mardi 24 mai 2016

HUMBLE PIE 1981

"Le Humble Pie de 1981 conserve donc de la teigne, mais ne cherche pas à être le plus Heavy des groupes de Rock, pari de toute façon perdu face à Iron Maiden, Saxon, ou Motorhead."

HUMBLE PIE : Go For The Throat 1981

Ce sera le dernier. Il n’y en aura plus d’autre, de disque d’Humble Pie avec Steve Marriott. Ses anciens comparses se réuniront une dernière fois en 2001 pour un ultime disque sous le nom d’Humble Pie, Back On Tracks, sans intérêt, parce que ne disposant pas de son irremplaçable chanteur-leader. Humble Pie disparaîtra quelques mois plus tard pendant l’année 1981, une seconde et dernière fois.

Humble Pie, quatuor fondé par les chanteur-guitaristes Peter Frampton et Steve Marriott en 1968, se dissout une première fois en mars 1975. Frampton était parti en 1971, laissant Marriott seul aux commandes. Ce dernier va emmener le groupe vers un Hard-Rock fortement teinté de Blues et de Soul, que l’on pourrait qualifier de Heavy Rythm’N’Blues. Mais la coloration de plus en plus Soul et de moins en moins Hard perturbe la maison de disques A&M, qui considère que le succès d’Humble Pie est avant tout dû à son étiquette Hard’N’Heavy. Marriott sut jongler habilement entre ses envies de musique noire et la musique Heavy qu’il affectionne également pour son agressivité brute. Néanmoins, lorsqu’il s’enferme dans son propre studio avec Humble Pie fin 1974, c’est pour enregistrer un vrai disque de Blues et de Soul, loin de toutes contingences commerciales à venir. Le résultat est rejeté par la maison de disques, qui force le groupe à retourner en studio « enregistrer un vrai disque d’Humble Pie ». Furieux, désabusé, Steve Marriott et ses comparses enregistrent à la va-vite un nouveau disque, Street Rats, dont la moitié des compositions sont des reprises et sont interprétées par le bassiste Greg Ridley. Une ultime tournée américaine en guise d’adieu se tient début 1975, puis le chanteur se lance dans une carrière solo. Un unique album est publié, Marriott, en 1976, à la musique écartelée entre influences américaines et anglaises. L’album recycle une partie du matériel abandonné par Humble Pie, et fait un petit bout de chemin modeste dans les classements américains et britanniques.

Steve Marriott vit à ce moment-là une période difficile . La fin d'Humble Pie fut précipitée par d'autres paramètres que musicaux. D'abord, la consommation galopante de cocaïne et d'alcool fait perdre aux musiciens le sens des réalités. Marriott commence à souffrir de signes de schizophrénie, et son mariage n'en réchappe pas. D'autre part, le groupe est ruiné. Dee Anthony a semble-t-il siphonné l'argent pour soutenir la carrière de Peter Frampton, son autre poulain. Lorsque Marriott réclame son dû, il se retrouve face à des parrains de la mafia sicilienne à New York, amis d'Anthony, qui lui explique qu'il n'aura pas un sou, et que si il insiste, il connaîtra une fin funeste. Terrorisé, il se tait, et survit en volant des légumes dans un champ voisin à sa maison.

En 1977, le Punk débarque, et théoriquement, Marriott fait partie de ces vieux dinosaures du Rock anglais des années 60 à jeter aux orties. Pourtant, les Punks respectent profondément les groupes Mods, influences majeures du genre, et parmi eux, les Who et les Small Faces, première formation 60’s de Marriott. Il est même invité à chanter sur « Daddy Rolling Stone » sur le premier album solo du guitariste Johnny Thunders, en 1978. Voyant ce regain d’intérêt pour son ancien groupe, il reforme les Small Faces sans Ronnie Lane en 1977 et 1978, et tentent de raviver la flamme des années 60. Cette tentative fait long feu, et c’est désormais vers son cher Humble Pie que Marriott se tourne lorsqu’il recroise la route du batteur Jerry Shirley.

Ce dernier joue dans une formation avec plusieurs anciens musiciens de Badfinger, du nom de Magnet, qui a publié un disque en 1979. Le groupe survit péniblement, et Shirley se retrouve rapidement seul aux commandes de son groupe inconnu. Il tente de reformer un nouveau Magnet, et pour cela, auditionne des musiciens, dont un bassiste noir américain, un certain Anthony « Sooty » Jones. Lorsque Marriott réapparaît avec sous le bras le projet de remettre sur la route Humble Pie, Shirley accepte volontiers. Les autres anciens sont rappelés, mais refusent : Greg Ridley vit tranquillement en Espagne, et Clem Clempson vient d’intégrer le groupe de Jack Bruce. Le nouveau bassiste est rapidement trouvé en la personne d’Anthony Jones. Un second guitariste-chanteur serait nécessaire, et une évidence se dessine : Bobby Tench. L’homme a chanté dans le second Jeff Beck Group, et a tenu la guitare dans les Streetwalkers de Michael Chapman, excellent quintet de Blues-Rock teinté de Soul. Il est disponible, il est aussitôt appelé à la rescousse. Le nouveau Humble Pie est prêt à mordre. Comme si un vent de chance semblait souffler, le groupe signe chez Atco, filiale d’Atlantic, et label d’AC/DC et Blackfoot, notamment. Un premier simple, « Fool For A Pretty Face », est envoyé en éclaireur début 1980… et accroche le Top 100 américain. Le trente-trois tours qui suit, On To Victory, atteint la 60ème place des charts américains. Fort de cette belle performance pour un groupe que l’on n’attendait plus au milieu de Journey, Boston, Heart, et Foreigner, le quatuor part sur la route avec Mahogany Rush, Angel et Mother’s Finest pour une tournée appelée Rock’N’Roll Marathon. Le succès est là, Humble Pie reste une impressionnante machine à Heavy-Rock Blues, prenant la scène d’assaut, le couteau entre les dents. Marriott, requinqué par cet inattendu regain d’intérêt pour sa musique, veut rapidement enregistrer un nouveau disque.

 

On To Victory est un bon disque, nerveux, et doté de très bonnes compositions comme d’excellentes reprises. Ceci étant, Humble Pie Mark III avait appréhendé sa musique de manière assez variée, faisant jaillir la Soul et même le Reggae, avec l’apport d’orgue Hammond, de piano, et de chœurs féminins rappelant la belle époque des Blackberries. Par certains aspects, et connaissant le tempérament de Steve Marriott, ce nouvel album semblait un peu terne et mollasson. On attendait de lui un disque explosif, vengeur. Il préféra dans un premier temps faire la démonstration de toutes les facettes de sa musique, dont celles qu’il eut bien du mal à imposer juste avant la première séparation d’Humble Pie en 1975. Avec On To Victory, le ton est donné, Humble Pie joue du Hard-Blues, mais ne s’interdit rien en termes d’influences noires américaines, à partir du moment où cela leur plaît. Avec Go For The Throat, Steve Marriott décide de revenir plus proche de l’os, et de jouer une musique plus resserrée, Heavy Rythm’N’Blues. L’enregistrement sera assuré par les quatre musiciens, et personne d’autre. Quelques notes d’orgue Hammond, quelques chœurs, mais l’essentiel est de se recentrer sur une musique plus Rock, plus mordante. La production reste dans la même tonalité, à savoir une prise de son sans fioriture, mais avec un mixage plutôt policé, pas trop violent, afin de séduire les radios potentielles. Ainsi, on ne retrouve pas la furie d’un Smokin, ni celle du nouveau Heavy-Metal emmené par Judas Priest, Motorhead et Iron Maiden. Néanmoins, Steve Marriott sait que l’air du temps change, et que pour son plus grand bonheur, il souffle dans le sens d’un retour au Hard-Rock et au Heavy-Metal. Il va donc réinjecter de la hargne à sa musique afin de séduire les gamins, y compris américains, qui commencent à craquer pour ce nouveau Heavy-Metal, et sont déjà fans d’un Hard-Rock un peu plus mélodique, celui de Ted Nugent, Blue Oyster Cult, Journey, ou Pat Travers. Go For The Throat est donc un compromis, qui louche néanmoins davantage du côté américain pour la prise de son, continent toujours adepte de la musique d’Humble Pie.

Marriott, Shirley, Jones et Tench vont sélectionner de nouvelles compositions, et des reprises, selon la formule inoxydable des albums du Pie. Preuve flagrante d’un durcissement musical certain, le morceau d’ouverture, une reprise du « All Shook Up » d’Elvis Presley, est un méchant uppercut de Hard-Blues teigneux. Totalement Humble Pie dans son approche, il n’est pas sans rappelé également le Whitesnake de David Coverdale, qui a ce moment pratique un Hard-Blues des plus savoureux, et qui connaît un grand succès en Grande-Bretagne et en Allemagne. Marriott hurle comme un possédé, sa voix s’est éraillée depuis la première moitié des années 70, mais garde toute sa puissance. Tench aiguise de vicieux chorus Blues et la rythmique Shirley-Jones blinde les arrière-gardes.

« Teenage Anxiety » est une belle chanson, à la mélodie imparable, tendre, mais au tempo relevé, qui rappelle les belles heures des Small Faces. On oublie parfois que Marriott ne fut pas qu’un hurleur de Blues et un showman teigneux, il fut aussi un exceptionnel compositeur de Rock anglais, avec les Small Faces, dont les chansons font partie du patrimoine au même titre que celles des Beatles, des Who, des Kinks et des Rolling Stones. D’ailleurs, Humble Pie reprend un de ces hymnes : « Tin Soldier ». Si cette version n’apporte rien à l’originale de 1966, elle a le mérite de ne pas la défigurer sous un couvert Hard-Metal. Elle conserve son nerf, sa tension, et ses beaux arpèges de guitares. Le son du groupe n’est pas sans rappeler celui des Streetwalkers. Le groupe avait une réputation flatteuse chez tous les lads qui aimaient Status Quo et les Faces, ce Blues-Rock rugueux et bravache, qui ne bénéficiait pas de l’enthousiasme de la presse, mais celui d’un public ouvrier friand de Blues-Rock poisseux. Les Streetwalkers n’étaient pas un groupe spécialement Hard, mais ils étaient mordants, urbains. Une sorte de quintet de Punks avant l’heure au moment du Punk, un groupe totalement décalé en somme, mais qui sut trouver son public. Marriott était de la même école, et Bobby Tench aussi, assurément, lui qui tint la guitare auprès des Walkers durant toute leur existence.

Le Humble Pie de 1981 conserve donc de la teigne, mais ne cherche pas à être le plus Heavy des groupes de Rock, pari de toute façon perdu face à Iron Maiden, Saxon, ou Motorhead. Steve Marriott voulut recréer un peu de la magie des Streetwalkers en y injectant son amour inconditionnel de la Soul, et sa hargne personnelle, celle qui anima depuis toujours Humble Pie. Ce dernier, nouvelle version, est donc un aéropage curieux, bloqué entre deux velléités, celle de faire un Blues-Rock poisseux et prolétaire, et celle d’aller faire la nique à la nouvelle génération du Heavy-Metal, sans grands espoirs toutefois. « Keep It On A Island » rappelle fortement la maestria des Streetwalkers, avec ce mélange de Blues et de Soul teinté de Rock, à la mélodie toujours imparable. « Driver » vient par contre rappeler que Humble Pie était avant tout un groupe de Heavy-Blues saignant. S’inspirant de loin de « La Grange » de ZZ Top, Marriott fait fumer l’harmonica, les guitares sont rageuses, Shirley tape comme un sourd sur ses caisses. La production propre stoppe toutefois cette approche plus métallique, limitant l’impact agressif. Toutefois, cet excellent titre est une démonstration de la belle vitalité du Humble Pie de 1981.

Elle est encore plus flagrante sur l’excellente chanson « Restless Blood ». Elle n’est pourtant pas du quartet, mais de Richie Supa, également pourvoyeur de chansons pour Aerosmith à la fin des années 70. Il signe également l’ultime morceau de ce disque : « Chip Away (The Stone) », déjà enregistré par … Aerosmith. On distingue bien clairement les contours d’Humble Pie en 1981 : du fil à retordre, du Rock saignant, mais toujours du feeling Blues’n’Soul, une approche très adulte de ce type de Hard-Blues, sans excès particulier. Marriott ne veut plus hurler le plus fort, et son groupe coller des beignes à toute la terre. La petite équipe a connu les hauts et les bas du Rock business, le bon temps des tournées à succès, et les ingratitudes des maisons de disque. En 1981, les musiciens d’Humble Pie sont des has-beens complets. Plus personne n’attend plus rien d’eux. A à peine trente ans, on ne parle d’eux qu’au passé, on les invite à participer à des sessions avec le respect dû aux vieilles gloires. L’amertume du temps qui passe se ressent sur « Go For The Throat » et « Lottie And The Charcoal Queen », deux morceaux middle of the road un peu blasés mais pourtant parfaitement touchants. Sur le second, Marriott pousse un peu ses cordes vocales accompagnées de choristes Soul, comme en 1973, comme au bon vieux temps. Il sort même son piano électrique, comme en 1970.

Mais comme Steve Marriott n’est pas du genre à se laisser aller à la nostalgie, ni à se laisser enterrer trop facilement, « Chip Away (The Stone) » vient revigorer l’ambiance. Bobby Tench chorusse subtilement, pendant que Marriott bétonne un riff d’égoût comme il sait si bien le faire, presque Punk. Les Soul Sisters aux chœurs sont à nouveau là pour soutenir le refrain, ainsi que l’orgue Hammond que Marriott viole comme un allumé. Ce dernier morceau retrouve le feeling saignant de « All Shook Up » inaugurant le disque.

L’écoute de ce trente-trois tours est, avec une écoute sans à-priori, totalement réjouissant. Il permit à Humble Pie de rejoindre une tournée américaine en compagnie de Judas Priest et Iron Maiden, rien de moins. Malheureusement, après quelques concerts, Steve Marriott s’écroule sur scène, victime d’une hépathite sévère, résultat d’une consommation galopante de brandy. Marriott promet à ses camarades de se remettre rapidement pour poursuivre la tournée, mais les médecins ne sont pas de cet avis. Humble Pie se dissout au bord du lit d’hôpital de Steve, contraint à l’évidence que le chanteur aura besoin d’une longue convalescence. Il ne remontera sur scène qu’en 1983. Jerry Shirley deviendra peintre en décoration avant d’être récupéré par Fast Eddie Clarke, en rupture de Motorhead, pour fonder Fastway.



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1 commentaire:

Anonyme a dit…

Il y a de la matière dans ce disque, cependant, à mon sens, il est terni par une production qui cherche trop à coller au son de groupes US vendeurs. Notamment au niveau de la guitare. Ce qui lui fait perdre de la personnalité, le noyant plus ou moins dans le marché américain d'alors.
Peut-être que si je l'avais écouté en 1981 je n'aurais pas pensé ça (à l'époque).
Ça reste un disque intéressant, au dessus de pas mal de truc à succès de l'époque.

(j'aime bien "Street Rats")