lundi 5 janvier 2015

THE RASPBERRIES 1973

  Bonne année à tous chers et fidèles lecteurs. Je vous souhaite à tous le meilleur pour cette nouvelle année, et une bonne lecture en espérant que vous y prenez toujours autant de plaisir.

"« On The Beach » fait partie de ces chansons que j’aime profondément."
THE RASPBERRIES : « Side 3 » 1973

Les bons moments dans la vie sont finalement très (trop) rares. On passe son existence à courir après, et à passer régulièrement à côté. La musique que l’on qualifiera de Pop au sens large se fait le chantre de ces good times, de la bonne soirée arrosée entre amis à la nuit sensuelle entre amoureux. Mais tout cela n’est finalement que bien peu de temps dans une vie, si l’on compare à celui que l’on passe à bosser comme des cons et à régler des merdes de la vie quotidienne, tout cela en devant côtoyer des abrutis. On y laisse son énergie et parfois sa santé, et ce pour un résultat toujours bien médiocre comparé à ce que l’on est en droit d’attendre de ses efforts.
J’ai un temps perdu tout plaisir à passer du temps avec du monde ou en couple. Il est parfois effrayant de constater combien on peut tomber bas à force de s’épuiser à vouloir être conciliant et serviable. On finit par s’oublier totalement, et plus rien n’arrive à vous rendre le sourire. Tout n’est que dérive et tristesse. Se reconstruire est un long processus, mais chaque bouffée d’oxygène de vie nouvelle a une saveur très particulière, celle qui vous fait à nouveau apprécier la vie à sa juste valeur. Seules les blessures passées vous font encore plonger dans des réflexes dépressifs idiots. Le goût amer de l’expérience passée suffit pourtant largement à alimenter le vague-à-l’âme, pas la peine d’en ajouter davantage.

La Power-Pop est finalement restée pour moi une sorte de jardin secret, un plaisir coupable au milieu des disques de hard et blues déchirant l’âme. J’ai découvert ce genre un peu confidentiel par le plus grand des hasards, en comprenant que celui-ci était grosso-modo l’alliage de la musique des Beatles, des Small Faces et des Who, soit trois groupes que j’apprécie au plus haut point. L’une des formations qui symbolise le plus cette fusion entre la puissance rock et la magie des mélodies fut les Raspberries.
Classiquement, après avoir lu une chronique de disques dans un vrai journal en papier, j’achetai en tombant par hasard dessus deux compilations regroupant rien de moins que leurs quatre albums. l’écoute m’enchanta, et en particulier celle de ce troisième opus paru en 1973.
Ce quatuor est le résultat de la fusion en 1971 de deux formations de Cleveland, The Choir et Cyrus Erie. On retrouve Wally Bryson à la guitare lead, David Smalley à la basse, Jim Bonfanti à la batterie et Eric Carmen au chant et à la guitare rythmique. L’ensemble des musiciens participent aux choeurs, bien évidemment, sinon, ce ne serait pas de la Pop, hein.
Le premier album éponyme permet à la formation de décrocher un numéro 5 dans le Top US avec la chanson « Go All The Way », qui se vendra à un million d’exemplaires. Malheureusement, le succès s’arrêtera à cette chanson, et les ventes d’albums ne suivront pas. Trop Rock pour le public populaire, trop pop pour le public Rock, The Raspberries n’arrivent pas à trouver son audience. « Side 3 » est une tentative de se rapprocher de ces fans des Who en enregistrant les nouvelles chansons avec un son plus direct, plus cru.
Moi qui suis un fan inconditionnel de la bande à Pete Townshend, il est bien évident que tout cela allait fortement me plaire. Ma grande crainte était finalement une mauvaise copie mal dégrossie de la musique originale, qui est l’écueil majeur sur lequel nombre de formations se sont lamentablement échouées. Mais les Raspberries sont foncièrement un groupe doué, un vrai. 

Ils ont d’abord une vraie énergie Rock, primordiale. Et ce dés leur premier 45 tours, le fameux « Go All The Way ». Les choeurs apportent le sucre qui cristallise les mélodies rutilantes, et fait que les Raspberries ne sont pas qu’un groupe de Rock US de plus. Plusieurs formations Power-Pop comme Badfinger ou les Rubinoos n’auront pas ce punch. Y compris dans le chant d’ailleurs, car Eric Carmen a un sacré coffre de rocker, une voix entre Roger Daltrey des Who, et Peter Cetera de Chicago pour le côté plus mélodique.

Cet ancrage Rock, c’est ce qui manquera d’ailleurs à Eric Carmen lorsque celui-ci partira dans une carrière solo qui sombrera dans le sirop le plus total. On lui doit notamment le « All By Myself » avec lequel Celine Dion et ses ersatzs exterminent nos tympans depuis plus de vingt ans.
Mais pour l’heure, l’homme et son groupe cherche une alternative au Hard-Rock viril de Led Zeppelin ou Black Sabbath, et au rock progressif et ses digressions instrumentales indigestes, celui de Yes ou Emerson, Lake And Palmer. Les Raspberries voulaient revenir à un format de chanson de trois minutes, alliant le talent d’écriture des Beach Boys, des Beatles, ou des Hollies avec le Rock direct des Who ou des Pretty Things. Une sorte de vision pré-punk, finalement.
Bien sûr, les arrangements mélancoliques au piano peuvent parfois sembler un peu mélodramatiques, notamment sur les deux premiers disques. Mais sur « Side 3 », ils laissent la place à un vrai Rock efficace et bien écrit. On y trouve d’ailleurs quelques similitudes avec le « Quadrophenia » des Who, les arrangements de claviers en moins.
« Tonight » refait le coup de « Go All The Way » en thème rentre-dedans d’ouverture de disque. Mais là où le couplet du tube des Raspberries se faisait presque mielleux, « Tonight » ne baisse guère la garde. Il conserve son énergie tout du long. Les arpèges des couplets, l’urgence du chant, la batterie puissante de Bonfanti emportent le plus dur des rockers dans un déluge d’emphase amoureuse. « Last Dance » se fait plus mélodique, avec de délicates touches américana, voire country en final. Chanson futée, elle surprend l’auditeur imprudent à siffler la mélodie en quelques secondes. « Make It Easy » débute comme un boogie-blues moite, teinté de guitare acoustique sur le couplet, Il conserve cette coloration bluesy marquée assez surprenante de la part des Raspberries. Et le résultat est ultra-efficace. 

« On The Beach » fait partie de ces chansons que j’aime profondément. Emplie de cette mélancolie adolescente un peu forcée, elle renvoie néanmoins à cette amertume que l’on a parfois lorsque la vie se fait injuste et difficile. Les arpèges de la SG Gibson double-manche de Bryson qui montent en procession à la fin du morceau sur fond de bord de mer .... On ressent cette douleur intérieure, cette résignation que l’on refuse mais qui semble inéluctable. Ce morceau parfait reste pour moi ce que le quartet de Cleveland a composé de plus fort mélodiquement parlant. 
« Hard To Get Over A Heartbreak » débute comme un bon vieux blues-rock avant que le refrain n’éclate, contagieux à souhait, avec ses choeurs beatlesiens. Il me paraît important de faire ici une petite pause dans ce déroulé des morceaux afin de parler du jeu des musiciens. En effet, nous avons à faire à quatre instrumentistes de talent. Jim Bonfanti est un batteur fabuleux, ses roulements de toms furieux sont du niveau de Bev Bevan des Move et même du maître lui-même, Keith Moon. David Smalley est lui fortement inspiré par John Entwistle, mais son jeu fin se rapproche plutôt de celui de John Paul Jones. Les deux formes une section rythmique puissante. Eric Carmen, en plus d’être un très bon chanteur, est un guitariste et un pianiste compétent. Bryson n’est sans doute pas un virtuose mais ses chorus, ses riffs et ses arpèges chantent sur le support musical infaillible de ses compères.
Sûr de sa force, les Raspberries le chantent haut et fort : « I’m A Rocker ». Encore un fabuleux blues-rock mélodique, fil conducteur de ce disque. « Should I Wait ? » se fait plus country avant qu’avec « Ecstasy » l’orage n’éclate à nouveau. On retrouve la force et l’emphase de « Tonight ». La tension y est incroyable, tenue par la basse linéaire et les roulements furibonds de caisses. « Money Down » est un heavy-blues poisseux très zeppelinien rappelant « The Lemon Song ». Mais toujours malins, les Raspberries y rajoutent quelques touches de cuivres soul, fiers de la musique noire de leur pays.
« Side 3 » est un excellent album de Rock, riche et ambitieux, il aurait pu satisfaire bien des publics, mais il ne trouva jamais le sien. Terrible injustice que le sort de ce groupe si talentueux, qui produisit quatre excellents disques en à peine trois ans avant de disparaître corps et âmes. Il refit surface en 2005 et 2007 pour quelques dates de reformation dont témoigne un très bon live. Encensé par de multiples musiciens américains, de Bruce Springsteen à Courtney Love, ils purent goûter enfin à un peu de reconnaissance, trente années plus tard. La galaxie Power-Pop compte de multiples groupes merveilleux : Todd Rundgren, Nazz, Badfinger, Big Star, Rubinoos, Artful Dodger... mais les Raspberries restent incontestablement les plus merveilleux, ceux dont la magie de la musique est indescriptible et intacte.
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