Borrowed
time….. j’ai écrit ce texte vendredi soir sans savoir. Un ami
m’a envoyé un simple message : « on aurait pu y être ».
C’était bien vrai. Je ne suis pas un grand fan de Eagles Of Death
Metal, mais un concert au Bataclan, on aurait pu y être. Comme pour
Robin Trower il y a deux ans. Ou une autre salle de petite
importance, peu surveillée…. On aurait pu mourir, simplement parce
que l’on aime le Rock, et que ces fachistes n’aiment pas cela.
Ils n’aiment personne d’ailleurs : ni les femmes, qu’ils
violent, ni les enfants, qu’ils battent, ni eux-mêmes, qu’ils
font exploser. Nous sommes des kufars : des mécréants. Nous
aimons cette musique occidentale, boire de l’alcool, voir les
filles en décolleté, fumer une clope, se marrer, raconter des
grosses conneries…. Il n’est plus question de religion dans tout
cela. C’est un appel à l’anarchie d’extrême-droite,
déstabiliser le modèle occidental, aussi imparfait soit-il, pour
mieux faire triompher le banditisme, le commerce des femmes, des
armes, du pétrole, de la drogue. Qu’importe si tout cela est vendu
aux mêmes occidentaux que l’on déteste. L’essentiel, c’est
l’argent, si possible en dollars bien américains, parce que c’est
plus sûr. Nous sommes pris en étau entre les capitalistes des
multinationales qui nous font crever de faim, et les capitalistes du
grand banditisme terroriste qui nous font crever sous les balles. Il
est temps de se relever et de leur dire d’aller se faire foutre.
Dans la douceur de cette mi-novembre, des hommes ont eu peur.
Vraiment. Dans la chaleur de la nuit.
"Borrowed Time est un disque immense sous son apparence d’honnête album de Hard-Rock mélodique."
DIAMOND
HEAD : Borrowed
Time
1982
Qu’y
a-t-il dans la chaleur de la nuit ? Nous sommes deux,
l’adversité nous observe. Il n’y a pas d’échappatoire, dans
la chaleur de la nuit. La lumière blanche des réverbères éclaire
d’une lumière pâle et fantomatique les visages des âmes du
crépuscule. Ils marchent sans but, le cœur vide, les pensées
noires. Ils recherchent un peu d’affection, là, dans la chaleur de
la nuit. Nous pourrions faire l’amour, sur le bord de ce lit, dans
la chaleur de la nuit. Personne ne peut plus nous atteindre. Nos
sueurs se mêlant, au plus profond de notre désir, l’un pour
l’autre. Nous laisser le temps, ne plus parler, juste laisser faire
nos corps. Il n’y aura pas de survivant, dans la chaleur de la
nuit. Tu seras mienne, et nous vivrons enfin, libres.
La
flamme du briquet effleure l’extrémité de la cigarette. Une
profonde inspiration laisse échapper une bouffée de fumée, rejetée
d’une expiration sèche. Une gorgée de bière, et puis l’homme
repart, dans l’obscurité de la rue un soir d’hiver, humide et
froid. Il plonge ses mains dans les poches de son blouson de cuir,
renifle machinalement. L’affiche plaquée sur les palissades du
chantier voisin au théâtre municipal, de format quarante sur
soixante centimètres, est de couleur noir, avec un logo blanc, au
lettrage d’inspiration asiatique, et au nom du groupe se produisant
ce soir : Diamond Head.
Le O est un diamant rutilant. Le ciel
s’ouvre enfin pour eux. La lumière éclaire bienveillamment leurs
visages de gosses mutins. Après un premier album sous forme de sept
morceaux à l’état de démos brutes, mais d’une qualité
musicale exceptionnelle, Brian Tatler à la guitare, Sean Harris au
chant, Colin Kimberley à la basse et Duncan Scott à la batterie
sortent de l’ombre après trois années de concerts dans les clubs
britanniques. Le disque, à la pochette blanche dédicacée, se vend
une première fois à quelques milliers d’exemplaires aux concerts.
Ses deux rééditions suivantes la même année feront de même. Nous
sommes en 1980, et la New Wave Of British Heavy-Metal est à son
sommet. Iron Maiden, Judas Priest et Saxon sont en haut des
classements nationaux, Samson et Tygers Of Pan-Tang ratissent les
salles de concert. Diamond Head fait partie de ces groupes dont le
potentiel d’une évidente qualité frappe les esprits de la presse
et du public venu aux concerts. Mais aucune maison de disques
d’envergure n’a encore pris la peine de les signer. Ce sera chose
faite en 1981, sur le label MCA, le même que les Tygers Of Pan-Tang.
Mais en 1981, ces derniers ont déjà sorti deux albums, et
s’apprêtent à publier le troisième. Diamond Head ne publiera
qu’un EP quatre titres cette année-là, et son premier album
officiel au début de l’année suivante.
En
1981, le Heavy-Metal anglais a déjà muté brutalement vers la
puissance : Motorhead classe son disque en concert en tête des
classements anglais, Venom et Raven publient leurs premiers opus,
Iron Maiden, un second disque plus vif et élaboré. Il faut choisir
son camp cette année-là : mener la course à l’armement, ou
s’orienter vers un Hard-Rock mélodique élaboré inspiré de
Michael Schenker Group et Scorpions. Praying Mantis et Samson optent
pour cette voie, avec brio. Diamond Head également. Ceux que l’on
qualifia de fiers successeurs de Led Zeppelin vont davantage être
ceux de UFO. Il faudra attendre octobre 1982 pour que Borrowed
Time
paraisse enfin. Il est pour ainsi dire déjà trop tard. La New Wave
Of British Heavy-Metal a fait long feu, il n’en reste que des
scories. Les groupes survivants doivent durer et s’exporter. Iron
Maiden et Judas Priest ont réussi en s’imposant aux Etats-Unis,
Saxon et Motorhead se limitent déjà à l’Europe. Pour Samson,
Savage, Grim Reaper, Chateaux, c’est déjà laborieux en leurs
propres terres, quand ils n’ont pas déjà sombré corps et âme,
comme Holocaust ou Blitzkrieg. Diamond Head survit de par sa musique
ambitieuse et hors de portée de toute contingence strictement
Heavy-Metal. Leur réputation sera en tout cas suffisamment
importante pour que l’album se classe honorablement.
Ce
disque alliera le brio avec une certaine déception de façade. En
effet, le quatuor va réenregistrer deux morceaux de son premier LP
auto-produit sur sept titres, ce qui fut considéré comme un manque
d’ambition et de matériel original sur la période séparant la
publication des deux disques : dix-huit mois. Ce qu’on analysa
moins, c’est que Diamond Head n’a pour l’heure jamais publié
d’album officiel, l’album dit blanc n’étant en fait qu’une
bande de démonstration qui ne satisfit guère les quatre musiciens
de par sa qualité d’enregistrement. Ses ventes plus
qu’encourageantes, bien qu’à l’édition laborieuse, en firent
avec le temps le vrai premier album de Diamond Head, mais dans la
tête de ses membres, cela n’était absolument pas le cas. Une
captation de qualité des deux morceaux que sont « Lightning To
The Nations » et « Am I Evil » paraissait donc
logique à leurs yeux, d’autant plus que l’écriture ne
dépareillait pas avec les nouvelles compositions. Le EP Four
Cuts
paru l’année précédente était après tout constitué notamment
d’un morceau remontant à 1979, « Dead Reckoning », un
de 1978, « Trick Or Treat », et un autre déjà paru en
face B en 1980 : « Shoot Out The Lights ». Ce qui
était évident, c’est que Diamond Head n’avait pas tourné le
dos à un ancien répertoire, et avait de la suite dans les idées.
Ses chansons, qu’elles soient de 1979 ou de 1982, paraissaient
comme un répertoire cohérent, sans rupture stylistique majeure.
Cela ne fut pas le cas pour d’autres groupes dont l’approche
évolua plus ou moins brutalement au gré du vent musical du moment.
Pourtant, on leur reprocha aussi la production de Mike Hedges.
Sophistiquée, puissante, luisante comme une lame, elle sonnait plus
proche du Rock FM des années 80 que de celle du Metal d’Iron
Maiden ou Black Sabbath. C’est d’ailleurs toujours l’erreur
d’appréciation qui est faite à la première écoute. Car elle a
finalement bien mieux vieillie que beaucoup de disques du genre à la
même époque. Au plus peut-on reprocher l’excès d’écho sur les
caisses de la batterie, mais l’on est encore bien loin de ce qui
sera commis sur Brothers
In Arms
de DireStraits par exemple.
Borrowed
Time
est un disque immense sous son apparence d’honnête album de
Hard-Rock mélodique. Sa composition et son interprétation sont bien
plus fines qu’elles n’y paraissent, et c’est bien cette
subtilité modeste qui en fait toute la qualité. Il est dans la
lignée du Before
The Storm
de Samson, autre merveille du genre. Mais l’album de Diamond Head,
est, il faut l’admettre, un cran au-dessus. Il est à ce point
fabuleux qu’il me toucha dès ma première écoute du haut de mes
seize printemps. Il n’était pas fait de cette esbroufe
caractéristique aux jeunes musiciens dévoilant leurs premiers
enregistrements.
« In
The Heat Of The Night » est pour moi la plus belle chanson
romantique de tous les temps. Flirtant avec le danger, résignée,
amère, elle est pourtant gorgée de cet espoir fou, celui d’aller
au-delà du doute qui nous étreint. Mélodie poignante, elle prend
au ventre, acide. Adulte aussi. Il n’est plus question de
Heavy-Metal de kids, mais bien d’un Hard-Rock de grand garçon. Une
ligne de basse sourde, un riff simple, une batterie massive sourdant
d’un écho lointain : le Hard-Rock de Diamond Head est une
musique plus froide, plus distante, qui nécessite d’être
apprivoisée. Par contre, rien à voir avec une quelconque musique
gothique ou New Wave : le son de la guitare est rauque, la
batterie toujours puissante, la basse métallique, le chant toujours
aussi virevoltant, mais davantage maîtrisé. « To Heaven From
Hell » en est la preuve parfaite : un tempo d’enclume,
de l’électricité. Et puis l’explosion speed de la seconde
partie, permettant un solo tout en dissonances, audacieux, loin des
clichés Metal de l’époque.
« Call
Me » fut un choc pour le public de la New Wave Of British
Heavy-Metal : trop commercial, trop putassier, il n’était
qu’un appel du pied au grand public, aux dépens de ses vraies
origines musicales. Il est le prototype du Diamond Head de 1982 :
une mélodie accrocheuse, un riff en béton, et puis une lente et
insidieuse progression dans un vrai son Rock de plus en plus intense.
Même cette nouvelle version de « Lightning To The Nations »
se charge de cette âme lourde qui imprime toute la force de ce
disque : tempo légèrement plus posé, puissance imprimée non
par la vitesse mais par la maîtrise de la mélodie. La vélocité
n’est plus un argument, mais un outil secondaire. La fougue de la
jeunesse qui était le moteur du premier disque n’est plus le sang
de Borrowed
Time.
La
chanson titre est la fusion subtile entre le Heavy-Rock progressif du
premier disque et ces mélodies obsédantes qui emplissent cet album.
Ce morceau est obsédant, c’est le cas depuis vingt ans. Je
l’écoute toujours avec ce pincement au cœur, cette amertume si
caractéristique. Les versions enregistrées en concert, notamment
pour la BBC seront infiniment supérieures, toutes dotées de cette
dynamique de prise en direct. Comme pour « In The Heat Of The
Night », dont celle de BBC
In Concert
est absolument dantesque d’intensité et de pureté. A ce point
qu’elle révèle la vraie majesté des chansons, et efface cette
rugosité initiale des versions studio. Mais j’aime aussi cette
dernière. Elle donne toute la personnalité au disque, son côté
adulte. Et les morceaux se parent d’une intensité unique. « Don’t
You Ever Leave Me » est d’une beauté cancéreuse, qui n’est
pas sans rappeler les thèmes obsédants de Robin Trower. « Am
I Evil ? » est l’immense classique du répertoire de
Diamond Head, défini comme tel par la reprise de Metallica, à ce
point connue qu’elle fit croire au public de ces derniers qu’ils
en étaient les vrais auteurs. Et de voir Diamond Head se faire huer
en première partie à Milton Keynes en 1994 parce qu’ils
reprenaient du Metallica. Mais la force d’interprétation est
telle, bien plus intense que la puissance sonore en elle-même,
qu’elle balaya rapidement les doutes de l’audience. Car le
quatuor tire sa magie de la qualité de ses chansons et de sa
sincérité à toute épreuve.
Borrowed
Time
atteint la 24ème
des classements britanniques d’albums, ce qui semblait ouvrir une
voie royale à Diamond Head, enfin. La prestation du groupe au
festival Monsters Of Rock ne fit que confirmer ce statut de futur
grand du Heavy-Metal. L’album jeta pourtant un trouble dans
l’esprit des fans, qui semblait déstabiliser par ce disque si
mature par rapport à son fulgurant prédécesseur. Les inédits
récemment publiés datant de 1981 donnent un bon aperçu d’un
album potentiel qui aurait pu faire la transition entre le virulent
Heavy-Metal de 1980 et le Hard-Rock chromé de 1982. Diamond Head
préférera jeter sa copie, et repartir de zéro pour aboutir à la
seconde étape sans transition. Ce succès resta fragile, et Diamond
Head tâcha de consolider son public par une intense campagne de
concerts en Grande-Bretagne. Ces quatre-là allaient s’imposer,
c’était évident.
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3 commentaires:
Encore une superbe chronique. Ne connaissant que leur premier album qui est pour moi l'un des trois meilleur disque de la nwobhm avec The Nightcomers de Holocaust et le premier Angel Witch, je m'en vais vite fait écouter leur second méfait.
Merci encore pour ton blog et ses écrits de grandes qualités.
El Chuncho.
Merci de ta lecture fidèle. Diamond Head, Holocaust, Angel Witch.... Très bons choix, ils font partie de mes favoris avec le premier Savage, vraiment exceptionnel également.
Si tu veux apprécier cette période de Diamond Head, je te conseille le coffret "The MCA Years" avec ce disque, le très sous-estimé "Canterbury", le concert des Monsters Of Rock et toutes les bandes à la BBC. Cela permet d'apprécier cette période riche de Diamond Head.
Sache également que des vidéos ont resurgi il y a peu d'un concert de 1979 filmé par des étudiants en vidéo pour s'entraîner, voici le premier lien qui te permettra aussi de trouver les autres :https://youtu.be/4w0HUwZLo7Q
C'est étonnant l'influence que Diamond Head a eu sur plein de groupes alors qu'à l'époque ils avaient plutôt du mal à percer. On n'avait pas internet mais les infos circulaient bien sur la planète hard rock, on ratait pas les bons disques. Et ceux de Diamond Head en faisaient sacrément partie.
Hugo Spanky
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