"Comme si les musiciens sentaient
arriver la fin d'une époque, et qu'ils avaient franchi un cap, cette
trentaine qui sonne le glas de l'insouciance des jeunes années."
UFO : « Mechanix »
1982
En 1979, Phil Mogg, le chanteur de
UFO, voit les huissiers lui saisir tout ce qu'il croit posséder au
retour d'une tournée américaine pourtant triomphale : sa
maison, sa bagnole, ses instruments de musique. Et lorsqu'il se
précipite à la banque pour voir l'état de son compte, il découvre
avec stupeur qu'il est vide. Et la situation est la même pour tous
au sein du groupe. Et il n'est même pas question de leurs
consommations galopantes d'alcool et de drogues qui les font tenir
depuis dix ans entre disques et tournées mondiales. Un contrat et
des managers foireux, tout cela aura eu raison du petit génie de la
guitare qui les emmena pourtant au firmament : Michael Schenker.
Le jeune prodige allemand aura perdu la boule dans ce maelström de
hard-rock chromé, d'alcool, de drogues, de filles et de décalages
horaires. UFO a aligné entre 1971 et 1979 sept albums
quasi-parfaits. Tous trouvèrent les charts, du Japon et l'Allemagne
pour les premiers, à la Grande-Bretagne et aux USA pour les
derniers. Les plus grandes salles sont pleines, UFO jouent en tête
d'affiche. Mais les musiciens n'ont pas un rond. Baisés comme des
cons, les gaillards, alors embrumés dans des vapeurs de dope et de
gnôle.
Le guitariste prodige est vite
remplacé par un solide garçon du nom de Paul Chapman, surnommé
Tonka comme les jouets incassables. Puis en août 1980, c'est l'homme
à tout faire, claviers et guitare rythmique, Paul Raymond, qui se
fait la malle. Il est remplacé par Neil Carter, qui apportera un peu
de sang neuf niveau compositions. Le quintet régénéré sort
l'excellent « The Wild, The Willing And The Innocent » en
1981, puis en février 1982, celui-ci. « Mechanix » est
un excellent album, celui d'un groupe qui ne veut pas mourir.
UFO tourne encore et toujours à
travers l'Europe et les Etats-Unis, l'Hammersmith Odeon de Londres
est toujours plein à leur venue, mais le monde a changé. Les corps
des plus anciens sont usés : Pete Way le bassiste est ravagé
par sa dépendance à l'héroïne, Andy Parker est alcoolique au
dernier degré, et Phil Mogg un peu tout ça. Paul Chapman picole
avec tout le monde, et Neil Carter tente de tirer son épingle du jeu
de cette institution du hard-rock anglais dont les albums et les
prestations scéniques restent de très haut niveau. « The
Wild, The Willing And The Innocent » avait enfin permis à UFO
de démontrer que sans Schenker, il était capable de produire une
musique efficace.
Ce qui différencie l'ère Schenker de l'ère de
celle avec Chapman, c'est que ce dernier n'est pas un virtuose, mais
un musicien intégré dans un groupe. On sent une vraie cohésion,
pas de guerre d'égos, ce qui était le cas avec l'ange blond. Et ce
d'autant plus que outre son jeune âge, l'homme ne parlait pas un
traître mot d'anglais, ce qui rendait toute communication avec les
autres difficiles, la traduction étant uniquement faite par la
compagne de Schenker. Et ce dernier, sous l'emprise de la dope et de
l'alcool, de se demander ce que pouvait bien se dire ses compagnons
de route dans son dos. Une situation qui le rendit paranoïaque au
point d'envenimer une situation déjà difficile.
Chapman, qui avait déjà pallié en
1977 sur la tournée américaine à l'absence du guitariste, est donc
un brave garçon besogneux et pas prétentieux pour un sou. Cela
permet donc à UFO de décoller de nouveau.
Mais l'univers musical a bien changé.
Le Punk et la New Wave sont passés par là. La NWOBHM aussi, avec
Iron Maiden, Saxon, et les groupes les plus acérés en embuscade
comme Judas Priest et Motorhead. UFO n'appartient ni à cette
nouvelle vague métallique plus agressive, ni à celle plus mièvre
du Hard-FM, car sa musique est bien trop hard. Mogg et Way traînent
bien avec quelques Punk au Speakeasy de Londres, mais musicalement,
l'impact est nul. Les deux vieux renards du hard-rock anglais ont
leur idée de la musique, et ils n'ont pas envie d'en changer. Du
moins pour le moment. Car des tensions naissent.
C'est sans doute cela que traduit le
morceau introductif « The Writer ». Un riff en
demi-teinte, un peu âpre, rèche, et cette histoire d'écrivain dans
la loose, qui cherche un scoop, un truc qui le sortira de l'anonymat.
On y distingue aussi l'empreinte plus marquée de Carter sur
l'écriture, avec un solo de synthétiseur et de saxophone, entre
lesquels s'interpose la guitare de Chapman en des soli bluesy. C'est
le morceau de hard-rock désenchanté parfait pour une virée dans la
Chevrolet Camaro 1975, la nuit sur les grands boulevards de Los
Angeles, une cigarette à la bouche, les yeux fixés sur le bitume.
Hard to handle baby.
Après la version sympathique de
« Somethin' Else » s'en suit une belle chanson Rock
lumineuse, empruntant au Blues et et à ce country-folk américain
typique de Bob Seger et Bruce Springsteen : « Back Into My
Life ». C'est une ballade d'homme mature, qui en a déjà vu
pas mal, et qui demande juste un peu d'amour et de douceur dans sa
rude existence. Curieusement, on peut soupçonner une association
d'idée entre cette chanson et la suivante : « You'll Get
Love », qui parle d'amour, mais avec un ton désenchanté et
sombre. Gorgé de Blues, le riff très boogie, soutenu de piano, voit
Chapman faire des merveilles sur son solo, entre slide et chorus
épique. La recherche du bonheur, trouvé un soir auprès d'une fille
croisée dans un bar, et aussi furtif qu'illusoire. On sent le vécu
des musiciens de UFO, la route, l'absence d'attaches, et ce manque
après toutes ces années d'un peu de stabilité, d'une personne sur
qui compter lorsque la vie de rockstar s'arrête. D'ailleurs Mogg est
plein de bonnes intentions, avec « Doing It All For You ».
On y trouve l'envie de s'engager, d'être présent, d'enfin
distinguer l'amour et cette existence dissolue de routard de la
musique. De ne plus simplement vivre la fête permanente des
tournées, l'insouciance des excès de jeunesse, mais de mettre de la
profondeur dans son existence, la maturité en somme.
La maturité, on la trouve aussi dans
les morceaux les plus puissants. L'enchaînement « We Belong To
the Night » et « Let It Rain » est un exemple
parfait de ce hard-rock chromé dont UFO a seul le secret. Le quintet
y est à la fois mélodique et redoutable d'efficacité, sans jamais
tomber dans le mièvre. Le premier des deux est particulièrement
rentre-dedans, hymne aux guerriers de la nuit, qui vivent dans
l'ombre. Il n'y a pas uniquement de référence aux fêtards du
samedi soir, comme on serait tenté de le penser avec les soiffards
de UFO.
C'est une description plus sordide de la nuit, la
prostitution, la violence, un regard plus noir sur ce monde nocturne,
et sur les travers des musiciens qui ont trop souvent traîné dans
cet univers. « Let It Rain » demande alors Mogg. Laisses
tomber, ce sont des conneries. Il est passé à autre chose, Il sait
qu'il y a bien plus important que toute cette merde. On sent toujours
la dualité entre la cavalcade de guitare du couplet et la lumière
du refrain, que les hommes de UFO sont à un tournant, que le Rock
leur a tout apporté, tout repris, et que l'important est sans doute
ailleurs. Mais ils ont cela dans les veines, alors la musique évolue
avec eux. De l'Adult Oriented Rock, mais pas au sens du hard-FM
américain, quelque chose de plus profond, de plus sombre aussi.
Puisque l'on parle de rock mélodique
commercial, « Terri » est une ballade romantique portée
par des violons et un guitare en arpège, dont certains accents
rappellent ce que fera Scorpions deux ans plus tard avec « Still
Loving You ». Mais UFO injecte toujours l'énergie Rock
nécessaire pour ne pas tomber dans la ballade fade., même si ce
morceau est un peu le point faible du disque. Le niveau remonte
aussitôt d'un cran grâce au puissant et hard « Feel It »,
classique good-time song efficace. Le refrain un peu facile ne fera
pas de ce pourtant bon morceau un classique indémodable de UFO, mais
j'en connais quelques uns qui aimeraient bien avoir quelques chansons
de ce type à leur répertoire.
L'album se clôt sur le brillant
« Dreaming ».
Cette hard-song est un obus musical
redoutable. Riff puissant, batterie implacable rebondissant en
roulements, basse épaisse, et mélodie épique. Rythmique rapide,
course effrénée contre le temps, à la recherche des rêves qui
nous traversent tous l'esprit. Ce besoin d'évasion, d'amour, de
vivre vite et de profiter enfin de chaque respiration, cet oxygène
que l'on nous bouffe par mètre cube entier pour nous faire rentrer
dans le rang. L'envie de vivre, comme une promesse. Jamais le
hard-rock mélodique n'aura aussi bien porté son nom, archétype
total de ce que cette musique doit toujours être.
Sur cette fureur de vivre, l'album se
clôt. Après la tournée mondiale de rigueur, Pete Way partira. Dans
un premier temps, il rejoindra Fast Eddie Clarke en rupture de
Motorhead pour fonder Fastway, puis il partira sur la route avec Ozzy
Osbourne, avant de fonder Waysted. UFO continuera encore un album
davantage imprégné de synthétiseurs, et aux couleurs
commerciales : « Making Contact », en 1983. Un
dernier grand morceau en sortira, « Blinded By A Lie » :
aveuglé par un mensonge.... Puis le groupe se dissolvera..... avant
de se reformer en 1985 sous l'impulsion du seul Phil Mogg pour deux
albums ultra-FM de très mauvaise facture. Continuer sous un nom
connu, ou tout recommencer.... toujours ce vieux dilemme.
tous droits réservés
3 commentaires:
Et bien voilà, j'apprend encore des trucs.
Je m'étais arrêté à "No Place to Run" (sympathique mais bien moyen en comparaison du rutilant "Obsession"), avant de remettre le couvert à partir de "You are here", suivit de "The Monkey Puzzle". Deux excellents opus qui m'ont incité à revoir mon jugement et d'acquérir en conséquence "The Wild, the willing..." et les deux de la reformation d'avec Schenker (intéressants, même si la version Vinnie Moore joue dans al catégorie supérieure - enfin, jusqu'en 2007-).
Mais avec la déception engendrée par l'ennuyeux "The Visitor", j'ai préféré en rester là.
On va faire une exception avec ce "Mechanix".
UFO sans un guitariste vraiment brillant et inspiré comme Schenker, c'est toujours moins bien. D'ailleurs, le groupe avant son arrivée n'avait rien d'exceptionnel. Schenker a permis à Mogg et Way d'affiner leur style et leur écriture et il y a donc eu quelques beaux sursauts, comme ce disque. Mais ils seront certainement moins rutilants malgré tout. On ne remplace pas un prodige facilement.
Essayes "The Monkey Puzzle". Vinnie Moore, qui a l'origine était pourtant un shredder, semble avoir tout compris de l'essence du groupe et lui redonne alors tous ses galons.
il parvient même à lui insuffler des parfums bluesy.
Mogg paraît retrouver une seconde, et dernière, jeunesse.
Enregistrer un commentaire