BRIAN AUGER’S OBLIVION EXPRESS « Second Wind » 1972
Le timide soleil de février éclaire à nouveau le ciel. Le vent est frais, mais il n’est pas hostile. Quelques feuilles rebelles volent encore, balayant la nature des dernières traces de l’année passée. Je me sens bien, j’ai comme l’impression que le vent nettoie mes pensées, me permet d’enfin faire le point, d’y voir plus clair.
Jamais le vie ne m’a paru aussi pénible que ces derniers temps. Tout paraît complexe et injuste. A l’heure où le président de la République se permet de traiter de con un opposant fort peu revendicatif finalement, à l’heure où le patronat et le grand capital semble danser sur nos tombes comme de vilains abbés saouls dignes de peintures de Bruegel l’Ancien, à l’heure où l’injustice et l’inhumanité trônent comme les seules valeurs sur un torrent de religiosité nauséabonde et de révisionnisme notoire, j’écoute le vent. Comme un second souffle.
Ce disque fait parti de ce second souffle. Petite merveille découverte il y a peu, et issue de la discographie d’un artiste pourtant connu de longue date, « Second Wind » est un sommet artistique.
Le rock qui se cherche devrait aller de ce côté-ci de la musique, si je puis me permettre. Pas besoin de Philippe Manœuvre dans son nouveau rôle de chercheur de nouvelle star (ouah ! Ca c’est rock !) pour trouver la nouvelle voie.
Car voilà, ce disque synthétise plusieurs courants musicaux avec une maestria rare, en fait. Là où de grands groupes, de Deep Purple aux Rolling Stones, ont tenté de fagociter la musique noire, Brian Auger a réussi le pari d’en faire une musique originale, et pourtant incroyablement familière.
En 1972, Brian Auger n’est pas un inconnu. Par contre, il serait plutôt enclin à le redevenir. L’homme a en effet connu un important succès entre 1965 et 1968 grâce à plusieurs hits mods en compagnie de la chanteuse Julie Driscoll. Auger est un fantastique organiste issu de la scène blues et jazz anglaise du début des années 60. Il officia en effet aux côtés de Cyril Davies, l’un des pères du British Blues-Boom aux côtés de John Mayall et Alexis Corner.
Il se spécialise à l’époque dans l’orgue Hammond, un nouveau clavier électrique que seuls quelques musiciens noirs ont utilisé dans le blues américain aux débuts des années 60. Instrument bâtard, il est considéré comme un parent pauvre du piano, le son étant bien trop agressif et considéré comme brouillon. Il faut donc toute la dextérité d’un Brian Auger pour en sortir la quintessence, défrichant ainsi le terrain à d’autres prodiges de l’instrument, Jon Lord et Keith Emerson en tête.
Donc Auger développe son rythm’n’blues autour de cet orgue, accompagné d’un groupe carré qui deviendra le Trinity à la fin des années 60. En 1970, Julie Driscoll devient l’épouse de Keith Tippett, et par là même, quitte son premier mentor.
En 1970, le rock a bien changé, dominé par le rock progressif et le hard-rock. A cette époque, Brian Auger a trente ans, âge canonique pour un rocker. Ses aspirations ne vont ni au psychédélisme, ni à la démonstration gratuite, ce qui fait de lui un musicien plutôt vulnérable à l’heure de la surenchère sonore. Même Jimi Hendrix et Bob Dylan y laisseront des plumes.
En 1971, Brian Auger fonde son Brian Auger’S Oblivion Express. Un premier disque est gravé avec Jim Mullen à la guitare, Barry Dean à la basse et Robbie McIntosh à la batterie. Combo blanchâtre anglais, il est le terrain d’une fusion complexe : le rythm’n’blues, le funk, le jazz, et le rock. Le tout sans tomber dans le cliché jamesbrownien.
Le second disque, « A Better Land », est déjà une merveille, mais celui-ci est un aboutissement. Greffé au chant, Alex Ligertwood apporte une coloration proche de Stevie Winwood. D’ailleurs, si l’on peut comparer l’Oblivion Express à un autre groupe, c’est bien Traffic. Pourtant, les aspirations progressives sont moindres.
Auger est un musicien de jazz, et favorise le rythme, le swing. Du coup, chacun de ces six titres sont des développements rythmiques, mais empreints d’un incroyable feeling, d’une âme soul. « Truth », qui ouvre l’album, déclenche une tempête jazz. « Don’t Look Away » est une autre variation jazz, mais la rythmique court sur un funk déglinguée, happé par les cymbales. « Somebody Helps Us » est un funk torride, puissant, galopant sur la basse comme un pur-sang arabe. « Freedom Jazz Dance », malgré son nom, est plus rock que jazz, avec un groove plus épais, plus lourd. Le funk miraculeux revient avec « Just You Just Me », et il n’est pas improbable que ce titre ait marqué un certain Isaac Hayes pour son « Shaft ». Et puis le final « Second Wind » est l’ultime cri d’espoir, la fusion de tous ces courants.
Chaque musicien est à la fois brillant de technicité, et en même temps d’humilité et de classe. Auger est impressionnant à l’orgue, classieux au piano électrique, brillant au Fender Rhodes. La classe, je vous dis.
Et puis il se dégage une sensation de bien-être dans cette musique, comme portée par le rythme, les instruments, les mélodies, la voix. Comme si chaque envolée d’Hammond, chaque roulement de toms, chaque friselis de cymbale, chaque accord de basse étaient autant de battements d’un cœur que l’on croyait mort dans le cholestérol de la misère humaine.Une fois découvert, ce disque ne vous quittera plus. Car il est l’éclaircie des journées de merde. Et sachez que ça fait du bien. tous droits réservés
Le timide soleil de février éclaire à nouveau le ciel. Le vent est frais, mais il n’est pas hostile. Quelques feuilles rebelles volent encore, balayant la nature des dernières traces de l’année passée. Je me sens bien, j’ai comme l’impression que le vent nettoie mes pensées, me permet d’enfin faire le point, d’y voir plus clair.
Jamais le vie ne m’a paru aussi pénible que ces derniers temps. Tout paraît complexe et injuste. A l’heure où le président de la République se permet de traiter de con un opposant fort peu revendicatif finalement, à l’heure où le patronat et le grand capital semble danser sur nos tombes comme de vilains abbés saouls dignes de peintures de Bruegel l’Ancien, à l’heure où l’injustice et l’inhumanité trônent comme les seules valeurs sur un torrent de religiosité nauséabonde et de révisionnisme notoire, j’écoute le vent. Comme un second souffle.
Ce disque fait parti de ce second souffle. Petite merveille découverte il y a peu, et issue de la discographie d’un artiste pourtant connu de longue date, « Second Wind » est un sommet artistique.
Le rock qui se cherche devrait aller de ce côté-ci de la musique, si je puis me permettre. Pas besoin de Philippe Manœuvre dans son nouveau rôle de chercheur de nouvelle star (ouah ! Ca c’est rock !) pour trouver la nouvelle voie.
Car voilà, ce disque synthétise plusieurs courants musicaux avec une maestria rare, en fait. Là où de grands groupes, de Deep Purple aux Rolling Stones, ont tenté de fagociter la musique noire, Brian Auger a réussi le pari d’en faire une musique originale, et pourtant incroyablement familière.
En 1972, Brian Auger n’est pas un inconnu. Par contre, il serait plutôt enclin à le redevenir. L’homme a en effet connu un important succès entre 1965 et 1968 grâce à plusieurs hits mods en compagnie de la chanteuse Julie Driscoll. Auger est un fantastique organiste issu de la scène blues et jazz anglaise du début des années 60. Il officia en effet aux côtés de Cyril Davies, l’un des pères du British Blues-Boom aux côtés de John Mayall et Alexis Corner.
Il se spécialise à l’époque dans l’orgue Hammond, un nouveau clavier électrique que seuls quelques musiciens noirs ont utilisé dans le blues américain aux débuts des années 60. Instrument bâtard, il est considéré comme un parent pauvre du piano, le son étant bien trop agressif et considéré comme brouillon. Il faut donc toute la dextérité d’un Brian Auger pour en sortir la quintessence, défrichant ainsi le terrain à d’autres prodiges de l’instrument, Jon Lord et Keith Emerson en tête.
Donc Auger développe son rythm’n’blues autour de cet orgue, accompagné d’un groupe carré qui deviendra le Trinity à la fin des années 60. En 1970, Julie Driscoll devient l’épouse de Keith Tippett, et par là même, quitte son premier mentor.
En 1970, le rock a bien changé, dominé par le rock progressif et le hard-rock. A cette époque, Brian Auger a trente ans, âge canonique pour un rocker. Ses aspirations ne vont ni au psychédélisme, ni à la démonstration gratuite, ce qui fait de lui un musicien plutôt vulnérable à l’heure de la surenchère sonore. Même Jimi Hendrix et Bob Dylan y laisseront des plumes.
En 1971, Brian Auger fonde son Brian Auger’S Oblivion Express. Un premier disque est gravé avec Jim Mullen à la guitare, Barry Dean à la basse et Robbie McIntosh à la batterie. Combo blanchâtre anglais, il est le terrain d’une fusion complexe : le rythm’n’blues, le funk, le jazz, et le rock. Le tout sans tomber dans le cliché jamesbrownien.
Le second disque, « A Better Land », est déjà une merveille, mais celui-ci est un aboutissement. Greffé au chant, Alex Ligertwood apporte une coloration proche de Stevie Winwood. D’ailleurs, si l’on peut comparer l’Oblivion Express à un autre groupe, c’est bien Traffic. Pourtant, les aspirations progressives sont moindres.
Auger est un musicien de jazz, et favorise le rythme, le swing. Du coup, chacun de ces six titres sont des développements rythmiques, mais empreints d’un incroyable feeling, d’une âme soul. « Truth », qui ouvre l’album, déclenche une tempête jazz. « Don’t Look Away » est une autre variation jazz, mais la rythmique court sur un funk déglinguée, happé par les cymbales. « Somebody Helps Us » est un funk torride, puissant, galopant sur la basse comme un pur-sang arabe. « Freedom Jazz Dance », malgré son nom, est plus rock que jazz, avec un groove plus épais, plus lourd. Le funk miraculeux revient avec « Just You Just Me », et il n’est pas improbable que ce titre ait marqué un certain Isaac Hayes pour son « Shaft ». Et puis le final « Second Wind » est l’ultime cri d’espoir, la fusion de tous ces courants.
Chaque musicien est à la fois brillant de technicité, et en même temps d’humilité et de classe. Auger est impressionnant à l’orgue, classieux au piano électrique, brillant au Fender Rhodes. La classe, je vous dis.
Et puis il se dégage une sensation de bien-être dans cette musique, comme portée par le rythme, les instruments, les mélodies, la voix. Comme si chaque envolée d’Hammond, chaque roulement de toms, chaque friselis de cymbale, chaque accord de basse étaient autant de battements d’un cœur que l’on croyait mort dans le cholestérol de la misère humaine.Une fois découvert, ce disque ne vous quittera plus. Car il est l’éclaircie des journées de merde. Et sachez que ça fait du bien. tous droits réservés
1 commentaire:
Très bon album. À noter que l'ami Brian s'exprime très bien en français, comme le montre son passage à Rockenstock en 1972 (où il interprète "Don't look away" :
http://www.youtube.com/watch?v=WgovpwekyDI
Oyax
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