mercredi 21 janvier 2015

ACCEPT 1982

 "Que s’est-il passé entre 1981 et 1982 quelque part en Allemagne pour transformer un honnête quintet de hard-rock germanique un peu terne en une machine à broyer les os ?"
ACCEPT : « Restless And Wild » 1982

L’homme marche d’un pas rapide et décidé. Il serre les mâchoires et les poings dans ses poches. Il a le regard noir de la colère. Son sang bouillonne de rage dans ses veines. Il appuie sur le bouton de la porte sécurisé pour appeler le guichetier, qui le laisse entrer. L’homme est client à l’agence bancaire.
Il desserre péniblement les dents pour prononcer le nom de son conseiller. « Il est en rendez-vous » répond obséquieusement le guichetier. L’homme tourne la tête et jette un regard à travers la vitre latérale de la porte du bureau. Le conseiller est bien là, devant son ordinateur, mais n’a pas pris la peine de le recevoir. Un geste de mépris de plus. Un geste de mépris de trop.
L’homme tourne les talons et se dirige vers la porte. Le guichetier l’interpelle mais il n’entend plus. Il est trop tard. D’un grand coup de pied, il enfonce la porte, et se tient bien campé sur ses jambes dans l’embrasure de la porte. Le conseiller bafouille quelques paroles sur un ton outré, feignant l’étonnement devant aussi peu de savoir-vivre. Mais il n’est plus question de politesse. Sans un mot, d’un geste rapide, l’homme saisit le conseiller par le col de la chemise et l’approche à quelques centimètres de son visage. Sur un ton glacial et monocorde, il énumère les coups bas, les appels sans réponse, les courriers lapidaires en recommandé, les engagements non tenus. Tout ce qu’il l’a précipité dans la misère la plus noire durant des mois, avec pour seule retour le mépris de l’employé de banque.
L’homme n’a plus rien à perdre. Profondément gentil au départ, naïf sur la nature humaine sans doute, il espère que cette tentative d’intimidation va résonner le petit bureaucrate. Le mettre sur la voie de l’empathie et de l’humanité. L’homme semble même sentir la colère redescendre, au point de voir poindre le remord. Mais le banquier ne trouve qu’un énième mensonge sur fond d’énumération de procédures administratives pour justifier son lamentable labeur, accablant au passage l’homme.
Un afflux de sang noir remonte alors au cerveau de ce dernier, comme un flash de furie. Son poing gauche se serre puis s’abat comme une pierre sur le visage du conseiller bancaire. Le son mat de l’os sur les cartilages nasaux résonne dans toute l’agence. Le guichetier tente de s’interposer, mais son regard croise celui de l’homme qui se retourne vers lui. Il s’arrête net avant de reculer, pétrifié par l’oeil luisant comme une bille d’acier qui vient de le fixer.
Puis l’homme fait le tour du bureau alors que le bureaucrate tente de se relever, le nez en sang. Une pluie de coups de poing rapides et puissants comme des boulets de fonte s’abat sur le sombre erre. Alors qu’il frappe toujours plus fort, traversent dans la tête de l’homme les images de toutes ces semaines à se battre pour sauver sa famille et garder sa dignité. Jamais il n’aurait pu penser qu’on est pu un jour le traiter de manière aussi indigne, avec autant de violence froide, sans la moindre compassion pour sa situation humaine.
Lui qui a toujours travaillé pour gagner sa vie, payer ses factures à temps, jamais personne ne l’aurait imaginé faire cela, à commencer par lui-même. Mais son cerveau et son amour-propre ont réclamé le respect qui lui est dû. Aussi aujourd’hui il est un animal, une bête. Alors il frappe encore, et dans sa tête résonne de grands accords de Gibson Flying V blanche et noir sur laquelle un être furieux hurle : « Fast as a shark, he'll cut out of the dark, he's a killer, he'll rip out your heart, On a one way track and you're not coming back, 'cause the killer's on the attack ».
L’homme ressort de l’agence la main couverte de sang, toisant du regard les employés de l’agence qui reculent sur son passage. Il repart dans la rue alors que retentit au loin la sirène de la police.
Que s’est-il passé entre 1981 et 1982 quelque part en Allemagne pour transformer un honnête quintet de hard-rock germanique un peu terne en une machine à broyer les os ?
Fondé en 1971 dans la région de Solingen par le chanteur Udo Dirkschneider et le guitariste Michael Wagener, Band X devient Accept d’après le nom de l’album de Chicken Shack de 1970. Après des années à se rôder sur le circuit des clubs et des bases américaines, le petit quintet sort un premier album éponyme en 1979 entre hard-rock seventies un peu daté et influences progressives, fruit de compositions rôdées depuis presque dix années.
Sans réelle personnalité, l’album se vend mal. Un second disque suit, sous influence de leur manager qui les oriente vers un son plus proche d’AC/DC. Ils enregistrent même une chanson composée par Alexander Young, frère de Malcolm et Angus, et destinée au quintet australien. Le résultat est plutôt efficace, mais ne se vend pas mieux. « Breaker » en 1981 enfonce enfin le clou et permet à Accept de tourner en première partie de Judas Priest. Le groupe n’est pourtant pas encore tout à fait en place. Bien que la musique soit désormais un heavy-metal carré et efficace, le son manque cruellement de coffre.
Au niveau image, Wolf Hoffmann, le guitariste et auteur de la plupart des morceaux, se trimballe encore avec un blouson de baseball en soie, et Udo Dirkschneider, avec son physique trapu et ingrat, portent une moumoute blonde et des futals à paillettes ou en skaï. Les musiciens tentent en vain de se fondre dans le moule esthétique de Queen, Scorpions, Rainbow ou Thin Lizzy, avec boots à talons et pantalons pattes d’éph, mais cela ne leur sied guère.
Durant la tournée britannique et allemande avec Judas Priest, Accept est obligé de piquer de la nourriture dans les plats de traiteur du groupe anglais, tant les musiciens sont affamés et sans le sou. La maison de disques n’a apporté aucun soutien financier, et ils doivent tout payer de leurs poches.
L’arrivée de Gaby Hauke comme manageuse va remotiver les troupes. Dure en affaire, elle permet à Accept de tourner dans des conditions décentes partout dans le monde. De ces dix années d’expérience difficile, le quintet est plus que jamais soudé et en colère. La formation s’est stabilisée autour de Udo Dirkschneider au chant, Wolf Hoffmann à la guitare, Peter Baltes à la basse, et Stefan Kaufmann à la batterie. Le poste de second guitariste est mouvant, et , épuisé par cinq années d’épuisant labeur, Jorg Fischer est remplacé par Herman Frank en 1982. Ce dernier participera peu à l’enregistrement de « Restless And Wild ».
Visuellement, Udo a abandonné le lamé et les cheveux longs pour une coupe courte, et des vêtements de treillis militaire camouflage. Les autres sont en noir, cuir et jeans, déjà apparus courant 1981. Le symbole d’Accept est désormais deux Gibson Flying V blanches entremêlées, et le logo, un lion apparu en 1980 (et qui succède au renard de 1979), inspiré de celui de l’armée belge de 1940. Hoffmann est passionné par l’histoire de la Seconde Guerre Mondiale, il en réutilisera des références sur des albums à venir.
Pour l’heure, ce sont cinq musiciens remontés à bloc qui déversent riffs d’acier et rythmiques en béton armée dans le studio. Si il y a une leçon qu’ils ont retenu de la tournée avec Judas Priest, c’est le travail du son du quintet de Birmingham, ce son de guitares précis et tranchant sur lequel survole un chant haut perché. Mais Accept va y injecter encore plus de puissance.
Plus globalement, Accept est la synthèse parfaite entre AC/DC et Judas Priest. La voix de Dirckschneider est un élément évident de comparaison avec la formation australienne, sorte de mutant entre Bon Scott et Brian Johnson dont la voix s’est fortement éraillé depuis le premier album par un tabagisme très prononcé. Autre élément important d’évolution, Gaby Hauke, alias Deaffy, et futur femme de Hoffmann, participe à l’écriture des paroles de chansons. Alors que le groupe, d’origine allemande, peine à écrire des textes intéressants en ratissant le dictionnaire, Deaffy permet à Accept de sortir de la sainte-Trinité alcool- filles-good times, cliché du hard-rock par excellence, pour s’orienter vers des sujets plus socio-politiques. Par la suite, les thèmes abordés seront audacieux : l’homosexualité, les injustices sociales, l’histoire.
 Cet aspect sera souvent totalement éludé de la vision que le public aura du groupe, plus enclin à en faire des bourrins avec leurs treillis et leurs bières bavaroises. Cela sera encore renforcée par la petite musique d’introduction de la première chanson de ce disque : « Fast As A Shark ». Afin de créer un contraste un peu rigolo avec la furie du morceau et faire preuve d’un peu d’auto-dérision avec les origines allemandes des musiciens, Accept va utiliser la chanson à boire « Ein Heller und Ein Batzen » datant de 1830. Sauf qu’en France et en Pologne, le thème de la chansonnette « Heidi, Heido, Heida » est utilisé pour illustrer les images des dignitaires nazis dans les documentaires historiques. Le résultat va être une confusion totale sur la formation, sa musique et ses thèmes de textes, qu’elle traîne encore de nos jours.
Cet album est en beaucoup de points parfaitement définitif. Sa puissance y est absolument colossale. Quel que soit le tempo, rapide ou écrasant, chaque riff est un upper-cut. Dirkschneider y est particulièrement teigneux. Ce disque ouvre en beaucoup de points la voie au trash-metal. A l’instar de Venom, « Restless And Wild » a ce quelque chose de définitif dans la musique Rock. Plus rien ne sera pareil après, et il sera finalement difficile de faire aussi furieux. Il y aura bien sûr le chant growl du Death-Metal, les blasts de batterie du Black, l’imagerie ultra-gore du Grind, il y aura toujours plus vite, plus crade, plus hurlé, mais rien n’arrivera à ce concentré de colère sans tomber dans la caricature. Venom avait ce côté Punk satanique, Accept a la précision et la force ultime. On est encore au-delà de Iron Maiden, dont la contribution au heavy-metal est majeure en ce début d’années 80. Mais ils n’auront pas ce quelque chose de totalement indépassable en termes d’agressivité et de noirceur.
Une fois la petite introduction germanique passée, un cri possédé déchire les enceintes. Puis « Fast As A Shark » fonce comme un train fou, avec sa double grosse caisse matraquant à vous pousser le cœur hors de la cage thoracique. Les deux guitares déchirent l’air lourd comme un hachoir à viande. Chaque coup de médiator coupe comme une lame effilée. Dirkschneider rugit ses histoires de mort et de marginaux. Tout est carré, parfaitement à sa place. Cette précision, acquise par des années à tourner sans relâche depuis des années, on la retrouve dans le chorus d’inspiration classique avec les guitares en tierce. Pas de fausse note, ni de contretemps. Sans répit, « Restless And Wild » prend le relais d’une rythmique de plomb, rapide et sûre. Les guitares galopent comme des chevaux sauvages, cavalcade hallucinée, ivre de vengeance, l’oeil noir. L’enchaînement de ces deux morceaux est simplement brillant.
Mais la suite est tout aussi fracassante. On y sent davantage l’influence d’AC/DC sur « Get Ready », « Don’t Steal Your Soul Away », ou « Ahead Of The Pack ». « Flash Rockin’ Man » est sans doute le plus brillant de tous, un morceau que ce coup-ci le quintet australien aurait pu piquer à Accept. « Shake  Your Head » ou le redoutable « Demon’s Night » se rapprochent de Judas Priest. Mais on y distingue dans tous une urgence typiquement punk, que ce soit dans les riffs comme dans la colère permanente. En cela, on retrouve finalement un peu du son de …. Trust.
 Mais il y a quelque chose de totalement implacable qui rend la musique d’Accept si dangereuse, si menaçante. Comme le martèlement des aciéries de la Ruhr, qui font écho à celles de Birmingham.
« Balls To The Wall » poursuivra cette recette magique, et permettra enfin à Accept d’accéder au cercle très fermé des meilleurs formations de heavy-metal européennes. Mais par rapport à « Restless And Wild », on sent que le quintet a franchi un palier décisif, et qu’il est désormais en grande partie sorti d’affaire. 
Par la suite, le groupe tentera d’injecter de la mélodie, en quête de respectabilité musicale. Mais cette dernière était depuis longtemps acquise. « Restless And Wild » sent la frustration et la faim, il est gorgé de danger. Et il avait assommé tout le heavy-metal mondial dés sa sortie. Les ricanements de la critique et des autres groupes ne faisaient que cacher la crainte et la peur qu’il avait engendré. 
tous droits réservés

7 commentaires:

Anonyme a dit…

Mouais... L'histoire de la banque en introduction, c'est du vécu ? Ou bien que l'on souhaiterait bien commettre ?

Anonyme a dit…

La voix d'Udo m'a bien souvent rebutée (pas sur tous les titres, notamment "Princess of the Dawn"), toutefois, il est vrai que cet opus était un véritable uppercut.

lobarjon a dit…

Salut,

La pochette original de l'album c'est celle-là ou du moins celle qui avait sur ma K7 et vachement plus puissante et incantatoire que celle de la reddition.

http://eil.com/images/main/Accept-Restless-And-Wild-438502.jpg

sinon l'article est sympa.

Julien Deléglise a dit…

Il y a des envies en ce moment. Mais je trouve que c'est le genre de disque parfait pour t'imaginer en train de la faire et du coup t'en passer l'envie. Un parfait defouloir pour les gens civilisés en somme.

Anonyme a dit…

La pochette original (du 33 tours) est bien celle du groupe sur scène. Ce qui tranche d'ailleurs avec l'imagerie d'alors des albums du groupe (d'une certaine façon proche de celle du Scorpions de la même époque).

Julien Deléglise a dit…

Eh bien les gars, permettez moi de vous contredire! 😊
La pochette originale est bien celle avec les guitares ici présentes. Il s'agit du pressage allemand original sur le label Brain (celui de Can notamment). Celui dont vous parlez est le pressage original anglais, sur le label Heavy-Metal (celui de Witchfinder General ).

Anonyme a dit…

Tu m'en apprends une bonne. Personnellement, je n'avais jamais connu une autre que celle du groupe sur scène. Mais pourquoi donc changer de pochette ? Surtout quand l'originale est déjà pas mal. Et dans ce cas, justement, l'originale est largement mieux (plus frappante et mémorable).