"Irrésistible de bout en bout,
« Flamingo » est un vrai retour salutaire à l'essence du
Rock à une époque où le genre, à son sommet créatif en 1970, va
peu à peu se perdre."
FLAMIN GROOVIES : « Flamingo »
1970
Le Rock a eu régulièrement besoin de
revenir vers ses fondamentaux. Tous les dix ans environ, après une
phase de dérapage et de digression plus ou moins intense, le genre
voit fleurir une vague d'artistes désireux de revenir au plus près
de l'essence de la musique : le Rock'N'Roll et le Blues. Le
premier retour aux sources fut le Blues anglais du milieu des années
60. Au début de la décennie, le Rock'N'Roll américain des
pionniers s'embourbent dans les comédies musicales et le Twist,
interprétation proprette plus en phase avec les attentes des
parents. La plupart des musiciens les plus intéressants sont soit
morts (Eddie Cochran, Buddy Holly), soit mis au ban de la société
pour différents motifs : Jerry Lee Lewis pour s'être mariée
avec sa cousine de treize ans, Chuck Berry pour cause de case prison
pour port d'armes, et Little Richard chez les religieux pour cause
d'homosexualité. Elvis Presley est lui passé par le service
militaire, et se contente depuis son retour d'enchaîner les films
mièvres. Pour les derniers combattants comme Gene Vincent, c'est la
survie par des tournées en Europe, seule terre voulant bien
accueillir ces pionniers rejetés de leur propre pays. Les Anglais
découvrent donc le Rock'N'Roll, mais aussi le Blues. Car ce dernier
doit aussi sa survie sur le continent européen. Howlin'Wolf, John
Lee Hooker et Muddy Waters vont tourner régulièrement en
Grande-Bretagne afin de survivre à la crise musicale qui consume les
Etats-Unis sur fond de lutte pour les droits civiques des Noirs et de
chasse aux sorcières communistes. Peu à peu, une scène Blues et
Rock se développent en Grande-Bretagne, prémices du British Blues
Boom qui verra éclore les Rolling Stones, les Beatles, les Who ou
les Pretty Things. Ces derniers vont alors ramener le Rock en terre
américaine, et revenir avec l'acidité de la Californie dans leur
musique.
La fin des années 60 voit le Rock
muté en une musique de plus en plus audacieuse et créative, pour le
meilleur comme le pire. C'est le temps des concept-albums, et des
premiers enregistrements avec des orchestres symphoniques. Peu à
peu, la spontanéité disparaît au profit d'une recherche musicale
de plus en plus indigeste. Le Hard-Rock naissant vient remettre
l'énergie au premier plan, mais rapidement, et sous l'influence du
Rock Progressif, perd sa belle spontanéité de départ pour se
laisser aller à l'audace musicale et à la virtuosité. Le Hard-Rock
et le Heavy-Metal sont des émanations principalement britanniques.
Les Etats-Unis vont à leur tour revenir à l'essence du Rock en
réponse à la déferlante anglaise, la British Invasion. Le
Garage-Rock est né, et va aboutir sur les terres industrielles de
Detroit à un Hard-Rock'N'Roll des plus brutaux. MC5 et les Stooges
défouraillent une musique métallique et dangereuse, inspirée
autant du Blues noir que du Rythm'N'Blues et du Jazz. Dans le même
temps, le Rock acide de San Francisco et ses longues jams
instrumentales prennent racine dans des reprises de classiques du
Rock et du Blues, longues digressions sur des thèmes séculaires de
la musique américaine. Grateful Dead, Quicksilver Messenger Service
ou Janis Joplin et Big Brother repartent de ces fondations pour en
délivrer leurs versions à eux. La prise massive de LSD et d'herbes
diverses permet ces délires artistiques, qui nourriront la Pop des
Beatles, des Move et des Who.
Un groupe va rester en marge de ce
courant : les Flamin Groovies. Groupe fondé à San Francisco en
1965 par les guitaristes Cyril Jordan et Roy Loney, ils font partie
de ces orchestres dits Garage influencés par les Rolling Stones et
les Beatles. Comme tous les groupes acides de la ville, le répertoire
est Rock'N'Roll et Blues. Mais en 1969, à la sortie de leur premier
album, « Supersnazz », les Groovies n'ont pas évolué
dans le sens de longues jams psychédéliques. Ils sont restés les
mêmes, jouant un Rock proche de l'os, rugueux, fait de morceaux de
trois minutes. Ils sont à rapprocher dans l'esprit du MC5 de « Back
In The USA ». Le quintet de Detroit fait paraître en 1970 un
curieux second album, enregistré en mono, comme les albums des
années 50, et dont la sonorité se veut un hommage à Chuck Berry et
Little Richard. Lester Bangs, célèbre chroniqueur américain du
magazine Creem, appellera ce genre de disques des « carburateurs
flingués ». Soit des disques au son aigrelet et rugueux,
pétaradant comme un moteur mal réglé. Une autre formation sera à
l'origine de cette expression historique : Brownsville Station,
dont le leader, Cub Koda, tentera de revenir lui aussi à l'essence
du Rock américain originel.
MC5, Brownsville Station, Flamin
Groovies, les Stooges.... tous vont être considérés comme les
pionniers d'un autre retour aux sources en terre anglaise : le
Punk. Alors que le Rock britannique s'enfonce dans les délires
symphoniques et progressifs, la nouvelle génération voudra revenir
à l'efficacité des chansons de trois minutes gorgées de Rock
nerveux, de Blues et de Pop anglaise des années 60. Ces pionniers
du Punk ne récolteront malheureusement guère les fruits de leur
travail, trop en avance pour le Punk, et totalement ringards pour les
amateurs de Progressif du début des années 70. Seuls Iggy Pop
trouvera un second souffle grâce à David Bowie, et les Groovies
grâce à un album majeur, « Shake Some Action », en
1976.
Pour l'heure, les Flamin Groovies en
sont en 1970 à l'enregistrement de leur second disque. Outre Jordan
et Loney, le quintet est composé de George Alexander à la basse,
Tim Lynch au chant et à l'harmonica, et de Danny Mihm à la
batterie. Le groupe tourne partout où il le peut, mais ne trouve que
peu d'écho au sein du monde du Rock américain. Le salut viendra ….
de la France. La presse musicale spécialisée s'entiche des
Groovies, dont ce disque, « Flamingo » est la première
pierre angulaire. Le patron du magasin de disques parisien l'Open
Market, Marc Zermati, réussit à les faire venir en France pour
plusieurs dates. Il créera par la suite son propre label, Skydog, et
publiera plusieurs albums d'inédits et de bandes de concerts des
Stooges, du MC5 et des Groovies. Il sera aussi l'organisateur des
deux mythiques festivals Punk de Mont de Marsan en 1976 et 1977. En
1970, les Flamin Groovies sont une alternative rêvée à un Rock
anglais dominant le monde de tout son Hard et son Progressif.
L'Hexagone est peu visité par les géants du Rock, à part pour une
modeste date parisienne. Mais les Rolling Stones, les Who, Jethro
Tull, Yes, Led Zeppelin ou Black Sabbath ont trop à faire aux
Etats-Unis pour s'égarer en terres françaises. Et quand ceux-ci s'y
aventurent, c'est dans des conditions matérielles lamentables,
accueillis avec mépris par le show-business local. La plupart
tournent donc en Europe en prenant bien soin d'éviter la France.
Mal interprétée, cette démarche est
considérée comme du mépris par une partie de la presse française,
qui y voit l'égo surdimensionné de ces rockers anglo-saxons. Elle
se tourne donc vers une alternative à la fois du Rock Mammouth
anglais, et de la variété française omni-présente dans les
médias. La découverte des Flamin Groovies comme du MC5 est une
bulle d'air qui permet à une partie de la critique française de se
positionner en pionnier du Rock, du moins lorsque le son du
Rock'N'Roll primal retrouvera de l'écho en terres anglo-saxonnes
avec le Punk des Ramones et des Damned. En 1970, les Flamin Groovies
sont un groupe suranné, à côté de la plaque de tous les courants
musicaux de l'époque. Et ils le sont ouvertement. Car la sonorité
de « Flamingo » met clairement l'accent sur le côté
fifties, réminiscences de Chuck Berry et de Jerry Lee Lewis. Le
quintet de San Francisco se veut moins teigneux et sales que les
Stooges ou le MC5, privilégiant l'énergie brute et l’agression
sonore. On distingue aussi quelques réminiscences Country-Folk des
premiers albums de Dylan, comme « Childhood's End » et sa
slide à la Sonny Boy Williamson, ou « Sweet Roll Me On Down »,
à l'atmosphère très Country-Honk.
Ce qui fait le sel des Flamin Groovies
avant tout, ce sont les chansons. Toutes très bonnes, à la mélodie
imparable, elles sont à la fois fortement influencées et totalement
originales. Comme si l'on écoutait des originaux de Chuck Berry,
avec la même science du riff, mais avec ce côté petite frappe
blanche en plus. Et des chansons corrosives, il y en a :
« Headin On The Texas Border », « Second Cousin »,
« Jailbait », ou la violente embardée « Road
House », effleurant une certaine forme de Hard Music rappelant
le Bob Seger System.
Les Flamin Groovies défrichent aussi
ce que l'on appellera quelques années plus tard la Power-Pop. Ce
Rock mélodique et vigoureux prend racine sur la Pop anglaise des
années 60, celle des Who, des Beatles, des Stones, des Kinks, des
Pretty Things et des Move. Les grands noms du genre seront les
maudits Badfinger, Raspberries, ou les Rubinoos. Si la musique des
Flamin Groovies piochent très allégrement dans le Rock'N'Roll et le
Blues des années 50, les mélodies efficaces ouvrent sur un horizon
plus britannique, notamment par l'utilisation des harmonies vocales
sur les refrains, qui doivent autant aux Beatles qu'aux Beach Boys,
apport capital à la musique Pop américaine.
Irrésistible de bout en bout,
« Flamingo » est un vrai retour salutaire à l'essence du
Rock à une époque où le genre, à son sommet créatif en 1970, va
peu à peu se perdre. Porté par le soutien de la France, les Flamin
Groovies produiront un troisième disque en 1971, le non moins
excellent « Teenage Head », considéré à l'époque par
la critique comme l'équivalent américain du prodigieux « Sticky
Fingers » des Rolling Stones, paru la même année. Nonobstant
le succès commercial, de nombreux points communs existaient :
les Groovies avaient trouvé en la France une terre d'accueil, comme
les Stones, mais ces derniers pour des raisons fiscales. Cela ne les
empêcha pas de s'installer au Sud de l'Hexagone, et d'y enregistrer
parmi leur meilleure musique. « Sticky Fingers » étaient
aussi pour les Stones un grand retour au Rock et au Blues. Les riffs
issus de cet album serviront de base au Rock des vingt prochaines
années. Plus modestement, ceux des Groovies serviront de terreau à
une vague musicale aussi créative que salutaire, aussi bien en
Grande-Bretagne qu'en France. Car c'est grâce au Flamin Groovies que
l'on devra l'existence de groupes comme les Dogs ou Little Bob Story.
Ils ouvriront aussi la voie au Pub-Rock de Ducks Deluxe et Dr
Feelgood. Pour cela, il est indispensable de connaître ce rouage
aussi essentiel qu'oublié de la musique.
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