"Il est en tout cas
évident que cet album en concert est un immense disque de Hard
Fusion."
La mort de Jimi Hendrix en 1970 laissa
un vide immense sur la scène musicale. Son influence fut majeure,
allant jusqu'à convaincre le grand Miles Davis de se tourner vers la
fusion du Jazz avec le Rock. Il était même planifié
l'enregistrement d'un album entre le trompettiste et le guitariste,
qui n'aboutira finalement pas, à grand regret.
Le jeu d'Hendrix fut à ce point
primordial qu'il fut autant le déclencheur du Hard-Rock que du Funk
électrique des années suivantes. Il donna dans tous les cas l'envie
à de très nombreux guitaristes de créer leur trio, et d'embraser
les scènes de furieux soli de guitare incandescents. Le format
guitare-basse-batterie n'était bien sûr pas l'apanage du seul Jimi.
On peut citer deux autres trios à l'influence majeure à la fin des
années 60 : Cream, et dans une moindre mesure, Taste avec Rory
Gallagher.
Ce dernier poursuivit par ailleurs sa
route en solo, sous la forme d'un trio sous son propre nom, puis un
quatuor. Il perpétua ainsi l'impact initial de Taste, alors que
Cream avait sombré en 1968, et Hendrix, bien malheureusement, en
1970. Il contribua en tout cas à maintenir en vie l'esprit du trio
de Blues-Rock furieux. Et il ne fut pas le seul. Aux débuts des
années 70, plusieurs guitaristes apparurent, fortement influencés
par Jimi Hendrix, Cream et Taste. On peut citer l'immense Robin
Trower, Jeff Beck avec Bogert et Appice, le Leslie West Band, Georges
Thorogood ou le canadien Frank Marino et son groupe Mahogany Rush. Le
Canada semble être le terreau d'une scène Rock vivace, qui voit
naître plusieurs formations importantes, dont April Wine ou
l'immense Rush.
Pat Travers est un guitariste
originaire de Toronto. C'est en voyant Hendrix sur scène qu'il
décide de se mettre à la guitare. Suffisamment doué, il attire
l'attention du chanteur Ronnie Hawkins, qui l'embauche. Rapidement,
Travers, va monter son propre trio. La concurrence est alors rude,
mais Travers ne s'inscrit pas dans une course à la virtuosité ou à
la succession d'un des grands trios de la fin des années 60. Bien
que techniquement plutôt doué, et doté d'un brin de voix rauque,
il se concentre sur une fusion de Blues, de Rock hargneux, et de
teintes Soul. A ce titre, sa musique originale et humble rappelle en
bien des points l'approche de Rory Gallagher. Il va par ailleurs
suivre le même plan de carrière : enregistrer et tourner comme
un damné jusqu'à ce que le succès s'en suive. Sa musique attire
l'attention du label Polydor, le même que Gallagher, qui signe
Travers en 1976. Un premier album éponyme est publié la même année
alors que le trio est parti s'établir à Londres. L'album est
suffisamment remarquable pour permettre à Pat Travers de jouer à
l'émission musicale allemande Rockpalast. Son trio est alors
constitué de Mars Cowling, qui sera un fidèle au guitariste pendant
huit ans, et d'un certain Nicko MacBrain à la batterie. La
réputation de Pat Travers grandit sur le continent européen,
suffisamment pour lui permettre de faire jeu égal avec la
concurrence. L'album Makin' Magic
en 1977 concrétise tous les espoirs fondés sur la qualité de la
musique du canadien. Un morceau fera notamment parler de lui :
une reprise tonitruante de « Statesboro Blues »,
auparavant popularisé par le Allman Brothers Band. La version
proposée est propulsée par un duel redoutable entre Travers et un
invité de marque : Brian Robertson de Thin Lizzy. L'album
Puttin It Straight,
paru la même année, poursuit la voie ouverte et le rythme de
stakhanoviste du musicien.
Mais désireux de donner de l'ampleur
à sa musique, le canadien décide de recruter un second guitariste.
Il trouve le candidat idéal en la personne de Pat Thrall. Jeune
bretteur prodige surtout connu pour son travail dans le monde du
Jazz-Rock et des studios, il désire se consacrer à un vrai groupe
de Rock, et de tâter de la route. Nicko MacBrain, parti pour les
Streetwalkers, un nouveau batteur est embauché : il s'appelle
Tommy Aldridge, et a officié au sein du sextet sudiste Black Oak
Arkansas. Désormais officiellement nommé Pat Travers Band, le
quatuor va concrétiser rapidement son existence par un nouveau
disque fuligineux : Heat In The Streets en
1978. Tous les éléments de la musique de Travers sont toujours bien
présents, à savoir une fusion subtile de Blues-Rock saignant et de
teintes Funk. Mais les nouveaux sidemen injectent une énergie
nouvelle. Elle se confirme sur scène : le Band assure la
première partie de la tournée de Rush, Drive Til You Die,
à travers le continent américain en 1978. La force scénique du
quatuor est telle que l'enregistrement de plusieurs concerts sur la
tournée à suivre en tête d'affiche en janvier et février 1979,
est programmé en vue d'un album en direct.
Ainsi
paraît Live ! Go For What You Know
en 1979, capté sur quatre concerts au Texas et en Floride. Le disque
fait rapidement l'objet d'une critique majeure : la musique qui
y figure est surproduite, anéantissant le côté sauvage et
spontanée de tout bon enregistrement de Hard-Rock en concert. Le
public n'est quasiment pas audible, et comble du comble, l'album est
simple, alors que la plupart des albums live de l'époque se doivent
d'être doubles. Ces deux faux-pas vont refroidir quel que peu
l'enthousiasme de la presse, malgré la qualité indéniable de la
musique enregistrée.
Ce
que l'on sait moins, c'est que Travers n'est pas uniquement un
rockeur débridé, mais un perfectionniste dans l'âme. Soucieux de
la qualité de la musique proposée, il a appréhendé cet album
comme une relecture totale des meilleurs morceaux de son répertoire
par son nouveau groupe. Il a ainsi travaillé dans le sens d'un
nouvel album studio dont les morceaux auraient la spontanéité et la
qualité d'improvisation de la scène. La sélection des titres est
donc rigoureuse, et le travail de production imposant, au détriment
de l'imperfection scénique. Plusieurs albums live de l'époque
seront approchés de la même manière, comme Unleashed In
The East de Judas Priest, Some
Enchanted Evening de Blue Oyster
Cult, The Song Remains The Same
de Led Zeppelin, ou dans une moindre mesure, Live And
Dangerous de Thin Lizzy.
D'ailleurs, le producteur qui assiste Travers, un certain Tom Allom,
travaillera également sur tous les albums à suivre de Judas Priest
du début des années 80, tous devenus depuis des classiques du
Heavy-Metal : British Steel,
Screaming For Vengeance
ou Defender Of The Faith.
Mais il faut croire que Travers n'eut pas droit à la même
indulgence. Cela ne l'empêchera pas de classer cet album dans le Top
40 américain, et le simple « Boom Boom » dans le Top 20,
lui offrant ainsi son premier grand succès commercial. Il avait en
tout cas compris que le public américain était à ce moment-là
très friand d'une musique Rock très produite, comme en attestait le
succès de Boston, Journey ou Foreigner. Lui aussi sensible à une
production bien réalisée,
Travers va donc travailler
ses albums en ce sens, et dès son second album, le premier l'ayant
déçu.
Il est en tout cas
évident que cet album en concert est un immense disque de Hard
Fusion. Doté d'une énergie incroyable, et d'une cohésion
exceptionnelle entre les musiciens, il est un vrai générateur de
plaisir, aussi puissant que sophistiqué. Car au même titre que
Michael Schenker au sein de UFO puis de son Group, ce qui va marquer
de très nombreux musiciens, c'est la musicalité, la finesse,
l'expressivité des mélodies comme des soli. Ce n'est pas un hasard
si Kirk Hammett de Metallica ou Norbert Krief de Trust en seront de
grands fans. Car Travers, doublé de Thrall, vont apporter plus qu'un
simple Hard-Rock Blues de plus. Sans tomber dans le Hard-FM trop
ostensiblement commercial, le canadien approche de sa musique de
manière plus classieuse. Chaque note, chaque chorus est pesé pour
apporter au morceau, sans tomber dans la jam gratuite, longs
épithèmes stériles qui firent la gloire mais aussi le malheur
d'immenses formations sur scène comme Led Zeppelin ou Deep Purple.
Tous les morceaux font ici entre six et huit minutes, mais il n'y en
a aucune de trop. C'est sans doute ce qui fait la grande différence
de ce live avec d'autres, doubles : il n'y a rien de superflu ni
d'auto-indulgent.
« Hooked On
Music », vieille scie scénique de Travers issue du premier
album, ouvre magistralement l'album. Un peu bancal dans sa version
originale, le morceau est transcendé par le répondant entre les
deux Pat. Alternant les soli, voguant entre Hard-Funk teigneux et
ambiance plus atmosphérique, presque Jazz-Rock, les musiciens
dialoguent à l'envie, par notes serrées, et chorus d'une grande
créativité. Travers n'est pas du genre mégalomane, et sait laisser
la place à son second guitariste, y compris dans les compositions,
fait suffisamment rare chez les groupes portant le nom de leur leader
pour être signalé. Et c'est ce qui permet à la musique du Pat
Travers Band d'avoir cette emphase, ce souffle.
Le souffle Funk
repart avec « Gettin Betta ». Mêlé aux sonorités Hard
et aux guitares en harmonie, on distingue l'influence de Thin Lizzy,
autre quartet tournant intensément sur le continent américain
après le succès du morceau « Boys Are Back In Town » en
1976. C'est durant ces tournées que les routes de Travers et du
grand Phil Lynott se croisent. C'est aussi à cette occasion que
Robertson acceptera volontiers de croiser le fer sur « Stateboro
Blues » en 1977.
L'influence de
Lynott se retrouvera aussi sur « Stevie », ballade
romantique à la mélodie superbe, et dont le final est un brasier de
guitares. A l'instar de la version de scène de « Still In Love
With You » de Thin Lizzy, dont on retrouve la même émotion,
et la même subtilité musicale. Jamais le morceau ne tombe dans la
chanson mièvre, alors que l'exercice est hautement périlleux, et a
déjà produit quelques belles soupes claires comme « Beth »
de Kiss. « Stevie » fait partie de ces miracles du Rock
mélodique, à la fois sincères, et terriblement poignants. Le Pat
Travers Band ne retrouvera que difficilement la force de cette
version, malgré de superbes interprétations. La seconde face
s'achève sur ce beau morceau, non sans avoir auparavant fait un
détour par le bon vieux Boogie avec « Boom Boom » de
Little Walter, permettant à Travers de partager un moment de
complicité avec son public.
La seconde face
démarre sur les chapeaux de roue avec une version tonitruante de
« Makin' Magic ». Bien que Nicko MacBrain fut doté d'un
sacré swing sur le disque original en studio, Tommy Aldridge, que
l'on avait guère distingué avec Black Oak Arkansas à part comme un
batteur compétent, se transfigure littéralement en imprimant un
tempo d'enfer qu'il ne relâchera pas jusqu'à la fin du disque.
Littéralement
poussés dans la stratosphère par son batteur et un Cowling à la
basse tout aussi percutant, Travers et Thrall s'envolent avec leurs
guitares sur « Heat In The Streets ». Les chorus délivrés
sont dantesques, joués à une vitesse cosmique et avec une précision
redoutable. Les deux s'emboîtent le pas, sans se lâcher d'une
semelle, se poussant l'un l'autre dans leurs retranchements. Thrall y
est particulièrement redoutable, et son solo est sans aucun doute ce
qu'il a enregistré de plus brillant, et ce en quelques mesures
magiques.
« Makes No
Difference » finit le travail accompli, avec un Hard-Rock
revêche, au rythme d'enfer. Le morceau original était déjà très
bon, loin devant les multiples disciples hendrixiens. Cette version
en quatuor est une nouvelle fulgurance musicale. Travers se
transcende en chorus tout en effets spatiaux, qui ne sont pas sans
rappeler ceux de Tommy Bolin sur son unique participation à Deep
Purple, Come Taste The Band. Ce dernier était un guitariste
de Hard-Rock fin issu du Jazz-Rock et du Hard-Blues dont le jeu
luxuriant laissa quelques traces auprès des guitaristes américains,
brisant à son modeste niveau une autre barrière entre Rock et Jazz,
notamment sur l'album Spectrum de Billy Cobham. Le disque
s'achève dans un maelstrom de guitares furieuses, laissant le public
conquis. Ce dernier n'oubliera pas ces prestations, emmenant haut ce
disque live dans les classements américains.C'est le début d'une
période dorée qui tiendra son apogée avec l'album « Crash
And Burn » en 1980 et une participation à la mythique édition
du Festival de Reading en Grande-Bretagne la même année.
Pour l'heure, Pat
Travers accède enfin à un succès mérité après quatre années de
travail intense, dont quatre albums studios parfaits. L'album live
Live ! Go For What You Know redorera en tout cas le
blason d'un Hard américain en difficulté avec la lente dégringolade
de Kiss, Blue Oyster Cult, et Aerosmith, et la montée en puissance
d'un Hard-FM de plus en plus outrageusement commercial. Pat Travers
saura maintenir son subtil alliage de mélodies et de Hard sans
tomber dans la grossièreté, preuve que ce garçon avait bien du
talent. Live ! Go For What You Know peut en tout cas
poser fièrement entre Live And Dangerous de Thin Lizzy et
Strangers In The Night de UFO.
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4 commentaires:
Lorsqu'un ami posa fièrement le 33 tours sur ma platine et que les premières notes de "Putting it Straight" retentirent, je n'en croyais pas mes oreilles. "Life in London" ! La claque ! A l'époque, le son me paraissait nouveau, tout en gardant son parfum et sa saveur purement Rock, et surtout en gardant une approche "burné".
Assez rapidement, je trouvais quelques connaisseurs qui plaçaient déjà Travers au rang des meilleurs (dont un qui avait ramené de Londres ou de Paris la discographie intégrale ; qui s'arrêtait alors à "Heat in the Street").
Peu de temps après, ce "Go for what you know" commençait à être auréoler d'une sacré réputation, d'autant que l'objet était rare, difficile à trouver ("par chez nous").
Hélas, à mon sens, cet album marque aussi la fin de l'âge d'or de Travers (même si j'apprécie beaucoup "Blues Tracks", "Fidelis" et "It takes a lot of balls").
C'est vrai qu'à partir du disque suivant, des claviers apparaissent, puis des mélodies plus commerciales. Mais je ne le trouve jamais putassier.
Non, il reste droit dans ses bottes. Toutefois, d'une certaine manière, à partir de "Halfway to Somewhere", il devient bien redondant, comme pour satisfaire des auditeurs pas très exigeant mais bien présents. Par exemple, l'américain moyen (très moyen), avide de bières et de barbecue, et surtout qui considère l'intellect comme quelque chose de vulgaire et à l'opposé de la virilité.
En fait, il paraît alors jouer en pilotage-automatique, comme s'il n'était plus vraiment concerné par sa musique, comme si c'était devenu quelque chose d'alimentaire. Un job.
(malgré tout, son talent et son expérience faisant la différence, il y a toujours quelque chose à récupérer dans ses albums - sauf sur "Halfway to Somewhere" ? - )
Cela jusqu'au sursaut de "It takes a lot of balls".
Pat Travers a eu beaucoup de mal après s'être fait virer de chez Polydor en 1984. Il a sombré dans la coke et a eu du mal à remonter la pente. Ceci étant, il est vrai que peu de ses albums sont mauvais. Et ses derniers albums sont bons.
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