"Mais
la musique de The Rods est jouissive d'efficacité."
THE
RODS : Wild Dogs 1982
Rock'N'Roll
et sexe sont deux expériences souvent liées. Alors en recherche
d'albums de Heavy-Metal du début des années 80, en particulier de
la fameuse New Wave Of British Heavy-Metal, chez un disquaire dont je
conservais pieusement l'adresse à Noyon, en Picardie, je tombai sur
un album de The Rods. Le nom ne m'était pas inconnu. Il faisait en
effet partie des multiples références musicales de Metallica dont
j'avais lu le nom. Mais cette fois-ci, il ne s'agissait pas de celles
du batteur, mais du guitariste James Hetfield. L'homme était en
effet friand de Heavy-Metal tord-boyau, dont deux noms ressortaient
fréquemment : Tank et The Rods. Metallica partagea même
l'affiche avec ces derniers, eux aussi américains.
Aussi,
lorsque je trouvai cet album, le nom percuta immédiatement.
Pourtant, j'hésitai un temps avant de l'acheter. Pas qu'il fut trop
cher, il était même presque donné. Mais accompagné de ma sœur,
et alors âgé de dix-huit ans, je fus gêné d'acheter un disque
vinyle dont la pochette représentait une jeune femme en talons et
porte-jarretelles blancs, posant de manière plus que suggestive, et
léchant ouvertement une banane-godemiché. Le titre de l'album ?
Let Them Eat Metal. Je l'achetai, gêné, et le cachai entre
deux autres achats, ma sœur m'observant, le sourire en coin.
L'album, tardif, datait de 1984, et était un de leurs derniers. Il
était pourtant de bonne qualité, suffisamment en tout cas pour que
j'insiste sur le sujet. Je retrouvai les autres albums en vinyle,
toujours pour un prix dérisoire, avant de localiser des rééditions
en disque compact avec bonus, quelques mois plus tard. The Rods
devint pour moi un groupe jalon dans ma carrière d'amateur de Rock.
Ils n'étaient pas les meilleurs, ni les plus violents, mais avaient
dans leur ADN ce côté prolétaire, sale et méchant que l'on
retrouvait dans une autre mesure chez Motorhead.
L'histoire
de ce trio remonte en fait à bien longtemps. David Feinstein est un
jeune guitariste originaire de New York. Fasciné par le Heavy-Blues
de Cream, Led Zeppelin et Jeff Beck Group, il se procure une guitare
et commence son apprentissage en autodidacte. Il fait bien évidemment
de quelques groupes de lycée sans lendemain. Feinstein voulant faire
de la musique sa vie, il décide de rechercher un groupe sérieux. Et
une occasion en or se présente à lui. Il se propose comme
guitariste dans le groupe de son cousin, un certain Ronald Padavona,
dont le nom de scène est Ronnie James Dio. Il écume depuis le
milieu des années soixante les clubs avec son groupe : Ronnie
And The Prophets. A la recherche d'un guitariste, il accepte l'offre
de Feinstein. Les deux hommes décident de réorienter la formation
vers un son plus Heavy-Rock, et renomme le groupe Ronnie And The
Elves, puis The Elves, et enfin Elf. C'est sous ce nom que le quintet
obtient la première partie de la tournée américaine de Deep Purple
en 1972. Ritchie Blackmore fut alors ébloui par la voix de Dio, et
insista pour que ce groupe fasse leur ouverture. Il les fit signer
sur leur nouveau label, Purple Records, et un premier album éponyme
parut la même année. Elf assura deux autres tournées américaines
avec Deep Purple. Mais devant le leadership de plus en plus
encombrant de Dio, Feinstein décida de partir en 1973.
Il
va vivre de petits boulots et de sessions, avant de rencontrer le
batteur Carl Canedy en 1979. Les deux hommes veulent monter un
power-trio de Heavy-Metal sans concession, dans la lignée de Cream.
Il trouve d'abord comme bassiste un roadie de Black Sabbath, un
certain Joey DeMaio. Ce dernier jouera sur les toutes premières
démos de The Rods, avant de se consacrer à la tournée de Black
Sabbath de 1980… avec Ronnie James Dio au chant. Puis il fondera
son propre groupe : Manowar.
Il
est remplacé par Steve Farmer, et c'est sous cette formation que The
Rods enregistre son premier album en 1980 : Rock Hard. Et
effectivement, ça rocke Hard. Le groupe est redoutable d'efficacité
et de vélocité. Sans atteindre le niveau de violence sonore de
Motorhead, ils sont pour la scène Hard-Metal américaine de sacrés
teignes. Cette dernière est alors dominé par des formations au son
chromé, séduisant les radios FM par leurs refrains fédérateurs et
leurs ballades romantiques. Foreigner, Boston, Heart, Blue Oyster
Cult, Kiss ou Journey dominent le terrain, et ont laissé derrière
eux le côté agressif et subversif du Hard-Rock pour séduire le
grand public. The Rods débarque avec une violence sonore pas
entendue depuis les premiers disques de Ted Nugent. Ils sont
fortement influencés par la scène européenne qu'ils ont découvert
lors de quelques dates à Londres, où le son est en train de
basculer du Punk à un nouveau Heavy-Metal à l'énergie décuplée.
David Feinstein et Carl Canedy aiment cela, et y voit l'occasion de
pouvoir jouer un Hard-Rock Blues puissant inspiré de leurs grands
maîtres avec un côté bravache supplémentaire. Il n'est pas
étonnant que c'est en Europe que The Rods se fait son premier
public.
Gary
Bordonaro remplace Farmer, et le premier disque reparaît en 1981 sur
le label Arista, qui vient de signer The Rods. Voyant la chance
tourner, il enregistre rapidement un second disque en février 1982,
Wild Dogs. Il est rapidement suivi d'un EP en concert à
Londres, Too Hot To Stop, démontrant toute la férocité du
trio sur scène.
Le
premier album était déjà doté de l'énergie représentative de la
formation, mais ne disposait pas de compositions très fortes. Il va
en être tout autre avec Wild Dogs. Gorgé d'hymnes
Hard&Heavy, il ne laisse pas une minute de répit à l'auditeur
imprudent. Inutile de chercher chez eux la moindre subtilité :
il est question de filles faciles, de soirées viriles à base de
Rock'N'Roll et de bière, et de gros cubes. Tous les clichés du
genre sont là, triomphants. Mais la musique de The Rods est
jouissive d'efficacité. D'abord parce que ses trois musiciens sont
de sacrées pointures. Feinstein et sa guitare sont littéralement
poussés contre le mur par une section rythmique en béton armé,
ouvrant le feu comme un canon de 88 mm.
Les
hostilités débutent par le venimeux « Too Hot To Stop ».
Un riff crade et poisseux. La batterie cogne dur, et la basse
vrombit. David Feinstein hurle ses tripes qu'il veut de l'amour
jusqu'au bout de la nuit. Le son de la guitare est tendu, presque
Punk, et n'est pas sans rappeler celui de Fast Eddie Clarke dans
Motorhead. « Waiting For Tomorrow » est un Heavy-Rock
véloce, chanté par Carl Canedy. Le timbre de ce dernier est moins
hargneux, plus profond, presque Soul. Il est incontestable que
l'homme chante bien, et s'avère un excellent contrepoint à
Feinstein, qui interprète les morceaux les plus explicitement
salaces de sa voix vicelarde de chien enragé.
C'est
pourtant lui qui chante l'étonnant « Violation ». Le
texte de ce titre est particulièrement dérangeant, puisqu'évoquant
un homme couchant avec une jeune fille torride rencontrée un soir.
Nous sommes dans la peau du personnage, qui semble se justifier. Puis
il annonce que la police vient le chercher, qu'il ne comprend pas, et
que le médecin lui donne un traitement. Et Feinstein de hurler sur
le refrain : c'est un viol. De la part de ces machos graisseux,
il y a de quoi être surpris, mais il s'agit d'une belle preuve
d'intelligence de la part de ces trois gaillards. La version en
concert capté sur l'album live est introduite par un monologue
ressemblant à la déclamation d'un malade mental racontant sa
mésaventure, de son point de vue, au fond de sa cellule d'hôpital
psychiatrique, avant que le groupe n'achève le morceau dans un
déluge de riffs méchants et de choeurs hurlant « It's A
Violation ». Le riff mortifère et le tempo plombé appuient
encore l'ambiance noire de ce morceau redoutable.
« Burned
By Love » est un Hard-Rock mordant chanté par Canedy, suivi du
titre éponyme, violent, et très inspiré du son de la NWOBHM, dans
son riff brutal comme dans son tempo rapide et cassé. La guitare
est presque Punk, et préfigure déjà une forme de Thrash-Metal à
venir. Les soli de Feinstein sont rapides comme un desperado. La
comparaison avec Fast Eddie Clarke est encore évidente.
La
surprise du disque provient de cette reprise de « You Keep Me
Hangin On » des Supremes, via la version des Vanilla Fudge.
Mais si l'on reprend l'histoire de David Feinstein, rappelons qu'il
est de New York, et qu'il a débuté à la fin des années 60,
c'est-à-dire au moment où Vanilla Fudge, eux aussi de New York,
brillait internationalement. Cette version n'apporte pas grand-chose,
et peut même être considéré comme un point faible du disque.
Il
n'en est pas de même pour « Rockin'N'Rollin' Again »,
morceau trépidant et addictif, sublimé dans sa version en concert à
Londres quelques mois plus tard. Il ouvrira tous les concerts de
l'époque, et remplit parfaitement son rôle de morceau prenant à la
gorge d'entrée le public. « End Of The Line » est un
Blues-Rock poisseux prétexte à d'excellents soli de Feinstein, et à
une prestation vocale de Bordonaro, peu convaincante. « No
Sweet Talk Honey » est un macho-Rock est une incandescente
embardée de Heavy-Hard brutal qui fait à nouveau la démonstration
du brio du trio.
Le
disque se conclut par l'excellent et menaçant « The Night
Lives To Rock » chanté par Canedy. Notre batteur chante
tellement puissamment que son timbre se confond avec celui de
Feinstein. Les deux hommes alternent d'ailleurs le chant à un point
que l'on finit par les confondre. Le riff violent n'est pas sans
rappeler Motorhead et Tank, soit les deux formations anglaises les
plus brutales de l'époque. Feinstein déverse un torrent d'acier en
fusion sur l'auditeur, avant d'enflammer l'air du kérosène de sa
guitare lorsqu'il part en solo.
Assurément,
The Rods était le groupe américain à suivre, l'un de ceux ne
faisant aucune concession. Dans l'univers clinquant du Hard-FM
américain, ils détonnaient sérieusement, mais en Europe, il
semblait évident qu'ils avaient tout le potentiel pour devenir un
groupe qui compte. Ils ne trouveront malheureusement le succès
escompté, rapidement dépassés en violence par leurs compatriotes
de San Francisco : Metallica et Slayer. L'Europe connaîtra elle
aussi l'arrivée de formations plus brutales comme Venom et Celtic
Frost, scellant le destin de The Rods, dont le Hard-Rock jouissif
avait pourtant temps à donner. Mais ils se batteront, offrant trois
albums et un live supplémentaires tout aussi généreux en
électricité rebelle.
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3 commentaires:
J'ai toujours préféré leur 1er opus (difficile à trouver). Du pur Heavy Rock'n'Roll parfois proche des premiers Nugent.
Le groupe a sorti un dernier disque en 1986, avec un chanteur supplémentaire (du genre puissant), dans un registre purement Heavy-Metal, dans un registre NWOBHM. Une galette introuvable et passée aux oubliettes.
Par contre, au sujet de la défection de Feinstein au sein d'Elf, il a souvent été écrit qu'il était resté sur le carreau lorsque Blackmore recruta Dio et ses musiciens pour son projet Rainbow.
Et en parlant d'Elf, on retrouve Graig Gruber, l'ex-bassiste d'Elf, (et de Rainbow le temps d'un album), sur ce quatrième disque studio de The Rods.
En fait, David Feinstein était déjà parti, en 1973. Il a été remplacé par Steve Edwards pour deux albums supplémentaires. Le style était moins Blues Rock et davantage Glam et Honky Tonk, une approche plus commerciale qui n'a pas plu à Feinstein. C'est Edwards qui a été viré par Blackmore pour créer le premier Rainbow.
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