vendredi 25 septembre 2015

HIGH ON FIRE 2005

"Rarement je n'aurai autant joué un album avec le même plaisir inaltéré à chaque écoute."

HIGH ON FIRE : Blessed Black Wings 2005

C'était en 2005. Le Rock s'appelle Coldplay, U2, Kean, Radiohead et Libertines. Le Metal frémit à l'annonce d'un nouvel album de Metallica, Iron Maiden ronronne, et AC/DC n'a plus donné signe de vie depuis cinq années. Dérivés de Thrash allemand, Pop-Rock électro.... Le panorama est plutôt triste. Les ondes sont irradiées de Pop urbaine, de Rap et de chanteurs Are'Aine'Bi interchangeables : Rihanna, Usher, Justin Timberlake.... Les Stones ont bien sorti un nouveau disque, et Deep Purple est reparti sur la route, mais je m'ennuie ferme. Je n'ai pas encore entendu un disque moderne qui m'aie fait vibrer autant que le II de Led Zeppelin ou Live At Leeds des Who. De bonnes choses émergent toujours de la scène Stoner, à commencer par le très bon Song From The Deaf des Queens Of The Stone Age, mais il me manque un petit truc en plus pour que cela devienne vraiment magique. Je finis par me sentir comme un vieux rabat-joie, à côté de la plaque. Je finis par en souffrir dans ma chair : le Rock que j'aime n'existe plus.
Je m'accroche pourtant. Je reste connecté à cette fameuse scène Stoner-Doom, à l'affût d'un sursaut étincelant. Dans la presse métallique, je garde un œil sur une formation nommée High On Fire. Ce trio d'Oakland fut fondé par la guitariste Matt Pike. Ce dernier fit partie d'un trio mythique du nom de Sleep, qui fut l'auteur de deux grands albums de mon adolescence : Holy Mountain en 1992 et Jerusalem en 1998. Ils furent mes passeurs pour cette nouvelle scène inspirée du Rock des années 70, et de Black Sabbath en particulier.
Pourtant, je ne mis jamais une oreille sur High On Fire. Ce que je pus lire sur le sujet me refroidit : que Pike chantait en growl, que les influences étaient plus du côté de Slayer et Celtic Frost... Bref, ils me paraissent trop Metal pour moi, et le genre dans sa configuration des années 2000 ne me plaisait guère. Pourtant, c'est bien une chronique dans un magazine spécialisé qui attira mon attention. On y faisait référence au Doom, au Stoner, à Black Sabbath mais aussi à Venom. Et curieusement, pour la première fois, malgré l'absence totale d'interview ou de reportage sur le groupe, la critique semblait élogieuse, alors que High On Fire, comme Sleep, semblait bien ignoré. Je ne sais quelle force me poussa, mais je partis aussitôt acheter l'album. Il fut à ce point bon que je dus en racheter un second quelques semaines plus tard après en avoir carbonisé le premier exemplaire.
High On Fire est donc né des cendres de Sleep. Matt Pike est un gamin de la banlieue d'Oakland. Située à l'Est de la Californie, la ville est en fait une cité dortoir triste, faite de pâtés de maisons interchangeables, juste bons à alimenter et à coucher les travailleurs des multiples usines et entreprises du secteur. C'est au milieu de cet univers gris qui n'est pas sans rappeler le Detroit de 1969 propre aux Stooges et MC5 que grandit Pike. Il se fait un copain du nom de Al Cisneros, et ensemble, ils piquent des autoradios pour se payer de l'alcool et de l'herbe. Ils partagent une passion pour Black Sabbath et toute une clique de groupes de Heavy-Metal obscures des années 70 et 80 qui vont alimenter leur imagination. C'est ensemble qu'ils fondent un trio du nom de Abestodeath, pratiquant un Punk-Metal mal dégrossi, à la hauteur de leur technique musicale rudimentaire. Chris Hakius les a rejoins à la batterie, ils ont à peine dix-huit ans. Mais rapidement, Abestodeath et son univers sont trop étroits pour leurs ambitions musicales. Ils deviennent Sleep, et partent sur un Heavy-Metal fortement inspiré de Black Sabbath, de Saint-Vitus et de Pentagram. Ensemble ils gravent trois albums et un EP historiques, définissant le Stoner et le Doom des années 90. Mais être une légende ne nourrit pas son homme, et les trois gaillards se partagent entre concerts et petits boulots. Pike retape des vieilles bagnoles et les revend. En 1994, Sleep est signé par London Records, une major, qui leur offre une belle avance pour enregistrer leur troisième disque. Elle servira à payer l'herbe, la bière et les longues heures de studio qui aboutiront sur un unique morceau de plus de cinquante minutes constitué d'un unique riff totalement entêtant. Lorsque les cadres de London découvrent la chose, ils sont terrifiés, et demandent au trio de retravailler son enregistrement afin d'en offrir une version plus... facile d'accès. Comme seule réponse, les trois musiciens enregistrent une nouvelle version raccourcie d'une poignée de minutes. C'en est trop, et ils sont virés, se séparant dans la frustration générale. La version « commerciale » apparaîtra en 1998 sous le nom de Jerusalem en 1998. Il faudra attendre 2003 pour entendre la version originale, dont le véritable nom est Dopesmoker.

Cisneros fonde Om avec Hakius, Duo basse-batterie possédé dans l'héritage de Sleep. Pike retourne à ses bagnoles, mais n'arrête pas la guitare. Désireux de jouer une musique plus agressive, il fonde un nouveau trio du nom de High On Fire en 1999 avec Desmond Kensel à la batterie et Georges Rice à la basse. Pike prend le chant, une première dans sa jeune carrière. Une démo de trois titres est enregistrée la même année, suivie d'un premier album en 2000 : The Art Of Self Defense. Si l'on sent toujours la continuité du son de Sleep, High On Fire injecte du Motorhead, du Venom, du Celtic Frost et du Slayer dans son Stoner-Doom. La voix de Pike est un rugissement sauvage ressemblant en bien des points à la voix de Lemmy Kilmister. Un second disque furieux paraît en 2002 : Surrounded By Thieves. Le trio tourne sans discontinuer durant quatre ans, entassant tout son matériel dans une camionnette GMC d'occasion à la caisse taguée, montant et démontant consciencieusement son matériel soir après soir, et ravageant de son Heavy-Metal tous les clubs où ils passent. Les images des concerts montrent trois hommes déterminés, imposants de détermination, et notamment un Pike torse-nu, musculeux, bondissant, sauvage. Cette vie éreintante finit par avoir raison de Georges Rice, qui quitte le groupe fin 2004. Il est remplacé au pied levé par un autre furieux de l'ombre maléfique du Rock américain : Joe Preston. High On Fire a gros à jouer. 

Si les deux premiers disques étaient produits par le fidèle Billy Anderson, également responsable du son des albums de Sleep, Pike obtient la participation d'un producteur de renom : Steve Albini. Ce dernier est l'homme derrière Nirvana, et a la réputation d'être un maniaque absolu. Si Anderson avait permis à Pike de créer une matière sonique à la fois résolument moderne, mais aussi incroyablement vintage, sale et méchante, profonde et noire, Albini va être l'homme de l'aboutissement sonore. L'intervention d'un producteur extérieur au monde du Stoner aurait pu engendrer un disque à l’approche plus accessible, plus Metal, stérilisant de fait ce qui faisait la magie du son Sleep-High On Fire. Mais il n'en sera rien, bien au contraire. Albini va libérer les chevaux sous le capot du trio d'Oakland, leur offrant un son d'une pureté totale, riche, organique, permettant à chaque instrument de bien occuper l'espace tout en offrant une sensation de puissance absolue. Son travail est en ce sens équivalent à celui de Jimmy Miller avec Motorhead sur Overkill en 1979.
Rarement je n'aurai autant joué un album avec le même plaisir inaltéré à chaque écoute. La qualité de la production, de l'interprétation et des morceaux est à couper le souffle. Le matériel qui servira à Blessed Black Wings est déjà en germe depuis un an. Certaines compositions ont donc été écrites avec l'aide de George Rice, petit bonhomme agile aux lourdes basses Gibson SG ou Flying V. Néanmoins, l'essentiel du matériel est l'oeuvre de Matt Pike et Des Kensel. Les deux musiciens sont totalement en phase, que ce soit sur les références musicales comme dans l'approche, unique, d'High On Fire de jouer du Heavy-Metal. Si Motorhead vient immédiatement à l'esprit, on sent l'injection du son et des atmosphères de Black Sabbath d'une part, et des pionniers du Thrash comme Venom, Slayer et Celtic Frost d'autre part. Il s'agit donc d'un Heavy-Metal au sens propre du terme, mais à l'approche à la fois ancienne, et d'une rugosité unique. High On Fire ne cherche pas la modernité, ne fait pas dans la course à l'armement. Pas de futal en cuir, de guitares Jackson et de kits de batterie à douze fûts.
Kensel se contente d'un set de jazzman, aux fûts profonds, et Pike joue sur sa bonne vieille Les Paul Gibson. Les High On Fire sont trois types issus des bas-fonds de l'Amérique industrielle et sont des laisser-pour-comptes. Jeans, baskets, cheveux longs, mal rasés, l'oeil noir et le regard résolu, ils ne font pas dans la pose stéréotypée. C'est sans doute ce qui rend leur musique si menaçante, si possédée. Ils sont du genre que l'on peut croiser un soir dans la rue sans vraiment les remarquer. Puis ils se transforment en fauves une fois sur scène.
Le disque posé sur la platine, un roulement de caisses retentit dans le lointain, se rapprochant comme un train à pleine de vitesse. Boule rouge, horizon incandescent, lumière noire. La guitare décoche un riff tourbillonnant et obsédant, suivi de près par une basse lourde. Explosion brutale, déflagration, accélération enragée : « Devilution » ouvre l'album. Le riff est d'entrée plus audacieux que ce qu'a pu composer High On Fire jusque-là. Le trio jouait alors des morceaux aux accords massifs, proches de Sleep, mais sur des tempos plus rapides, entre speed et mid. Avec « Devilution », Pike explore le riff, va chercher la menace au plus profond de sa guitare. Celtic Frost n'est effectivement pas loin, le Slayer débutant non plus, celui de Show No Mercy. Ce premier orage sonore assied d'entrée un groupe en totale maîtrise de sa musique et de sa puissance. Ce dernier ralentit brutalement le rythme avec un tempo massif, celui de « The Face Of Oblivion ». Le son de la Les Paul est sale, au bord de l'overdose d'adrénaline. La voix de Pike est spectaculaire, rugissante, rauque, aux inflexions bien lisibles. Ce second morceau prouve l'audace nouvelle dans l'écriture de High On Fire : pièce en deux parties, aux rebondissements intérieurs majestueux, allant de la menace la plus noire à la luminosité la plus blanche. Le groupe avait déjà composé des pièces épiques de plusieurs minutes sur ses précédents disques, mais ces derniers restaient toujours dans une atmosphère implacable, aux riffs obsédants jusqu'à l'ivresse. Cette fois, le groupe compose de véritables cathédrales d'accords noirs, propulsant l'auditeur imprudent dans un tourbillon cosmique inégalable. On se rapproche par moment du Slayer de Hell Awaits, mais il y a ce truc plus lourd, encore plus sale et massif. Le Doom.... Le souffle maléfique de Pentagram et The Obsessed.... La menace de St Vitus....Pike délivre ici un solo d'un exceptionnel lyrisme. Tout comme ces guitares acoustiques qui accompagnent la seconde partie du morceau.
« Brother In The Wind » est d'une approche plus similaire à celle qui aboutit sur plusieurs morceaux de Surrounded By Thieves : un tempo rapide maintenu par une batterie tribale et abrupte faite de caisse claire et de tom basse. Néanmoins, la mélodie s'avère plus épique, le chant est plus riche. Lente procession dans la nuit, « Brother InThe Wind » s'élève dans le ciel comme une tempête, vrillant le cerveau jusqu'à l'entêtement. Le solo de guitare est d'un brio total, joué sans aucune guitare rythmique, laissant à Pike seul le soin de monter vers les cieux obscurs de la mélancolie. Mais le groupe sait ménager son effet. Le morceau commence par le souffle épais d'un Matt Pike concentré, rappelant la toux de Robert Plant ouvrant « Whole Lotta Love » sur le II de Led Zeppelin, et la quinte de Ozzy Osbourne de « Sweet Leaf » sur Master Of Reality de Black Sabbath. Cela provoque son petit effet, et accentue la dimension épique de ce formidable morceau. La coda est simplement superbe, emportant l'auditeur vers des horizons majestueux.
« Cometh Down Hessian » débute par des arpèges maléfiques qui ne sont sans rappeler ceux de « Speedwolf » sur l'album précédent. Menace grondante en souterrain comme les Mondes du Dessous de Lovecraft dont Pike s'est beaucoup inspiré, le morceau explose au bout d'une quarantaine de secondes en une furia d'électricité dévorante. Il fut monté par le précédent trio incluant Georges Rice, et dont on trouve une trace télévisuelle sur la chaîne Fox Rox en avril 2014. Cette pièce de musique n'est pas totalement aboutie. Le solo brillant qui fait le lien entre les deux parties du morceau n'est pas encore écrit, et la version de cet album est totalement supérieure à tout ce qui a précédé.
De l'audace, il y en a sur ce disque. Le morceau éponyme est un dense monument de furie alternant les climats furieux, majestueux et mélancoliques. Possédé, envoûté, c'est un volcan de colère, un abysse de maestria Heavy-Metal. Noir ruisseau, « Blessed Black Wings » rampe comme un animal à sang froid. « Anointing Of Seer » qui suit est une fusillade, une décharge de grenaille sur un mid-tempo dévastateur. Pike, comme sur le titre précédent, rugit comme une bête sauvage. Il va plus loin que Lemmy Kilmister, se montrant plus rageur tout en conservant ce naturel profond, cette absence de caricature que sera celle des chanteurs de Metal extrême.
« To Cross The Bridge » est une cavalcade massive de chevaux de fer. Introduction ciselée de guitare acoustique, le thème explose rapidement en un obus de Heavy-Metal poisseux. Le prélude au solo de guitare est une accélération brutale, totalement speed, rappelant fortement le Thrash. Le son est tellement puissant qu'il n'est pas sans rappeler une décharge d'artillerie, totalement dantesque. « Silver Back » est un rapide uppercut de trois minutes de frénésie pure, qui ouvre la voie à l'achèvement absolu de ce disque : « Son Of Thunder ».
Ce dernier est un instrumental atmosphérique, débutant par des arpèges aux saveurs moyenâgeuses qui se fait l'écho de « Embryo », introduction de « Children Of The Grave » de Black Sabbath sur Master Of Reality. Le riff explose comme un coup au visage, et dont l'apparente simplicité désarmante est soutenue par un rythme tribal, guerrier. Il n'est que le travail préparatoire à un chorus dantesque de Matt Pike, d'un lyrisme sublime. Jamais High On Fire n'était allé aussi loin dans l'absolu musical. Jamais le Stoner n'était allé aussi loin en termes de brio artistique. Bien plus qu'un simple disque de Heavy-Metal, Blessed Black Wings redéfinit les contours d'un genre qui n'a pas besoin de courir après les extrêmes pour être impressionnant. Il lui faut de la sincérité, des musiciens inspirés, et une vraie redécouverte des groupes majeurs du genre dans les années 70 et 80. Ce passé, malaxé et digéré, permet de produire une musique dont la matière est d'une densité extrême, à la richesse infiniment supérieure aux nouvelles formations les plus reconnues.
Avec ce troisième album, High On Fire franchit une étape majeure dans sa carrière musicale. De simple groupe Stoner-Metal, il devient une formation qui compte, dont l’empreinte musicale est fondamentale pour le Metal moderne. Si le succès commercial ne sera pas vraiment là, ce disque va leur permettre de sortir d’un certain anonymat, et d’un circuit fermé ultra-spécialisé, pour devenir un groupe qui compte dans l’horizon musical du 21ème siècle. Il est en tout cas pour moi un album fondateur, le meilleur produit depuis les premiers rugissements du Thrash.

tous droits réservés

2 commentaires:

Throma a dit…

Je partage ton enthousiasme concernant cet album et par extension, les 2 premiers d'High On Fire.
3 opus épiques (ou épiques opus si vous préférez) ou rien n'est à jeter.
Ensuite, c'est la lente dégringolade et ça dégénère dès l'album suivant "Death is the communion".
Certainement leur pire me concernant avec un son de studio trop clean, carré.
Tout est aigu, propret, rien ne dépasse, une horreur.
Un petit sursaut avec le très speed "Snakes for the Divine" pour rebasculer dès le suivant.
Et je parle même pas du dernier en date. Sans intérêt.
Ils feraient mieux de rembocher Joe Preston, compromis dans un tas de trucs prodigieux par le passé (Harvey Milk, C Average, Earth, Melvins, etc.).

Julien Deléglise a dit…

Je te trouve dur avec les derniers albums d'High On Fire. A moins que je manque de discernement car je suis un grand fan.
Effectivement, aucun disque suivant n'est arrivé au niveau de "Blessed Black Wings", que ce soit en terme de compositions et de son. Ceci étant, j'adore tous les disques suivants. Ils sont plus inégaux, le son est plus marqué Heavy-Metal en terme de production. J'ai mis du temps à bien les apprécier, car ils m'ont déçu par rapport à cet absolu qu'est "Blessed Black Wings". Mais il y a de très bonnes choses. J'ai chroniqué "De Vermiis Mysteriis" de 2012, et plusieurs compositions sont de très haut niveau. Le son manque de la profondeur d'Albini, mais je le trouve très bon. Il revient notamment à cette sonorité Doom qui faisait défaut sur "Snakes For The Divine". Le dernier,"Luminiferous", que je viens d'acheter et que j'écoute en boucle dans la bagnole, m'a plu tout de suite.
Jeff Matz est un bassiste plus linéaire, au jeu moins riche que Preston. Ce dernier est une sorte de Jack Bruce du Stoner, comblant tous les espaces entre la guitare et la batterie. Matz fait un job plus classique, ce qui rend la densité musicale de High On Fire moins impressionnante.