" C’est un disque audacieux, se démarquant de la brutalité sauvage de Power Supply, mais qui en conserve toute
l’implacabilité."
BUDGIE :
Nightflight 1981
John Thomas s’est éteint
tranquillement. Ce sympathique et fort récent sexagénaire vient de disparaître,
et il n’y aura pas beaucoup de remous. Sans doute plus que pour le commun des
mortels, car John Thomas était bien plus que le commun des mortels. Pour quelques
fans de Heavy-Metal, il fut le second guitariste de Budgie, officiant sur trois
albums, une poignée de disques live et pas loin de vingt années au sein de ce
trio gallois culte toujours abordé avec
une petite moue de dégoût. Il n’est pas facile d’être précurseur, d’oser
l’ultraviolence sonore, l’exubérance maléfique, l’outrecuidance lyrique, et les
crossovers pionniers avec le Funk et le Jazz.
John Thomas arriva en 1979 pour
remplacer le guitariste Tony Bourge. Ou plus précisément trois guitaristes. En
effet, Budgie termina sa tournée pour la promotion de l’album Impeckable en 1978. Il était pourvu sur
la route de deux bretteurs : Bourge, et une seconde lame nommée Myf Isaac,
qui intervint depuis 1976 pour étoffer le son de Budgie sur scène. Bourge
parti, Isaac décampa lui aussi, retournant à l’anonymat. Il fut remplacé par un
débarqué de choix : Rob Kendrick, ancien guitariste de Trapeze, autre
second couteau magnifique du Heavy-Rock anglais des années 70. Le garçon tint
sa place durant toute l’année 1979, assurant les concerts que Budgie organisa
en Amérique du Nord dans un ultime espoir de percer sur ce continent. Ce sera
peine perdue, et malgré des salles de 3000 à 5000 places complètes sous le seul
nom du trio, rien ne se concrétisa réellement. Budgie se retrouva sans maison
de disque, et Kendrick lâcha prise. Burke Shelley, chanteur-bassiste, et Steve
Williams, batteur depuis 1975, retournèrent à Cardiff, de l’amertume plein la
bouche.
En Grande-Bretagne, le Heavy-Metal était en
train d’opérer une mutation vers une violence implacable. Motorhead et Judas
Priest défrichèrent le terrain, suivis de Black Sabbath avec Ronnie James Dio,
puis d’Iron Maiden, Venom, Saxon, Holocaust, Savage… Budgie était en colère,
déçu de son échec, revenu au pays la rage au ventre. Budgie était plus Hard,
plus méchant, plus fou que tout ce qui était le plus Heavy entre 1970 et 1975.
Budgie sera le plus méchant de 1980. Pour cela, il leur faut un desperado, un
vrai. Un flibustier, une lame capable de tailler des riffs comme AC/DC et Judas
Priest, et baver du solo qui prend les tripes comme Michael Schenker et Billy
Gibbons. Ce mec-là, ce sera John Thomas.
Surnommé
Big John par ses camarades du Georges Hatcher Band à cause de son physique un
peu empâté, le garçon est une un armurier qui lime de la Les Paul Gibson comme
personne dans le pays. Le Georges Hatcher Band joue un Blues-Rock sudiste
plutôt sympathique, mais n’a rien de vraiment Hard’N’Heavy. Thomas voudrait
orienter le quintet dans lequel il joue depuis le début en 1976 vers un
Heavy-Blues plus Hard, comme Molly Hatchet et ZZ Top. Mais le leader du groupe
ne l’entend pas de cette oreille, et quand Burke Shelley lui propose de
régénérer Budgie, il signe des deux mains. Une pleine liberté dans un groupe,
avec pour seule condition de faire un maximum de raffut, ne se refuse pas.
Le
trio signe sur Active Records, en fait une sous-division de son ancien label
MCA. Le EP If Swallowed Do Not Induce
Vomiting, suivi du LP Power Supply,
parus tous deux en 1980, sont de puissant uppercuts dans un Heavy-Metal qui se
veut plus jeune et plus agressif, mais qui n’en a pas forcément l’étoffe. Budgie
est un bombardier, l’un des plus terrifiants groupes de Heavy-Metal de l’époque
avec Motorhead. Ces derniers puisent dans le Rythm’N’Blues et le Rock’N’Roll,
Budgie traîne du côté de la Soul et du Blues, le tout injecté d’octane.
Le
défouloir de Power Supply passé,
Active fit le bilan. Et malgré un tel obus, les ventes ne sont pas au
rendez-vous. Budgie n’a pour lui ni la jeunesse, ni l’accroche commerciale
suffisante dans sa musique. Totalement sans concession, Power Supply est un disque beaucoup trop dangereux pour les charts,
et pas assez Punk et pas assez charismatique pour intéresser la jeunesse
branchée comme put le faire Motorhead. Active leur suggéra donc gentiment mais
fermement de rendre leur Heavy-Metal plus mélodique, et donc plus accrocheur.
C’est
là qu’intervint à nouveau tout le génie de John Thomas. Après avoir refait de
Budgie le groupe le plus dangereux du Heavy-Metal britannique, il allait
réactiver toute la finesse de sa musique. Budgie était l’alliage fin entre une
musique noire et lourde, une subtilité mélodique délicate et des structures
progressives audacieuses comme celles de King Crimson. Shelley composa de
nouvelles chansons, Thomas leur conserva la densité du premier disque, mais
leur injecta sa science du riff assassin, du chorus aventurier, de la tierce
lumineuse et de l’arpège électrique. Nightflight
de 1981, c’est tout cela à la fois. C’est un disque audacieux, se démarquant de
la brutalité sauvage de Power Supply,
mais qui en conserve toute l’implacabilité.
Preuve
qu’Active fonde d’importants espoirs commerciaux sur Budgie, c’est Derek Riggs
qui dessine la pochette du disque, ce qui constituera sa seule incartade à
l’exclusivité de son travail pour Iron Maiden jusqu’en 2000 avec RX5 d’Alvin Lee, paru la même année. Le
résultat est en tout cas une fois encore réussi, la perruche étant à nouveau
mise en scène dans un monde futuriste et fantastique. Le message est donc
clairement passé : Budgie est un groupe du présent, pas du passé. Et ce
symbole hautement commercial est parfaitement vrai. Shelley, Thomas, et Williams
signent ici le disque de Heavy-Metal le plus parfaitement moderne et abouti de
1981. On pourrait évoquer Venom, Raven, ou Iron Maiden, tous de véloces
guerriers pouvant rivaliser avec la furie noire de Budgie dans la première
moitié des années 70. Mais le trio gallois est déjà passé à autre chose. Il se
concentre sur l’efficacité, la morsure la plus vive. Pas besoin de
démonstration gratuite, de soli à n’en plus finir. Une bonne chanson, servie
par des musiciens implacables, jouant serrés, en parfaite cohésion, rend le
tout totalement fulgurant.
Un autre paramètre qui aura son importance
dans l’évolution musicale fut l’amitié qui lia John Thomas et le guitariste du
groupe d’Ozzy Osbourne, Randy Rhoads. Budgie et Ozzy partagèrent l’affiche de
plusieurs grandes salles britanniques en 1980, et rapidement, les deux
guitaristes sympathisèrent, échangeant sur leur grande passion commune :
la guitare. Rhoads avait une approche très moderne de l’instrument, et en tant
que professeur de musique, il enseigna quelques-uns de ses licks. Il apporta
aussi sa culture du Heavy-Metal américain, puissant mais mélodique, alors en
vigueur en 1980 : Journey, Van Halen, Aerosmith, Blue Oyster Cult…Rhoads
sut tailler sur mesure pour Ozzy Osbourne un Heavy-Metal vitaminé, agressif,
mais toujours accessible. Ce vent de modernité va souffler sur la musique de
Budgie, John Thomas ramenant avec lui ces idées nouvelles, qui vont fusionner
avec les talents de compositeur de Burke Shelley. Nightflight va être le résultat de cette potion merveilleuse. La
production de Don Smith se veut également plus propre, toute en conservant une
grande puissance. Les musiciens sont à leur avantage, à égalité de traitement.
Le bond en avant est comparable à celui de Motorhead avec Overkill. Budgie devient un aéropage chromé, luisant sous le
soleil.
D’entrée,
le trio de Cardiff se montre audacieux : il entame le disque par l’épique
« I Turn To Stone ». Accords délicats de guitare acoustique, chant
désabusé, on retrouve les lignes de « Time To Remember », morceau
issu du disque précédent. Mais le refrain éclate sous le coup de semonce d’un riff massif,
down-tempo, rappelant Black Sabbath. Cet alternat d’acoustique délicat et de
force électrique n’est pas sans rappeler également les premiers albums de
Budgie, dont les grandes épopées étaient dotées de cette ambiguité
douceur-fureur. Un superbe premier solo déchirant vient rompre la massivité du
riff, envolée lyrique avant la seconde partie du morceau. C’est une
accélération féroce, cascade de chorus virevoltants sous les doigts de Thomas,
et soutenue par la rythmique implacable de Williams et Shelley. Le fan a
retrouvé le Budgie audacieux, son climax, celui qui fit toute son originalité.
La
suite du disque est dotée de morceaux plus courts et percutants, plus proches
du précédent disque et du format Heavy-Metal du moment. Les structures sont
également beaucoup plus simples, cherchant avant tout l’efficacité : un
riff fort, une mélodie accrocheuse. Les chœurs, discrets font leur apparition
sur les refrains, afin de soutenir l’accroche musicale. « Keeping A
Rendez-Vous » et « Reaper Of The Glory » sont de superbes pièces
de Heavy-Metal, bien dans leur temps, mais qui ne doivent rien à personne. Le
style de Budgie a mué, mais reste affirmé, vivace.
Parmi
ces pépites se trouve le redoutable « She Used Me Up ». L’ambiance y
est plus sombre, noire, même. Thomas dresse une toile de riffs menaçants. Le
morceau tient sous tension l’auditeur tout au long, la guitare enragée
répondant au chant dans une atmosphère entre colère et désespoir. Thomas apporte
quelques bouffées d’air grâce à ses chorus concis et épiques, teintés de Blues.
Le victorieux « Don’t Lay Down And
Die », le délicat « Apparatus », ou le moqueur « Superstar »
poursuivent la route tracée des titres forts, route qui se ferme avec « Change
Your Ways ». Morceau plus long, il retrouve l’épisme douceur-agressivité
de « I Turn To Stone », mais dans un climat plus léger, et avec une
structure moins massive. Quelques arpèges, des chœurs chantant le refrain et la
slide de Thomas illuminent la fin de ce disque brillant. Un dernier
instrumental acoustique à la délicatesse bienvenue vient clore définitivement
ce bel album.
Budgie
sut trouver l’équilibre parfait entre Heavy-Metal puissant, mélodies fortes, et
héritage musical personnel. Les claviers ont fait discrètement leur apparition,
et vont s’affirmer sur le disque suivant, avec l’arrivée d’un musicien
complémentaire : Duncan MacKay. Sous l’impulsion de leur maison de
disques, le trio devenu quatuor va poursuivre sa recherche du Hard mélodique,
au risque de froisser ses fans cette fois-ci, et mettant en danger le précieux
équilibre atteint avec Nightflight.
tous droits réservés
10 commentaires:
Encore une très belle chronique sur un album/groupe empoisonné... moi du haut de mes vingt quatre ans c'est le I turn to stone qui me tire des entrailles une tristesse désabusée et l'étale sur l'étal glacial et consumériste du moderne boucher de ce XXIème...c'est totalement l'esprit de "time to remember" mais vêtu de velours et parfumé pour pouvoir passer à la radio... BUDGIE deux choses à te demander, le livre qu'il y a exposé sur ton blog "les mille merveilles du rock, de julien..etc" est-ce le tien? Si oui peux-tu me dire quel est le meilleur moyen pour que je puisse me l'offrir et que tu en bénéficies le mieux? dois-je me servir du site camion blanc, ou essayer de l'avoir en librairie spécialisée? Je crains la poste en ce moment et on ne l'entend pas à mon écriture mais je suis du sud de la France... merci d'avance de ta réponse..
Le livre est bien le mien. Il est paru il y a un mois. Si tu cliques sur le livre, tu pourras le commander via mon éditeur. Et tu paieras un peu moins cher en frais de port. Mais il est aussi disponible chez Amazon, Cultura.... Via le net. Tu peux aussi le commander chez ton libraire préféré, le délai de livraison est à ma connaissance de 7 jours.
Et j'ai déjà un lecteur de ce blog du Nord de la France qu'il l'a commandé et me l'a renvoyé pour une dédicace. La Poste fonctionne donc bien. ;-)
Ok Merci, commande passée!
à très bientôt!
Le lecteur assidu de ce blog c'est bibi, himself me to !
Je confirme, j'ai envoyé son pavé ( du nord ) de bouquin pour dédicace et il me l'a retourné avec dédicace sympa.
Ce livre est riche !!!!
Dis moi Julien ? en off...
Je ne peux pas référencer ton blog sur le mien ? est ce normal ?
Non c'est pas normal, d'autant plus que je n'ai rien fait pour ça. Ranx Ze Vox a pu me référencer sans souci par exemple.
Non c'est pas normal, d'autant plus que je n'ai rien fait pour ça. Ranx Ze Vox a pu me référencer sans souci par exemple.
Bonsoir, j'ai bien reçu ce beau livre et franchement je me demandais par quel groupe ça allait bien pouvoir débuter (j’espérais... non je pensais aux GroundHogs histoire de dépuceler le critique/public, lui donner le thon, le tartiner d'huile de foie de morue et l'embraser par les riffs de MCPhee...), et Paf encore mieux, plus subtil et adapté: le Muddy Blues de savoy Brown... Alors vous me direz "calme ta joie, c'est par ordre Chronologique point à la ligne."
Mais dans ce cas là, on aurait pu choisir Rod Stewart ou le Beck, tout deux juste un peu plus en vogue! Moi je n'en démords pas, ça reste un beau clin d'oeil au Brown... ahaha, rien de mieux pour commencer... Super travail Budgie, joliement sobre et super agréable à lire (autant style que mise en page!)!
Bonne Pâques et peu être à bientôt pour une dédicace.
Merci beaucoup pour tes compliments. Et à bientôt.
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