jeudi 27 avril 2017

UNIVERIA ZEKT 1972

"Le but est de composer un album à la fois totalement dans la veine de Magma, mais en plus accessible."

UNIVERIA ZEKT : The Unnamables 1972

En 1972, Magma est un phénomène musical national. Détesté ou adulé, l'orchestre Jazz du batteur Christian Vander ne laisse pas indifférent. Soutenu par la presse musicale spécialisée, en particulier Rock&Folk, Magma est respecté pour son audace et son originalité, et les concerts font le plein, malgré des conditions parfois précaires. Il faut dire que la France ne sait absolument comment organiser un concert. La sonorisation est déplorable, et les circuits d'organisateurs plus que lamentables, au point de faire fuir la majeure partie des groupes anglo-saxons de renom durant la première moitié des années 70. Led Zeppelin en fera l'amère expérience lors de sa tournée 1973, annulée au bout de trois concerts suite à des émeutes et la destruction de leur matériel. Les Who se verront couper l'électricité lors de leur passage à la Fête de l'Humanité en 1972 par les autorités.

Tourner en France est une gageure quand on est un groupe dit Pop, et encore plus quand on est français et que l'on fait une musique qui sort des schémas de la variété française. Et encore, l'écoute d'un live de Johnny Hallyday ou d'Eddie Mitchell à la fin des années 60 laisse pantois devant la nullité des équipes techniques et la sonorisation des salles. Magma tourne donc avec son matériel, dans le circuit des clubs de Jazz, des MJC, des petits théâtres et des festivals, attirant un public Pop fidèle.

Pour ce qui est des ventes de disques, par contre, ce n'est pas le succès commercial total. Incompris, mal distribué par leur maison de disques Phillips, Magma peine à vendre des disques à grande échelle, et donc à vivre de sa musique correctement. Christian Vander sait que l'utilisation du langage Kobaïen peut être un frein autant en France qu'à l'étranger. La Grande-Bretagne et le Nord de l'Europe seraient plus ouverts à la musique dite progressive, même à des groupes particulièrement audacieux. Le Jazz-Rock brille sur les grandes scènes, Mahavishnu Orchestra ou Weather Report connaissent un succès enviable. Magma, qui opère plus ou moins dans cette mouvance, devrait trouver son public. Mais l'absence totale de concession dans la musique de Magma cloisonne les perspectives du groupe.

Afin de tenter une approche plus commerciale, Christian Vander décide d'enregistrer avec les musiciens de Magma un album dont la musique en serait en tous points comparable, mais les paroles seraient en anglais. Dans un souci de ne pas mélanger son concept initial, et afin de se dédouaner de tout à-priori négatif lié au nom, Magma deviendra Univeria Zekt. Ce dernier patronyme n'est pas totalement innocent, puisqu'il était une composante du nom original de l'orchestre de Christian Vander : Uniweria Zekt Magma Composedra Arguezdra.
Vander réunit autour de lui de fidèles lieutenants parmi lesquels Francis Moze à la basse, Klaus Blasquiz au chant, François Cahen au piano, Teddy Lasry et Jeff Seffer aux cuivres. Ils sont rejoints par Tito Puentes à la trompette. Deux démissionnaires reprennent même leur poste : Claude Engel à la guitare et Zabu au chant.

Le but est de composer un album à la fois totalement dans la veine de Magma, mais en plus accessible. Le chant anglais doit ouvrir cette musique unique mêlant Jazz, Rock et influences de l'Europe de l'Est à ce fameux public progressif.

La première face est d'ailleurs composée de morceaux plutôt courts. Néanmoins, dès le début de l'intervention des cuivres à la sonorité si particulière, on sait qu'il s'agit bien de Magma. « You Speak And Speak And Colegram » est un instrumental proche du Jazz-Rock de l'école de Canterbury, et en particulier Soft Machine. Les saxes aux sonorités soyeuses et mélodieuses emmènent l'auditeur sur les terrains rêveurs de ces derniers. Claude Engel se lance dans un chorus à la wah-wah venant flirter avec les fines lames anglaises de la six-cordes.

« Altcheringa », chanté par Zabu, de sa voix rauque, fait se rencontrer le Jazz-Rock et des sonorités Funk, notamment dans la rythmique. Bien que toujours aussi brillant, Vander joue de manière résolument plus carrée, tenant un tempo plus conventionnel, néanmoins assorti de sublimes roulements de toms.

S'en suit l'instrumental « Clementine », tout de guitare acoustique et de flûte champêtre  mélancolique vêtu. Dans l'esprit, on se rapproche de Caravan dans la douceur douce-amère. « Something's Cast A Spell » débute par une introduction très Free-Jazz avant de plonger dans un Jazz-Rock très américain, inspiré par Chicago et Blood, Sweat And Tears. La voix de Zabu rappelle d'ailleurs celle de David Clayton-Thomas. Le tempo est lourd, frisant le Heavy-Rock de l'époque. Mais Univeria Zekt/Magma garde son identité musicale, et ne plonge pas dans les embardées big-band inhérentes aux groupes US.

On sent les quatre premiers morceaux sous influence musicale anglo-saxonne, ouvertement orientés vers des sonorités moins abruptes. La seconde face offre les plus belles pièces de musique de ce disque : « Ourania » et « Africa Anteria ». On constate aussi que ceux-ci sont composés par Vander. La première face était en fait l'oeuvre de Teddy Lasry et François Cahen, ce qui explique l'approche moins Magmaïenne des morceaux. La suite, signée Vander, est évidemment bien plus proche de l'univers des deux premiers albums de Magma.

Personnellement, j'y ai retrouvé le son du morceau éponyme ouvrant l'album Kobaïa en 1970. On retrouve ces cuivres à l'unisson, fluide comme un chant vocal, la basse puissante de Moze et la batterie exubérante de Vander. On retrouve aussi cette mélancolie si particulière, entre rêve et amertume, qui était aussi celle de l'idole du batteur : John Coltrane. Hormis ce morceau, j'ai toujours eu du mal avec les deux premiers disques de Magma. Les morceaux aux rythmiques abruptes, servant de bases à des improvisations dissonantes proches du Free-Jazz final de la musique de Coltrane, me rebutèrent. Avec The Unnamables, je découvris un Magma première période plus accessible, plus agréable, et se rapprochant finalement des longues improvisations entêtantes du Magma à venir avec Jannick Top.

C'est aussi le dernier disque du groupe pour lequel on entendra des cuivres. Par la suite la place sera davantage faite aux guitares, aux claviers et aux voix. Cette rupture musicale fera suite au départ de la totalité des musiciens hormis Blasquiz, obligeant Vander à réappréhender sa musique. Ce départ massif sera en grande partie dû à l'échec cuisant de cet album, non suivi d’une tournée de soutien. Il ne se vendra qu'à 1500 exemplaires, et en fera de fait une rareté.


Magma va poursuivre sa quête musicale en survivant grâce aux concerts, mais aussi aux sessions, notamment avec Eddy Mitchell, sur l’album Zig-Zag en 1972, ou sur des bandes originales de films comme Moi Y En A Vouloir Des Sous de Jean Yanne. L’arrivée de Jannick Top va régénérer la formation, qui va aboutir à l’une de ses grandes œuvres : Mekanïk Destructïw Kommandöh.

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