mardi 17 novembre 2015

DIAMOND HEAD 1982

Borrowed time….. j’ai écrit ce texte vendredi soir sans savoir. Un ami m’a envoyé un simple message : « on aurait pu y être ». C’était bien vrai. Je ne suis pas un grand fan de Eagles Of Death Metal, mais un concert au Bataclan, on aurait pu y être. Comme pour Robin Trower il y a deux ans. Ou une autre salle de petite importance, peu surveillée…. On aurait pu mourir, simplement parce que l’on aime le Rock, et que ces fachistes n’aiment pas cela. Ils n’aiment personne d’ailleurs : ni les femmes, qu’ils violent, ni les enfants, qu’ils battent, ni eux-mêmes, qu’ils font exploser. Nous sommes des kufars : des mécréants. Nous aimons cette musique occidentale, boire de l’alcool, voir les filles en décolleté, fumer une clope, se marrer, raconter des grosses conneries…. Il n’est plus question de religion dans tout cela. C’est un appel à l’anarchie d’extrême-droite, déstabiliser le modèle occidental, aussi imparfait soit-il, pour mieux faire triompher le banditisme, le commerce des femmes, des armes, du pétrole, de la drogue. Qu’importe si tout cela est vendu aux mêmes occidentaux que l’on déteste. L’essentiel, c’est l’argent, si possible en dollars bien américains, parce que c’est plus sûr. Nous sommes pris en étau entre les capitalistes des multinationales qui nous font crever de faim, et les capitalistes du grand banditisme terroriste qui nous font crever sous les balles. Il est temps de se relever et de leur dire d’aller se faire foutre. Dans la douceur de cette mi-novembre, des hommes ont eu peur. Vraiment. Dans la chaleur de la nuit.

"Borrowed Time est un disque immense sous son apparence d’honnête album de Hard-Rock mélodique."

DIAMOND HEAD : Borrowed Time 1982

Qu’y a-t-il dans la chaleur de la nuit ? Nous sommes deux, l’adversité nous observe. Il n’y a pas d’échappatoire, dans la chaleur de la nuit. La lumière blanche des réverbères éclaire d’une lumière pâle et fantomatique les visages des âmes du crépuscule. Ils marchent sans but, le cœur vide, les pensées noires. Ils recherchent un peu d’affection, là, dans la chaleur de la nuit. Nous pourrions faire l’amour, sur le bord de ce lit, dans la chaleur de la nuit. Personne ne peut plus nous atteindre. Nos sueurs se mêlant, au plus profond de notre désir, l’un pour l’autre. Nous laisser le temps, ne plus parler, juste laisser faire nos corps. Il n’y aura pas de survivant, dans la chaleur de la nuit. Tu seras mienne, et nous vivrons enfin, libres.

La flamme du briquet effleure l’extrémité de la cigarette. Une profonde inspiration laisse échapper une bouffée de fumée, rejetée d’une expiration sèche. Une gorgée de bière, et puis l’homme repart, dans l’obscurité de la rue un soir d’hiver, humide et froid. Il plonge ses mains dans les poches de son blouson de cuir, renifle machinalement. L’affiche plaquée sur les palissades du chantier voisin au théâtre municipal, de format quarante sur soixante centimètres, est de couleur noir, avec un logo blanc, au lettrage d’inspiration asiatique, et au nom du groupe se produisant ce soir : Diamond Head.
Le O est un diamant rutilant. Le ciel s’ouvre enfin pour eux. La lumière éclaire bienveillamment leurs visages de gosses mutins. Après un premier album sous forme de sept morceaux à l’état de démos brutes, mais d’une qualité musicale exceptionnelle, Brian Tatler à la guitare, Sean Harris au chant, Colin Kimberley à la basse et Duncan Scott à la batterie sortent de l’ombre après trois années de concerts dans les clubs britanniques. Le disque, à la pochette blanche dédicacée, se vend une première fois à quelques milliers d’exemplaires aux concerts. Ses deux rééditions suivantes la même année feront de même. Nous sommes en 1980, et la New Wave Of British Heavy-Metal est à son sommet. Iron Maiden, Judas Priest et Saxon sont en haut des classements nationaux, Samson et Tygers Of Pan-Tang ratissent les salles de concert. Diamond Head fait partie de ces groupes dont le potentiel d’une évidente qualité frappe les esprits de la presse et du public venu aux concerts. Mais aucune maison de disques d’envergure n’a encore pris la peine de les signer. Ce sera chose faite en 1981, sur le label MCA, le même que les Tygers Of Pan-Tang. Mais en 1981, ces derniers ont déjà sorti deux albums, et s’apprêtent à publier le troisième. Diamond Head ne publiera qu’un EP quatre titres cette année-là, et son premier album officiel au début de l’année suivante.

En 1981, le Heavy-Metal anglais a déjà muté brutalement vers la puissance : Motorhead classe son disque en concert en tête des classements anglais, Venom et Raven publient leurs premiers opus, Iron Maiden, un second disque plus vif et élaboré. Il faut choisir son camp cette année-là : mener la course à l’armement, ou s’orienter vers un Hard-Rock mélodique élaboré inspiré de Michael Schenker Group et Scorpions. Praying Mantis et Samson optent pour cette voie, avec brio. Diamond Head également. Ceux que l’on qualifia de fiers successeurs de Led Zeppelin vont davantage être ceux de UFO. Il faudra attendre octobre 1982 pour que Borrowed Time paraisse enfin. Il est pour ainsi dire déjà trop tard. La New Wave Of British Heavy-Metal a fait long feu, il n’en reste que des scories. Les groupes survivants doivent durer et s’exporter. Iron Maiden et Judas Priest ont réussi en s’imposant aux Etats-Unis, Saxon et Motorhead se limitent déjà à l’Europe. Pour Samson, Savage, Grim Reaper, Chateaux, c’est déjà laborieux en leurs propres terres, quand ils n’ont pas déjà sombré corps et âme, comme Holocaust ou Blitzkrieg. Diamond Head survit de par sa musique ambitieuse et hors de portée de toute contingence strictement Heavy-Metal. Leur réputation sera en tout cas suffisamment importante pour que l’album se classe honorablement.

Ce disque alliera le brio avec une certaine déception de façade. En effet, le quatuor va réenregistrer deux morceaux de son premier LP auto-produit sur sept titres, ce qui fut considéré comme un manque d’ambition et de matériel original sur la période séparant la publication des deux disques : dix-huit mois. Ce qu’on analysa moins, c’est que Diamond Head n’a pour l’heure jamais publié d’album officiel, l’album dit blanc n’étant en fait qu’une bande de démonstration qui ne satisfit guère les quatre musiciens de par sa qualité d’enregistrement. Ses ventes plus qu’encourageantes, bien qu’à l’édition laborieuse, en firent avec le temps le vrai premier album de Diamond Head, mais dans la tête de ses membres, cela n’était absolument pas le cas. Une captation de qualité des deux morceaux que sont « Lightning To The Nations » et « Am I Evil » paraissait donc logique à leurs yeux, d’autant plus que l’écriture ne dépareillait pas avec les nouvelles compositions. Le EP Four Cuts paru l’année précédente était après tout constitué notamment d’un morceau remontant à 1979, « Dead Reckoning », un de 1978, « Trick Or Treat », et un autre déjà paru en face B en 1980 : « Shoot Out The Lights ». Ce qui était évident, c’est que Diamond Head n’avait pas tourné le dos à un ancien répertoire, et avait de la suite dans les idées. Ses chansons, qu’elles soient de 1979 ou de 1982, paraissaient comme un répertoire cohérent, sans rupture stylistique majeure. Cela ne fut pas le cas pour d’autres groupes dont l’approche évolua plus ou moins brutalement au gré du vent musical du moment. Pourtant, on leur reprocha aussi la production de Mike Hedges. Sophistiquée, puissante, luisante comme une lame, elle sonnait plus proche du Rock FM des années 80 que de celle du Metal d’Iron Maiden ou Black Sabbath. C’est d’ailleurs toujours l’erreur d’appréciation qui est faite à la première écoute. Car elle a finalement bien mieux vieillie que beaucoup de disques du genre à la même époque. Au plus peut-on reprocher l’excès d’écho sur les caisses de la batterie, mais l’on est encore bien loin de ce qui sera commis sur Brothers In Arms de DireStraits par exemple.

Borrowed Time est un disque immense sous son apparence d’honnête album de Hard-Rock mélodique. Sa composition et son interprétation sont bien plus fines qu’elles n’y paraissent, et c’est bien cette subtilité modeste qui en fait toute la qualité. Il est dans la lignée du Before The Storm de Samson, autre merveille du genre. Mais l’album de Diamond Head, est, il faut l’admettre, un cran au-dessus. Il est à ce point fabuleux qu’il me toucha dès ma première écoute du haut de mes seize printemps. Il n’était pas fait de cette esbroufe caractéristique aux jeunes musiciens dévoilant leurs premiers enregistrements.

« In The Heat Of The Night » est pour moi la plus belle chanson romantique de tous les temps. Flirtant avec le danger, résignée, amère, elle est pourtant gorgée de cet espoir fou, celui d’aller au-delà du doute qui nous étreint. Mélodie poignante, elle prend au ventre, acide. Adulte aussi. Il n’est plus question de Heavy-Metal de kids, mais bien d’un Hard-Rock de grand garçon. Une ligne de basse sourde, un riff simple, une batterie massive sourdant d’un écho lointain : le Hard-Rock de Diamond Head est une musique plus froide, plus distante, qui nécessite d’être apprivoisée. Par contre, rien à voir avec une quelconque musique gothique ou New Wave : le son de la guitare est rauque, la batterie toujours puissante, la basse métallique, le chant toujours aussi virevoltant, mais davantage maîtrisé. « To Heaven From Hell » en est la preuve parfaite : un tempo d’enclume, de l’électricité. Et puis l’explosion speed de la seconde partie, permettant un solo tout en dissonances, audacieux, loin des clichés Metal de l’époque.

« Call Me » fut un choc pour le public de la New Wave Of British Heavy-Metal : trop commercial, trop putassier, il n’était qu’un appel du pied au grand public, aux dépens de ses vraies origines musicales. Il est le prototype du Diamond Head de 1982 : une mélodie accrocheuse, un riff en béton, et puis une lente et insidieuse progression dans un vrai son Rock de plus en plus intense. Même cette nouvelle version de « Lightning To The Nations » se charge de cette âme lourde qui imprime toute la force de ce disque : tempo légèrement plus posé, puissance imprimée non par la vitesse mais par la maîtrise de la mélodie. La vélocité n’est plus un argument, mais un outil secondaire. La fougue de la jeunesse qui était le moteur du premier disque n’est plus le sang de Borrowed Time.

La chanson titre est la fusion subtile entre le Heavy-Rock progressif du premier disque et ces mélodies obsédantes qui emplissent cet album. Ce morceau est obsédant, c’est le cas depuis vingt ans. Je l’écoute toujours avec ce pincement au cœur, cette amertume si caractéristique. Les versions enregistrées en concert, notamment pour la BBC seront infiniment supérieures, toutes dotées de cette dynamique de prise en direct. Comme pour « In The Heat Of The Night », dont celle de BBC In Concert est absolument dantesque d’intensité et de pureté. A ce point qu’elle révèle la vraie majesté des chansons, et efface cette rugosité initiale des versions studio. Mais j’aime aussi cette dernière. Elle donne toute la personnalité au disque, son côté adulte. Et les morceaux se parent d’une intensité unique. « Don’t You Ever Leave Me » est d’une beauté cancéreuse, qui n’est pas sans rappeler les thèmes obsédants de Robin Trower. « Am I Evil ? » est l’immense classique du répertoire de Diamond Head, défini comme tel par la reprise de Metallica, à ce point connue qu’elle fit croire au public de ces derniers qu’ils en étaient les vrais auteurs. Et de voir Diamond Head se faire huer en première partie à Milton Keynes en 1994 parce qu’ils reprenaient du Metallica. Mais la force d’interprétation est telle, bien plus intense que la puissance sonore en elle-même, qu’elle balaya rapidement les doutes de l’audience. Car le quatuor tire sa magie de la qualité de ses chansons et de sa sincérité à toute épreuve.

Borrowed Time atteint la 24ème des classements britanniques d’albums, ce qui semblait ouvrir une voie royale à Diamond Head, enfin. La prestation du groupe au festival Monsters Of Rock ne fit que confirmer ce statut de futur grand du Heavy-Metal. L’album jeta pourtant un trouble dans l’esprit des fans, qui semblait déstabiliser par ce disque si mature par rapport à son fulgurant prédécesseur. Les inédits récemment publiés datant de 1981 donnent un bon aperçu d’un album potentiel qui aurait pu faire la transition entre le virulent Heavy-Metal de 1980 et le Hard-Rock chromé de 1982. Diamond Head préférera jeter sa copie, et repartir de zéro pour aboutir à la seconde étape sans transition. Ce succès resta fragile, et Diamond Head tâcha de consolider son public par une intense campagne de concerts en Grande-Bretagne. Ces quatre-là allaient s’imposer, c’était évident.

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3 commentaires:

Anonyme a dit…

Encore une superbe chronique. Ne connaissant que leur premier album qui est pour moi l'un des trois meilleur disque de la nwobhm avec The Nightcomers de Holocaust et le premier Angel Witch, je m'en vais vite fait écouter leur second méfait.
Merci encore pour ton blog et ses écrits de grandes qualités.
El Chuncho.

Julien Deléglise a dit…

Merci de ta lecture fidèle. Diamond Head, Holocaust, Angel Witch.... Très bons choix, ils font partie de mes favoris avec le premier Savage, vraiment exceptionnel également.
Si tu veux apprécier cette période de Diamond Head, je te conseille le coffret "The MCA Years" avec ce disque, le très sous-estimé "Canterbury", le concert des Monsters Of Rock et toutes les bandes à la BBC. Cela permet d'apprécier cette période riche de Diamond Head.
Sache également que des vidéos ont resurgi il y a peu d'un concert de 1979 filmé par des étudiants en vidéo pour s'entraîner, voici le premier lien qui te permettra aussi de trouver les autres :https://youtu.be/4w0HUwZLo7Q

RanxZeVox a dit…

C'est étonnant l'influence que Diamond Head a eu sur plein de groupes alors qu'à l'époque ils avaient plutôt du mal à percer. On n'avait pas internet mais les infos circulaient bien sur la planète hard rock, on ratait pas les bons disques. Et ceux de Diamond Head en faisaient sacrément partie.
Hugo Spanky