D’abord, je tenais à vous remercier, chers lecteurs et lectrices, pour votre fidélité. Ce blog gravit en effet modestement mais fièrement les échelons de la blogosphère, lui permettant ainsi de s’extraire de la masse de bousins inertes qui la compose en grande partie.
Par ce présent message (ou post, pour faire branché, yo), je tenais également à vous présenter une nouvelle rubrique : les étincelles illicites.
Par ce terme au combien poétique et empli de boursouflure littérocrate, il s’agit pour moi de vous présenter ce que les musicologues appellent les bootlegs.
Pour la plupart des amateurs néophytes, le bootleg ou disque pirate n’est que le Graal inconsistant du fan transis, qui insatiable, recherche à compléter la collection sur son groupe préféré de pièces rares. Il a en effet pour image des pochettes d’une laideur incommensurable, et un son proche du pet dans une caverne.
C’est pourtant là un jugement simpliste. En effet, si la plupart des grands groupes disposent d’enregistrements live officiels, ceux-ci sont souvent retouchés en studio, histoire de gommer les pains et autres fausses notes. Ces retouches permettent aussi de rééquilibrer les différents instruments, et de redonner de la puissance à l’enregistrement initial, quitte à parfois rejouer certaines parties en studio.
Le bootleg, lui, propose avant tout un instantané d’un artiste, sans fard, avec toutes les imperfections qu’un concert peut rencontrer. Mais surtout, et c’est particulièrement vrai pour les meilleurs groupes, il offre un aperçu de l’évolution de la musique sur scène, permettant la mutation des morceaux studios en jams parfois brillantes, parfois indigestes. Ainsi, suivre l’évolution de Led Zeppelin par ses bootlegs donne une vraie vision de la qualité, mais aussi des défauts du groupe. C’est ainsi le cas des Rolling Stones, de Deep Purple, Black Sabbath, Jethro Tull, Queen ou des Who. C’est en tous les cas l’apanage des meilleurs, car ce qui rend passionnant un enregistrement en public, c’est la qualité des musiciens, leur cohérence. Ainsi, l’artiste ne peut guère se cacher derrière les artifices auditifs qu’offre le studio. Donc, lorsqu’un groupe est mauvais sur scène, c’est pour de vrai.
Le bootleg offre aussi l’opportunité d’écouter un enregistrement scénique bien meilleur que le disque officiel. Ainsi, même si les Rolling Stones ont déjà fait paraître six live officiels, aucun n’a la qualité des meilleurs bootlegs de la période 1969-1973.
Enfin, me direz-vous, mais le bootleg est odieux : il est le symbole de l’exploitation mercantile du nom d’un artiste connu pour se faire de l’argent sur le dos du dit artiste qui ne touche rien, et sur celui des fans transis. Effectivement, cela s’appliquait pour les formats vinyl et cd. Jimmy Page descendait ainsi dans les bacs des disquaires pour en faire sortir tous les bootlegs de Led Zeppelin en vente. Seulement voilà, le téléchargement est apparu. Les ventes de cd officiels se sont effondrées, alors pensez donc, les bootlegs…. Donc, aujourd’hui, le bootleg est une affaire de fans pour les fans, qui s’échangent ces enregistrements précieux. Alors certes, leur diffusion échappe encore aux droits d’auteur, mais maintenant, personne ne se fait de l’argent. Et puis franchement, pirater des pirates, n’est-ce pas cocasse ? En tous les cas, certains groupes se mettent à publier leurs bootlegs officiels, histoire de ne pas perdre ce petit filon commercial, même à des prix attractifs.
Alors, je vous proposerai régulièrement un bootleg, à la qualité auditive et musicale impeccable. Deux sources sont idéales pour produire un bon bootleg : la table de mixage dit soundboard, et l’enregistrement radio, souvent fait sur la dite soundboard.
Pour la première, il faut savoir que certains groupes enregistraient leurs concerts afin de les réécouter et d’améliorer la set-list ou certaines improvisations. Ces bandes étaient ensuite laisser de côté, car jugées comme sans grande qualité. Certains techniciens ou fans se sont donc empressées de les réunir et de les diffuser pour gagner un peu d’argent. La seconde source est la radio : certaines stations enregistrent en effet des concerts afin de les retransmettre soit en direct soit en différé. C’est le cas de la BBC en Grande-Bretagne, mais aussi et surtout les innombrables stations FM aux USA qui, dans chaque grande ville ou état, enregistraient des concerts. De ce fait, il est parfois possible de suivre une partie d’une même tournée américaine rien qu’avec des soundboards ou enregistrements FM.
Dans tous les cas cette nouvelles rubriques vous offrira ce qu’il y a de meilleur, en terme de qualité auditive et musicale.
Et pour commencer, voici un grand classique du bootleg :
LED ZEPPELIN « Destroyer » Live 1977
"Plant hurle comme un loup en cage... et pousse Page dans ses derniers retranchements."
Ce double live, paru dans les années 90, est devenu au fil du temps un pièce recherchée. Il est paru sur le label américain Swingin’ Pig, auteur de bootlegs de très grande qualité, tant au niveau du son que de la présentation. Ce live n’échappe pas à la règle.
Ensuite, ce live est un témoignage intéressant d’une tournée relativement méconnue du Zep. Réalisée aux USA en pleine vague Punk en Europe, elle sera le théâtre des excès les plus diverses. D’abord, ils seront scéniques, avec une débauche de sono et de stades de plus en plus grands, culminant à Oakland devant plus de 70000 personnes, le tout dans un décor de menhirs en carton pâte qui inspirera Spinal Tap.
Ce sera également une débauche de violence, avec le passage à tabac par Bonham et Grant d’un type ayant soi-disant violenté le fils de Peter Grant. Et puis il y a désormais dans l’entourage du Zep une mafia de tueurs professionnels qui sert de garde-corps. Le tout sur fond d’excès d’alcool et de drogues, en particulier l’héroïne pour Page. Le tout s’achèvera tragiquement avec la mort du fils de Plant, qui annulera la fin de la tournée. Page, totalement perdu dans la dope, ne daignera pas se déplacer pour assister à l’enterrement du fils de ce qui était son meilleur ami. Quelque chose se brisa, et Led Zeppelin ne fut plus jamais comme avant.
La tournée 1977 fut aussi, et pour la seconde fois après celle de 1975, une tournée avec des hauts et des bas, voyant parfois Led Zeppelin mettre un genou à terre. Il y a d’abord la voix de Plant, qui, suite à une opération de polypes aux cordes vocales, perdit totalement son ampleur légendaire. Certes l’homme chantait toujours bien, mais éprouvait les pires difficultés à monter dans les aigus sur les anciens titres pré-1974, ce qui correspondait à la période la plus riche en classiques.
Pour ne rien arranger, Jimmy Page se fit broyer par deux fois les doigts de la main gauche dans des portes de train, ce qui lui brisa les phalanges. Il fut certes bien opéré, mais dut jouer rapidement, adaptant même ses partitions à son handicap (un plâtre d'où dépassait ses doigts) pour poursuivre la tournée. Résultat, la vivacité de sa main gauche s’en ressentit. Ajoutez à cela une consommation galopante de drogue dure et de bourbon, et vous obtenez un musicien qui chie littéralement certains soli légendaires.
Pour couronner le tout, John Paul Jones opte pour une basse huit-cordes expérimentale dont le son sur scène est un désastre, flirtant plus du côté de la corde à linge que de la basse vrombissante et profonde.
Bref, la tournée US 1977 est donc synonyme de hauts et de bas. Ce live, enregistré à Cleveland le 27 avril 1977 fait parti de la première catégorie.
La set-list est brillante, habile mélange entre anciens et nouveaux titres. Mais surtout, les quatre musiciens sont brillants. La basse de Jones sonne bien, Bonham est inspiré. Plant chante superbement bien, insufflant dans les titres une violence et une colère incroyable, plus blues que hard-rock. Jimmy Page, lui, fait encore des pains, mais les contournent à l’aide de petites idées d’improvisation digne d’un Jimi Hendrix à l’Ile de Wight en 1970.
Cela donne notamment un enchaînement « Sick Again » - « Nobody’s Flaut But Mine » - « In My Time Of Dying » hallucinant de rage et de feeling. Plant hurle comme un loup en cage, exécute un superbe solo d’harmonica sur « Nobody’s Fault… », et pousse Page dans ses derniers retranchements. La slide de celui-ci sur « In My Time Of Dying » est râpeuse à souhait, emplissant l’espace d’une atmosphère moite et suffocante. De manière générale, sa Les Paul Gibson est gorgée d’un son blues gras et électrique, insufflant une sorte de vague sonique qu’il n’a qu’à modeler selon sa convenance, en fonction de son inspiration.
La tournée 1977 est l’occasion d’entendre des titres tirés du mésestimé mais génial album « Presence » de 1976.
Et donc, que dire de cette incroyable version de « Achille’s Last Stand », hantée, terrifiante, comme si la fin tragique du groupe grondait déjà dans les veines des musiciens.
Bien sûr, il y a quelques faux pas. Comme cette version de « No Quarter » un peu trop longue ou John Paul Jones suce un peu trop son clavier. Il y a aussi et surtout ce « Since I’ve Been Loving You » ridicule parce que voyant Plant incapable de retrouver sa voix à la Janis Joplin, et Page se perdant dans des gimmicks blues totalement hollywoodiens. Mais bon, il y a cette fantastique version de "Stairway To Heaven", magique, bancale, fragile.
Ces interprétations discutables sont finalement à l’écart face au brio des nouveaux titres, et de ce magnifique intermède acoustique, où le groupe semble reposer un pied sur terre.
Le disque s’achève sur le concert incomplet, car il se clôt sur le solo de batterie de Bonham, « Moby Dick », renommé en 1977 « Over The Top », et introduit par le riff de « Out Of The Tiles ». Le disque se clôt donc dans une sorte de bourbier percussif, qui, si il ne remet en aucun cas en cause le talent de Bonham, ne lui rend guère justice.
Il reste de ce live un goût de cendres, âpre. On sent quatre musiciens déjà consumés jouer encore et encore avec le feu, cherchant dans le marasme de leur succès le brasier du Blues. Le disque porte assurément bien son nom, et provient du surnom de cette tournée par les fans : Led Zeppelin pouvait se révéler à la fois boursoufler et totalement bluffant, d’une violence inouïe, celle de la salve d’un destroyer.
Il reste ainsi un grand disque, impressionnant, laissant pantois, renvoyant à des années lumières la totalité de la production musicale actuelle, tous genres confondus.
tous droits réservés
4 commentaires:
superbe idée de rubrique mon Juju !
excellent article en outre
a++
ton JP
ah les bootlegs comme tu as raison c' est tout l' un ou tout l' autre.
en ce qui me concerne j' adore le molly hatchet de la grande epoque avec astral game ou dernierement le live de zztop aux vieilles charrues appele aussi wango tango a+ rebeltrain
Bonjour,
Bien que tardif (mais je découvre à l'instant ce site) mon commentaire se veut supplétif et complémentaire. Non le concert ne s'achève pas sur "Moby Dick". Je pense que tu possèdes la mauvaise version qui est "un boot du boot" remixé à la va-vite et non pas le boot "officiel" issu du soundboard enregistré le premier des deux soirs (le meilleur) à Cleveland (27/04/1977).Il te manque quelques morceaux et pas des moindres comportant 9'45 de solos à l'archet avec un "Star Spangled Banner" des familles!
Désolé pour toi car ce concert de 77 reste ancré dans les mémoires comme un des meilleurs jamais réalisé par le Zep.
Cordialement,
rcp84.
Tu as tout-à-fait raison, cher rcp84, j'ai ce bootleg en complet, parmi d'autres. Il n'est sans doute ni la meilleure version, ni le meilleur concert du groupe. Mias le but est de chroniquer un disque bootleg, avec tout ses défauts, y compris une set-list incomplète. Ainsi, par exemple, le concert à St-Louis ou à Dallas en 1975 ont été publiés sous d moult versions plus ou moins complètes (on est mais déjà plus sur un cd que sur un vinyl, mais bon, moins que sur un fichier MP3 dont le son est moins bon que le FLAC...). Il s'agit de faire découvrir ce bootleg, il n'y a rien d'exhaustif ou complétiste. Il ne s'agit que de musique.
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