samedi 28 mars 2015

VENOM 1984

"Un hurlement terrifiant venu du fond des âges." 
VENOM : « At War With Satan » 1984

Un cri dans la nuit. Un hurlement terrifiant venu du fond des âges. Et ce vent froid qui longe les murs de briques noircis, pénétrant les chairs. Le visage tendu, les yeux exorbités, la peur au ventre, notre héros accélère le pas dans la rue déserte. Une présence est là, tapie dans l’obscurité. l’homme n’est pas seul. Un monstre du fond des âges rampe-t-il à la recherche d’une proie humaine ? A moins que ce ne soit Satan lui-même ?
Il ne fait aucun doute que ce monde est devenu un enfer. La Bête a pris la forme de tous les emmerdeurs du quotidien. Toujours à vous agresser, rien que pour exister et avoir le plaisir de vous faire chier. On ne rêve qu'à cela : que les Forces Obscures soient à vos côtés afin de venger ce monde en perdition. Que les cons voient enfin leur heure arriver, et ce dans les plus atroces souffrances.
1984 voit Venom passer un cap dans sa carrière. Après deux albums séminaux ayant explosé tous les codes du Heavy-Metal, ouvrant la voie au Thrash-Death-Black, Venom se voit dépassé par ses propres disciples. Le Thrash-Metal américain prend de l'ampleur avec Metallica et Slayer, et une mixture sauvage aux plantes suisses nommée Hellhammer donnera la matière au futur Black-Metal norvégien. Venom, qui était l'ultraviolence métal par excellence, n'est déjà plus la bête immonde la plus dangereuse du monde du Rock.

Car pour une bonne part de la critique, Venom est un trio d'incompétents, mais ils sont les plus bruyants et les plus satanistes, les plus outranciers, le parfait symbole de ce qui dégoûte la bonne société, cristallisant tous les clichés du genre.
Réaction de fierté ou ambition démesurée ? Toujours est-il que Conrad Lant, Jeffrey Dunn et Anthony Bray décidèrent de produire un disque bien plus ambitieux que leurs deux premiers. A commencer par ce morceau-titre, « At War With Satan », occupant toute la première face, et long de près de vingt.
Des disques à contre-emploi de mauvais goût ou ratés, il y en eut. On pourrait citer « Music For Pleasure » des Damned, disque punk aux velléités progressives produit par le batteur de Pink Floyd, Nick Mason. Pas un mauvais album, mais pas la pépite que l'on aurait pu attendre de ce pourtant très bon groupe. On peut aussi parler de l'un des plus célèbres d'entre eux : « Their Satanic Majesties Request » des Rolling Stones, triste réponse psychédélique à l'ambitieux « Sergent Pepper's Lonely Heart Club Band » des Beatles. Généralement, lorsqu'une formation punk ou hard-rock tente l'expérience du projet concept-album – morceaux à tiroirs progressifs – opéra-rock, il s'agit souvent d'une tentative plus ou moins désespéré de démontrer que le groupe :
  • est capable de sortir de son schéma musical habituel/connu
  • a de l'ambition et peut être accepté parmi le cercle très fermé des meilleurs groupes de Rock de l'Histoire comme Pink Floyd, les Who ou Led Zeppelin.
Ces albums s'avèrent pourtant les plus formidables terrains de jeux pour le critique Rock qui y voit tout l'apanage de l'égocentrisme et de l'arrogance des musiciens en quête de respectabilité. L'univers du Rock Progressif et du Jazz-Rock symbolise pour beaucoup tout ce que le Rock a produit de plus sérieux et d'ennuyeux, et tout cela va à l'encontre des principes originels du Rock'n'Roll.
Pour ce qui est de Venom, il est grillé de toutes parts, alors un faux pas de plus ou de moins..... On les trouve arrogants et prétentieux, incompétents et dénués de tout sens musical. Ce nouvel album ne sera qu'un argument à charge de plus.
Personnellement, ayant le plus grand respect pour leur musique, je considère « At War With Satan » comme leur meilleur disque. Vous me direz, je trouve le suivant, « Possessed » particulièrement bon ; sans doute ne suis-je pas totalement sain d'esprit. Mais s'arrêter au boucan initial de « Welcome To Hell » ou à « Black Metal » juste pour son titre fondateur montre bien l'étroitesse d'esprit qui entoure la musique de Venom.
Déjà, chaque morceau est doté de rebondissements musicaux, de changements de riffs, à l'image d' un Judas Priest, mais dans un format et un volume sonore identique à celui de Motorhead. Le vrai barrage qui bloque l'auditeur imprudent est le raffut indescriptible de la musique du trio qui semble tétaniser toute envie de regarder de plus près la vraie qualité des titres. On pensait la bande à Lemmy foutraque avec son batteur cinglé, Philthy Animal Taylor, mais Venom va encore plus loin dans l'agressivité et l'attitude punk.
« At War With Satan » débute par un titanesque morceau éponyme de près de vingt minutes. C'est une chevauchée apocalyptique débutant comme une cavalcade dont le riff initial apparut en conclusion du disque précédent. La cavalcade guitare-basse est une technique récurrente utilisée pour les morceaux les plus héroïques du heavy-metal des années 70, et sera abondamment employé par le Thrash en devenir. « At War With Satan » voit se succéder plusieurs tableaux sur la lutte entre le Bien et le Mal, symbolisés par les changements de riffs et de rythmiques. Passant d'un thème à l'autre sans plus de délicatesse, on retrouve un procédé employé par Budgie dans la plupart de ses morceaux entre 1971 et 1975. Ces changements de plans abrupts, sans concession sont bien ceux du sauvage trio de Cardiff.
La production de Keith Nicholls offre une clarté de son plus fine que celle des deux précédents opus. La batterie y est toujours bancale dans le maintien des rythmiques, mais beaucoup moins dans son jeu. La guitare et la basse se complètent à merveille, et Jeffrey Dunn se montre précis. Quant à la voix de Cronos/Conrad Lant, elle est redoutable et maléfique de bout en bout, véritable marque de fabrique du groupe. Hypnotique symphonie de feu, de rugissements, et de sang, tour à tour furieux ou obsédant, « At War With Satan » ne laisse aucun temps mort.

La seconde face offre une série de morceaux de facture plus classique, de quelques minutes chacun, mais pas moins réussis que le totem titre. « Rip Ride » est une embardée de speed-metal malsaine à souhait soutenue par la double-grosse caisse d'Abaddon. Mantas s'envole en un solo initial avant de faire rugir le riff.

Mais le meilleur reste à venir : « Genocide ». Un riff ouvert, pointu comme une lame de rasoir. Cronos hurle un de ses fameux rugissements « Ooooh Waaaooohhh » introductifs avant de gronder sur le riff. Puis un break s'ouvre, et Mantas s'offre un solo dissonant intéressant, puisque notre homme s'offre le temps de placer ses notes, et donc de sortir du schéma du chorus speed tapping/shredder cachant les fausses notes. Le riff de « Genocide » est une merveille poussée par une rythmique martial, massive, menaçante. Jamais Venom n'a sonné aussi puissant, aussi redoutable. Sa furie s'exprime pleinement. C'est encore le cas sur le massif « Cry Wolf ». l'introduction parodique voit Cronos se transformer en crooner vampirique, avant de rugir à nouveau. Basse et guitare dressent une herse d'acier trempé à travers laquelle il est impossible de passer sans se meurtrir douloureusement. Il est même un constat édifiant à faire. Malgré toute les qualités de leurs premiers enregistrements, « At War With Satan » est bien plus redoutable, plus agressif, plus métallique, plus méchant que « Show No Mercy » de Slayer.

« Stand Up And be Counted » est un simili Rock'n'Roll, une sorte de parodie. Il rappelle « Stay Clean » de Motorhead en introduction, avant de plonger dans un boogie furibard qui lui remonte à …. Status Quo, mais version dégueulasse, hein. Rappelons que Cronos ne s'est jamais caché d'être un immense fan du Quo, et notamment de « Piledriver ». Mais il y a toujours cette ambiance malsaine, ce chant fou, possédé.
Quand bien même Venom fut brillant depuis le début de ce disque, était-il encore à la hauteur de la concurrence américaine ? La réponse intervient avec le définitif : « Woman, Leather And Hell ». Rien que le titre, un vrai concentré de sexisme, de vulgarité, de satanisme et de second degré gras. Et puis il y a cette envolée speed-thrash-black ultra brutale : la batterie s'emballe, la guitare décoche un riff ultra saignant, d'une précision sans égale. La basse vrombit comme un bombardier, et Cronos hurle comme un damné.
La reprise du riff juste derrière le court et incisif chorus de Mantas est à elle seule un pur enchantement, une injection d'adrénaline pure. C'est un concentré de ce que le Heavy-Metal a de mieux à proposer en 1984, et Venom est indiscutablement toujours très bien placé dans la hiérarchie. Il n'est en fait pour ainsi dire toujours pas détrôné. Celtic Frost fera plus dark et plus doom, Slayer fera plus speed et plus clouté, Metallica saura davantage fédérer les publics métalliques, mais il est évident que Venom est le trio le plus méchant de toute l'histoire du Rock, et le restera jusqu'à sa dissolution trois années à peine plus tard. « Aaarrrghh » est une pochade finale sans grand intérêt, si ce n'est celui de montrer combien Venom avait de l'humour.

Il est en tout cas évident que même sur une distance de presque vingt minutes, Venom est un formidable concentré d'énergie pure, une drogue dure, une musique sans aucune concession qui n'a que de la puissance et de la furie à proposer. Les simples et maxi qui accompagnent dorénavant cet album séminal sont là pour le prouver : « Lady Lust », «In The Dead Of The Night » ou « Woman » sont des cartouches de chevrotine. L'anecdote à retenir fut le titre « Warhead », qui deviendra un petit hit en atteignant la 64ème place des charts anglais grâce à l'équivalent du Télématin britannique. Afin de réveiller son public, le présentateur passa ce qu'il considérait comme la pire chanson du moment, et pour qu'il arrête de la passer, les téléspectateurs devaient appeler. Cela fit un joli coup de pub, et ouvrit indirectement Venom à un auditoire plus large. Rassurons-nous, le trio infernal retourna à son cercle d'initiés punk-metal, et offrit un dernier fabuleux obus musical tristement mésestimé : « Possessed ».
D'ici là, Venom se lance dans première vraie tournée mondiale, The 7 Dates Of Hell Tour, partageant l'affiche avec les groupes du Thrash montant qui leur doivent tant : Exodus, Metallica ou Slayer. Au milieu d'une débauche d'effet pyrotechniques, Venom démontre sa puissance et sa capacité à tenir une scène.

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10 commentaires:

Anonyme a dit…

J' ai jamais compris ce mépris envers ce groupe qui à l'instar d'un Hellhammer/Celtic Frost a été une référence majeure pour la scène metal extreme. Je me souviens d'un concert, la moitié des personnes présentes étaient parties et j'avais pu entendre des phrases d'une grande intelligence genre :"nan mais sérieux c'est quoi ce groupe de merde", le pauvre petit avec son t shirt Burzum ne comprenait pas que le petit groupe de merde en question représente à lui seul tout les clichés du metal à savoir grotesque, kitsch, violent, sauvage et si on fait un minimum d'effort on peut se dire que quand même au début des années 80 c' était provocateur et surtout nettement plus classe q'un groupe d’adolescents norvégiens 10 ans plus tard.
El chuncho

Anonyme a dit…

Mon groupe préféré ! Plus fort que Motörhead, plus véloce qu'Iron Maiden, plus mieux que Black Sabbath !
J'ai tous les skeudes (33 toures et CD)

Julien Deléglise a dit…

Je pense surtout que Venom a cassé le côté flashy et virtuose du Heavy-Metal. Ils étaient foutraques, dotés d'une technique limité, dans un esprit très Punk.
Cela n'a guère plu, car ça rompait avec tout ce que le Metal était, et redeviendra aussi tôt, y compris avec le Thrash et le Death.
Ils étaient outrageux, mais n'étaient pas dénués d'humour, ce qui n'était pas non plus forcément du goût de beaucoup de groupes qui se prenaient un peu trop au sérieux, du moins en apparence.
le film "Spinal Tap" a cassé ce côté grandiloquent en s'amusant des poncifs du genre, mais tous ne l'ont pas forcément bien pris.
Il est en tout cas évident que Venom était à des années-lumière du Black à venir, qui lui s'est pris au sérieux au point d'en arriver à des situations complètement psychopathes ou mégalos. Venom n'a jamais rien fait en se prenant pour des artistes ou des poètes maudits. Certains descendants comme Emperor ou Satyricon, avec leurs arrangements symphoniques et leurs références pompeuses à la mythologie nordique, n'ont pas saisi cela, je pense.
Au point que certains voient Venom comme un grand-guignol, le parent qu'on invite à table pour les repas de famille, mais dont on a un peu honte. Celtic Frost fit moins preuve de ce second degré, comme Bathory d'ailleurs.
Mais tous dénoncèrent par une voie hérité du Punk leur dégoût de la société. Le Black norvégien a plus à voir avec des problèmes personnels de ses auteurs.

RanxZeVox a dit…

Ils sont sortis à une époque où le Hard se prenait très au sérieux, surtout du côté de la presse. Et c'est finalement ce qui m'en a éloigné. Il fallait disséquer les solos, tomber d'admiration devant tel plan de batterie (sans déconner, les mecs te sortaient des théories de dingues alors qu'ils ne connaissaient même pas Keith Moon) ou tel octave atteint par le chanteur et tenu pendant une durée record (je crois que le plus long aaaaaaaaaaaééééé -à moins que ce fut iiiiiii???- était sur un disque de Satan/Blind Fury talonné de près par Dickinson sur Hallowed be thy name).
Bon, ça m'a saoulé cette approche du truc. D'autant plus que les gonzes débinaient aussi bien Journey que Venom alors que je me trouvais épatant d'aimer les deux))))

Julien Deléglise a dit…

Je crois que Venom était plus profondément retors dans l'âme que beaucoup de groupes de Heavy-Metal de l'époque. Ils étaient à part, finalement bien plus rebelles dans l'esprit.
Pour ce qui est du cri le plus ahurissant, je te conseille d'aller voir, mais juste histoire de rigoler, du côté du groupe américain Nitro et son chanteur Jim Gillette. Il avait la réputation de casser des verres avec sa voix. Et le guitariste fait n'importe quoi avec une quatre-manche. C'est ridicule à en pleurer de rire.

RanxZeVox a dit…

J'irai voir ça.
En matière de cri, de hurlement pour être précis, le seul qui soit essentiel parce qu'il ne sert à rien, planté entre deux silences qu'il est, -et aussi parce que c'est le plus ravageur de tous- c'est celui de Lemmy sur No Sleep 'Till Hammersmith. Avant We are the road crew.
Qui dit mieux ?
On est d'accord.

RanxZeVox a dit…

Effectivement le clip de Freight train de Nitro fait passer l'envie d'en connaître plus sur le sujet )))
Ridicule, tu disais ?
Je confirme qu'on ne nous aura rien épargné.))))

Julien Deléglise a dit…

Et si tu veux continuer à te délecter de ce genre de bonne musique, je te conseille aussi les trois premiers disques de Pantera, sortis entre 1983 et 1985. Le clip de "Hot'N'Heavy", les pochettes de disques, sont à mourir de rire tellement c'est minable. Ils se sont heureusement rattrapés après, mais ils auraient dû réfléchir un peu avant de sortir un disque. :-D

Anonyme a dit…

Ben euuuhhh.... l'cri le plus long est celui de Nugent sur Motor City Madhouse du "Double Live Gonzo".

Julien Deléglise a dit…

Je crois que même Nugent est battu avec Nitro :-D