dimanche 31 juillet 2016

THE RODS 1982

"Mais la musique de The Rods est jouissive d'efficacité."

 
THE RODS : Wild Dogs 1982

Rock'N'Roll et sexe sont deux expériences souvent liées. Alors en recherche d'albums de Heavy-Metal du début des années 80, en particulier de la fameuse New Wave Of British Heavy-Metal, chez un disquaire dont je conservais pieusement l'adresse à Noyon, en Picardie, je tombai sur un album de The Rods. Le nom ne m'était pas inconnu. Il faisait en effet partie des multiples références musicales de Metallica dont j'avais lu le nom. Mais cette fois-ci, il ne s'agissait pas de celles du batteur, mais du guitariste James Hetfield. L'homme était en effet friand de Heavy-Metal tord-boyau, dont deux noms ressortaient fréquemment : Tank et The Rods. Metallica partagea même l'affiche avec ces derniers, eux aussi américains.

Aussi, lorsque je trouvai cet album, le nom percuta immédiatement. Pourtant, j'hésitai un temps avant de l'acheter. Pas qu'il fut trop cher, il était même presque donné. Mais accompagné de ma sœur, et alors âgé de dix-huit ans, je fus gêné d'acheter un disque vinyle dont la pochette représentait une jeune femme en talons et porte-jarretelles blancs, posant de manière plus que suggestive, et léchant ouvertement une banane-godemiché. Le titre de l'album ? Let Them Eat Metal. Je l'achetai, gêné, et le cachai entre deux autres achats, ma sœur m'observant, le sourire en coin. L'album, tardif, datait de 1984, et était un de leurs derniers. Il était pourtant de bonne qualité, suffisamment en tout cas pour que j'insiste sur le sujet. Je retrouvai les autres albums en vinyle, toujours pour un prix dérisoire, avant de localiser des rééditions en disque compact avec bonus, quelques mois plus tard. The Rods devint pour moi un groupe jalon dans ma carrière d'amateur de Rock. Ils n'étaient pas les meilleurs, ni les plus violents, mais avaient dans leur ADN ce côté prolétaire, sale et méchant que l'on retrouvait dans une autre mesure chez Motorhead.

L'histoire de ce trio remonte en fait à bien longtemps. David Feinstein est un jeune guitariste originaire de New York. Fasciné par le Heavy-Blues de Cream, Led Zeppelin et Jeff Beck Group, il se procure une guitare et commence son apprentissage en autodidacte. Il fait bien évidemment de quelques groupes de lycée sans lendemain. Feinstein voulant faire de la musique sa vie, il décide de rechercher un groupe sérieux. Et une occasion en or se présente à lui. Il se propose comme guitariste dans le groupe de son cousin, un certain Ronald Padavona, dont le nom de scène est Ronnie James Dio. Il écume depuis le milieu des années soixante les clubs avec son groupe : Ronnie And The Prophets. A la recherche d'un guitariste, il accepte l'offre de Feinstein. Les deux hommes décident de réorienter la formation vers un son plus Heavy-Rock, et renomme le groupe Ronnie And The Elves, puis The Elves, et enfin Elf. C'est sous ce nom que le quintet obtient la première partie de la tournée américaine de Deep Purple en 1972. Ritchie Blackmore fut alors ébloui par la voix de Dio, et insista pour que ce groupe fasse leur ouverture. Il les fit signer sur leur nouveau label, Purple Records, et un premier album éponyme parut la même année. Elf assura deux autres tournées américaines avec Deep Purple. Mais devant le leadership de plus en plus encombrant de Dio, Feinstein décida de partir en 1973.

Il va vivre de petits boulots et de sessions, avant de rencontrer le batteur Carl Canedy en 1979. Les deux hommes veulent monter un power-trio de Heavy-Metal sans concession, dans la lignée de Cream. Il trouve d'abord comme bassiste un roadie de Black Sabbath, un certain Joey DeMaio. Ce dernier jouera sur les toutes premières démos de The Rods, avant de se consacrer à la tournée de Black Sabbath de 1980… avec Ronnie James Dio au chant. Puis il fondera son propre groupe : Manowar.

Il est remplacé par Steve Farmer, et c'est sous cette formation que The Rods enregistre son premier album en 1980 : Rock Hard. Et effectivement, ça rocke Hard. Le groupe est redoutable d'efficacité et de vélocité. Sans atteindre le niveau de violence sonore de Motorhead, ils sont pour la scène Hard-Metal américaine de sacrés teignes. Cette dernière est alors dominé par des formations au son chromé, séduisant les radios FM par leurs refrains fédérateurs et leurs ballades romantiques. Foreigner, Boston, Heart, Blue Oyster Cult, Kiss ou Journey dominent le terrain, et ont laissé derrière eux le côté agressif et subversif du Hard-Rock pour séduire le grand public. The Rods débarque avec une violence sonore pas entendue depuis les premiers disques de Ted Nugent. Ils sont fortement influencés par la scène européenne qu'ils ont découvert lors de quelques dates à Londres, où le son est en train de basculer du Punk à un nouveau Heavy-Metal à l'énergie décuplée. David Feinstein et Carl Canedy aiment cela, et y voit l'occasion de pouvoir jouer un Hard-Rock Blues puissant inspiré de leurs grands maîtres avec un côté bravache supplémentaire. Il n'est pas étonnant que c'est en Europe que The Rods se fait son premier public.

Gary Bordonaro remplace Farmer, et le premier disque reparaît en 1981 sur le label Arista, qui vient de signer The Rods. Voyant la chance tourner, il enregistre rapidement un second disque en février 1982, Wild Dogs. Il est rapidement suivi d'un EP en concert à Londres, Too Hot To Stop, démontrant toute la férocité du trio sur scène.

Le premier album était déjà doté de l'énergie représentative de la formation, mais ne disposait pas de compositions très fortes. Il va en être tout autre avec Wild Dogs. Gorgé d'hymnes Hard&Heavy, il ne laisse pas une minute de répit à l'auditeur imprudent. Inutile de chercher chez eux la moindre subtilité : il est question de filles faciles, de soirées viriles à base de Rock'N'Roll et de bière, et de gros cubes. Tous les clichés du genre sont là, triomphants. Mais la musique de The Rods est jouissive d'efficacité. D'abord parce que ses trois musiciens sont de sacrées pointures. Feinstein et sa guitare sont littéralement poussés contre le mur par une section rythmique en béton armé, ouvrant le feu comme un canon de 88 mm.

Les hostilités débutent par le venimeux « Too Hot To Stop ». Un riff crade et poisseux. La batterie cogne dur, et la basse vrombit. David Feinstein hurle ses tripes qu'il veut de l'amour jusqu'au bout de la nuit. Le son de la guitare est tendu, presque Punk, et n'est pas sans rappeler celui de Fast Eddie Clarke dans Motorhead. « Waiting For Tomorrow » est un Heavy-Rock véloce, chanté par Carl Canedy. Le timbre de ce dernier est moins hargneux, plus profond, presque Soul. Il est incontestable que l'homme chante bien, et s'avère un excellent contrepoint à Feinstein, qui interprète les morceaux les plus explicitement salaces de sa voix vicelarde de chien enragé.

C'est pourtant lui qui chante l'étonnant « Violation ». Le texte de ce titre est particulièrement dérangeant, puisqu'évoquant un homme couchant avec une jeune fille torride rencontrée un soir. Nous sommes dans la peau du personnage, qui semble se justifier. Puis il annonce que la police vient le chercher, qu'il ne comprend pas, et que le médecin lui donne un traitement. Et Feinstein de hurler sur le refrain : c'est un viol. De la part de ces machos graisseux, il y a de quoi être surpris, mais il s'agit d'une belle preuve d'intelligence de la part de ces trois gaillards. La version en concert capté sur l'album live est introduite par un monologue ressemblant à la déclamation d'un malade mental racontant sa mésaventure, de son point de vue, au fond de sa cellule d'hôpital psychiatrique, avant que le groupe n'achève le morceau dans un déluge de riffs méchants et de choeurs hurlant « It's A Violation ». Le riff mortifère et le tempo plombé appuient encore l'ambiance noire de ce morceau redoutable.

« Burned By Love » est un Hard-Rock mordant chanté par Canedy, suivi du titre éponyme, violent, et très inspiré du son de la NWOBHM, dans son riff brutal comme dans son tempo rapide et cassé. La guitare est presque Punk, et préfigure déjà une forme de Thrash-Metal à venir. Les soli de Feinstein sont rapides comme un desperado. La comparaison avec Fast Eddie Clarke est encore évidente.

La surprise du disque provient de cette reprise de « You Keep Me Hangin On » des Supremes, via la version des Vanilla Fudge. Mais si l'on reprend l'histoire de David Feinstein, rappelons qu'il est de New York, et qu'il a débuté à la fin des années 60, c'est-à-dire au moment où Vanilla Fudge, eux aussi de New York, brillait internationalement. Cette version n'apporte pas grand-chose, et peut même être considéré comme un point faible du disque.

Il n'en est pas de même pour « Rockin'N'Rollin' Again », morceau trépidant et addictif, sublimé dans sa version en concert à Londres quelques mois plus tard. Il ouvrira tous les concerts de l'époque, et remplit parfaitement son rôle de morceau prenant à la gorge d'entrée le public. « End Of The Line » est un Blues-Rock poisseux prétexte à d'excellents soli de Feinstein, et à une prestation vocale de Bordonaro, peu convaincante. « No Sweet Talk Honey » est un macho-Rock est une incandescente embardée de Heavy-Hard brutal qui fait à nouveau la démonstration du brio du trio.

Le disque se conclut par l'excellent et menaçant « The Night Lives To Rock » chanté par Canedy. Notre batteur chante tellement puissamment que son timbre se confond avec celui de Feinstein. Les deux hommes alternent d'ailleurs le chant à un point que l'on finit par les confondre. Le riff violent n'est pas sans rappeler Motorhead et Tank, soit les deux formations anglaises les plus brutales de l'époque. Feinstein déverse un torrent d'acier en fusion sur l'auditeur, avant d'enflammer l'air du kérosène de sa guitare lorsqu'il part en solo.


Assurément, The Rods était le groupe américain à suivre, l'un de ceux ne faisant aucune concession. Dans l'univers clinquant du Hard-FM américain, ils détonnaient sérieusement, mais en Europe, il semblait évident qu'ils avaient tout le potentiel pour devenir un groupe qui compte. Ils ne trouveront malheureusement le succès escompté, rapidement dépassés en violence par leurs compatriotes de San Francisco : Metallica et Slayer. L'Europe connaîtra elle aussi l'arrivée de formations plus brutales comme Venom et Celtic Frost, scellant le destin de The Rods, dont le Hard-Rock jouissif avait pourtant temps à donner. Mais ils se batteront, offrant trois albums et un live supplémentaires tout aussi généreux en électricité rebelle.

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3 commentaires:

Anonyme a dit…

J'ai toujours préféré leur 1er opus (difficile à trouver). Du pur Heavy Rock'n'Roll parfois proche des premiers Nugent.

Le groupe a sorti un dernier disque en 1986, avec un chanteur supplémentaire (du genre puissant), dans un registre purement Heavy-Metal, dans un registre NWOBHM. Une galette introuvable et passée aux oubliettes.


Anonyme a dit…

Par contre, au sujet de la défection de Feinstein au sein d'Elf, il a souvent été écrit qu'il était resté sur le carreau lorsque Blackmore recruta Dio et ses musiciens pour son projet Rainbow.

Et en parlant d'Elf, on retrouve Graig Gruber, l'ex-bassiste d'Elf, (et de Rainbow le temps d'un album), sur ce quatrième disque studio de The Rods.

Julien Deléglise a dit…

En fait, David Feinstein était déjà parti, en 1973. Il a été remplacé par Steve Edwards pour deux albums supplémentaires. Le style était moins Blues Rock et davantage Glam et Honky Tonk, une approche plus commerciale qui n'a pas plu à Feinstein. C'est Edwards qui a été viré par Blackmore pour créer le premier Rainbow.