mercredi 16 septembre 2015

FLAMIN' GROOVIES 1970

 "Irrésistible de bout en bout, « Flamingo » est un vrai retour salutaire à l'essence du Rock à une époque où le genre, à son sommet créatif en 1970, va peu à peu se perdre."

FLAMIN GROOVIES : « Flamingo » 1970

Le Rock a eu régulièrement besoin de revenir vers ses fondamentaux. Tous les dix ans environ, après une phase de dérapage et de digression plus ou moins intense, le genre voit fleurir une vague d'artistes désireux de revenir au plus près de l'essence de la musique : le Rock'N'Roll et le Blues. Le premier retour aux sources fut le Blues anglais du milieu des années 60. Au début de la décennie, le Rock'N'Roll américain des pionniers s'embourbent dans les comédies musicales et le Twist, interprétation proprette plus en phase avec les attentes des parents. La plupart des musiciens les plus intéressants sont soit morts (Eddie Cochran, Buddy Holly), soit mis au ban de la société pour différents motifs : Jerry Lee Lewis pour s'être mariée avec sa cousine de treize ans, Chuck Berry pour cause de case prison pour port d'armes, et Little Richard chez les religieux pour cause d'homosexualité. Elvis Presley est lui passé par le service militaire, et se contente depuis son retour d'enchaîner les films mièvres. Pour les derniers combattants comme Gene Vincent, c'est la survie par des tournées en Europe, seule terre voulant bien accueillir ces pionniers rejetés de leur propre pays. Les Anglais découvrent donc le Rock'N'Roll, mais aussi le Blues. Car ce dernier doit aussi sa survie sur le continent européen. Howlin'Wolf, John Lee Hooker et Muddy Waters vont tourner régulièrement en Grande-Bretagne afin de survivre à la crise musicale qui consume les Etats-Unis sur fond de lutte pour les droits civiques des Noirs et de chasse aux sorcières communistes. Peu à peu, une scène Blues et Rock se développent en Grande-Bretagne, prémices du British Blues Boom qui verra éclore les Rolling Stones, les Beatles, les Who ou les Pretty Things. Ces derniers vont alors ramener le Rock en terre américaine, et revenir avec l'acidité de la Californie dans leur musique.
La fin des années 60 voit le Rock muté en une musique de plus en plus audacieuse et créative, pour le meilleur comme le pire. C'est le temps des concept-albums, et des premiers enregistrements avec des orchestres symphoniques. Peu à peu, la spontanéité disparaît au profit d'une recherche musicale de plus en plus indigeste. Le Hard-Rock naissant vient remettre l'énergie au premier plan, mais rapidement, et sous l'influence du Rock Progressif, perd sa belle spontanéité de départ pour se laisser aller à l'audace musicale et à la virtuosité. Le Hard-Rock et le Heavy-Metal sont des émanations principalement britanniques. Les Etats-Unis vont à leur tour revenir à l'essence du Rock en réponse à la déferlante anglaise, la British Invasion. Le Garage-Rock est né, et va aboutir sur les terres industrielles de Detroit à un Hard-Rock'N'Roll des plus brutaux. MC5 et les Stooges défouraillent une musique métallique et dangereuse, inspirée autant du Blues noir que du Rythm'N'Blues et du Jazz. Dans le même temps, le Rock acide de San Francisco et ses longues jams instrumentales prennent racine dans des reprises de classiques du Rock et du Blues, longues digressions sur des thèmes séculaires de la musique américaine. Grateful Dead, Quicksilver Messenger Service ou Janis Joplin et Big Brother repartent de ces fondations pour en délivrer leurs versions à eux. La prise massive de LSD et d'herbes diverses permet ces délires artistiques, qui nourriront la Pop des Beatles, des Move et des Who.
Un groupe va rester en marge de ce courant : les Flamin Groovies. Groupe fondé à San Francisco en 1965 par les guitaristes Cyril Jordan et Roy Loney, ils font partie de ces orchestres dits Garage influencés par les Rolling Stones et les Beatles. Comme tous les groupes acides de la ville, le répertoire est Rock'N'Roll et Blues. Mais en 1969, à la sortie de leur premier album, « Supersnazz », les Groovies n'ont pas évolué dans le sens de longues jams psychédéliques. Ils sont restés les mêmes, jouant un Rock proche de l'os, rugueux, fait de morceaux de trois minutes. Ils sont à rapprocher dans l'esprit du MC5 de « Back In The USA ». Le quintet de Detroit fait paraître en 1970 un curieux second album, enregistré en mono, comme les albums des années 50, et dont la sonorité se veut un hommage à Chuck Berry et Little Richard. Lester Bangs, célèbre chroniqueur américain du magazine Creem, appellera ce genre de disques des « carburateurs flingués ». Soit des disques au son aigrelet et rugueux, pétaradant comme un moteur mal réglé. Une autre formation sera à l'origine de cette expression historique : Brownsville Station, dont le leader, Cub Koda, tentera de revenir lui aussi à l'essence du Rock américain originel.
MC5, Brownsville Station, Flamin Groovies, les Stooges.... tous vont être considérés comme les pionniers d'un autre retour aux sources en terre anglaise : le Punk. Alors que le Rock britannique s'enfonce dans les délires symphoniques et progressifs, la nouvelle génération voudra revenir à l'efficacité des chansons de trois minutes gorgées de Rock nerveux, de Blues et de Pop anglaise des années 60. Ces pionniers du Punk ne récolteront malheureusement guère les fruits de leur travail, trop en avance pour le Punk, et totalement ringards pour les amateurs de Progressif du début des années 70. Seuls Iggy Pop trouvera un second souffle grâce à David Bowie, et les Groovies grâce à un album majeur, « Shake Some Action », en 1976.
Pour l'heure, les Flamin Groovies en sont en 1970 à l'enregistrement de leur second disque. Outre Jordan et Loney, le quintet est composé de George Alexander à la basse, Tim Lynch au chant et à l'harmonica, et de Danny Mihm à la batterie. Le groupe tourne partout où il le peut, mais ne trouve que peu d'écho au sein du monde du Rock américain. Le salut viendra …. de la France. La presse musicale spécialisée s'entiche des Groovies, dont ce disque, « Flamingo » est la première pierre angulaire. Le patron du magasin de disques parisien l'Open Market, Marc Zermati, réussit à les faire venir en France pour plusieurs dates. Il créera par la suite son propre label, Skydog, et publiera plusieurs albums d'inédits et de bandes de concerts des Stooges, du MC5 et des Groovies. Il sera aussi l'organisateur des deux mythiques festivals Punk de Mont de Marsan en 1976 et 1977. En 1970, les Flamin Groovies sont une alternative rêvée à un Rock anglais dominant le monde de tout son Hard et son Progressif. L'Hexagone est peu visité par les géants du Rock, à part pour une modeste date parisienne. Mais les Rolling Stones, les Who, Jethro Tull, Yes, Led Zeppelin ou Black Sabbath ont trop à faire aux Etats-Unis pour s'égarer en terres françaises. Et quand ceux-ci s'y aventurent, c'est dans des conditions matérielles lamentables, accueillis avec mépris par le show-business local. La plupart tournent donc en Europe en prenant bien soin d'éviter la France.
Mal interprétée, cette démarche est considérée comme du mépris par une partie de la presse française, qui y voit l'égo surdimensionné de ces rockers anglo-saxons. Elle se tourne donc vers une alternative à la fois du Rock Mammouth anglais, et de la variété française omni-présente dans les médias. La découverte des Flamin Groovies comme du MC5 est une bulle d'air qui permet à une partie de la critique française de se positionner en pionnier du Rock, du moins lorsque le son du Rock'N'Roll primal retrouvera de l'écho en terres anglo-saxonnes avec le Punk des Ramones et des Damned. En 1970, les Flamin Groovies sont un groupe suranné, à côté de la plaque de tous les courants musicaux de l'époque. Et ils le sont ouvertement. Car la sonorité de « Flamingo » met clairement l'accent sur le côté fifties, réminiscences de Chuck Berry et de Jerry Lee Lewis. Le quintet de San Francisco se veut moins teigneux et sales que les Stooges ou le MC5, privilégiant l'énergie brute et l’agression sonore. On distingue aussi quelques réminiscences Country-Folk des premiers albums de Dylan, comme « Childhood's End » et sa slide à la Sonny Boy Williamson, ou « Sweet Roll Me On Down », à l'atmosphère très Country-Honk.
Ce qui fait le sel des Flamin Groovies avant tout, ce sont les chansons. Toutes très bonnes, à la mélodie imparable, elles sont à la fois fortement influencées et totalement originales. Comme si l'on écoutait des originaux de Chuck Berry, avec la même science du riff, mais avec ce côté petite frappe blanche en plus. Et des chansons corrosives, il y en a : « Headin On The Texas Border », « Second Cousin », « Jailbait », ou la violente embardée « Road House », effleurant une certaine forme de Hard Music rappelant le Bob Seger System.
Les Flamin Groovies défrichent aussi ce que l'on appellera quelques années plus tard la Power-Pop. Ce Rock mélodique et vigoureux prend racine sur la Pop anglaise des années 60, celle des Who, des Beatles, des Stones, des Kinks, des Pretty Things et des Move. Les grands noms du genre seront les maudits Badfinger, Raspberries, ou les Rubinoos. Si la musique des Flamin Groovies piochent très allégrement dans le Rock'N'Roll et le Blues des années 50, les mélodies efficaces ouvrent sur un horizon plus britannique, notamment par l'utilisation des harmonies vocales sur les refrains, qui doivent autant aux Beatles qu'aux Beach Boys, apport capital à la musique Pop américaine.
Irrésistible de bout en bout, « Flamingo » est un vrai retour salutaire à l'essence du Rock à une époque où le genre, à son sommet créatif en 1970, va peu à peu se perdre. Porté par le soutien de la France, les Flamin Groovies produiront un troisième disque en 1971, le non moins excellent « Teenage Head », considéré à l'époque par la critique comme l'équivalent américain du prodigieux « Sticky Fingers » des Rolling Stones, paru la même année. Nonobstant le succès commercial, de nombreux points communs existaient : les Groovies avaient trouvé en la France une terre d'accueil, comme les Stones, mais ces derniers pour des raisons fiscales. Cela ne les empêcha pas de s'installer au Sud de l'Hexagone, et d'y enregistrer parmi leur meilleure musique. « Sticky Fingers » étaient aussi pour les Stones un grand retour au Rock et au Blues. Les riffs issus de cet album serviront de base au Rock des vingt prochaines années. Plus modestement, ceux des Groovies serviront de terreau à une vague musicale aussi créative que salutaire, aussi bien en Grande-Bretagne qu'en France. Car c'est grâce au Flamin Groovies que l'on devra l'existence de groupes comme les Dogs ou Little Bob Story. Ils ouvriront aussi la voie au Pub-Rock de Ducks Deluxe et Dr Feelgood. Pour cela, il est indispensable de connaître ce rouage aussi essentiel qu'oublié de la musique.
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