samedi 5 mars 2016

STAN WEBB'S CHICKEN SHACK 1995

"Stan Webb était et est toujours un guitariste et compositeur au talent inestimable, et injustement sous-estimé"

CHICKEN SHACK : Stan The Man Live 1995

            Stan Webb est un mec sympa. Il est le pote à tout le monde, Stan. Rigolo, un brin déjanté, il tient bien la pinte de bière, et passa ses soirées à traîner avec John Bonham  ou Ritchie Blackmore. Il faisait surtout l’admiration de nombre de ses pairs, grâce à un jeu de guitare incroyablement brillant, à la fois technique, très visuel sur scène, et au feeling indéfectible. C’est lui qui initia justement le grand Ritchie Blackmore au bottleneck, et l’homme en noir lui piqua quelques gimmicks de scène en passant. Un jeune guitariste australien du nom de Angus Young reprit à son compte l’idée de descendre dans le public tout en jouant de la guitare lorsqu’il vit Stan Webb sur scène à Londres en 1976. Même les redoutables conquérants du Proto-Thrash allemand Accept se nommèrent ainsi en hommage à un album de Chicken Shack de 1970. Mais qui se souvient de Stan Webb, à part quelques fanatiques du Blues anglais dont je fais par ailleurs partie. Et la moyenne d’âge de ces derniers est plutôt aux antipodes du mien, car l’homme n’inspire plus grand-chose, tombé dans l’oubli de l’histoire du Rock, pourtant pas avide de résurrection miracle de vénérables anciens. Car Webb fait partie de ces désormais rares vétérans du Blues-Rock anglais vivants et en pleine forme, tournant encore dans les petites salles anglaises et allemandes à soixante-dix ans, la voix et le jeu de guitare inoxydés.
            Cette situation, Stan Webb s’y est fait depuis…. Quarante ans. Passé le succès commercial des premiers albums de Chicken Shack avec Christine Perfect au piano et au chant, le quatuor, une fois la jeune femme partie pour rejoindre Fleetwood Mac en 1970, allait amorcer une lente mais inexorable descente vers une certaine confidentialité. Il y aura bien quelques sursauts, notamment en Allemagne où le groupe resta populaire, faisant de Webb leur Eric Clapton à eux. Mais en Grande-Bretagne, le groupe poursuivit sa route dans le circuit des universités, puis des clubs. Chicken Shack ne connut pour ainsi dire jamais le vrai succès commercial et critique, l’effleurant de près lorsque le simple « I’d Rather Go Blind » atteint la 14ème place des classements anglais en 1969. Mais chantée par Christine Perfect, dont la voix contribua sans doute au succès du titre, il n’aurait pas de suite, car cette dernière venait de partir. Webb chantait aussi, mais sa voix fut vivement critiquée par la presse, cette dernière la trouvant coassante et irritante. C’était une belle injustice, car l’homme a une voix à part, certes particulière, mais juste et puissante. Au plus manquait-elle de maîtrise sur les tous premiers enregistrements de Chicken Shack.
            La vérité était finalement bien plus singulière : en 1968, la scène Blues anglaise était dominée par Cream, Jimi Hendrix, et Peter Green’s Fleetwood Mac. Tous les autres vivraient dans l’ombre en outsiders. Et l’année suivante ne verrait pas les choses s’arranger avec l’arrivée de la balle dans la tête ultime : Led Zeppelin. Même Cream jeta l’éponge, c’est dire. Savoy Brown opterait pour le Boogie et partira faire carrière aux USA. Pour Chicken Shack, qui n’y mit jamais les pieds, il allait falloir survivre en Europe, dans l’ombre.
            Stan Webb était et est toujours un guitariste et compositeur au talent inestimable, et injustement sous-estimé. Il ne fit pas grand-chose pour aider non plus, le bougre. Ses concerts étaient occupés à près de la moitié par des classiques du répertoire du Blues et du Rock’N’Roll alors que nombre de ses propres chansons méritaient d’être mises en valeur sur scène. Et cela aurait sans doute aidé à ce que les albums se vendent mieux. Mais Webb n’était pas aidé non plus, secondé par des agents merdiques, qui furent incapables de lui faire signer des contrats discographiques à la hauteur de son talent, et lui faisant ratisser le circuit confortable mais limité des universités en compagnie d’autres malchanceux géniaux comme les Groundhogs ou Stray, plutôt que de lui permettre de s’exprimer outre-Atlantique. Le Heavy-Blues anglais y était très populaire dans la première moitié des années 70. Seule opportunité, son intégration à Savoy Brown en 1974 pour une tournée triomphale aux USA, dans un line-up qui comprenait trois guitaristes confirmés : Kim Simmonds, fondateur de Savoy Brown, Miller Anderson et Webb. Il est bien évident que cela ne passa pas le stade de l’album et de la tournée unique, avant que les esprits ne s’échauffent et que l’arnaque sente trop fort aux narines de Webb. Des galères, on peut en citer plusieurs, jusqu’à la résurrection de Chicken Shack en 1978 sur un label allemand, qui ne distribua pas les disques dans le reste de l’Europe. La qualité de la musique n’était assurément pas à remettre en cause, Webb n’ayant jamais enregistré le moindre mauvais disque, oscillant selon l’humeur entre le Blues et le Rock anglais, mais ne sombrant jamais dans le disque compromis putassier.
            Durant les années 80, Stan Webb continua à surnager grâce à ses sets efficaces fait de Blues et de Rock sur les scènes européennes. Une nouvelle opportunité d’enregistrer de la nouvelle musique s’offrit à lui en 1990, et l’homme publia trois nouveaux disques en cinq ans : Changes en 1991, Plucking Good en 1993, et Webb’s Blues en 1995. D’excellente facture, ils sont simplement, osera-t-on dire, des recueils de chansons originales et de réarrangements de vieilles scies Blues. Le line-up est stable, étrenné depuis le milieu de la décennie précédente : Gary Davies à la guitare, Bev Smith à la batterie, et James Morgan à la basse, le dernier arrivé. Les années de concert ont forgé le quatuor, et les trois musiciens jouent en rang serré derrière le maître, totalement à sa disposition pour lui permettre de développer ses improvisations. Comme Webb n’a jamais été meilleur qu’en direct, un concert est capté en Grande-Bretagne, dans les West Midlands, au Robin Hood, le 20 août 1995.
            C’est l’ambiance d’un pub anglais, un peu surchauffé par la stout. C’est un public de vieux finauds qui aiment le Blues, ou qui ont vu le vieux Stan dans les années 70 sur scène, et sont revenus voir ce qu’il avait encore dans le ventre après tant d’années. Lui n’a fait que cela depuis ses débuts, jouer pour un public d’étudiants, d’employés de bureau ou de prolétaires un peu avertis dans des salles plus ou moins moites, jamais immenses, et leur donner du bon temps. Il n’a jamais été aussi proche de l’esprit des bluesmen ou des jazzmen qui jouaient pour offrir un peu d’évasion à un public assommé par le quotidien. Le spectacle va se faire entre lui et son public, avec ses trois musiciens, sans effet pyrotechnique. Juste quatre mecs qui jouent du Blues-Rock sur scène, et mettent tout leur cœur dans la musique pour atteindre ne serait-ce que le temps d’un solo la communion entre le musicien et les spectateurs.
            Le set démarre par « Going Up Going Down », une relecture de « Baby What You Want Me To Do » de Jimmy Reed. C’est un boogie efficace, avec du swing et ce côté un peu râpeux juste ce qu’il faut pour  donner de la hargne au morceau. Le son de la guitare de Davies est très laid-back, et contraste avec le mordant furieux de la Gibson Les Paul de Webb, saturée, grasse, agressive. Il enchaîne les solos avec une aisance folle. Le phrasé est fluide, inspiré, tout en conservant ses bases purement Blues. Chicken Shack enchaîne avec sa relecture de « The Thrill Is Gone » de BB King. Stan traîne cette chanson depuis le début des années 70. Une première version, somptueuse de feeling, fut captée sur « Go Live », disque en concert de 1974. Depuis, s’est greffé une introduction mélancolique basé sur un simple accord en arpège de Davies sur laquelle Webb brode des entrelacs de notes déchirantes de douleur, avant d’écraser un grand riff lourd, et que la rythmique attaque réellement le morceau. Stan The Man poursuit alors entre deux couplets sa broderie de chorus poignants. Sa voix a conservé sa tonalité un peu nasillarde, mais sa maîtrise est impressionnante. Webb possède un coffre assez stupéfiant, qui lui permet de pousser comme le faisait BB King. De grands oiseaux blancs s’envolent à l’horizon sur les notes amères de la guitare, entre deux échos de sustain noir.
            Deux petits boogies aux chorus trépidants, « Look Her With A Feeling », et « Look Out »,  plus tard, on atteint le moment du Blues lent, le vrai, le poignant. « Lost The Best Friend I Ever Had » est une composition originale de Webb, transcendante de beauté. On retrouve la magie obscure de la version de « I Wonder » d’Humble Pie. Il traîne ici cette mélancolie de petit blanc paumé dans la nuit, solitaire. Les chorus de Stan Webb sont superbes, soutenus par un groupe discret, minimaliste, laissant le guitariste libre de dérouler le Blues anglais dans toute sa splendeur. Cet exercice est souvent une purge lorsqu’il est réalisé par des musiciens d’un certain âge, se sentant obligés d’en faire des caisses, du Blues de Las Vegas totalement dépourvu d’âme. Stan Webb l’a encore, cette âme urbaine, celle qui fait la différence entre la musique de festival pour sexagénaires à cinq cent sacs l’entrée et celle des pubs des avenues moites de la sombre Albion.
            « CS Opera » est un morceau de bravoure de Chicken Shack depuis les années 80, que le groupe n’a jamais enregistré en studio. Il bénéficie enfin d’une captation officielle, dans le contexte où il fut développé : la scène. C’est un Heavy-Blues très Rock, rapide, rageur. Il véhicule une humeur menaçante teintée d’amertume, une colère noire ponctuée de coups de tonnerre ourdis par la Les Paul de Webb. Davies, tout en accords laid-back, et Webb, tout en chorus électriques, se répondent mutuellement de longues minutes durant. Les soli sont superbes, ils touchent en plein cœur. C’est une chanson de route, que l’on écoute le bitume à perte de vue, un peu perdu, déboussolé.
            « Broken Hearted Melody » est une belle démonstration du talent de slide-guitariste de Webb, mais le morceau est un peu terne comparé à ses deux prédécesseurs. On dira qu’il sert de respiration avant de replonger dans l’âme noire du Heavy-Blues de Chicken Shack. « Poor Boy » est une vieille scie scénique issue de l’album Imagination Lady de 1972. Ce disque est une déflagration sonore totale, enregistré en trio, alors que le Chicken Shack des années Blue Horizon venait d’exploser et que tous ses musiciens venaient de partir au sein du concurrent Savoy Brown, alors en train de réussir aux USA. Ivre de colère, Webb accoucha de cet album furieux, qui connaîtra un immense succès en terres germaniques et hollandaises. « Poor Boy » est l’occasion, une fois de plus, de faire parler la poudre, faisant hululer sa Gibson par de fantastiques modulations de wah-wah, dialogue diabolique rappelant le jeu merveilleux de Peter Green, leader du premier Fleetwood Mac à la fin des années 60. D’ailleurs, au milieu de « Poor Boy », Webb se paye le luxe d’un hommage à Greenie, avec une reprise de « Oh Well », emblématique morceau du Peter Green’s Fleetwood Mac. Puis il rebondit à nouveau sur une jam électrique conduisant au thème initial, accompagné de son fidèle second, Gary Davies.
            L’album se clôt sur « Dr Brown », morceau que Webb enregistra en 1978 sur l’album du retour de Chicken Shack : The Creeper. Le vieux renard sort son bottleneck, et fait décoller le swing boogie vers les cimes d’un ZZ Top de la fin des années 70. Après un salut du public suivi d’une dernière explosion de guitare ravageuse, Stan Webb et Chicken Shack quittent la scène, laissant derrière eux un public ravi. Ils vont reprendre la route, pour un autre club, un autre set, gorgé de Blues et de Rock. Ils vont continuer à jouer une musique poignante, sincère, sans fioritures, cherchant sans relâche à vivre encore et encore ces quelques minutes de transe, sur un solo, quelques notes, suspendues dans l’air, électrique.

tous droits réservés

5 commentaires:

Malvers a dit…

Moi je le connais! (grâce à mon disquaire hélas décédé (je me le rappelle encore me sortant une réédite du "forty blue finger..." avec sa voix et ses rides à la keight richard de 2015, après avoir parfumé les moquettes de la boutique au channel numéro 5, au petit matin, il pose le diamant en me disant: Aurélien ça! ça! vous pouvez me croire vous mettez ça et vous emballez la gonzesse en moins de deux...") je le connais enfin j'approfondis grâce à vous..! Je ne connaissais pas ce live, n'ayant pu qu'écouter la perfection du "Go live" que j'écoute toujours depuis des années... mais là, l'intro de thrill is gone...quel plaisir... et que dire Lost The Best Friend I Ever Had à part que c'est magnifique, que ça me rappelle le déchirant " the death of J.B Lenoir" de john mayall où l'on sent tellement bel amour qu'un homme peu avoir pour son mentor, comme McPhee avec Mister Hooker... Et la satisfaction que ce doit être d'avoir posé à son tour une pierre, un disque pour rendre cette passion... Est-ce que Stan webb a joué, enregistré (ce serait merveilleux) sur des albums de bluesman venus voir la grise londres?? Un peu comme les Groundhogs et John lee hooker, ou surtout comme Peter Green qui a joué avec Otis Spann et Eddie Boyd...??
Et je sais que vous êtes plus Blues régurgité par de petits Blancs désespérés, mais est ce que vous connaissez Robert Belfour, un bluesman enregistré sur Fat Possum, un jeu hypnotique une voix envoûtante deux albums parfaits quasi blues trans de "cherokee"... Il s'est éteint dans le plus pur anonymat...en février l'année dernière. Si jamais il vous prenait l'envie de dire deux mots sur un homme noir manœuvre, maçon, musicien...
à bientôt.

Julien Deléglise a dit…

Heureux de te revoir dans ces colonnes. Je connais de nom Robert Belfour, mais ton descriptif prolétaire m'intéresse. J'ai perdu de vue Fat Possum, depuis que les Black Keys sont partis pour faire de la daube.
Stan Webb n'a pas enregistré avec un illustre bluesman. Il a surtout été en permanence en marge, comme Kim Simmonds.
Mais en parlant d'Eddie Boyd, je te conseille l'album "Praise The Blues" enregistré avec les hollandais de Cuby +Blizzards. Une merveille.

Malvers a dit…

Oui je connais "praise the blues " c'est un régal! Et j'adore leur reprise de Five long years sur leur live "Cuby & Blizzards Live"!C'est dommage pour Kim Simmonds et Stan Webb... enfin ils ont tellement ingéré la lose noire qu'ils n'ont pas besoin de jouer avec un mentor... Et en ce moment je voulais creuser du côté d'humble Pie, parce que le smokin' est incroyable! J'avais déjà essayé d'écouter d'autres albums mais trop rapidement et distraitement du coups j'avais moins accroché... mais si tu as un album en tête après le smokin je suis preneur, l'harmonica sur I Wonder est tellement bon...Bonne Continuation.

Julien Deléglise a dit…

Alors là, tu as sonné à la bonne adresse ! Je suis un fan absolu D'Humble Pie et de Steve Marriott.
Je te conseille vivement l'album éponyme de 1970, splendide. Le morceau introductif, "Live With Me", devrait te renverser. "Rock On" est un autre grand classique et le Live at The Fillmore est superbe, notamment pour l'épique reprise de "Walk On Gilded Splinters". Une fois ces trois merveilleux disques découverts, si tu es convaincu, plonge dans "Eat It". Plus bancal, il comporte des merveilles Soul Blues comme "Down To Do It" ou "Black Coffee", à la densité noire absolue.

Julien Deléglise a dit…

Alors là, tu as sonné à la bonne adresse ! Je suis un fan absolu D'Humble Pie et de Steve Marriott.
Je te conseille vivement l'album éponyme de 1970, splendide. Le morceau introductif, "Live With Me", devrait te renverser. "Rock On" est un autre grand classique et le Live at The Fillmore est superbe, notamment pour l'épique reprise de "Walk On Gilded Splinters". Une fois ces trois merveilleux disques découverts, si tu es convaincu, plonge dans "Eat It". Plus bancal, il comporte des merveilles Soul Blues comme "Down To Do It" ou "Black Coffee", à la densité noire absolue.