"Le
but est de composer un album à la fois totalement dans la veine de
Magma, mais en plus accessible."
UNIVERIA
ZEKT : The Unnamables 1972
En
1972, Magma est un phénomène musical national. Détesté ou adulé,
l'orchestre Jazz du batteur Christian Vander ne laisse pas
indifférent. Soutenu par la presse musicale spécialisée, en
particulier Rock&Folk, Magma est respecté pour son audace et son
originalité, et les concerts font le plein, malgré des conditions
parfois précaires. Il faut dire que la France ne sait absolument
comment organiser un concert. La sonorisation est déplorable, et les
circuits d'organisateurs plus que lamentables, au point de faire fuir
la majeure partie des groupes anglo-saxons de renom durant la
première moitié des années 70. Led Zeppelin en fera l'amère
expérience lors de sa tournée 1973, annulée au bout de trois
concerts suite à des émeutes et la destruction de leur matériel.
Les Who se verront couper l'électricité lors de leur passage à la
Fête de l'Humanité en 1972 par les autorités.
Tourner
en France est une gageure quand on est un groupe dit Pop, et encore
plus quand on est français et que l'on fait une musique qui sort des
schémas de la variété française. Et encore, l'écoute d'un live
de Johnny Hallyday ou d'Eddie Mitchell à la fin des années 60
laisse pantois devant la nullité des équipes techniques et la
sonorisation des salles. Magma tourne donc avec son matériel, dans
le circuit des clubs de Jazz, des MJC, des petits théâtres et des
festivals, attirant un public Pop fidèle.
Pour
ce qui est des ventes de disques, par contre, ce n'est pas le succès
commercial total. Incompris, mal distribué par leur maison de
disques Phillips, Magma peine à vendre des disques à grande
échelle, et donc à vivre de sa musique correctement. Christian
Vander sait que l'utilisation du langage Kobaïen peut être un frein
autant en France qu'à l'étranger. La Grande-Bretagne et le Nord de
l'Europe seraient plus ouverts à la musique dite progressive, même
à des groupes particulièrement audacieux. Le Jazz-Rock brille sur
les grandes scènes, Mahavishnu Orchestra ou Weather Report
connaissent un succès enviable. Magma, qui opère plus ou moins dans
cette mouvance, devrait trouver son public. Mais l'absence totale de
concession dans la musique de Magma cloisonne les perspectives du
groupe.
Afin
de tenter une approche plus commerciale, Christian Vander décide
d'enregistrer avec les musiciens de Magma un album dont la musique en
serait en tous points comparable, mais les paroles seraient en
anglais. Dans un souci de ne pas mélanger son concept initial, et
afin de se dédouaner de tout à-priori négatif lié au nom, Magma
deviendra Univeria Zekt. Ce dernier patronyme n'est pas totalement
innocent, puisqu'il était une composante du nom original de
l'orchestre de Christian Vander : Uniweria Zekt Magma Composedra
Arguezdra.
Vander
réunit autour de lui de fidèles lieutenants parmi lesquels Francis
Moze à la basse, Klaus Blasquiz au chant, François Cahen au piano,
Teddy Lasry et Jeff Seffer aux cuivres. Ils sont rejoints par Tito
Puentes à la trompette. Deux démissionnaires reprennent même leur
poste : Claude Engel à la guitare et Zabu au chant.
Le
but est de composer un album à la fois totalement dans la veine de
Magma, mais en plus accessible. Le chant anglais doit ouvrir cette
musique unique mêlant Jazz, Rock et influences de l'Europe de l'Est
à ce fameux public progressif.
La
première face est d'ailleurs composée de morceaux plutôt courts.
Néanmoins, dès le début de l'intervention des cuivres à la
sonorité si particulière, on sait qu'il s'agit bien de Magma. « You
Speak And Speak And Colegram » est un instrumental proche du
Jazz-Rock de l'école de Canterbury, et en particulier Soft Machine.
Les saxes aux sonorités soyeuses et mélodieuses emmènent
l'auditeur sur les terrains rêveurs de ces derniers. Claude Engel se
lance dans un chorus à la wah-wah venant flirter avec les fines
lames anglaises de la six-cordes.
« Altcheringa »,
chanté par Zabu, de sa voix rauque, fait se rencontrer le Jazz-Rock
et des sonorités Funk, notamment dans la rythmique. Bien que
toujours aussi brillant, Vander joue de manière résolument plus
carrée, tenant un tempo plus conventionnel, néanmoins assorti de
sublimes roulements de toms.
S'en
suit l'instrumental « Clementine », tout de guitare
acoustique et de flûte champêtre mélancolique vêtu. Dans
l'esprit, on se rapproche de Caravan dans la douceur douce-amère.
« Something's Cast A Spell » débute par une introduction
très Free-Jazz avant de plonger dans un Jazz-Rock très américain,
inspiré par Chicago et Blood, Sweat And Tears. La voix de Zabu
rappelle d'ailleurs celle de David Clayton-Thomas. Le tempo est
lourd, frisant le Heavy-Rock de l'époque. Mais Univeria Zekt/Magma
garde son identité musicale, et ne plonge pas dans les embardées
big-band inhérentes aux groupes US.
On
sent les quatre premiers morceaux sous influence musicale
anglo-saxonne, ouvertement orientés vers des sonorités moins
abruptes. La seconde face offre les plus belles pièces de musique de
ce disque : « Ourania » et « Africa Anteria ».
On constate aussi que ceux-ci sont composés par Vander. La première
face était en fait l'oeuvre de Teddy Lasry et François Cahen, ce
qui explique l'approche moins Magmaïenne des morceaux. La suite,
signée Vander, est évidemment bien plus proche de l'univers des
deux premiers albums de Magma.
Personnellement,
j'y ai retrouvé le son du morceau éponyme ouvrant l'album Kobaïa
en 1970. On retrouve ces cuivres à l'unisson, fluide comme un chant
vocal, la basse puissante de Moze et la batterie exubérante de
Vander. On retrouve aussi cette mélancolie si particulière, entre
rêve et amertume, qui était aussi celle de l'idole du batteur :
John Coltrane. Hormis ce morceau, j'ai toujours eu du mal avec les
deux premiers disques de Magma. Les morceaux aux rythmiques abruptes,
servant de bases à des improvisations dissonantes proches du
Free-Jazz final de la musique de Coltrane, me rebutèrent. Avec The
Unnamables, je découvris un Magma première période plus
accessible, plus agréable, et se rapprochant finalement des
longues improvisations entêtantes du Magma à venir avec Jannick
Top.
C'est
aussi le dernier disque du groupe pour lequel on entendra des
cuivres. Par la suite la place sera davantage faite aux guitares, aux
claviers et aux voix. Cette rupture musicale fera suite au départ de
la totalité des musiciens hormis Blasquiz, obligeant Vander à
réappréhender sa musique. Ce départ massif sera en grande partie
dû à l'échec cuisant de cet album, non suivi d’une tournée de
soutien. Il ne se vendra qu'à 1500 exemplaires, et en fera de fait
une rareté.
Magma
va poursuivre sa quête musicale en survivant grâce aux concerts,
mais aussi aux sessions, notamment avec Eddy Mitchell, sur l’album
Zig-Zag en 1972, ou sur des bandes originales de films comme
Moi Y En A Vouloir Des Sous de Jean Yanne. L’arrivée de Jannick Top va régénérer
la formation, qui va aboutir à l’une de ses grandes œuvres :
Mekanïk Destructïw Kommandöh.
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