samedi 21 mars 2015

HUGHES/THRALL

"Glenn Hughes est à Los Angeles pour se refaire une santé après des années difficiles."

HUGHES/THRALL : « Hughes - Thrall » 1982

Lorsque Deep Purple s'éteint en 1976, Glenn Hughes, bassiste-chanteur est une épave. Embauché fin 1973 aux côtés de David Coverdale pour remplacer Ian Gillan et Roger Glover, ils vont directement créer le Mark III, incarnation de Deep Purple dont le succès commercial aux USA sera le plus conséquent. Et ce dés le premier album, le fantastique « Burn ».
Ses huit millions d'exemplaires vendus rien qu'en terre américaine va les emmener dans des tournées mondiales à la hauteur du grand cirque Rock'N'Roll de l'époque : Boeing 747 privé au nom du groupe, groupies à gogo, stades en tête d’affiche complets alcool et beaucoup de cocaïne. Fort de ce succès phénoménal, Deep Purple va enchaîner avec un second album en 1974, « Stormbringer ». Ses ventes seront moindres, mais conséquentes.
Surtout, il voit le duo Coverdale-Hughes prendre de l'assurance, jusqu'à refuser des compositions du leader musical incontesté de Deep Purple : Ritchie Blackmore. Ce dernier n'est pas au mieux non plus : le succès, l'argent, la reconnaissance et une consommation galopante de bière allemande et de downers ont aggravé ses névroses. Il devient totalement caractériel et excentrique, cassant de plus en plus régulièrement son matériel sur scène jusqu'à faire exploser les enceintes à la California Jam, et littéralement les oreilles des premiers rangs en passant.
Toujours est-il que l'assurance des deux nouveaux musiciens ne lui plaît guère, et le conflit devient ouvert. Au point qu'il annonce son départ à la fin de la nouvelle tournée mondiale début 1975 pour créer son groupe à lui. Il entend ainsi condamner Deep Purple à mort de fait, considérant que sans lui, le quintet ne survivra pas. Il le fera pourtant avec une nouvelle recrue : Tommy Bolin. C'est un guitariste américain talentueux mais peu connu, ayant joué avec James Gang et Billy Cobham.
Il est bien copain avec Hughes. Et pour cause, il s'agit d'une recrue toxique. En effet si tout le monde touche à la cocaïne, Hughes plonge littéralement dedans, et Bolin tâte de l'héroïne. Ce sera la spirale infernale : le nouvel album, « Come Taste The Band », est très bon, mais le guitariste a du mal à faire oublier le grandiloquent prodige qu'est Blackmore. De plus, empoisonné par la dope, il se met à rejouer à sa sauce les soli de son prédécesseur sur des morceaux que les fans considèrent comme intouchables : « Smoke On The Water », « Highway Star », « Burn ».... Et sa santé décline rapidement, au point que plus en plus fréquemment, la qualité des concerts en pâtit sérieusement. Pas moins d'un gig sur deux est foiré, Bolin étant incapable d'aligner deux notes.
Excédé, Coverdale quitte Deep Purple à la fin du dernier morceau à Liverpool en mars 1976. Lord et Paice décident officiellement d'arrêter les frais en juillet 1976, et Deep Purple s'éteint alors que le Rainbow de Blackmore prend son envol avec sa formation mythique réunissant notamment Ronnie James Dio au chant et Cozy Powell à la batterie. Bolin meurt d'une overdose en décembre de la même année. Il ne rentrera même pas dans le cercle des génies du Rock morts à 27 ans, il en avait à peine 26....
Glenn Hughes reformera brièvement son trio d'origine, Trapeze, avec Mel Galley et Dave Holland. Une tournée US est montée, et un album sur le point d'être enregistré, fin 1976. La mort de Bolin change les plans, et Hughes perd totalement pied, ravagé par la mort de son ami. Il enregistre un mésestimé disque de Funk, « Play Me Out » avec néanmoins la participation de Galley et Holland, pas rancuniers.
L’album est un énorme succès commercial au Japon,en Grande-Bretagne et en Allemagne, mais il a le malheur d'avoir un défaut : être aussi désincarné que son auteur. Hughes devient un fantôme, et plonge irrémédiablement dans une existence de junkie accro à la cocaïne comme le sera Miles Davis entre 1975 et 1980. Il vivote alors en réalisant quelques éparses sessions. On le retrouve ainsi sur le projet disco « Four On The Floor » de Al Kooper, et sur l’album du G-Force de Gary Moore.
Pat Thrall est un jeune guitariste ayant rejoint le Band du canadien Pat Travers aux côtés de Tommy Aldridge à la batterie et Mars Cowling à la basse. Le quartet va se faire un nom en Amérique du Nord. Le garçon avait auparavant fait parler de lui dans des formations plus pointues, comme le Stomu Yamashta’s Go et Automatic Man, aux côtés de l’ancien batteur de Santana Michael Schrieve, ou Steve Winwood. Sa réputation est donc bien établie dans le circuit musical américain. Travers dissous son band en 1980, et Thrall se retrouve seul.
Glenn Hughes est à Los Angeles pour se refaire une santé après des années difficiles. Le garçon n'a rien perdu de son coffre et veut enregistrer de nouveau. En 1980, il doit monter un projet pour Atlantic avec le guitariste Ray Gomez et le batteur Narada Michael Walden, tous deux dans la sphère jazz-rock. A New York, Gomez double tout le monde et signe pour Columbia. Une année plus tard, Gomez rappelle Hughes pour enregistrer ensemble, mais l’histoire tombe encore à l’eau. La maison de disques Epic demande si Hughes n’aurait pas un guitariste en tête avec qui remonter le projet. La réponse est Pat Thrall. Le courant passe immédiatement entre les deux musiciens et ils écrivent rapidement des morceaux originaux. Ils enregistrent ce premier album co-produit par Andy Jones avec l'aide de trois batteurs : Gary Ferguson, Gary Mallaber du Steve Miller Band et Frankie Banali, futur Quiet Riot et WASP. Peter Schless tient les claviers. Le disque éponyme paraît en août 1982.
Contrairement à tous les anciens membres de Deep Purple ayant repris une carrière postérieure dans le monde du Hard-Rock, Glenn Hughes a opté pour une musique plus ouverte, moins directement liée à ce genre. La principale caractéristique est l'utilisation majeure de synthétiseurs, instrument nouveau, et de lignes mélodiques plus accessibles à l'oreille du grand public. « Hughes-Thrall » reste néanmoins un disque énergique, principalement occupé par la guitare, des riffs énergiques, et la voix puissante de Hughes. On peut parler de Hard-Rock grand public, voir de Hard-FM, mais curieusement, je n'arrive pas à mettre ce disque dans le même case que Foreigner et Journey. Sans doute parce que Hughes et Thrall ne sont pas tombés dans la ballade sirupeuse et tous les clichés commerciaux de ces formations, mais ont gardé un fond solide de Rock anglais.
C'est d'ailleurs ce pendant qui ouvre le disque, avec l'énergique « I Got Your Number ». Finement, Thrall tresse des arpèges mélodiques autour des accords de synthétiseur, mais c'est la guitare qui domine. Puis au premier couplet, notre homme écrase la distorsion. On retrouve un riff overboosté et serré, qui permet à Glenn Hughes de faire la démonstration de toute sa puissance vocale. Le refrain retrouve les arpèges mélodiques de départ et des choeurs très californiens, avant que Pat Thrall sorte de sa six-corde un subtil et concis solo. « I Got Your Number » est une vraie démonstration de force, et révèle que Hughes et Thrall ne se refuseront rien en terme de mélange des genres, entre électricité rageuse et prouesses mélodiques et harmoniques.
« The Look In Your Eyes » fut choisi comme premier extrait de l'album. Il est sans doute le morceau le plus accrocheur du disque, avec la présence plus prégnante du synthétiseur. Il débute en pièce épique, avec un clavier tourbillonnant sur des accords ouverts de guitare. Puis le couplet se poursuit sur un accord de synthé, puis sur un refrain ultra-mélodique, typique des morceaux de rock FM américains.... qui viendront par la suite. Car rappelons que nous sommes en 1982. Si les synthétiseurs on déjà fait leur apparition dans la musique, ils ne sont pas encore ce que l'on connaîtra par la suite dans les années 80. Leur utilisation reste modeste, le clavier d'accompagnement majoritaire restant le piano acoustique et l'orgue Hammond. Même si le Rock se commercialise dans son approche, avec Kiss, Journey ou Foreigner, l'instrument dominant reste la guitare. Seule la structure musicale et la puissance des riffs détermine réellement le genre. Et le Hard-Rock reste un genre musical majeur à la fin des années 70 et au tout début des années 80 : Led Zeppelin, Ted Nugent, Aerosmith, Thin Lizzy, UFO, Whitesnake, Rainbow, puis la New Wave Of British Of Heavy-Metal fait encore dominer la guitare tranchante dans le monde musical de l'époque. Puis progressivement, le synthétiseur va servir à créer des tubes. Quelques groupes vont ouvrir la voie : Genesis, Phil Collins, Rod Stewart.... laissant croire par le succès commercial de leurs morceaux que l'avenir de la musique passe par une approche plus New Wave. Ce sera l'explosion du synthétiseur dans la variété internationale : Prince, Michael Jackson, David Bowie, Tina Turner.... Hughes et Thrall vont décomplexer définitivement le Hard-Rock envers le synthé, montrant que l'on peut être Rock et accrocheur en utilisant cette instrument, ainsi qu'avec une production résolument moderne, utilisant énormément l'écho et la compression du son. Sauf que si sur ce disque l'équilibre est bien trouvé, il n'en sera pas de même par la suite, donnant les naufrages discographiques à venir chez certains groupes.
Soyons clair, on ne peut pas écouter « Hughes-Thrall » sans sourire sur la production et le son des claviers typique des 80's. Mais les chansons sont tellement brillantes, et le fond Rock toujours bien présent, que l'on ne peut résister à son efficacité. Oui, sur « Beg, Borrow And Steal », il y a cet accord syncopé de synthé à un doigt, qui prêtera tant à sourire lorsque toute la production musicale s'y mettra, y compris en France avec Indochine. Mais il est contrebalancé par un puissant riff de guitare sur le refrain, et une mélodie agréable.
Sur « Where Did The Time Go », les claviers explorent des rivages asiatiques. Une idée de ligne musicale qui sera copiée à moult reprises dans des génériques de série TV et de musique de films quelques années plus tard. C'est un titre mélancolique, à la mélodie superbe. Sur un tempo moyen, Hughes chante finement sans pousser sa voix, laissant sonner son vibrato naturel, tout en sensibilité. « Muscle And Blood » revient de plein pied dans le Heavy-Metal. Un riff puissant, électrique, menaçant, sur un morceau viril. On ne peut s'empêcher d'imaginer ces clips surannés avec un type en marcel blanc et jean, marchant dans un club de billard glauque envahi de bikers, et qui se voit dévisager par une jolie fille assise au bar avec une mini-jupe panthère, un brushing « doigts dans la prise » et un maquillage outrancier de voiture volée, lui lançant un regard d'une vulgarité rare, ne laissant pas de doute sur ses intentions. Plaisanterie mise à part, « Muscle And Blood » est un excellent morceau de hard-métal, sur lequel Hughes utilise sa voix de manière très fine : il ne pousse pas systématiquement dans les aigus, mais modulent énormément, comme un récit. La mélodie réside en fait dans son chant, Thrall faisant résonner l'orage derrière lui. La batterie de Frankie Banali appuie encore cette impression de puissance, comme un marteau sur une enclume.
« Hold Out Your Life » est un énergique funk-rock moderne. Le tempo est entraînant, rapide. Le synthétiseur du couplet soutient un arpège de guitare gorgé d'écho, avant d'accélérer sur le refrain avec un riff énergique. On y distingue l'influence de Mother's Finest, ce mélange de hard-rock et de funk, la distorsion appuyant le groove. Ce morceau est irrésistible, et le solo de Thrall somptueux, nerveux et expressif. « Who Will You Run To » suit le même style, entre funk et hard-rock. Sur l'emprunt funk, on sent l'influence de Rick James. On trouve sur ce morceau le petit riff de guitare claire syncopé accompagnant la basse et la batterie qui fera des ravages sur tous les morceaux rock simili-funk à venir. Mais le côté un peu amer de la mélodie rappelle aussi le David Bowie funk du milieu des années 70, celui de « Golden Years ».
« Coast To Coast » est un empreint de Hughes à son premier groupe : Trapeze. La version originale parut sur l'album « You Are The Music, We're Just The Band » en 1972, qui ne permit malheureusement pas au trio de percer au-delà du Texas et les états limitrophes où il était extrêmement populaire. Glenn Hughes redonne donc une seconde chance à ce titre, sa superbe mélodie collant à merveille au Rock luxuriant et californien de cet album.
« Hughes-Thrall » se clôt pourtant sur un crépuscule. « Fisrt Step Of Love » est un morceau à la mélodie rampante, au ton frisant la folie contenue, avant qu'elle n'explose sur le refrain, où Hughes utilise toute sa puissance vocale. On balance entre frustration, colère et désenchantement, les climats s'alternant dans cet ordre à chaque couplet. La guitare y est rageuse, le synthétiseur en nappes d'accompagnement. Le solo de Thrall a une couleur bluesy héroïque. Et c'est dans un dernier maelstrom d'électricité que se clôt ce disque.
Il ne se vendra malheureusement pas, malgré des critiques élogieuses, n'accrochant ni le public hard-métal, ni le grand public, qui le trouve trop rock. Hughes et Thrall partent sur la route pour une série de concert en première partie de Santana avec Tommy Aldridge à la batterie et Jesse Harms aux claviers à la fin de l'année. Début 1983, le cap est fixé avec un nouvel album, la rumeur parlant même que le premier devait en fait être double. Une tournée semble planifiée, avec des dates au Japon et les festival en été. Mais l'échec du disque, et la consommation ahurissante de cocaïne de Hughes comme de Thrall envenime les choses, et le duo se sépare. Il se retrouvera en 1985 pour composer un morceau qui devait servir de titre principal à la bande original du film « Ghostbuster », mais il ne sera pas retenu. Les deux musiciens tenteront de retravailler ensemble, mais leur rythme respectif semblant fondamentalement différent, ils n'arriveront pas à finaliser le second album, débuté en 1997, et jamais terminé.
Hughes entamera un long purgatoire de dix années pour se remettre de ses addictions d'alcool et de cocaïne. Il ne publiera de nouvel album qu'en 1994. Quant à Thrall, il retournera dans l'ombre des autres, accompagnant Asia, Elton John, Tina Turner ou Beyoncé. Il reste ce disque novateur, flashy, dont les idées avant-gardistes seront allégrement pompés par de très nombreux groupes. Mais jamais personne ne retrouvera ce subtil équilibre entre hard-rock, mélodie accrocheuse, new-wave et post-punk. Hughes et Thrall avaient fait sauter des verrous, mais beaucoup ne comprirent jamais la subtilité de cet album. A commencer par le public.
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2 commentaires:

Anonyme a dit…

En voilà encore un sur lequel je souhaitais faire une bafouille. C'est une bombe. Raffiné, certes, mais une bombe.
Pourtant, à la première écoute, chez le disquaire, je l'avais mal appréhendé, les claviers m'ayant quelque peu rebutés. Et puis, j'y suis revenu, une fois, deux fois, pour enfin comprendre que Glenn Hughes avait peut-être enfin trouvé son Graal.
Quoi que dans le cas, bien particulier, du monsieur, il y en ait eu plusieurs : "You are the Music... We're the Band", "Burn", "Stormbringer", "Seventh Star".

Julien Deléglise a dit…

Je trouve personnellement qu'il s'agit du meilleur exemple d'alliage entre sononrités mélodiques quasi-FM et hard-rock, le tout avec une touche de funk. Il n'y a rien de vulgaire ni d'outrancier, paradoxalement à la voix puissante de Hughes, la production luxuriante et les effets de guitare. Les chansons sont vraiment superbes. Pourtant il me rebuta un peu à la première écoute, mais je fus convaincu par ce mélange entre lumière luxuriante californienne et pâleur crépusculaire avant l'orage. Curieusement, les quelques inédits promis pour faire partie de ce qui devait être le second album a perdu une partie de ces qualités.
Quant à "You're The Music..." il aura droit à sa chronique, je le trouve merveilleux, comme "Stormbringer" d'ailleurs.