mardi 5 juillet 2016

PENTAGRAM 1985

"C'est une musique sépulcrale, funérale."

PENTAGRAM : Relentless 1985

Le Rock peut aussi être une malédiction. Il est souvent un choix courageux et hasardeux, qui nécessite tout le courage d'hommes prêts à sacrifier leurs existences pour vivre de leur musique plutôt que de pourrir dans un bureau à courir après une vie de banlieue étriquée. Parcourir le monde, jouer tous les soirs, monter sur scène et affronter le public dans un maelstrom de décibels, voilà ce que tous les musiciens rêvent un jour de vivre. La réalité souvent les rattrape, terrible, froide. Les salles ne se remplissent pas, aucune maison de disque ne signe le groupe, et peu à peu, les musiciens retournent à leur paisible existence d'inconnus dans la foule, se remémorant avec émotion ces instants de folie et d'espoir fou qu'un jour, rien ne serait comme ce triste quotidien. Et puis il y a les furieux. Les acharnés, les sombres héros du Rock'N'Roll. Ces êtres maudits que la Mort épargna afin de mieux vivre le Valhalla de la vie de musicien.

Bobby Liebling est un bien curieux personnage. Il n'est pas vraiment le prototype du banlieusard américain classique, pas plus que le fils des laissers-pour-compte de l'Amérique, comme Iggy Pop et sa famille vivant dans un mobile-home dans la banlieue de Detroit, à Ann Harbor. La famille Liebling vit dans le comté de Arlington, en Virginie, dans la banlieue de Washington DC, et M. Liebling travaille comme cadre haut placé au Ministère de la Défense. Pas vraiment le genre malheureux, ou oublié de la bonne société américaine. Pourtant, c'est bien leur gamin, Bobby, qui tomba fou amoureux de cette Rock Music au point d'y consacrer toute sa vie, voire même de la sacrifier totalement, quel qu'en soit le prix.

Bobby Liebling va devenir un érudit du Heavy-Rock, trouvant sa voie musicale avec les Rolling Stones, Jeff Beck, mais aussi de bien plus obscurs équipages comme Blue Cheer, Mountain, les Stooges, MC5 ou Sir Lord Baltimore, soit tout ce que le Rock américain peut offrir de plus violent à cette époque. C'est dans la boutique du disquaire d'Arlington que Bobby rencontra en 1971 le premier batteur du futur Pentagram, Geoff O'Keefe, les deux hommes étant les deux seuls clients à avoir commandé le second disque de Sir Lord Baltimore juste avant sa parution. Pentagram sera le nom de l'équipage. Les échecs vont se succéder, les musiciens peinant à trouver des concerts au-delà de l'état de Washington DC malgré une réputation flatteuse, la carrière du quartet va échouer sur plusieurs opportunités. A cela une raison : Bobby Liebling. Malgré un vrai talent de compositeur, de chanteur et de showman, il devient incontrôlable, violent, de plus en plus noir et agressif, le caractère empoisonné d'héroïne. Ainsi, les producteurs de Blue Oyster Cult voudront les signer en 1975, puis Paul Stanley et Gene Simmons de Kiss en 1976, mais par deux fois, Bobby Liebling conclut chaque session d'enregistrement de bandes de démonstration en rixe. Peu à peu, les musiciens se sauvent, et le premier Pentagram meurt en 1976. Bobby Liebling fonde un nouveau groupe, le High Voltage Band, avec le batteur Joe Hasselvander et le bassiste Martin Swaney. Le désormais quintet, redevenu Pentagram, doté de deux guitaristes doit assurer la première partie de Judas Priest sur leur tournée américaine de 1979. Mais le groupe, absolument incontrôlable et d'une puissance absolument terrifiante, vient à bout de la patience des pourtant solides anglais de Birmingham. Le second Pentagram meurt, et Bobby Liebling retourne se détruire à grands coups de seringue, le tout au crochet de ses pauvres parents qui assistent impuissant à la descente en enfer de leur fils unique.

Mais lorsque Joe Hasselvander et Martin Swaney rejoigne un guitariste fan de Black Sabbath du nom de Victor Griffin au sein d'un projet du nom de Death Row en 1981, c'est Bobby Liebling qu'ils appellent pour tenir le micro. Peu à peu, Pentagram était devenu de moins en moins Hard-Rock et de plus en plus Heavy-Metal. Le groupe fut toujours doté de guitaristes novateurs et virtuoses. Griffin est un musicien compétent mais plus brutal dans son approche, à l'instar de Tony Iommi de Black Sabbath. Il a un son unique d'égoût, noir comme le jais, accordé très bas, résonnant comme une cave en Enfer. Les quatre musiciens s'habillent de noir, et même se maquillent le visage en blanc, et se charbonnent les yeux de noir tels des damnés. Sans le savoir, ils annoncent le corpse-paint du Black-Metal, également ébauché par des groupes aussi brutaux que Mercyful Fate et Celtic Frost.

Death Row ratisse les clubs de Washington DC avec un consciencieux morbide. Cette bande de sauvages, drogués, alcooliques, nihilistes et passionnés par tout ce que le Rock a pu produire comme musique violente durant les années 70 glace le sang du public comme des promoteurs et des labels. Il n'existe alors pas de groupe plus noir, plus dangereux que Pentagram. Il y a bien le Punk Hardcore des Bad Brains ou de Black Flag, les prémices de Slayer ou Metallica. Mais cela n'a aucune mesure avec le groupe de Bobby Liebling. Ces hommes ont vu l'Enfer, et en sont revenus. Leur musique est façonnée depuis dix longues années, travaillée, forgée, implacable. C'est un travail d'esthète, à la précision de psychopathe. Ils ne sont pas un jeune groupe de fougueux gamins émerveillés par le nouveau Heavy-Metal anglais du début des années 80, mais de sombres savants qui ont patiemment élaboré leur noir Rock avec la plus obscure des matières de la décennie précédente. Leur imagination aussi incandescente que brillante a fait le reste, et Death Row tétanise chaque audience de son terrifiant dessein.

A force de ne pas signer sur un quelconque label, Death Row décide d'enregistrer une bande de démonstration équivalente à un trente-trois tours, avec ses propres moyens. Afin de mieux coller à l'atmosphère lugubre de leur musique, mais aussi parce que Bobby Liebling est à la fois le doyen de la bande et le principal pourvoyeur de chansons, dont le précédent groupe a toujours sa petite réputation dans le secteur, Death Row redevient Pentagram. Les morceaux sont captés en 1984, et une première parution en auto-production se concrétise l'année suivante. C'est grâce à cette démo que le label Napalm Records puis Peaceville les signera et sortira officiellement l'album tel quel sous le nom de Relentless la même année, en 1985.

Lorsque l'on parle de musique Metal extrême, on cite constamment Venom, Celtic Frost, et Mercyful Fate, ouvrant la voix au Thrash-Metal américain de Metallica et Slayer. Il est vrai que ces deux groupes publièrent leurs premiers disques en 1983, soit deux années avant Pentagram. Pourtant, ce dernier ne doit pas être négligé, car son apport à la musique Rock est capital. Il va, avec Saint-Vitus et The Obsessed, ouvrir la voix à un Heavy-Metal noir et violent, bien que toujours ancré dans une culture musicale profondément seventies : le Doom. Les galères et les concerts aux côtés de la scène Punk Hardcore va forger le caractère de ces curieux combattants aux poils longs, comme des hippies dégénérés, zombies venus d'entre les morts d'Altamont pour hanter l'héritage niais et bien-pensant des stars West Coast du show-business américain. Ils sont le bas-fond du Rock international, un underground craint et redouté, que bien peu évoque, ou alors avec une forme de condescendance arrogante pour ce que l'on considère comme de mauvais ersatzs de Black Sabbath, le quatuor anglais souffrant déjà lui-même d'une bien piètre réputation au sein de la presse musicale internationale. Ce sera bien là tout leur malheur, et il faudra des décennies pour qu'enfin, et à force de citations par toutes les générations suivantes de musiciens affiliés Stoner-Rock, l'on reconnaisse un tant soit peu de crédibilité à Pentagram. La reprise de « When The Scream Comes » par les Dead Weathers de Jack White achèvera la hype autour du groupe de Bobby Liebling, revenu une nouvelle fois d'un voyage aux confins de la Mort.

Relentless débute par « Death Row », violent mid-tempo épais comme un tapis de goudron. Le riff arrache les tympans de ses fréquences basses et son aridité retorse. C'est une merveille de noirceur, à la fois mélancolique et menaçant. « All Your Sins » poursuit sur le même tempo, mais cette fois, la menace domine. Bobby Liebling incante, mage maléfique condamnant les âmes à expier leurs péchés dans les flammes de l'Enfer. Le jeu de batterie de Joe Hasselvander brille sur ces rythmes poisseux, sa charley semblant coller puis rebondir sur la caisse claire. La sonorité unique de ses percussions fait des merveilles, implacable et souple à la fois. Martin Swaney fait vrombir sa grosse basse Fender Jazz entre le riff râpeux et les caisses pour lier ce flux de lave en fusion dévastateur.

Le rythme s'accélère avec le violent « Sign Of The Wolf ». Bobby Liebling n'est pas un chanteur virtuose montant dans les aigus ou roucoulant la Soul. C'est un narrateur, au timbre particulier, appuyant chaque syllabe sous le coup de riff et de caisse claire, et rugissant de colère pour ponctuer sa déclamation funeste. « Sign Of The Wolf » est un rare morceau de Doom rapide, rendant ce Heavy-Metal encore plus dangereux une fois mû de vitesse. « The Ghoul » revient à ce tempo collant, et cette atmosphère hantée. Pentagram n'a jamais aussi bien retranscrit les sombres paysages de films d'horreur ou de romans fantastiques d'Edgar Allan Poe ou HP Lovecraft qu'avec ce disque. C'est une musique sépulcrale, funérale.

« Relentless » relance à nouveau la bataille par un riff aussi vif que mordant, avant d'écraser violemment la nuque de l'auditeur impuissant. Victor Griffin râcle le bois de sa Gibson Les Paul Junior avec frénésie. C'est une danse possédée, une transe luciférienne. Les quatre mages écrase le rythme avec obsession. Hasselvander dans ses œuvres tape avec un groove impeccable, apportant de la férocité et du souffle à la musique de Pentagram, comme John Bonham portant Led Zeppelin.

« Run My Course » est un Speed-Metal venimeux, annonçant la lente procession de « Sinister ». Ce morceau définit à lui seul le terme de Doom, de son tempo à ses paroles. C'est une promenade noire dans un cimetière abandonnée un soir de pleine Lune, pris d'une peur de plus en plus irrationnelle. « The Deist » est un violent Heavy-Metal au riff tournoyant dans l'air comme un Black Sabbath jouant du Thrash. Evoquant les sectes, la soumission mentale, l'implacable laisse de courtes phases de mélancolie. « The Deist » est suffocant, prenant la gorge. Le solo de Griffin est une raie de lumière blafarde dans la nuit, aux teintes à la fois Blues, les notes tremblotant dans la pénombre. « You're Lost, I'm Free » ne permet pas de reprendre sa respiration, plongeant l'auditeur dans un mid-tempo au riff agressif et tendu en forme de chute libre vers le désespoir totale, la Mort comme seule issue.

« Dying World » est une violente heavy song, la plus Thrash de toute dans l'esprit. Malgré cette comparaison que l'on qualifiera de plus moderne, Pentagram ne joue pas le Thrash comme les jeunes loups de la Bay Area. Eux jouent avec une densité impénétrable, toujours empreint de cette sonorité typique héritée des années 70. On pense à Mountain, à Budgie, ou aux Stooges. « 20 Buck Spin » sonne lui aussi très seventies, et pour cause. Bobby Liebling recycle en effet ses vieilles chansons de cette décennie, chose qu'il fera sur tous les albums du groupe jusqu'à ce jour. Il leur assure ainsi une pérennité sur disque qu'elles n'ont jamais eu lors de leur création. C'est ce qui donne cette saveur si particulière : des chansons de Heavy-Rock des années 70 revisitées avec le son brutal et sans concession du Heavy-Metal des années 80 imprégné de Black Sabbath.


Pentagram publie ainsi son premier album après quatorze années de galères, d'échecs et d'occasions manquées. Cette musique, pétrie depuis des années, lentement empoisonnée de drogue dure, de désillusion, est devenue sans concession. Elle est unique, et va marquer durablement les amateurs de Heavy-Metal cherchant ce que cette musique à offrir de plus brutal. Pentagram a désormais capté sur bandes une musique à la hauteur de sa légende noire, et va poursuivre son odyssée nihiliste, portée par la personnalité complexe de Bobby Liebling.

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