mardi 16 janvier 2018

FAST EDDIE CLARKE PART 1

FAST EDDIE CLARKE

"Ce grand gaillard un peu manche a un sacré feeling. "


Voilà, le dernier desperado est parti. Fast Eddie Clarke était le dernier survivant du trio mythique Motorhead entre les années 1976 et 1982, considérées comme les années d'or par les fans, à juste titre. Phil Taylor puis Lemmy partirent en 2015, voilà maintenant Clarke, début 2018. Ainsi disparaît définitivement et sans espoir de retour l'un des groupes les plus légendaires du Rock anglais. Ils ont crée un alliage venimeux de Heavy-Metal et de Rock Punk, sans concession, qui ouvrira la voie autant à la New Wave Of British Heavy-Metal qu'au Thrash-Metal américain et au Black-Metal primitif européen. Sans, pas de Metal, comme on l'appelle aujourd'hui, tout simplement. Encore aujourd'hui, jamais du Rock n'a sonné aussi impressionnant, sans concession, de sa musique à son image même : trois cow-boys de l'Enfer, vêtus de blousons de cuir, de cartouchières, de jeans noirs, et de bottes de moto. Pas de frime, de l'attitude. Car ils étaient eux-mêmes, sans fard, sans chercher à être quelqu'un d'autre.
C'est que la genèse du trio mythique est une aventure de deux années pleines, un parcours ahurissant de galères, de souffrances, mais aussi de musique de plus en plus implacable. Clarke est, comme Ian Fraiser Kilmister alias Lemmy, un allumé des quartiers interlopes de Londres, un en particulier : Ladbroke Grove. Dans les années 70, c'est une succession de squats et de pubs crasseux dans lesquels une scène musicale fortement politisée à gauche fait vibrer les murs. Ce sont des fils de hippies, mais qui refusent farouchement l'ordre établi. Ils prennent des acides, jouent fort, et veulent participer gratuitement dans les festivals. Ils sont les précurseurs du Punk, et d'un Heavy-Metal autrement plus agressif en gestation. Ils s'appellent Hawkwind, Pink Fairies, Third World War, Crushed Butler, Stray…. Clarke est d'abord un allumé psychédélique, copain avec Mick Farren, journaliste et fondateur des Deviants, groupe précurseur des Pink Fairies. On le retrouve jouer sur un toit de grange de la guitare électrique, juste parce que le son de la vallée est extraordinaire, meilleur que n'importe quel ampli…. Il est un fan du Blues électrique anglais : Peter Green's Fleetwood Mac, Cream, Jeff Beck Group, Led Zeppelin, Humble Pie, Jimi Hendrix….. Il ne se départira jamais de ces mamelles fondatrices, qui lui permettront de faire de son jeu de guitare un firmament de fusion de Blues psychédélique et de Hard-Rock. Il sera suffisamment affûté pour rejoindre la formation anglaise d'un certain Curtis Knight, correct chanteur de Soul-Blues qui connut son heure de gloire en embauchant …. Jimi Hendrix au milieu des années soixante, juste avant que le guitariste n'explose à la face du monde avec son Experience. Knight exploitera le filon Hendrix jusqu'à plus soif pour se faire des sous. A tel point, qu'il est convoqué au procès du dernier manager d'Hendrix, Mike Jeffries. Pendant le temps du procès, et après presque dix ans de silence, il forme un groupe local pour passer le temps. Les concerts sont rares, mais un contrat discographique minable permet à Knight de sortir un voire deux albums. Il forme un groupe nommé modestement Zeus, qui récure la lie des musiciens sans boulot de Londres. Clarke fait partie du wagon, et va éclabousser le disque de sa Gibson Les Paul Blonde, la même que Jeff Beck sur la première tournée de son Group en 1968. Il finira par partir former un groupe, suivi de la quasi-totalité du Curtis Knight Zeus, hormis Knight. Bien couillon, il tentera la menace, en vain. Le groupe change de nom à plusieurs reprises, Clarke prend le chant, par défaut. Il partage son amplificateur avec l'autre guitariste, le son est pourri. Engueulades, frustrations, Clarke jette l'éponge.
Il prend un travail bien, et devient contre-maître sur un chantier fluvial. Il encadre la petite équipe chargée de la restauration des péniches. Un jour, son patron lui ramène un gamin hirsute, les cheveux noirs en pétard, l'oeil pervers, la clope au bec, le jean déchiré. Clarke le forme, et les deux sympathisent. Ils ont en commun l'amour du Rock'N'Roll et des références particulièrement pointues : le II de Led Zeppelin, Humble Pie, Pink Fairies…. Clarke lui raconte qu'il les a croisé, les deux finissent souvent au Pub local. Et puis un jour, l'apprenti disparaît. Il reviendra une semaine plus tard comme si de rien n'était. Clarke, scrupuleux, le tanse vertement. Le jeune homme lui avoue qu'il vient d'obtenir le poste de batteur dans un groupe et qu'il a fêté ça. Le groupe s'appelle Motorhead, et le fondateur, c'est l'ancien bassiste de Hawkwind entre 1972 et 1975 : Lemmy Kilmister. Phil n'a pas eu de mal à intégrer Motorhead : il est dealer d'herbes et d'acides. Lemmy le trouve sympa, Taylor a une frappe de teigne, il l'embauche en lieu et place du mou Lucas Fox. Lorsque Taylor revient sur le chantier fluvial, il frime. Il explique à Clarke qu'il a intégré Motorhead, et que la grande vie est à la porte. Eddie, pour qui la vie professionnelle est plutôt réussie en tant que chef de chantier, ne peut totalement se résoudre à abandonner la guitare. Il est certes vieux pour les jeunes groupes dits Punk du circuit, il a déjà vingt-six ans. Mais il veut intégrer un vrai groupe avant d'abandonner. Taylor lui suggère que Motorhead cherche un second guitariste, un mec qui tient la rythmique derrière la guitare lead. Larry Wallis, un ancien des Pink Fairies, tient le manche. Lemmy trouve que lorsque Wallis prend ses soli, il y a un trou entre la basse et la batterie. Wallis concède un guitariste rythmique. Clarke accepte de participer à l'audition, et bien plus que cela. Son sens de l'organisation finit par le voir organiser l'audition complète. Il trouve le bâtiment, installe le matériel, et à l'heure dite, avec même une minute d'avance, il se tient prêt, Fender Stratocaster entre les bras. Lemmy et Taylor n'ont pas le permis, Clarke va les chercher et les ramène dans la salle de répétitions, au premier étage. Les répétitions sont éloquentes.
Ce grand gaillard un peu manche a un sacré feeling. Sauf qu'il n'est pas à sa place. Il auditionne pour devenir guitariste rythmique. Le guitariste principal de Motorhead est Larry Wallis. Le trio cherche un autre guitariste pour soutenir Wallis lorsqu'il part en rythmique. Sauf que Wallis est en retard à la répétition, très en retard. Kilmister, Taylor et Clarke décident de jouer ensemble en attendant, et la magie opère. Ils interprètent du Blues anglais, du Rock'N'Roll des années 50, et même du ZZ Top que Clarke a découvert et trouve fantastique. Les trois musiciens s'amusent, la complicité est là, mais Wallis a du retard, beaucoup de retard. Kilmister s'absente régulièrement pour appeler. Le guitariste arrive dans cinq minutes, huit heures durant. Pendant ce temps-là, le trio Kilmister-Clarke-Taylor s'amuse comme des gosses. Lorsqu'un des trois propose un morceau, les deux autres emboîtent le pas : tu connais ce truc de Little Richard ? Yardbirds ? John Mayall ?…..Lorsque Wallis arrive avec son matériel, l'ambiance devient subitement pesante. Il installe son matériel sans un mot, la tronche de travers. Lorsque débute le premier morceau, « Vibrator », un morceau des Pink Fairies repris par Motorhead sur son tout premier disque, On Parole, le son est immonde. Aigu, strident, il déchire les tympans. Clarke se sent coupable. Il perd ses moyens. Malgré les deux guitares, c'est comme si un long larsen aigu traversait la pièce. Au bout de trois morceaux, Lemmy prend en aparté Wallis. La discussion s'éternise plusieurs dizaines de minutes pendant lesquelles Eddie s'effondre. Malgré les blagues de Taylor, Clarke remballe son matériel, et donne quelques livres sterling pour payer sa part de la location de la salle à Taylor. Il se sauve dans la nuit, confus, sa guitare et son amplificateur à la main. Il est convaincu qu'il a échoué. Sa carrière musicale vient de mourir ce jour-là. Il est persuadé de ne pas être à la hauteur des musiciens professionnels. La preuve : le son immonde de la séance avec Wallis ne peut être que de son fait et de son incompétence.
La semaine qui suit est terne. Clarke rejoint son chantier fluvial, les mâchoires serrées. Il a signé l'arrêt de mort de sa carrière de guitariste deux jours avant, la réparation de bateaux sera désormais son quotidien. Le samedi suivant, après une semaine de dur labeur, Eddie traîne au plumard en slip. Il est arraché de son lit par de violents coups sur la porte de son appartement. Il feint de ne pas être là, mais les coups sont insistants. Clarke, excédé, ouvre la porte en slip. Il trouve devant l'entrée Lemmy et Phil, tout de cuir noir et de jean vêtus. Lemmy tend un blouson de cuir râpé et une ceinture de cartouchière à Clarke : « Bienvenue dans Motorhead ». Les deux teignes tournent les talons, laissant Clarke en slip, blouson et cartouchière à la main, sur le pas de la porte de son appartement. Finalement, l'audition ne fut pas si mauvaise. En fait, lorsque Lemmy prit à part Larry Wallis lors de l'audition de Clarke, ce fut tout simplement pour lui expliquer de se barrer aussi vite que possible, car ils avaient trouver leur guitariste providentiel : Edward Clarke. Eddie venait de recevoir son uniforme.
La carrière du groupe ne fut pas aussi amusante que prévue. Nous sommes en février 1976, et Motorhead traîne depuis la fin de l'année 1975 la réputation de pire groupe de Rock du monde après son passage en première partie de Blue Oyster Cult. Ce qui aurait dû être un tremplin enterre Motorhead dans les oubliettes de l'histoire du Rock. Ce qui fait sourire aujourd'hui grille totalement le trio professionnellement. Il n'est plus question de chercher un contrat avec une telle réputation. La recherche d'un autre guitariste cinq mois plus tard n'est finalement pas innocente…. Eddie Clarke est en fait l'homme providentiel, et bien plus que cela. Il n'est pas seulement un guitariste enthousiaste et doué. Il est celui qui a façonné la musique de Motorhead, bien plus que Lemmy. Le bassiste avait la basse tronçonneuse, la voix et la gueule de l'emploi. Son humour fracassant faisait merveille dans les journaux. Mais il n'est que le joueur de basse tronçonneuse et celui qui écrit les textes au vitriol. Pour les riffs, les mélodies, c'est Clarke, parfois secondé de Taylor. Le batteur et le guitariste sont amis, et sortent souvent ensemble. La donne changera quand le guitariste trouvera une petite amie stable, ce qui poussera le fêtard Taylor vers Lemmy. Outre les riffs, Clarke a établi le son Motorhead. En jouant classiquement à côté de la basse de Lemmy, le son est inaudible. Les amplificateurs du bassiste ont les boutons basses à zéro, créant un son de guitare rythmique sourd. Jouer sur le même niveau ne provoquait qu'une bouillie inaudible. Clarke comprend qui lui faut jouer sur un autre spectre sonore complémentaire. Ses riffs seront donc asserrés, haut perchés, Punk avant l'heure, pour contrebalancer la basse. Cette idée géniale fait de la musique de Motorhead un mur du son implacable que comprendra parfaitement Jimmy Miller, le producteur de l'album Overkill. Mais avant, ce sera l'enregistrement du premier album en douze heures de studio juste après ce qui devait être leur dernier gig au Marquee de Londres. Gavés de speed, à peine sorti de scène, le trio envoie son répertoire sur bandes. Le premier album de Motorhead est né et rentre dans les classements d'albums anglais à la 43ème place. Cela suffit pour convaincre le label Bronze de les signer après quelques vicissitudes avec d'autres producteurs véreux. (à suivre)
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