"Caché
dans la montagne. C'était donc ça."
YELLOW
TOWN : Hidden In The Mountain 2016
Il
est 20h30 à Autun, petite cité historique de Saône-Et-Loire nichée
aux portes des collines du Morvan. L'air est frais dans les rues de
ce mois de juillet censé être estival. Mes parents et moi-même
nous dirigeons vers un pub irlandais de la ville, où se joue un
petit concert pour une poignée de spectateurs. Je n'attends
d'habitude pas grand-chose de ce genre de sets, à part passer un
moment agréable en buvant une bière. Je suis peu confiant envers la
scène musicale locale, d'où qu'elle soit. Pas très inspirée,
maladroite, elle déborde jusqu'à la lie de ce cocktail de Pop-Folk
électro un peu bobo sans grand intérêt pour mes oreilles
sensibles. Je ne suis de toute façon pas venue dans le Morvan pour
écouter de la musique, mais pour passer un moment en famille. Les
soucis de ces derniers mois m'ont parfois fait perdre de vue
l'essentiel, et je ressens le besoin d'y revenir, à ce fondamental,
avant d'avoir le moindre regret.
Autun
est une petite ville agréable, à la riche histoire
multi-millénaire. Il se cache partout dans cette campagne de jolis
sites, des vues prenantes émerveillant l'oeil averti, encore
relativement vierge de tout saccage touristique à grande échelle.
Il se dégage pourtant de cette ville et de ces villages alentours
une grande mélancolie. On y voit une population vieillissante,
agricole, déambulée sur les petits marchés subsistant localement,
exhalant une atmosphère de sérénité rurale séculaire. Partout,
des maisons sont abandonnées ou à vendre, des usines fermées,
traces d'une activité humaine riche, entre agriculture familiale et
vie ouvrière. Tout cela s'éteint doucement, dans une forme de
résignation et d'amertume. Les hollandais en recherche d'une
résidence secondaire à moindre coût ont racheté quelques
bâtisses, ne remplaçant pas la vie simple de tous les jours,
enfuie, qui animaient les rues des bourgades du Morvan. Et certains
de ces envahisseurs à l'étrange accent partent, lassés de ces
terres rudes à la poésie enfouie dans sa terre.
Ces
quelques jours me sont appréciables, et me permettent une pause dans
des instants toujours compliqués, invariablement depuis presque
trois ans. Ils avaient bien mal commencé, victime d'un sale microbe
qui me ravagea les tripes pendant vingt-quatre heures. Mais comme il
semble que rien ne soit simple et aisé lorsque je décide
d'entreprendre quelque chose, je suis résigné. Je suis assis à ma
table en pin, devant une pinte de bière ambrée, l'esprit fatigué,
face à la petite scène improvisée en pleine rue. Ma mère me
montra le dépliant informant du concert de ce soir. Une rapide
présentation entre enthousiasme gratuit et platitudes de rigueur
évoque une formation originaire de Nevers : Yellow Town. Le
style musical indiqué est absolument fourre-tout et sans intérêt :
Folk-Rock. Mais cela me semble être tout à fait suffisant pour
boire une pinte tranquillement.
A
la table à côté de nous, un jeune homme barbu finit de manger avec
trois autres personnes d'une cinquantaine d'années. Il me paraît
clair qu'ils sont les musiciens, et leur apparence sympathique et
sans prétention m'informe qu'il s'agira d'un set agréable. Deux
d'entre eux monteront finalement sur scène : le jeune homme
empoignant une guitare Gretsch hollow-body noire et son comparse un
kit de batterie. Dès les premiers accords à la fois électriques et
pleins de réverb, il me paraît clair que je n'assisterai pas à un
simple concert de rue classique. La voix est d'abord un peu noyé
dans le mix, avant de se clarifier pour en révéler son âme. Le
jeune homme chante bien, avec une voix très naturelle, peu forcée,
avec de la personnalité. Il n'a pas les manières des chanteurs
d'émissions de télévision, cherchant à se donner un style avant
de chanter juste. Il s'agit clairement de ses propres compositions
qu'il semble vivre avec conviction, les yeux fermés. Premier chorus
de note en picking, jouant avec le larsen, de grands accords en
chords, visiblement, notre homme est manifestement inspiré par Neil
Young. Voilà une bien belle référence pour un musicien français.
Nous n'aurons pas droit ce soir à un brouet de Ben Harper-John
Butler devenu aussi systématique que fatiguant. Accompagné d'un
percussionniste aussi efficace que discret, totalement au service du
leader du duo, les mélodies font effet. Il ne s'agit pas de pâles
copies de Neil Young, mais d'une musique originale abordant aussi les
terres américaines de Bob Dylan. La guitare acoustique est utilisée
d'une manière tout aussi réjouissante, utilisant un micro pour
créer de grands accords électriques à la manière de John Martyn.
Quelques reprises aussi osées que judicieuses se mêlent aux
compositions originales : « Ohio » de
Crosby-Stills-Nash And Young, et « Voodoo Chile » de Jimi
Hendrix, dans une version poussiéreuse et rugueuse, ou notre homme
n'ira surtout pas se frotter à la virtuosité de l'auteur original,
mais va utiliser la mélodie pour y injecter sa personnalité.
Le
concert va bien tristement être gâché par des averses puis un
violent orage, qui vont couper net l'intérêt du public, le nez dans
son assiette, pourtant crée au bout du second morceau. Il sera ruiné
définitivement, le set se terminant sous des trombes d'eau. Je
tenterai de suivre cette prestation digne d'intérêt pauvrement
abrité, moi et mon père, sous une entrée d'immeuble jouxtant le
côté gauche de la scène, avant de battre tristement en retraite au
dernier morceau. Las, conscients que le public s'est dispersé et que
le matériel est en danger, Yellow Town se réfugie avec une guitare
et une percussion dans le pub pour jouer quelques morceaux en
acoustique. Je n'y assisterai pas. Le Pub déjà bondé du public
réfugié et mon père trempé et transi de froid me feront choisir
la voie de la raison, et nous battons retraite. Je n'ai que le temps
de demander où trouver le disque du duo au batteur, qui m'indique
leurs deux amis encore sur la scène, démontant le matériel. Je
récupère un exemplaire, puis nous nous éclipsons dans la nuit, le
vent, la pluie et les grands éclairs électriques. En rentrant,
séché, je glisse rapidement le disque dans la chaîne de la maison.
Dès les premiers morceaux, je retrouve la saveur du concert, je
reconnais quelques chansons. Je suis rassuré, l'album est à la
hauteur des attentes dessinées par le concert. Je pars me coucher,
content de ma découverte.
Nevers.
Ville nichée au coeur du Morvan, capitale de la Nièvre,
essentiellement connue par les parisiens pour son circuit et son
Grand Prix de moto, elle est dotée de cette même atmosphère de fin
de règne ressentie à Autun. Perdue dans les collines verdoyantes,
blottie dans une grande forêt séculaire, elle se bat pour survivre.
Une petite scène artistique tente de faire vivre le coeur de la
vieille cité agricole et fluviale, loin de tout, animée par
quelques groupes et quelques bars. On y retrouve un patrimoine
historique cher aux petites villes de province des vieilles régions
de Bourgogne et Franche-Comté. De beaux monuments aux taille
modestes mais à l'intérêt certain, sont disséminés à travers
les rues et les sentiers, comme figés dans le temps, contemplant le
siècle de leur désolation. Les populations y sont attachées, comme
à ces campagnes calmes et fraîches, encore préservées de la
violence urbaine et du tourisme à sandales-chaussettes. J'y ai passé
quelques week-ends à Nevers, m'y rendant pour le travail comme pour
des rencontres amoureuses furtives. Traverser les grandes forêts en
voiture, sillonner ces vertes prairies m'avait donné la sensation
d'une nouvelle liberté, l'esprit encore troublée par la confusion
d'une rupture violente qui m'avait conduit au bord du précipice. Je
n'avais pas trouvé ce que je cherchais, mais je fus touché par
l'âme de ces paysages et de ces pierres. Nevers, Autun… elles
étaient les cités d'un autre monde, sur le fil tendu entre
tristesse et douceur de vivre.
C'est
tout cela que j'ai retrouvé sur ce disque : Hidden In The
Mountain. Caché dans la montagne. C'était donc ça. Comme un
ermite, comme un résistant, j'avais moi aussi trouvé refuge dans
les collines du Morvan. Comme pour que plus rien ne m'atteigne, pour
retrouver l'apaisement, un instant pour m'asseoir, me poser,
réfléchir, et penser à nouveau. En cette période de ressac
douloureux, je revois les images. J'ai à nouveau l'amertume dans la
bouche. Ces quelques jours vers Autun était à nouveau un besoin de
respirer dans cette montagne, trouver un espace pour laisser mon
esprit se vider de ses doutes.
Yellow
Town est un sacré groupe. Le mystérieux jeune homme sur scène
comme sur la pochette s'appelle Thibault Lavèvre. Il est bien
français, son petit accent sur les textes anglais le dénote, et il
est originaire de ces montagnes. Ce garçon a indéniablement un
immense talent. Il se dégage de l'album une atmosphère de
mélancolie nimbée de grands espaces sauvages. Les yeux scrutent
l'horizon, le regard perdu dans les pensées amères et l'envie
d'avancer sans se retourner. Les chansons créent un climat fait de
poussières et de cendres, le vent soufflant sur la route que l'on
prend au petit matin pour partir, des boules de broussailles sèche
traversant le bitume.
Dès
« Never Kneel Down » et son riff rageur rappelant
« Cowgirl In The Sand » du Loner, le paysage est posé.
On y trouve cette belle sensation de voyage et d'espace vers un
nouvel univers, loin de la douleur. Banjo et guitare acoustique
s'entremêlent sur les grands riffs tonnant dans l'horizon.
« Temples » est une belle mélodie, chanson d'amour
tendre pour l'être désiré après les sombres années de tristesse.
L'harmonica dylanien vient se poser sur les accords clairs de guitare
électrique. Ces temples sont certainement ceux de l'amour tant
souhaité.
« In
The Sand » est une balade aux tournures country americana
totalement crédibles. On en oublierait presque que Thibault Lavèvre
n'est pas né dans l'Arizona. La guitare électrique qui tonne avant
le chorus, ces notes sinueuses dans l'air ne sont pas rappelés
d'autres géants mésestimés du spleen à l'horizon gris : les
Simple Minds sur l'album Street Fighting Years. Les grands
accords de piano introduisant « Your Arms » dessinent une
atmosphère grise et quasi-gothique, comme quelques pas dans le froid
de l'hiver, sur le pavé humide d'une rue vide un dimanche en
province. « Gold Man » est un morceau bravache, montant
progressivement en tension, comme la colère de l'homme silencieux et
écrasé qui décide de se libérer. Thibault chante doucement, d'une
voix profonde, avant de sonner la révolution.
« A
Long Day Coming » est une belle ballade acoustique rappelant ce
Folk américain traditionnel séculaire, Woody Guthrie, Dylan,
Springsteen aussi. Ces chansons d'homme simple et laborieux ne sont
pas données à tout le monde. Savoir parler avec justesse sans
surenchère émotionnelle appuyée est un don. Les grands accords
électriques résonnent à nouveau comme le tonnerre au-dessus de la
vallée désertique et rocheuse. Les climats se dessinent, au gré
des notes, comme une histoire. Ce talent de conteur, on le retrouve
sur « Beneath The Foam », marqué par le rythme
nonchalant de la batterie et les chorus pointillistes et clairs
inspirés du « Down By The River » du vieux Neil. On
pourrait craindre la caricature, mais il n'en est rien, c'est une
nouvelle belle et grande chanson, inspirée et forte. Chaque pièce
de musique monte en tension, comme un coup de sang, une rage
intérieure qui se libère.
« Nobody
Knows » est une nouvelle perle acoustique, ponctuée
d'harmonica, à la beauté proche des chansons de Bob Dylan et du
Neil Young acoustique d'Harvest. Il ne m'a pas été souvent
donné d'entendre un musicien hexagonal joué avec une telle force.
C'est celle qui anime la colère de « Cast A Spell » la
noire, l'orageuse. C'est l'obscurité de Nebraska de
Springsteen qui se dessine. Est évoquée la folie de la rupture,
celle qui ronge les tripes, gangrène le cerveau, lorsque le whisky
sert à inhiber la douleur. Cette chanson féroce clôt un album à
l'âme puissante, et à l'instrumentation aussi sobre que judicieuse.
Je
suis à nouveau ébloui par le soleil, je ressens la fraîcheur de la
nature, le vent dans les grands chataîgniers. Album empreint d'une
grande humanité, d''une maturité brûlante de justesse, il est
désormais un de mes meilleurs amis, celui qui parle franchement et
sait réconforter. Désormais secondé d'un batteur stable, Pogo, vu
sur scène à Autun, Thibault Lavèvre se doit de poursuivre, qu'elle
que soit le succès à venir. Sa musique est vitale, et ils sont bien
peu aujourd'hui à pouvoir s'en vanter, rejoignant les fantastiques
Elder de Boston sur cette planète magique de sens.
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