri dans le Top 10 des ventes d’albums aux USA et en Grande-Bretagne, preuve de l’importance toujours vivace de l’homme sur le monde la musique. Mais le résultat est à la hauteur, en tout cas à des années-lumières en termes de qualité de ce qui fut paru auparavant.

Personnellement, je ne juge pas la démarche, ni les enregistrements comme étant indignes ou non du travail du guitariste. Il faut savoir prendre ce qui est proposé pour ce que c’est vraiment : des versions studio inédites, des improvisations de travail, et des bandes en concert, à vif. Ce qui m’impressionne, c’est la quantité d’enregistrements publiés, et ce qui dort sans doute encore pour une publication officielle. Quand on sait que l’homme n’a travaillé que quatre années, c’est le temps qu’il faut à un groupe moderne pour pondre un album de dix chansons…. Certes l’homme travailla à plein temps, ne prenant que deux maigres semaines de vacances au Maroc entre ses enregistrements en studio et les concerts. Il capta tout sur bandes, et ce qui est absolument hallucinant, c’est qu’il n’y a quasiment rien à jeter. La qualité augmente même avec le temps, car tout ce matériau s’éclaire d’un jour nouveau, et prend une valeur incroyable. J’en suis même toujours plus admiratif quand on pense que tout cela a désormais plus de quarante-cinq ans, et quand on compare tout cela avec la musique mainstream d’aujourd’hui. L’inventivité, l’audace de ce type dans son jeu, le son, les improvisations, les mélodies, tout cela avec un batteur, un bassiste et une guitare électrique et un amplificateur…. c’est sidérant.

Mon dernier achat est ce disque en concert au Miami Pop Festival de 1968. Paru en 2013, il n’est pas la dernière publication du label Experience Hendrix, ni la plus mythique, et sans doute pas la meilleure de tous les temps selon les spécialistes. Mais son écoute m’a ébouriffé, du moins ce qu’il reste de ma longue chevelure blonde. Il s’agit d’une prestation absolument époustouflante d’intensité et de puissance. Le contexte n’est pourtant pas très reluisant. Jimi Hendrix est en passe de s’imposer dans son pays natal, les Etats-Unis. L’homme a publié deux albums, Are You Experienced et Axis : Bold As Love en 1967, tous deux de parfaits succès commerciaux en Grande-Bretagne et en Europe. Lui et son groupe, l’Experience, enfoncent les portes de l’Amérique en défenestrant le public à l’aide d’un set incandescent sur la scène du festival de Monterey, et au cours de laquelle il brûlera sa guitare. Afin de capitaliser sur le succès des deux premiers albums, une compilation nommée Smash Hits paraît au mois d’avril 1968 en Grande-Bretagne. Une tournée américaine le même mois en tête d’affiche doit installer Jimi Hendrix sur le continent américain. Mais pour cela, le répertoire de l’Experience se concentre sur les morceaux de cette fameuse compilation, au grand dam du guitariste. En effet, ce dernier est déjà passé à autre chose, et est en train d’enregistrer son grand œuvre : Electric Ladyland. Lassé du format des chansons de quelques minutes, et du strict Blues-Rock, il veut explorer des terres plus vastes. Cette tournée est pourtant abordée avec l’envie d’en découdre. Jimi Hendrix n’est pas du genre à tourner en rond. Il va donc subtilement déformer ses vieux classiques, usés durant deux ans sur toutes les scènes du monde. Il leur injecte de petites improvisations et chorus, tout en conservant le rythme et la mélodie initiaux.
            Etape plutôt saugrenue de cette tournée américaine : le Festival Pop de Miami. La Floride ne fait pas partie des Etats au cœur de la scène musicale Rock américaine. Tout se passe en Californie, dans le Michigan, et à New York. Le Sud des Etats-Unis est un berceau de la musique Blues, mais cela concerne essentiellement le Delta du Mississippi. Miami est en marge, peu de formations en sont issues. Il faudra attendre une dizaine d’année pour voir apparaître des groupes Southern-Rock comme les Outlaws de Tampa ou Blackfoot de Jacksonville. Ce festival Pop fut organisé par Richard O’Barry et Michael Lang, les deux promoteurs du Festival de Woodstock l’année suivante. Etabli sur deux journées, la seconde sera fortement perturbée par des trombes d’eau, décidément une malédiction des événements montés par les deux hommes. L’affiche comprend Frank Zappa And The Mothers Of Invention, Blue Cheer, John Lee Hooker ou Arthur Brown. Jimi Hendrix Experience doit clore les festivités le dimanche. 25000 personnes ont fait le déplacement, pour admirer les groupes jouant sur une remorque de camion posée sur un hippodrome. La seconde édition de ce festival aura lieu au mois de décembre de la même année, et sera un succès bien plus grand.
Pour l’heure, les deux promoteurs se font la main : c’est leur premier événement majeur. Et à leur plus grande surprise, Jimi Hendrix accepte de venir jouer, alors que ce dernier est en plein enregistrement de Electric Ladyland, et alors que le guitariste venait de terminer sa première série de dates. Le concert est donc ajouté au dernier moment. Sa prestation sera pour le moins épique. A son arrivée à l’aéroport, les organisateurs oublient d’aller le chercher. Ils envoient une voiture d’urgence, mais Hendrix, qui s’impatiente, loue un hélicoptère. Il fera ainsi une arrivée spectaculaire sur le site, l’appareil se posant à quelques dizaines de mètres de la scène avant que le groupe ne monte sur scène par une échelle.  L’Experience jouera le samedi à deux reprises : l’après-midi, qui sera filmé par la chaîne ABC, et le soir. Un troisième set est prévu le dimanche. Mais la météo sera tellement déplorable qu’aucune formation ne pourra se produire. Jimi Hendrix rentrera donc au studio, non sans écrire une chanson inspirée de cette anecdote : « Rainy Day, Dream Away ». Le set du Jimi Hendrix Experience sera purement et simplement explosif. Hendrix, Mitchell et Redding sont dans une forme éblouissante, et pulvérisent littéralement leur répertoire de l’époque dans un set d’une intensité exceptionnelle. Injectant énergie, puissance et modulations brillantes de leurs thèmes les plus connus, les trois musiciens vont assoir leur réputation de showmen. Cet album est donc la publication de ce concert explosif. Débuté par une version de « Hey Joe » propulsée par un larsen hurlant, l’Experience joue avec les faux départs. Mitch Mitchell est éblouissant, son jeu est sans faille, brillant. La grosse caisse tape fort, très fort. Hendrix est transporté, ses solos sont sublimes, inspirés, audacieux. Plusieurs de ses grands morceaux sont explorés de la même manière : « Foxey Lady », « Fire », « Purple Haze ».
Du Blues dans le Sud des Etats-Unis, il en est aussi question, avec une longue jam sur « Red House » toute en subtilités et finesse, et une version magistrale de « Hear My Train A Comin’ ». Ce morceau, uniquement interprété en concert, mais jamais publié en studio de son vivant, est un thème poignant, grondant d’une douleur sourde teintée de résignation. Il est l’ancêtre de « Voodoo Chile », exceptionnel Blues mid-tempo que l’on retrouvera sur Electric Ladyland. Seule nouveauté au répertoire de Jimi Hendrix Experience : un instrumental dénommé « Tax Free », qui n’aura pas de publication studio officiel avant la mort du guitariste gaucher. Durant huit minutes, les trois musiciens explorent le riff en un Funk métallique et retors.
Ce concert est sans doute le plus représentatif de ce que Jimi Hendrix Experience était capable de produire en termes de qualité musicale : le groupe est concis, inspiré, puissant, dynamique, sans le moindre dérapage. Il est une quintessence de ce qu’ils avaient à offrir en 1968, et donne un bon aperçu de ce qu’était la révolution Jimi Hendrix sur la Pop Music de l’époque. L’écoute de ce concert, plus de quarante années après, offre un plaisir intense. Il fut en tout cas à ce point marquant, que Frank Zappa lui-même tint à en conserver un souvenir. A la fin de sa prestation, Hendrix incendiait sa guitare, reproduisant son gimmick du Festival de Monterey. Zappa récupéra les morceaux de la Fender Stratocaster brûlée grâce à un roadie d’Hendrix. Il la conservera comme décoration pour son studio, avant de la faire reconstruire après la mort de Jimi en 1970, tout en conservant son aspect carbonisé. Il s’en servira durant toute la décennie, en hommage à ce set percutant parmi ceux qui révolutionnèrent l’approche de la guitare électrique.

tous droits réservés

3 commentaires:

Pascal GEORGES a dit…

Captivant et instructif ton article.
il est vrai que le nombre d'albums d'Hendrix est un copieux fatras et qu'il n'est pas simple de s'y retrouver.
Des chutes de studio, des concerts captés à l'arrache, des officiels, bref, la guerre des requins avec en toile de fond toujours ces satanés droits d'auteur et d'édition...

mais prenons effectivement ce qu'il y a de bon à prendre.
comme avec Miles que tu évoques et dont je reste un inconditionnel...
quand tu connais la discographie "officielle" d'un artiste l'écouter sous d'autres angles et avec un recul lucide ou passionné n'est pas un plaisir à bouder.

je vais me procurer ce concert grande époque...
tu m'as fait envie...
moi aussi de temps à autre je replonge hendrix, tout comme Miles ou Trane...
une fois que c'est parti on ne saurait s'arrêter.
parmi les bandes enregistrées perdues... il y aurait toujours celles avec John Mc Laughlin... il est permis de rêver.

à +

Julien Deléglise a dit…

Merci pour tes compliments Pascal. C'est je crois la somme de tous ces disques qui fait la vraie dimension du travail de Jimi Hendrix. Il y avait la face visible, ses disques officiels, dont il fut rarement totalement satisfait en fait, à part "Electric Ladyland". Et puis il y a toutes ces jams, ces concerts, qui donnent un vrai aperçu de sa musique, son évolution, ses influences. Et ça c'est passionnant. Je te conseille aussi le concert au Atlanta Pop Festival en juillet 1970. Moins ébouriffant, il voit Hendrix se frotter au Funk, au Jazz et même au Flamenco dans ses soli. Ses intonations au chant se font aussi plus Soul.Un vrai grand concert.
Pour les bandes avec Mc Laughlin, j'ai eu la chance d'en entendre des bribes via des bootlegs. Ce sera à mon avis compliqué de les entendre un jour, car cela fait partie de ces bandes disséminées, comme celles avec Johnny Winter. Mais la famille Hendrix se débrouille bien. Ils ont réussi à récupérer les droits sur les premiers enregistrements de Jimi quand il était musicien de session pour d'autres. Ca n'a pas grand intérêt musicalement parlant, mais la prouesse réside dans la publication même du disque !
Ce que je souhaite surtout, c'est que Eddie Kramer soit encore de ce monde pour mixer les bandes. Je ne suis pas de ceux qui considèrent qu'il mixe trop lourd. Il a travaillé avec Jimi, et c'est mieux que quiconque comment le faire sonner. Et à la vue des dernières publications, il a parfaitement réussi.

Pascal GEORGES a dit…

Des bribes...
tu me fais rêver.
D'accord avec toi pour Kramer, car aujourd'hui cette pâte d'authenticité est une forme de "patrimoine", comme Macero pour Miles, même si j'aime le travail de Belden qui a repris les enregistrements bruts, avant collages...
Le génie de mise en forme associé au génie défricheur s’associaient avec magie.... (Jack Johnson, Get up with it...)
Le live/le studio, sont les deux axes que tu mets en avant dans ta réponse.
En live on essaie, on expérimente, on progresse, on joue et donc on se maintient, au pire, on avance, au mieux, et la cohésion d'un groupe passe aussi par là. A mon niveau de zicos (modestement) j'en sais quelque chose... c'est en live que j'avance et de ce côté là je suis un boulimique.
Et alors en studio tu mets la somme de tout ça pour ce sentiment de graver vers, pour ou avec une forme "d'éternité"...
Avec hendrix on aura été servis - même si le studio, une fois le recul pris ne laisse jamais totale satisfaction...
Mais un artiste satisfait n'en est pas un... ou du moins il le sera en de très rares cas...
à +