samedi 17 janvier 2015

JOHN CALE & TERRY RILEY


" « Church Of Anthrax » s’écoute d’un trait, comme un voyage. "

JOHN CALE & TERRY RILEY : « Church Of Anthrax » 1971

Il est des moments dans la vie où l’on a besoin d’évasion. Les épreuves de ces quinze derniers mois m’ont profondément éreinté. Et tout n’est pas réglé. Malgré le fait que ma vie ait profondément changé, mes ennuis liés au passé resurgissent encore pour me rappeler à leur bon souvenir. Je sens que je suis éprouvé psychologiquement. Je suis susceptible, sur le qui-vive, plus ou moins dans une forme d’angoisse permanente. Les phases de répit sont rares.
Même si l’amour m’apporte du réconfort et le sentiment d’être enfin important pour quelqu’un, je sais que mon anxiété chronique n’est pas toujours facile à vivre pour mon entourage proche.
Je sens que j’ai atteint un point de non-retour, que les choses ne seront plus les mêmes qu’avant toutes ces épreuves. Je ressens le besoin de m’évader psychologiquement pour retrouver mon calme. Cela passe par mon repli intérieur dans ma bulle personnelle : mes disques et mes livres notamment. J’ai besoin de chercher, de découvrir sur le Rock, l’art, l’histoire, l’automobile... tout ce qui me passionne. De temps en temps, je passe quelques courtes heures imprégné dans cet univers. Et je me sens m’éloigner de la médiocrité humaine.
Je suis plutôt porté sur la découverte. L’écoute de certains de mes chers disques a tendance à me replonger dans de sombres heures de mon passé, et cela gâche mon plaisir. Alors j’écoute des choses nouvelles, que ce soit d’artistes connus ou inconnus. Je vais où le vent me mène. Et ce dernier m’a plutôt conduit dans des contrées jazz-rock : Coltrane, Magma, Billy Cobham.... Et puis aussi un peu de Blues : Spooky Tooth, Robin Trower, Rory Gallagher et Dave Edmunds.
La réécoute ponctuelle de « Sister Ray » du Velvet Underground m’a emmené sur la piste de John Cale. Voilà un homme éminemment respecté par la presse de bon goût pour sa Pop symphonique désenchantée. Mais malgré mon ouverture d’esprit extrêmement large ces derniers temps, l’écoute des grands classiques certifiés que sont « 1919 », « Fear » ou « Slow Dazzle » m’ont encore laissé plutôt de marbre. Pas que je trouve cela mauvais ou insupportable, juste que mon âme troublée n’a pas vibré sur cette musique mélancolique un brin surjouée à mon goût.

Pourtant, en piochant dans la riche discographie de John Cale, je suis tombé sur cet album. Il y avait pourtant de quoi avoir des suées. En effet, il s’agit de la collaboration entre John Cale, artiste sombre et torturé, et Terry Riley, compositeur de musique contemporaine, minimaliste voire free-jazz. Ca sentait donc le disque masturbatoire à plein nez et j’hésitai longuement à y jeter une oreille. Mais dés les premières notes, je fus conquis.

Pour moi, il est à classer dans la catégorie de ces albums mystérieux au même titre que « Ceremony » de Spooky Tooth » ou « Speech » de Steamhammer. Pour les artistes précédemment nommés, ces albums étaient des sortes de parenthèses expérimentales dans une discographie cohérente musicalement parlant, des plongées dans la noirceur de l’âme. Dans le cas de John Cale, on peut se demander ce que l’homme peut bien produire de plus dérangé à la vue de ses albums solos ou de son passage au sein du Velvet Underground. Seulement voilà, en fait ce disque est ce qu’il a sans doute produit de plus original et audacieux.
Pour ce qui est de Terry Riley, on est plutôt dans ce qu’il a produit de plus accessible. L’homme est un expérimentateur, que ce soit dans la composition comme dans les instruments utilisés. On l’a vu ainsi travailler sur les premiers synthétiseurs comme sur le très bon disque « A Rainbow In Curved Air » de 1972, qui annonce le Krautrock électronique de Klaus Schulze et Tangerine Dream. Sur « Church Of Anthrax », Riley reste dans des territoires très jazz, utilisant le saxophone Soprano comme Coltrane, le piano et l’orgue Hammond. Cale apporte le violon, la basse, la guitare et le piano. David Rosenboom tient la batterie.
On navigue ici dans des eaux jazz-rock assez similaires par moments au Soft Machine période 1970-1971, et puis aussi à ce jazz coltranien qui inspira tant de musiciens anglo-saxons au milieu des années 60. Mais il y a un quelque chose en plus qui rend cette musique profondément unique.
« Church Of Anthrax » est une sorte de funk déglingué et obsédant, soutenu par une basse rude. Des accords de piano résonne en un écho hanté, puis Terry Riley débute une longue improvisation à l’orgue. Puis vient se greffer le saxophone. Les deux instruments se répondent en accélérations de notes et longs accords, provoquant peu à peu un vertige. On se sent ivre, des milliers d’images se succèdent, comme des flashs : une plage, un port de pêche sur la côte méditerranéenne, le soleil pâle d’hiver, les rues pavées, les murs aux couleurs claires.... et la musique comme une tournerie hispanisante, une impression douce amère, l’esprit qui s’échappe un peu, bousculé.
Suivant le principe de Christian Vander pour les concerts de Magma, Cale et Riley ont agressé, dérangé l’auditeur, le mettant face à ses propres angoisses, afin de le préparer à la vraie musique. « The Hall Of Mirrors In The Palace Of Versailles » est l’archétype du jazz coltranien que j’aime profondément. Lumineux, soyeux, au tempo calme, il est le climat idéal aux plus intenses rêveries. Les notes de saxophone coulent en une rivière de sons magiques résonnant dans l’écho, comme portées par le vent d’automne, soutenu par un piano acoustique au son profond et mélancolique. A son écoute, je n’avais pas vraiment pensé à Versailles, Mais plutôt à un village cathare sur une crête rocheuse dans le halo jaune-orangé d’une forêt d’octobre. Longue déambulation parmi les vieilles pierres, à écouter le silence juste perturbé par le vent dans les feuilles des arbres.
Ces deux rêveries aux tonalités fort différentes se voient succéder par une magnifique chanson pop dénommée « The Soul Of Patrick Lee ». Chantée par Adam Miller, elle n’est même pas vraiment caractéristique du style de John Cale, son auteur, aux compositions plus emphatiques. La mélodie est empreinte d’une grande nostalgie. Et finalement, elle se fond magnifiquement à la suite des deux premières pièces de jazz qui l’ont précédé.
Il sert d’introduction aux tonalités free de « Ides Of March ». Les pianos acoustiques se répondent en écho sur un tempo swing de batterie. Les circonvolutions de notes de Cale et Riley provoquent une nouvelle ivresse chez l’auditeur imprudent. On ne peut se détacher de cette avalanche de notes presque boogie.
De boogie, il en est presque question avec « The Protege ». On y distingue des tonalités assez classiques, surtout de la part de musiciens aussi audacieux que Cale et Riley. On y entend les réminiscences de Fleetwood Mac, Savoy Brown. Mais toujours avec ce malaise rampant, qui fait que jamais on ne tombe dans la parodie téléphonée. La batterie souffle derrière les deux pianos, avant que cet album ne se clôt en un brutal larsen suraigu.
« Church Of Anthrax » s’écoute d’un trait, comme un voyage. On en ressort rincé, mais apaisé. Le cerveau, engourdi par l’étroitesse du quotidien, s’ouvre à nouveau. On est plus réceptif et durant trente-quatre petites minutes et les heures qui suivent aussi, le monde a été plus beau, plus fou, plus riche. Mais comme personne n’écoute ce genre de disque, on a l’impression d’avoir un petit monde secret à soi, une terre magnifique que personne ne connaît, ni ne comprend.
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1 commentaire:

Anonyme a dit…

Rien à redire sur ton billet jusqu'à l'avant-dernière phrase : même si les images sont qui nous viennent à l'esprit diffèrent d'une personne à l'autre, les sensations sont toujours les mêmes.

Mais lorsque tu écris "comme personne n’écoute ce genre de disque" ... Détrompe-toi ! Church of Anthrax est une (certes petite) église dans laquelle de très nombreux "initiés" viennent se recueillir régulièrement, un peu comme on peut encore le faire lors d'une retraite en monastère, pour réfléchir, méditer, se reposer, prendre du recul, etc.

En ce qui me concerne, rares sont les disques qui me permettent d'atteindre un tel niveau de sérénité. En fouillant bien dans ma discothèque, je devrais pouvoir en trouver à peine quatre ou cinq. Le seul qui me vient à l'esprit à cet instant est "No pussyfooting" de Robert Fripp et Brian Eno ... et peut-être aussi "Nous autres" avec Fred Frith et René Lussier (entre autres). Si tu ne connais pas, régale-toi !

Bonne route ;)