"Que s’est-il passé entre 1981 et
1982 quelque part en Allemagne pour transformer un honnête quintet
de hard-rock germanique un peu terne en une machine à broyer les os ?"
ACCEPT : « Restless And
Wild » 1982
L’homme marche d’un pas rapide et
décidé. Il serre les mâchoires et les poings dans ses poches. Il a
le regard noir de la colère. Son sang bouillonne de rage dans ses
veines. Il appuie sur le bouton de la porte sécurisé pour appeler
le guichetier, qui le laisse entrer. L’homme est client à l’agence
bancaire.
Il desserre péniblement les dents
pour prononcer le nom de son conseiller. « Il est en
rendez-vous » répond obséquieusement le guichetier. L’homme
tourne la tête et jette un regard à travers la vitre latérale de
la porte du bureau. Le conseiller est bien là, devant son
ordinateur, mais n’a pas pris la peine de le recevoir. Un geste de
mépris de plus. Un geste de mépris de trop.
L’homme tourne les talons et se
dirige vers la porte. Le guichetier l’interpelle mais il n’entend
plus. Il est trop tard. D’un grand coup de pied, il enfonce la
porte, et se tient bien campé sur ses jambes dans l’embrasure de
la porte. Le conseiller bafouille quelques paroles sur un ton outré,
feignant l’étonnement devant aussi peu de savoir-vivre. Mais il
n’est plus question de politesse. Sans un mot, d’un geste rapide,
l’homme saisit le conseiller par le col de la chemise et l’approche
à quelques centimètres de son visage. Sur un ton glacial et
monocorde, il énumère les coups bas, les appels sans réponse, les
courriers lapidaires en recommandé, les engagements non tenus. Tout
ce qu’il l’a précipité dans la misère la plus noire durant des
mois, avec pour seule retour le mépris de l’employé de banque.
L’homme n’a plus rien à perdre.
Profondément gentil au départ, naïf sur la nature humaine sans
doute, il espère que cette tentative d’intimidation va résonner
le petit bureaucrate. Le mettre sur la voie de l’empathie et de
l’humanité. L’homme semble même sentir la colère redescendre,
au point de voir poindre le remord. Mais le banquier ne trouve qu’un
énième mensonge sur fond d’énumération de procédures
administratives pour justifier son lamentable labeur, accablant au
passage l’homme.
Un afflux de sang noir remonte alors
au cerveau de ce dernier, comme un flash de furie. Son poing gauche
se serre puis s’abat comme une pierre sur le visage du conseiller
bancaire. Le son mat de l’os sur les cartilages nasaux résonne
dans toute l’agence. Le guichetier tente de s’interposer, mais
son regard croise celui de l’homme qui se retourne vers lui. Il
s’arrête net avant de reculer, pétrifié par l’oeil luisant
comme une bille d’acier qui vient de le fixer.
Puis l’homme fait le tour du bureau
alors que le bureaucrate tente de se relever, le nez en sang. Une
pluie de coups de poing rapides et puissants comme des boulets de
fonte s’abat sur le sombre erre. Alors qu’il frappe toujours plus
fort, traversent dans la tête de l’homme les images de toutes ces
semaines à se battre pour sauver sa famille et garder sa dignité.
Jamais il n’aurait pu penser qu’on est pu un jour le traiter de
manière aussi indigne, avec autant de violence froide, sans la
moindre compassion pour sa situation humaine.
Lui qui a toujours
travaillé pour gagner sa vie, payer ses factures à temps, jamais
personne ne l’aurait imaginé faire cela, à commencer par
lui-même. Mais son cerveau et son amour-propre ont réclamé le
respect qui lui est dû. Aussi aujourd’hui il est un animal, une
bête. Alors il frappe encore, et dans sa tête résonne de grands
accords de Gibson Flying V blanche et noir sur laquelle un être
furieux hurle : « Fast as a shark, he'll cut out of the
dark, he's a killer, he'll rip out your heart, On a one way track and
you're not coming back, 'cause the killer's on the attack ».
L’homme ressort de l’agence la
main couverte de sang, toisant du regard les employés de l’agence
qui reculent sur son passage. Il repart dans la rue alors que
retentit au loin la sirène de la police.
Que s’est-il passé entre 1981 et
1982 quelque part en Allemagne pour transformer un honnête quintet
de hard-rock germanique un peu terne en une machine à broyer les os ?
Fondé en 1971 dans la région de
Solingen par le chanteur Udo Dirkschneider et le guitariste Michael
Wagener, Band X devient Accept d’après le nom de l’album de
Chicken Shack de 1970. Après des années à se rôder sur le circuit
des clubs et des bases américaines, le petit quintet sort un premier
album éponyme en 1979 entre hard-rock seventies un peu daté et
influences progressives, fruit de compositions rôdées depuis
presque dix années.
Sans réelle personnalité, l’album se vend
mal. Un second disque suit, sous influence de leur manager qui les
oriente vers un son plus proche d’AC/DC. Ils enregistrent même une
chanson composée par Alexander Young, frère de Malcolm et Angus, et
destinée au quintet australien. Le résultat est plutôt efficace,
mais ne se vend pas mieux. « Breaker » en 1981 enfonce
enfin le clou et permet à Accept de tourner en première partie de
Judas Priest. Le groupe n’est pourtant pas encore tout à fait en
place. Bien que la musique soit désormais un heavy-metal carré et
efficace, le son manque cruellement de coffre.Au niveau image, Wolf Hoffmann, le guitariste et auteur de la plupart des morceaux, se trimballe encore avec un blouson de baseball en soie, et Udo Dirkschneider, avec son physique trapu et ingrat, portent une moumoute blonde et des futals à paillettes ou en skaï. Les musiciens tentent en vain de se fondre dans le moule esthétique de Queen, Scorpions, Rainbow ou Thin Lizzy, avec boots à talons et pantalons pattes d’éph, mais cela ne leur sied guère.
Durant la tournée britannique et
allemande avec Judas Priest, Accept est obligé de piquer de la
nourriture dans les plats de traiteur du groupe anglais, tant les
musiciens sont affamés et sans le sou. La maison de disques n’a
apporté aucun soutien financier, et ils doivent tout payer de leurs
poches.
L’arrivée de Gaby Hauke comme
manageuse va remotiver les troupes. Dure en affaire, elle permet à
Accept de tourner dans des conditions décentes partout dans le
monde. De ces dix années d’expérience difficile, le quintet est
plus que jamais soudé et en colère. La formation s’est
stabilisée autour de Udo Dirkschneider au chant, Wolf Hoffmann à la
guitare, Peter Baltes à la basse, et Stefan Kaufmann à la batterie.
Le poste de second guitariste est mouvant, et , épuisé par cinq
années d’épuisant labeur, Jorg Fischer est remplacé par Herman
Frank en 1982. Ce dernier participera peu à l’enregistrement de
« Restless And Wild ».
Visuellement, Udo a abandonné le lamé
et les cheveux longs pour une coupe courte, et des vêtements de
treillis militaire camouflage. Les autres sont en noir, cuir et
jeans, déjà apparus courant 1981. Le symbole d’Accept est
désormais deux Gibson Flying V blanches entremêlées, et le logo,
un lion apparu en 1980 (et qui succède au renard de 1979), inspiré
de celui de l’armée belge de 1940. Hoffmann est passionné par
l’histoire de la Seconde Guerre Mondiale, il en réutilisera des
références sur des albums à venir.
Pour l’heure, ce sont cinq musiciens
remontés à bloc qui déversent riffs d’acier et rythmiques en
béton armée dans le studio. Si il y a une leçon qu’ils ont
retenu de la tournée avec Judas Priest, c’est le travail du son du
quintet de Birmingham, ce son de guitares précis et tranchant sur
lequel survole un chant haut perché. Mais Accept va y injecter
encore plus de puissance.
Plus globalement, Accept est la
synthèse parfaite entre AC/DC et Judas Priest. La voix de
Dirckschneider est un élément évident de comparaison avec la
formation australienne, sorte de mutant entre Bon Scott et Brian
Johnson dont la voix s’est fortement éraillé depuis le premier
album par un tabagisme très prononcé. Autre élément important
d’évolution, Gaby Hauke, alias Deaffy, et futur femme de Hoffmann,
participe à l’écriture des paroles de chansons. Alors que le
groupe, d’origine allemande, peine à écrire des textes
intéressants en ratissant le dictionnaire, Deaffy permet à Accept
de sortir de la sainte-Trinité alcool- filles-good times, cliché du
hard-rock par excellence, pour s’orienter vers des sujets plus
socio-politiques. Par la suite, les thèmes abordés seront
audacieux : l’homosexualité, les injustices sociales,
l’histoire.
Cet aspect sera souvent totalement éludé de la vision
que le public aura du groupe, plus enclin à en faire des bourrins
avec leurs treillis et leurs bières bavaroises. Cela sera encore
renforcée par la petite musique d’introduction de la première
chanson de ce disque : « Fast As A Shark ». Afin de
créer un contraste un peu rigolo avec la furie du morceau et faire
preuve d’un peu d’auto-dérision avec les origines allemandes des
musiciens, Accept va utiliser la chanson à boire « Ein Heller
und Ein Batzen » datant de 1830. Sauf qu’en France et en
Pologne, le thème de la chansonnette « Heidi, Heido, Heida »
est utilisé pour illustrer les images des dignitaires nazis dans les
documentaires historiques. Le résultat va être une confusion totale
sur la formation, sa musique et ses thèmes de textes, qu’elle
traîne encore de nos jours.
Cet album est en beaucoup de points
parfaitement définitif. Sa puissance y est absolument colossale.
Quel que soit le tempo, rapide ou écrasant, chaque riff est un
upper-cut. Dirkschneider y est particulièrement teigneux. Ce disque
ouvre en beaucoup de points la voie au trash-metal. A l’instar de
Venom, « Restless And Wild » a ce quelque chose de
définitif dans la musique Rock. Plus rien ne sera pareil après, et
il sera finalement difficile de faire aussi furieux. Il y aura bien
sûr le chant growl du Death-Metal, les blasts de batterie du Black,
l’imagerie ultra-gore du Grind, il y aura toujours plus vite, plus
crade, plus hurlé, mais rien n’arrivera à ce concentré de colère
sans tomber dans la caricature. Venom avait ce côté Punk satanique,
Accept a la précision et la force ultime. On est encore au-delà de
Iron Maiden, dont la contribution au heavy-metal est majeure en ce
début d’années 80. Mais ils n’auront pas ce quelque chose de
totalement indépassable en termes d’agressivité et de noirceur.
Une fois la petite introduction
germanique passée, un cri possédé déchire les enceintes. Puis
« Fast As A Shark » fonce comme un train fou, avec sa
double grosse caisse matraquant à vous pousser le cœur hors de la
cage thoracique. Les deux guitares déchirent l’air lourd comme un
hachoir à viande. Chaque coup de médiator coupe comme une lame
effilée. Dirkschneider rugit ses histoires de mort et de marginaux.
Tout est carré, parfaitement à sa place. Cette précision, acquise
par des années à tourner sans relâche depuis des années, on la
retrouve dans le chorus d’inspiration classique avec les guitares
en tierce. Pas de fausse note, ni de contretemps. Sans répit,
« Restless And Wild » prend le relais d’une rythmique
de plomb, rapide et sûre. Les guitares galopent comme des chevaux
sauvages, cavalcade hallucinée, ivre de vengeance, l’oeil noir.
L’enchaînement de ces deux morceaux est simplement brillant.
Mais la suite est tout aussi
fracassante. On y sent davantage l’influence d’AC/DC sur « Get
Ready », « Don’t Steal Your Soul Away », ou
« Ahead Of The Pack ». « Flash Rockin’ Man »
est sans doute le plus brillant de tous, un morceau que ce coup-ci le
quintet australien aurait pu piquer à Accept. « Shake
Your Head » ou le redoutable « Demon’s Night »
se rapprochent de Judas Priest. Mais on y distingue dans tous une
urgence typiquement punk, que ce soit dans les riffs comme dans la
colère permanente. En cela, on retrouve finalement un peu du son de
…. Trust.
Mais il y a quelque chose de totalement implacable qui
rend la musique d’Accept si dangereuse, si menaçante. Comme le
martèlement des aciéries de la Ruhr, qui font écho à celles de
Birmingham.
« Balls To The Wall »
poursuivra cette recette magique, et permettra enfin à Accept
d’accéder au cercle très fermé des meilleurs formations de
heavy-metal européennes. Mais par rapport à « Restless And
Wild », on sent que le quintet a franchi un palier décisif, et
qu’il est désormais en grande partie sorti d’affaire.
Par la
suite, le groupe tentera d’injecter de la mélodie, en quête de
respectabilité musicale. Mais cette dernière était depuis
longtemps acquise. « Restless And Wild » sent la
frustration et la faim, il est gorgé de danger. Et il avait assommé
tout le heavy-metal mondial dés sa sortie. Les ricanements de la
critique et des autres groupes ne faisaient que cacher la crainte et
la peur qu’il avait engendré.
tous droits réservés
7 commentaires:
Mouais... L'histoire de la banque en introduction, c'est du vécu ? Ou bien que l'on souhaiterait bien commettre ?
La voix d'Udo m'a bien souvent rebutée (pas sur tous les titres, notamment "Princess of the Dawn"), toutefois, il est vrai que cet opus était un véritable uppercut.
Salut,
La pochette original de l'album c'est celle-là ou du moins celle qui avait sur ma K7 et vachement plus puissante et incantatoire que celle de la reddition.
http://eil.com/images/main/Accept-Restless-And-Wild-438502.jpg
sinon l'article est sympa.
Il y a des envies en ce moment. Mais je trouve que c'est le genre de disque parfait pour t'imaginer en train de la faire et du coup t'en passer l'envie. Un parfait defouloir pour les gens civilisés en somme.
La pochette original (du 33 tours) est bien celle du groupe sur scène. Ce qui tranche d'ailleurs avec l'imagerie d'alors des albums du groupe (d'une certaine façon proche de celle du Scorpions de la même époque).
Eh bien les gars, permettez moi de vous contredire! 😊
La pochette originale est bien celle avec les guitares ici présentes. Il s'agit du pressage allemand original sur le label Brain (celui de Can notamment). Celui dont vous parlez est le pressage original anglais, sur le label Heavy-Metal (celui de Witchfinder General ).
Tu m'en apprends une bonne. Personnellement, je n'avais jamais connu une autre que celle du groupe sur scène. Mais pourquoi donc changer de pochette ? Surtout quand l'originale est déjà pas mal. Et dans ce cas, justement, l'originale est largement mieux (plus frappante et mémorable).
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