"Il
existe donc un équilibre parfait mais fragile entre tous les
musiciens, chacun ayant une part active et équitable dans la
contribution musicale. "
DEEP
PURPLE : In Concert 1970-1972 1982
Il fut une époque où Deep Purple n'était pas seulement l'un des
meilleurs groupes de Hard-Rock de tous les temps, il fut en état de
grâce. Il s'agit d'une période furtive, souvent courte, mais durant
lesquelles une formation lévite littéralement au-dessus du sol, et
où tout ce qu'il joue relève du génie absolu, de la première à
la dernière note. Led Zeppelin grimpa sur le toit du monde en 1969 avec
ses deux premiers disques, véritables bombes soniques historiques.
Sensiblement à la même période, Deep Purple s'installa aussi en
apesanteur.
Après
seulement deux années et trois albums avec le chanteur Rod Evans et
le bassiste Nick Simper, Deep Purple n'est qu'un excellent groupe de
Rock symphonique, aussi brillant dans ses reprises que dans ses
compositions originales, le Vanilla Fudge anglais. Et puis sous
l'impulsion du guitariste Ritchie Blackmore, Deep Purple muta vers
le Hard-Rock en recrutant un chanteur agressif, Ian Gillan, et un
bassiste mordant, Roger Glover. Mais Deep Purple ne vira pas
brutalement Hard-Rock, il y eut une sorte de phase de transition
magique durant laquelle Jon Lord eut encore de l'influence, qu'il dut
partager avec les idées électriques de Blackmore.
Le
quintet doit alors assurer une forme de promotion pour le fantastique
troisième album enregistré avec Evans et Simper, Deep Purple,
publié en juillet 1969, et enregistre un nouveau simple du nom de
« Hallelujah ». Parallèlement, Lord réussit à
convaincre le groupe d'enregistrer un concerto avec le London
Philharmonic Orchestra conduit par Malcolm Arnold, et capté en
direct au Royal Albert Hall de Londres. Le tout sera également
filmé. Cet alliage entre musique classique et Rock n'est pas
totalement une première, les Moody Blues ayant fait de même un an
avant, et ont obtenu le succès avec « Night In White Satin ».
Mais ici il ne s'agit pas de compositions Pop accompagnées d'un
orchestre, mais bien de pièces de musique originale composées pour
orchestres symphonique et électrique. L'ambition du projet est
démentielle, mais ne convaincra pas. Pourtant, le résultat est loin
d'être ridicule. En tout cas, il montre un groupe en pleine
possession de ses moyens, capable de toutes les audaces.
Le
premier vrai feu sera un simple regroupant deux nouvelles
compositions exceptionnelles : « Speed King » et
« Child In Time ». Deep Purple tourne intensément en
Europe, mais n'a que peu de matériel nouveau. Il retravaille donc
son ancien répertoire : « Mandrake Root », « Wring
That Neck », « Hush » ou « Kentucky Woman »
deviennent d'incandescentes jams instrumentales, survoltées par le
chant furieux de Gillan. Deep Purple n'a plus aucune limite.
Blackmore se sent alors à l'étroit avec sa grosse Gibson ES 335
demi-caisse rouge et opte pour l'arme absolue : une Fender
Stratocaster Noire, la même que Jimi Hendrix. Précise, au son
luisant, dotée d'un vibrato précis et meurtrier, Blackmore possède
l'instrument qu'il cherchait depuis le début de sa carrière. Les
musiciens de Deep Purple sont totalement épanouis, et voient
s'ouvrir devant eux des horizons immenses. La concrétisation de
cette période sera le fantastique In Rock en 1970, qui clôt
pourtant malheureusement cet état de grâce durant lequel Deep
Purple se permit toutes les audaces.
Le
disque qui fut pour moi le révélateur de cette époque fut ce
double album en direct capté à la BBC à deux époques majeures de
Deep Purple : début 1970 et début 1972. Tout y est absolument
parfait, de la première à la dernière note. Le son est impeccable,
net, puissant, comme si l'on était à côté des musiciens dans le
studio. Le quintet y est inspiré, en lévitation totale, sans la
moindre longueur. C'est véritablement là que j'ai découvert la
force magique de Deep Purple. Made In Japan fut déjà une
révélation, mais ici, nous sommes à un niveau encore supérieur,
si cela peut être possible.
Le
premier set fut capté le 19 février 1970. Deep Purple est encore
dans cet état de grâce, In Rock n'a pas encore vu le jour.
Désireux d'imposer sa nouvelle musique, le quintet n'a pas arrêté
de jouer partout où il le peut, mettant même le feu à ses
amplificateurs en Belgique, totalement possédés par la folie du
set. Deep Purple dispose d'une petite heure durant laquelle il va
capter… quatre morceaux. La présentation du disc-jockey John Peel
est cocasse : sa voix calme et posée d'employé de bureau
contraste totalement avec la déflagration qu'est « Speed
King ». L'introduction de Jon Lord, toute en fréquences
souterraines d'orgue Hammond, est magistrale. La basse est très en
avant par rapport à la guitare, mais le son global est musclé, tous
les instruments sont distincts. L'orgue de Lord n'a pas encore ce son
sur-épais, goudronneux, qu'on lui connaîtra. Il utilise déjà
l'amplification, mais a conservé l'ampleur sonore baroque des
premiers albums. Dans son jeu subtil se mêlent musique classique,
Jazz, Blues, et Rock. La guitare de Blackmore est par contre bien
plus agressive et présente. On sent l'homme encore hésitant à
s'imposer totalement, et il n'a pas encore pris l'ascendant complet
sur ses compères. Il existe donc un équilibre parfait mais fragile
entre tous les musiciens, chacun ayant une part active et équitable
dans la contribution musicale. Cette version de « Speed King »,
composée fin 1969 et initialement appelée « Kneel And Pray »,
a du nerf et de la furie, ce qui n'était pas totalement le cas de la
première version studio, jouée non pas avec un orgue, mais un piano
acoustique. La basse de Glover est capitale, créant une charpente
rythmique agressive avec la batterie redoutable de Ian Paice. C'est
un parfait soutien pour l'orgue et la guitare, qui propulse les deux
instruments leaders dans une autre dimension. Le jeu de Blackmore sur
la Stratocaster est plus fluide, plus précis.
Il
en va de même pour « Child In Time », interprété par
un groupe en pleine possession de ses capacités. Seul Gillan
trébuche vocalement sur les notes les plus hautes, sans doute un peu
éreinté par les presque six mois de tournée non stop précédents
cette captation. Blackmore se montre moins bavard que sur d'autres
enregistrements en concert, il se révèle plus concis. Son solo est
magique, chaque note est un mot, c'est une ascension vers le cosmos.
Mais
le vrai grand absolu de ce concert est la version de dix-neuf minutes
de « Wring That Neck ». Cet instrumental initialement
gravé sur le second album, Book Of Taliesyn, est ici étendu
et transcendé pour aboutir à une véritable jam Jazz-Rock d'une
perpétuelle et constante inspiration. Le morceau est démarré sur
les chapeaux de roues par un Ritchie Blackmore magique. Les notes
sont précises, luisantes de maîtrise. Son jeu est vif, rapide, sans
la moindre imperfection. Lord a branché son orgue dans les
amplificateurs et jouent sur le contrôle de volume. Cavalcades de
notes de guitare et d'orgue, descentes de manches et de claviers,
c'est une véritable embardée électro-acoustique. Les deux
instruments lead se répondent avec une vivacité et une complicité
extraordinaire, rare, sans jamais se marcher sur les pieds. Ils se
relancent constamment, s'amusent, s'accompagnent, et remettent
constamment du charbon dans la chaudière. Paice et Glover plantent
une rythmique en acier trempé, absolument infaillible, sur laquelle
Blackmore et Lord peuvent sans soucis appuyer leurs improvisations.
Les deux compères se répondent pendant près de dix minutes avant
de s'offrir chacun un instant totalement solo. Lord se lance dans une
improvisation totalement imprégnée de Jazz et de musique religieuse
grégorienne. Paice vient relancer la machine et soutenir Lord dans
une une séquence de Jazz Post-Bop ahurissante de brio, avant de
laisser la place à Blackmore. Ce dernier va poursuivre avec une
séquence inspirée de musique Renaissance, le tout sur sa guitare
électrique. Puis le quintet explose en une dernière salve,
terminant cette superbe pièce de musique.
« Mandrake
Root » clôt le set dans une autre envolée de plus de dix-sept
minutes. Gillan chante comme un possédé, laissant tomber le ton
crooner de son prédécesseur. Ian Paice fracasse ses caisses comme
un dément, Blackmore se prend pour Jimi Hendrix. Le morceau frise
par moments avec « Purple Haze ». Puis le tempo se calme,
et Paice se lance dans un tempo tribal, presque africain. Lord
dégaine en premier, son orgue s'envolant lentement vers une sorte de
transe instrumentale, une incantation électrique, un trip que
rejoint Blackmore. Lord crée une sorte de climat de château hanté
que consolide le guitariste. C'est le sabbat des sorcières. Armé de
sa Stratocaster, il brutalise le vibrato, extirpe de ses six-cordes
des sonorités arabisantes totalement hallucinogènes. Ce qu'il avait
magistralement esquissé sur la version studio du premier album,
Shades Of Deep Purple, gagne en vigueur. Lord et Blackmore
font une petite pause jazzy, soutenus par la batterie folle de Paice,
avant de replonger dans un feu follet de guitare électrique. Lord
clôt le morceau dans une dernière agonie d'orgue Hammond, et le
public explose devant tant de maestria.
Le
second set est d'une autre époque. Deep Purple est déjà dans une
autre dimension : il est devenu un immense vendeur de disques,
et tous ses concerts font le plein dans les plus grandes salles du
monde. Les albums In Rock et Fireball ont connu la
consécration, bientôt suivi du nouveau venu, le définitif Machine
Head, avec ses grands classiques : « Highway Star »,
« Space Truckin », « Lazy » et bien sûr
« Smoke On The Water ».
Deep
Purple revient une nouvelle fois dans le studio de la BBC pour les
remercier de leur soutien. Mike Harding, le présentateur de
l'émission BBC In Concert, se montre plus enthousiaste, et il
a de quoi. Le son est massif, lourd, rageur. L'orgue Hammond est
passé à travers une rampe complète d'amplificateurs Marshall, tout
comme la Stratocaster de Blackmore. Deep Purple entame avec un
nouveau classique : « Highway Star ». Cette version
est dantesque, impeccable. Le chant de Gillan est lumineux, le solo
d'orgue est d'une précision et d'une profondeur rarement atteinte,
et Blackmore est sur un nuage, élevant son solo original, véritable
montée vers les étoiles, à un niveau stratosphérique. La batterie
et la basse sont bien présentes, lourdes, massives, sans concession.
« Strange Kind Of Woman » enchaîne en un Blues râpeux
du meilleur effet, faisant ressembler Deep Purple à Budgie. Deep
Purple va enchaîner pas moins de cinq nouveaux morceaux de son futur
album : « Maybe I'm A Leo », « Never Before »,
« Lazy », « Space Truckin » et « Smoke
On The Water ». Le tout est joué est avec précision et
entrain. Le son est magique, les versions au-dessus de leur pendant
studio. « Lazy » est déjà une véritable envolée de
plus de dix minutes de Boogie infernal sur lequel la guitare de
Blackmore fait des étincelles. « Space Truckin » tient
sur plus de vingt minutes, hélas déjà encombré par un long solo
d'orgue un brin rébarbatif. « Smoke On The Water » est
d'ores et déjà d'une efficacité absolue. La batterie de Paice et
la basse de Glover enfonce le riff dans le sol comme jamais, et le
chant de Gillan a un swing magique.
Le
groupe a crée une telle excitation qu'il doit revenir pour un
rappel, mais alors pas du tout prévu. Blackmore passe près de deux
minutes a accordé une guitare récalcitrante pendant que Lord et
Paice meublent avec brio. Deep Purple reprend alors le « Lucille »
de Little Richard, en feu complet. Le quintet est sur le toit du
monde. Musicalement, ils n'ont pour ainsi dire aucun équivalent, à
part les dieux Led Zeppelin. Yes, Jethro Tull, les Who ou les Rolling
Stones sont déjà sur le bas-côté. Là encore, l'état de grâce
sera de courte durée, le Deep Purple dénommé Mark II explosant en
juillet 1973, les relations entre Gillan et Blackmore ayant atteint
un paroxysme de haine totale. Le dernier album de la formation, Who
Do We Think We Are, sera d'ailleurs bien inférieur à ses
prédécesseurs, et il sera temps pour Deep Purple de tourner la page
et d'évoluer, pour le meilleur. Pourtant, il n'atteindra plus cette
maestria absolue qui fut la sienne entre septembre 1969 et juin 1970,
et durant laquelle Deep Purple tutoya le soleil.
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1 commentaire:
Ce double live, sorti sur le tard, fit son petit effet dans la sphère (plutôt large à l'époque, et surtout naturellement plus éclectique) des amateurs de bon Rock burné. L'objet allait souvent de mains en mains (peu d'ado fortuné dans ladite "sphère") et était immanquablement apprécié.
Certains allant jusqu'à le considérer comme meilleur "Made in Japan", probablement transit par le vif enthousiasme du moment.
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