"C'est
une musique sépulcrale, funérale."
PENTAGRAM :
Relentless 1985
Le
Rock peut aussi être une malédiction. Il est souvent un choix
courageux et hasardeux, qui nécessite tout le courage d'hommes prêts
à sacrifier leurs existences pour vivre de leur musique plutôt que
de pourrir dans un bureau à courir après une vie de banlieue
étriquée. Parcourir le monde, jouer tous les soirs, monter sur
scène et affronter le public dans un maelstrom de décibels, voilà
ce que tous les musiciens rêvent un jour de vivre. La réalité
souvent les rattrape, terrible, froide. Les salles ne se remplissent
pas, aucune maison de disque ne signe le groupe, et peu à peu, les
musiciens retournent à leur paisible existence d'inconnus dans la
foule, se remémorant avec émotion ces instants de folie et d'espoir
fou qu'un jour, rien ne serait comme ce triste quotidien. Et puis il
y a les furieux. Les acharnés, les sombres héros du Rock'N'Roll.
Ces êtres maudits que la Mort épargna afin de mieux vivre le
Valhalla de la vie de musicien.
Bobby
Liebling est un bien curieux personnage. Il n'est pas vraiment le
prototype du banlieusard américain classique, pas plus que le fils
des laissers-pour-compte de l'Amérique, comme Iggy Pop et sa famille
vivant dans un mobile-home dans la banlieue de Detroit, à Ann
Harbor. La famille Liebling vit dans le comté de Arlington, en
Virginie, dans la banlieue de Washington DC, et M. Liebling travaille
comme cadre haut placé au Ministère de la Défense. Pas vraiment le
genre malheureux, ou oublié de la bonne société américaine.
Pourtant, c'est bien leur gamin, Bobby, qui tomba fou amoureux de
cette Rock Music au point d'y consacrer toute sa vie, voire même de
la sacrifier totalement, quel qu'en soit le prix.
Bobby
Liebling va devenir un érudit du Heavy-Rock, trouvant sa voie
musicale avec les Rolling Stones, Jeff Beck, mais aussi de bien plus
obscurs équipages comme Blue Cheer, Mountain, les Stooges, MC5 ou
Sir Lord Baltimore, soit tout ce que le Rock américain peut offrir
de plus violent à cette époque. C'est dans la boutique du disquaire
d'Arlington que Bobby rencontra en 1971 le premier batteur du futur
Pentagram, Geoff O'Keefe, les deux hommes étant les deux seuls
clients à avoir commandé le second disque de Sir Lord Baltimore
juste avant sa parution. Pentagram sera le nom de l'équipage. Les
échecs vont se succéder, les musiciens peinant à trouver des
concerts au-delà de l'état de Washington DC malgré une réputation
flatteuse, la carrière du quartet va échouer sur plusieurs
opportunités. A cela une raison : Bobby Liebling. Malgré un
vrai talent de compositeur, de chanteur et de showman, il devient
incontrôlable, violent, de plus en plus noir et agressif, le
caractère empoisonné d'héroïne. Ainsi, les producteurs de Blue
Oyster Cult voudront les signer en 1975, puis Paul Stanley et Gene
Simmons de Kiss en 1976, mais par deux fois, Bobby Liebling conclut
chaque session d'enregistrement de bandes de démonstration en rixe.
Peu à peu, les musiciens se sauvent, et le premier Pentagram meurt
en 1976. Bobby Liebling fonde un nouveau groupe, le High Voltage
Band, avec le batteur Joe Hasselvander et le bassiste Martin Swaney.
Le désormais quintet, redevenu Pentagram, doté de deux guitaristes
doit assurer la première partie de Judas Priest sur leur tournée
américaine de 1979. Mais le groupe, absolument incontrôlable et
d'une puissance absolument terrifiante, vient à bout de la patience
des pourtant solides anglais de Birmingham. Le second Pentagram
meurt, et Bobby Liebling retourne se détruire à grands coups de
seringue, le tout au crochet de ses pauvres parents qui assistent
impuissant à la descente en enfer de leur fils unique.
Mais
lorsque Joe Hasselvander et Martin Swaney rejoigne un guitariste fan
de Black Sabbath du nom de Victor Griffin au sein d'un projet du nom
de Death Row en 1981, c'est Bobby Liebling qu'ils appellent pour
tenir le micro. Peu à peu, Pentagram était devenu de moins en moins
Hard-Rock et de plus en plus Heavy-Metal. Le groupe fut toujours doté
de guitaristes novateurs et virtuoses. Griffin est un musicien
compétent mais plus brutal dans son approche, à l'instar de Tony
Iommi de Black Sabbath. Il a un son unique d'égoût, noir comme le
jais, accordé très bas, résonnant comme une cave en Enfer. Les
quatre musiciens s'habillent de noir, et même se maquillent le
visage en blanc, et se charbonnent les yeux de noir tels des damnés.
Sans le savoir, ils annoncent le corpse-paint du Black-Metal,
également ébauché par des groupes aussi brutaux que Mercyful Fate
et Celtic Frost.
Death
Row ratisse les clubs de Washington DC avec un consciencieux morbide.
Cette bande de sauvages, drogués, alcooliques, nihilistes et
passionnés par tout ce que le Rock a pu produire comme musique
violente durant les années 70 glace le sang du public comme des
promoteurs et des labels. Il n'existe alors pas de groupe plus noir,
plus dangereux que Pentagram. Il y a bien le Punk Hardcore des Bad
Brains ou de Black Flag, les prémices de Slayer ou Metallica. Mais
cela n'a aucune mesure avec le groupe de Bobby Liebling. Ces hommes
ont vu l'Enfer, et en sont revenus. Leur musique est façonnée
depuis dix longues années, travaillée, forgée, implacable. C'est
un travail d'esthète, à la précision de psychopathe. Ils ne sont
pas un jeune groupe de fougueux gamins émerveillés par le nouveau
Heavy-Metal anglais du début des années 80, mais de sombres savants
qui ont patiemment élaboré leur noir Rock avec la plus obscure des
matières de la décennie précédente. Leur imagination aussi
incandescente que brillante a fait le reste, et Death Row tétanise
chaque audience de son terrifiant dessein.
A
force de ne pas signer sur un quelconque label, Death Row décide
d'enregistrer une bande de démonstration équivalente à un
trente-trois tours, avec ses propres moyens. Afin de mieux coller à
l'atmosphère lugubre de leur musique, mais aussi parce que Bobby
Liebling est à la fois le doyen de la bande et le principal
pourvoyeur de chansons, dont le précédent groupe a toujours sa
petite réputation dans le secteur, Death Row redevient Pentagram.
Les morceaux sont captés en 1984, et une première parution en
auto-production se concrétise l'année suivante. C'est grâce à
cette démo que le label Napalm Records puis Peaceville les signera
et sortira officiellement l'album tel quel sous le nom de Relentless
la même année, en 1985.
Lorsque
l'on parle de musique Metal extrême, on cite constamment Venom,
Celtic Frost, et Mercyful Fate, ouvrant la voix au Thrash-Metal
américain de Metallica et Slayer. Il est vrai que ces deux groupes
publièrent leurs premiers disques en 1983, soit deux années avant
Pentagram. Pourtant, ce dernier ne doit pas être négligé, car son
apport à la musique Rock est capital. Il va, avec Saint-Vitus et The
Obsessed, ouvrir la voix à un Heavy-Metal noir et violent, bien que
toujours ancré dans une culture musicale profondément seventies :
le Doom. Les galères et les concerts aux côtés de la scène Punk
Hardcore va forger le caractère de ces curieux combattants aux poils
longs, comme des hippies dégénérés, zombies venus d'entre les
morts d'Altamont pour hanter l'héritage niais et bien-pensant des
stars West Coast du show-business américain. Ils sont le bas-fond du
Rock international, un underground craint et redouté, que bien peu
évoque, ou alors avec une forme de condescendance arrogante pour ce
que l'on considère comme de mauvais ersatzs de Black Sabbath, le
quatuor anglais souffrant déjà lui-même d'une bien piètre
réputation au sein de la presse musicale internationale. Ce sera
bien là tout leur malheur, et il faudra des décennies pour
qu'enfin, et à force de citations par toutes les générations
suivantes de musiciens affiliés Stoner-Rock, l'on reconnaisse un
tant soit peu de crédibilité à Pentagram. La reprise de « When
The Scream Comes » par les Dead Weathers de Jack White achèvera
la hype autour du groupe de Bobby Liebling, revenu une nouvelle fois
d'un voyage aux confins de la Mort.
Relentless
débute par « Death Row », violent mid-tempo épais comme
un tapis de goudron. Le riff arrache les tympans de ses fréquences
basses et son aridité retorse. C'est une merveille de noirceur, à
la fois mélancolique et menaçant. « All Your Sins »
poursuit sur le même tempo, mais cette fois, la menace domine. Bobby
Liebling incante, mage maléfique condamnant les âmes à expier
leurs péchés dans les flammes de l'Enfer. Le jeu de batterie de Joe
Hasselvander brille sur ces rythmes poisseux, sa charley semblant
coller puis rebondir sur la caisse claire. La sonorité unique de ses
percussions fait des merveilles, implacable et souple à la fois.
Martin Swaney fait vrombir sa grosse basse Fender Jazz entre le riff
râpeux et les caisses pour lier ce flux de lave en fusion
dévastateur.
Le
rythme s'accélère avec le violent « Sign Of The Wolf ».
Bobby Liebling n'est pas un chanteur virtuose montant dans les aigus
ou roucoulant la Soul. C'est un narrateur, au timbre particulier,
appuyant chaque syllabe sous le coup de riff et de caisse claire, et
rugissant de colère pour ponctuer sa déclamation funeste. « Sign
Of The Wolf » est un rare morceau de Doom rapide, rendant ce
Heavy-Metal encore plus dangereux une fois mû de vitesse. « The
Ghoul » revient à ce tempo collant, et cette atmosphère
hantée. Pentagram n'a jamais aussi bien retranscrit les sombres
paysages de films d'horreur ou de romans fantastiques d'Edgar Allan
Poe ou HP Lovecraft qu'avec ce disque. C'est une musique sépulcrale,
funérale.
« Relentless »
relance à nouveau la bataille par un riff aussi vif que mordant,
avant d'écraser violemment la nuque de l'auditeur impuissant. Victor
Griffin râcle le bois de sa Gibson Les Paul Junior avec frénésie.
C'est une danse possédée, une transe luciférienne. Les quatre
mages écrase le rythme avec obsession. Hasselvander dans ses œuvres
tape avec un groove impeccable, apportant de la férocité et du
souffle à la musique de Pentagram, comme John Bonham portant Led
Zeppelin.
« Run
My Course » est un Speed-Metal venimeux, annonçant la lente
procession de « Sinister ». Ce morceau définit à lui
seul le terme de Doom, de son tempo à ses paroles. C'est une
promenade noire dans un cimetière abandonnée un soir de pleine
Lune, pris d'une peur de plus en plus irrationnelle. « The
Deist » est un violent Heavy-Metal au riff tournoyant dans
l'air comme un Black Sabbath jouant du Thrash. Evoquant les sectes,
la soumission mentale, l'implacable laisse de courtes phases de
mélancolie. « The Deist » est suffocant, prenant la
gorge. Le solo de Griffin est une raie de lumière blafarde dans la
nuit, aux teintes à la fois Blues, les notes tremblotant dans la
pénombre. « You're Lost, I'm Free » ne permet pas de
reprendre sa respiration, plongeant l'auditeur dans un mid-tempo au
riff agressif et tendu en forme de chute libre vers le désespoir
totale, la Mort comme seule issue.
« Dying
World » est une violente heavy song, la plus Thrash de toute
dans l'esprit. Malgré cette comparaison que l'on qualifiera de plus
moderne, Pentagram ne joue pas le Thrash comme les jeunes loups de la
Bay Area. Eux jouent avec une densité impénétrable, toujours
empreint de cette sonorité typique héritée des années 70. On
pense à Mountain, à Budgie, ou aux Stooges. « 20 Buck Spin »
sonne lui aussi très seventies, et pour cause. Bobby Liebling
recycle en effet ses vieilles chansons de cette décennie, chose
qu'il fera sur tous les albums du groupe jusqu'à ce jour. Il leur
assure ainsi une pérennité sur disque qu'elles n'ont jamais eu lors
de leur création. C'est ce qui donne cette saveur si particulière :
des chansons de Heavy-Rock des années 70 revisitées avec le son
brutal et sans concession du Heavy-Metal des années 80 imprégné de
Black Sabbath.
Pentagram
publie ainsi son premier album après quatorze années de galères,
d'échecs et d'occasions manquées. Cette musique, pétrie depuis des
années, lentement empoisonnée de drogue dure, de désillusion, est
devenue sans concession. Elle est unique, et va marquer durablement
les amateurs de Heavy-Metal cherchant ce que cette musique à offrir
de plus brutal. Pentagram a désormais capté sur bandes une musique
à la hauteur de sa légende noire, et va poursuivre son odyssée
nihiliste, portée par la personnalité complexe de Bobby Liebling.
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