"La guitare
défenestre le public, soutenu par un implacable trio de musiciens."
BILLY THORPE AND THE AZTECS :
Live At Sunbury Music Festival 1972
Le soleil tombe lentement sur
l'horizon, mais il fait encore chaud sur la plaine. La température
retombe lentement, mais les corps sont encore largement dénudés.
Assommée de chaleur, d'acide, d'herbe et de bière tiède,
l'audience chevelue tombe dans une torpeur à peine dérangée par la
musique progressive émanant de la scène, au loin au bout de la
plaine. Tous sont assis dans l'herbe piétinée, au milieu de
détritus accumulés depuis deux jours. Quelques jeunes femmes,
dansent seins nus, les cheveux attachés de fils de couleurs, les
yeux mi-clos.
La fraîcheur vient doucement, et la
lumière naturelle baisse. Les projecteurs s'allument, baignant la
formation qui s'annonce d'un halo jaune orangé. Des rampes
d'amplificateurs ont été alignées, et ont été disposée une
basse, une batterie à quatre toms, un piano électrique, et une
grosse Gibson Les Paul Custom couleur hêtre. Quatre chevelus comme
le public débarquent sur scène, et saluent d' un geste de la main
les spectateurs. Un homme barbu à queue de cheval et débardeur se
saisit de la guitare, et règle le son. Le sol tremble sous les coups
de médiator. Le batteur teste ses caisses, puis le guitariste
s'adresse au public pour présenter le premier morceau d'une voix
agréable et posée : une reprise de « CC Rider » de
Chuck Berry. Le morceau débute, et sans prévenir, la musique
transperce les tympans du public, qui se retrouve pulvériser par le
volume d'un Jumbo Jet au décollage. Le groupe s'appelle les Aztecs,
et le guitariste et chanteur s'appelle Billy Thorpe. Le concert est
capital pour le quatuor, ainsi que le suivant, au Moomba Festival de
Sydney deux mois plus tard. Ils vont leur permettre de jouer devant
200000 personnes à chaque fois, et ainsi imposer enfin le groupe sur
la scène australienne. Car nous sommes au Festival de Sunbury, près
de Melbourne, en Australie, en 1972.
Billy Thorpe And The Aztecs donnent un
concert important pour leur carrière, mais ce n'est pas pour le
guitariste la première fois qu'il va rencontrer le succès. En
effet, Thorpe est un musicien majeur de la scène australienne, mais
que le public avait oublié depuis cinq longues années. Il est né à
Manchester en 1946, mais comme beaucoup de britanniques frappés par
la crise économique britannique du début des années 60, ses
parents décident de tenter leur chance dans ce pays lointain qu'est
l'Australie. Billy Thorpe sera donc un émigré britannique en terre
australe, comme nombre de ses futurs confrères musiciens : Bon
Scott et les frères Young d'AC/DC, Chris Bailey des Saints....
Il débute sa carrière en 1963 en
formant son propre groupe inspiré des Beatles, qu'il nomme déjà
Billy Thorpe and The Aztecs. Il en est clairement le leader, mais
n'en est que le chanteur. En 1964, une reprise du classique
Rythm'N'Blues « Poison Ivy » de Leiber et Stoller
s'impose en tête des classements australiens. Ils empêcheront ainsi
les Beatles de prendre cette place, alors que les quatre garçons de
Liverpool effectue à ce moment-là son unique tournée en Australie.
Le groupe va classer plusieurs chansons dans le hit-parade
australien, dont « Mashed Potato », « Sick And
Tired » ou « Somewhere Over The Rainbow », reprise
du classique de la comédie musicale « Le Magicien d'Oz ».
Ils vont être éclipsés en 1965 par les débuts d'un autre groupe
fameux du pays : les Easybeats, dont le guitariste n'est autre
que Georges Young, grand frère de Malcolm et Angus, les deux fines
lames d'AC/DC. Le quintet initial se dissout suite à des brouilles
financières. Malgré cela, les nouveaux Aztecs connaissent encore
les faveurs des classements en 1966 avec des titres comme « Love
Letters », « Twilight Time » ou « Word For
Today ». En 1967, ils ont même la faveur d'un show télévisé
à eux, It's All Happening,
dans lequel ils accueillent en direct deux formations australiennes
et une internationale. L'émission a beaucoup de succès, permettant
également au groupe de s'y produire. Mais cela ne suffit pas, et les
simples des Aztecs plongent inexorablement dans les classements. La
scène musicale internationale est en pleine mutation, et les titres
Rythm'N'Blues et Pop du quintet n'attire plus les foules. Ruiné, le
groupe se dissout, laissant Billy Thorpe seul.
En
1969, ce dernier part tenter sa chance à Londres, encouragé par son
contact australien dans la capitale britannique : Robert
Stigwood. Ce dernier a été le manager de Cream et des Bee Gees.
Thorpe tente de monter une formation sur place, sans succès, puis
décide de revenir quelques semaines à Melbourne pour trouver de
nouveaux musiciens. Le séjour sera finalement définitif, et Thorpe
restera sur place suite à sa rencontre avec le guitariste Lobby
Loyde. Ce dernier est une légende locale, dont les précédents
groupes The Purple Hearts et les Wild Cherries, font partie des
groupes les plus intéressants de la scène australienne de la fin
des années 60. C'est lui qui aiguille Thorpe sur la voie du Heavy
Blues-Rock . Son court passage de 1969 à 1971 permet ainsi de
réorienter les Aztecs musicalement, et d'encourager Thorpe à tenir
la guitare lui-même en plus du chant. Ce dernier arbore désormais
une barbe, des cheveux longs, et consomme de manière intensive du
LSD. Cette consommation d'acide encourage les Aztecs à jouer de plus
en plus fort et à improviser durant de longues minutes sur scène
comme en studio.
En
septembre 1970, les Aztecs enregistre l'album The Hoax Is
Over, notamment constitué de
seulement quatre morceaux dont une reprise de « Gangster Of
Love » du bluesman Johnny Guitar Watson de plus de vingt-quatre
minutes. Outre Loyde et Thorpe, les Aztecs sont alors constitués de
Paul Wheeler à la basse, Warren Morgan aux claviers, et du batteur
Kevin Murphy. L'ensemble du disque fut capté en direct en studio,
juste en laissant tourner la bande.
Murphy
est remplacé par Gil « Rathead » Matthews et Loyde a
laissé la guitare lead à Billy Thorpe. Le désormais quartet se
lance dans une tournée du pays, qui culminera au Melbourne Town Hall
le 13 juin 1971, devant 5000 personnes. Le concert est devenu
légendaire, car outre le fait qu'il fut la plus importante audience
du groupe depuis son renouveau en 1969, le son fut tellement fort
qu'il brisa les fenêtres des immeubles du voisinage. Il fut capté
sur bande, et constitua la matière pour le redoutable disque en
public, Live At Melbourne Town Hall.
Les prestations assourdissantes de puissance comme de virtuosité
finissent par payer, et le simple « The Dawn Song » se
classe correctement. Aussi, en janvier 1972 sur la scène du festival
de Sunbury, Billy Thorpe and The Aztecs sont à un moment crucial de
leur carrière.
Sunbury est un
amphithéâtre naturel à côté de Melbourne. Le festival est
considéré comme le Woodstock australien et se tient lors du
week-end du jour le plus long de l'année. Il a aussi la
particularité d'accueillir des formations uniquement australiennes,
et qui viennent jouer.... totalement gratuitement. L'audience étant
telle, se produire sur la scène est un tremplin pour tout groupe
cherchant à percer, et les Aztecs en font partie. Le seul groupe
payé au festival de Sunbury sera Deep Purple en 1975. C'est
d'ailleurs lors de cette édition qu'une bagarre éclatera sur scène
entre les musiciens d'AC/DC et les roadies de Deep Purple cherchant à
évacuer le groupe australien, rappelé par le public à plusieurs
reprises, et décalant l'entrée en scène du quintet anglais.
Billy Thorpe And
The Aztecs débutent donc leur spectacle par une tonitruante reprise
de Chuck Berry, « CC Rider ». Comme convenu, le son est
d'une puissance redoutable. La guitare défenestre le public, soutenu
par un implacable trio de musiciens. L'autre grande particularité du
groupe est la voix de Thorpe. L'homme chante merveilleusement bien,
d'un timbre haut et rugueux, capable d'hurler le Blues et le Rock à
pleins poumons. Il préfigure toute une génération de chanteurs de
Hard-Rock australien à venir, dont AC/DC, Cold Chisel et Rose
Tattoo. Les Aztecs en sont aussi les pionniers musicaux, étant l'un
des premiers groupes du genre dans le pays avec les Masters
Apprentices ou les néo-zélandais de Human Instinct. Mais leur
particularité est le répertoire pratiqué, essentiellement des
reprises Rock et Blues, qu'ils déforment à l'envie par des
improvisations sauvages. Ils préfigurent également une certaine
forme de ce que l'on peut qualifier de Pub-Rock, même si ils n'ont
pas l'approche de la vision britannique du genre au milieu des années
70. Ils défrichent en tout cas ce qui servira de base à AC/DC et
Rose Tattoo, les deux quintets ayant ouvertement affiché leur
admiration pour Billy Thorpe et sa musique. Les seconds inviteront
même le guitariste sur scène quelques mois avant sa mort brutale.
Le son de la guitare de Thorpe augure de manière incontestablement
le son du Hard-Rock australien, à la fois prodigieusement
électrique, et profondément ancré dans le Blues et le Rock'N'Roll
des années 50.
Suite
à une reprise Boogie de « Be-Bop A Lula » de Gene
Vincent, à des année-lumières de la version twist des Chaussettes
Noires d'Eddy Mitchell, les Aztecs interprètent une composition de
Thorpe : « Mumma ». Sans conteste le morceau le plus
violent de tout le disque, il est le théâtre d'un festival de
guitare abrasive de douze minutes, finissant de réveillant le public
assommé de chaleur de Sunbury. Démarré dans un larsen
incandescent, le titre voit Thorpe hurler le Heavy-Rock de toute ses
prodigieuses capacités vocales. L'homme est un compositeur inspiré,
ce qu'il avait déjà prouvé avec des chansons comme « Ain't
Going Down Again ». Mais l'homme est peu prolixe, préférant
réservé son talent dans les improvisations. Il va peu à peu
développer son écriture, lui qui n'avait que peu composé, y
compris au milieu des années 60. Ainsi, la plupart des hits des
Aztecs de 1965-1966 étaient pour la plupart des reprises réarrangés,
chose qui se faisait beaucoup à l'époque. Ce sont les Easybeats qui
vont encourager les musiciens australiens à écrire leurs propres
chansons, grâce du premier hit international d'origine australe en
1966, « Friday On My Mind », composition du chanteur
Harry Vanda et du guitariste Georges Young. « Mumma » est
en tout cas une véritable rocket sonique, morceau majeur qui permet
à Billy Thorpe de démontrer ses immenses qualités de guitariste.
Car l'homme est également un musicien doué, tant en riffs qu'en
soli. Son jeu solide et électrique, anticipe une certaine forme de
Heavy-Metal, et n'est pas sans rappeler par moments le Jimmy Page des
deux premiers albums de Led Zeppelin.
La reprise de
« Rock Me Baby » de BB King rappelle la version sauvage
de Blue Cheer sur leur premier album de 1968. On y retrouve cette
brutalité et cette rudesse caractéristiques du trio américain,
ancré dans le tempo lourd plutôt que dans le swing. Mais les Aztecs
sont un groupe plus virtuose, infiniment plus imprégné de
Rythm'N'Blues. Billy Thorpe est en tout cas un sacré chanteur de
Blues, un Blues shouter incroyablement crédible.
« Most
People I Know Think That I'm Crazy » sera le grand tube de
Billy Thorpe, et fait véritablement partie de l'histoire du Rock
australien. Il sera numéro 3 dans les classements nationaux un mois
après ce concert, et reste à ce jour la meilleure vente de Thorpe
dans son pays durant les années 70. Il faut dire que la mélodie
vénéneuse rentre parfaitement dans le cortex, et le guitariste en
profite pour improviser à l'envie durant dix minutes sur la scène
de Sunbury. Il ouvre la voie à l'incroyable « Time To Live ».
Cette furieuse heavy song au riff massif rappelle à certains égards
Black Sabbath, mais la superbe envolée lyrique sur chaque couplet,
et sur laquelle Thorpe démontre son talent vocal, est un véritable
sommet de Rock électrique rappelant à nouveau Led Zeppelin. Les
claviers de Morgan et la guitare se relaient en de superbes soli.
L'émotion qui se dégage est dense, prenante, entre orage du riff et
douceur amère du couplet.Le disque se termine par deux efficaces pièces de Rock'N'Roll promptes à chatouiller les orteils d'un public d'ores et déjà conquis. « Jump Back » est un Boogie frénétique, qui s'enchaîne sur « Ooh Poo Pa Doo », Rock nerveux sur lequel Thorpe fait généreusement participer le public. Même si l'on peut trouver le passage un brin démagogique, on ne peut que vibrer avec le groupe lorsque 200000 bouches chantent à l'unisson avec le guitariste, et ce après deux longues années de travail à jouer partout où ils le peuvent.
Ce concert, capté sur bande, mais aussi à la télévision, sera publié en août 1972 sous la forme de ce double album, qui suit donc un autre disque en concert, simple celui-là, autre gig marquant de la carrière du quatuor. Il faudra attendre 1974 pour qu'un nouvel album studio fasse son apparition, « More Arse Than Class », appuyant l'idée que Thorpe n'était pas un compositeur prolixe d'une part, et que le vrai élément des Aztecs était la scène d''autre part. En 1973, Billy Thorpe And The Aztecs se produiront à nouveau en tête d'affiche du festival de Sunbury, cette fois-ci en terrain totalement conquis.
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1 commentaire:
Merci pour ce très bon article sur Billy Thorpe. Musicien trop peu connu en Europe (voire même totalement inconnu - incroyable !-).
L'ambiance et le son de ce live chaud comme la braise m'évoque irrémédiablement le "Slade Alive !". J'adore.
Sur le DVD de Rose Tattoo, "Live 1993 from Boggo Road Jail", on peut voir Angry Anderson se prosterner en exultant de joie lorsque Thorpe monte sur scène pour une reprise anthologique de "Goin' Down".
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