dimanche 28 avril 2019

THE ROLLING STONES 1974


"Ils sont déjà des vieux alors que commence à pousser une nouvelle génération avec les New York Dolls et les Stooges. "



THE ROLLING STONES : It's Only Rock'N'Roll 1974

Mick Taylor a une moue d'enfant boudeur. Son regard est doux. C'est un garçon posé, calme. Il contraste avec la folie qui règne autour des Rolling Stones. Ses cheveux raides forment un casque d'un blond vénitien, légèrement ondulé. Il brode des motifs bleus sur les riffs de Keith Richards, distillant des notes acides ou de belles lignes de slide avec son bottleneck sur sa Gibson Les Paul. Il bouge peu sur scène, laissant le travail de scène à Mick Jagger, et dans une moindre mesure à Keith Richards. Taylor se contente d'être présent musicalement, puissamment.

Il fallait être un musicien doué pour remplacer l'imaginatif Brian Jones, mais aussi une personnalité discrète qui ne viendrait pas trop embêter le monopole Jagger-Richards. Nous sommes en 1969, et son arrivée se fait sur l'album Let It Bleed. C'est tout simplement l'un des tous meilleurs albums du groupe, qui doit pourtant succéder au magnifique Beggar's Banquet de 1968. Devant la virtuosité naturelle de Taylor, Richards décide de s'effacer, et de se concentrer sur les riffs et les rythmiques, laissant le jeune homme enluminer les mélodies. Il brille de mille feux sur l'album en direct Get Yer Ya-Ya's Out en 1970. Les vieilles scies stoniennes sont transfigurées, magnifiées : « Sympathy For The Devil », l'opéra-blues « Midnight Rambler »….

Keith Richards, malgré sa dépendance à l'héroïne, domine la composition. En roue libre, il s'imbibe de psychotropes, d'alcool, de blues et de country. Jagger apporte ses textes, mais contribue peu à la musique, car le seul avec qui Richards peut échanger des idées est Taylor. Toujours dans l'ombre, il n'hésite pas à sortir sa guitare et à improviser sur les idées produites, en apportant d'autres. Les soirées sont longues. Le groupe commence à travailler vers 22 heure, et ne s'arrête qu'au petit matin. C'est la période vampire, sur la riviera française. Sticky Fingers sort en 1971, le double Exile On Main Street en 1972. Le blues-rock domine la tonalité. Mick Taylor et son passage dans le groupe de John Mayall alimentent indiscutablement la musique des Rolling Stones, belle, pure, riche.

Les concerts sont aussi des événements, et chaque tournée est un triomphe. Si les Rolling Stones ne sont pas des bombardiers électriques comme Led Zeppelin, les Who ou Deep Purple, un set des Stones est un alignement de morceaux magnifiques, rock, blues, sensuels, interprétés avec un feeling et une sensibilité musicale unique. Même si les Rolling Stones ne donnent pas dans la furie hard, il règne autour d'eux d'un halo sulfureux de sexe et de drogues, un hédonisme totalement outrageant. Et puis, du duel prestigieux qui les opposa avec les Beatles, ils en sont les grands vainqueurs, toujours là et au sommet de leur forme créative.

Les histoires de drogues de Richards commencent à poser des problèmes. Le groupe est obligé de quitter la France, tous les dealers du sud-est du pays alimentant la maison du guitariste. La police est sur les dents, c'est l'époque de la French Connection. Il perd aussi sa main-mise sur le groupe, qui barbote un peu après quatre albums studios fabuleux d'affiler. Goat Head's Soup paraît en 1973. Commercialement, tout va bien, grâce au tube « Angie ». Mais c'est une ballade, un slow, une première pour les Rolling Stones, la première concession commerciale. Il y a un beau clip, les musiciens jouant devant les caméras avec un Mick Jagger plus caricatural que jamais. Le groupe est interdit de territoire français, un concert est organisé à Bruxelles pour les fans français, avec des trains affrétés par la radio RTL. Sur scène, la formation est en pleine forme, et la tournée dans l'hémisphère sud achève d'asseoir leur réputation scénique. L'enregistrement de l'album suivant va se révéler plus compliqué.

Après trois années d'activité intense, entre albums et tournées, les musiciens semblent un peu rincés. Richards patauge dans l'héroïne. Jagger sniffe de la cocaïne et adore les clubs branchés de la haute-société. Charlie Watts se rafraîchit les cheveux avec une coupe Bovver-Rock, et picole comme un trou. Quant à Bill Wyman, il enregistre ses premiers simples en solo dont « Monkey Grip Glue ».
Mick Taylor a aussi été touché. Ses cheveux blonds naturels se sont teints de platine pour être dans le ton Glam-Rock. Le khol lui emplit les yeux, et sa moue est bien triste. Le Jazz-Rock est en train de connaître une véritable explosion avec Mahavishnu Orchestra, Return To Forever, Santana, Weather Report…. Taylor voudrait développer des musiques plus sophistiquées. Seulement voilà, les Rolling Stones ne sont pas des virtuoses. Ils sont bons ensemble, mais aucun n'est un prodige de son instrument. Leur cohésion est leur force. Leurs défauts aussi.

Des scories des précédents albums ressortent quelques belles idées. Richards veut revenir à un vrai disque de Rock. La ballade « Angie » ne lui a pas plu. Taylor s'en réjouit. Jagger arrive avec quelques idées piquées dans les clubs, et notamment issues de la musique Funk. Wyman s'en fout, et Watts reste lui-même. C'est dans ce climat un peu étrange, en semi-déliquescence, que va être construit ce disque.

Goat Head's Soup avait déçu, les Rolling Stones vivent une période de difficulté au niveau de la musique. It's Only Rock'N'Roll va vite être oublié. Considéré comme inférieur aux grands disques des Stones, comme son prédécesseur, il disparaîtra dans l'histoire du groupe d'autant plus vite qu'à peine après sa sortie, Mick Taylor s'en ira, en mai 1974. On ne sait comment le qualifier, peut-être un disque de transition. Il est tellement supérieur musicalement à tout ce qu'ont pu faire les Stones avec Ron Wood par la suite qu'il mérite bien un peu d'attention.

It's Only Rock'N'Roll est un superbe album. Il n'est ni doté de la richesse sonore de Sticky Fingers ou de Exile On Main Street, ni de la férocité des premiers albums. La production est sophistiquée mais rude. Il y a quelques effets, très mesurés, rien de surfait. Ce qui ressort en fait de cet album, c'est une immense mélancolie. Comme si les cinq musiciens étaient au bord d'un précipice. Ou plutôt sur ce sommet de l'excellence, et que le pas de plus était celui de la redescente vertigineuse. Tous sont perturbés personnellement. La magie du Rock'N'Roll n'aura pas suffi a effacé les blessures : la drogue, les divorces, l'alcool, la solitude, la pression, l'argent…. C'est ce qui fait la beauté de It's Only Rock'N'Roll : c'est un album de pur rock d'où suinte la douleur de la vie. Et la superbe pochette de Guy Pellaert en est le symbole : les Stones sont les rois du monde, mais c'est un univers un peu déglingué, sur le fil du rasoir.

Le premier morceau est un fier blues-rock stonien : « If You Can't Rock Me ». C'est presque, déjà, une caricature du son des Stones. Pourtant, il est ultra-efficace. La production est superbe. Tous les instruments sont bien mis en valeur, y compris la basse et la batterie. Wyman a même droit à son mini-solo funky. « Ain't Too Proud To Beg » est un boogie qui sera le théâtre d'un clip très Glam. Tous les musiciens sont habillés en costume de satin rose. Jagger est fardé comme une prostituée, la chorégraphie un peu ridicule. Le morceau est plutôt bon, et annonce « Start Me Up » et bien d'autres choses de la fin des années 70.

« It's Only Rock'N'Roll » sera l'autre clip, avec les musiciens en costume de marins dans un vaste bain de mousse, une idée piquée aux clubs fréquentés par Jagger. Taylor chorusse toujours de fort belle manière. Après « Angie », le voilà propulsé dans l'univers de la vidéo musicale qui commence à se répandre. Le guitariste est blond, grand, un peu rigide, avec son khol sur les yeux. Il semble fatigué, mais pourtant pas à cours d'idée.

L'album devient encore plus intéressant avec les chansons qui suivent, et qui n'auront pas l'honneur d'un vidéo-clip. « Till The Next Goodbye » est un magnifique Country-Blues qui rappelle « Dead Flower », ce genre de choses. Taylor apporte une ligne de guitare électrique, avec un souffle Jazz et de la bottleneck. Son inventivité n'est pas tarie.

Puis provient une merveille : « Time Waits For No One ». Sur cette beauté électrique enluminée d'acoustique règne une grande mélancolie. Le temps n'attend personne. Même pas les Stones. Ils sont déjà des vieux alors que commence à pousser une nouvelle génération avec les New York Dolls et les Stooges. Jagger transcrit magnifiquement le doute et la douleur intérieure. Les percussions sont inventives, et Taylor improvise quelques lignes caribéennes.

« Luxury » est au contraire une plongée dans la boue Blues. Richards équarrit un riff raide, tendu, infernal. Taylor ponctue, enlumine. La rythmique est saccadée, presque tribale. Jagger jongle vocalement sur ce massif vénéneux.
« Dance Little Sister » est une nouvelle semi-caricature de morceau des Stones, avec son riff caverneux. Il précède une ballade un peu mielleuse : « If You Really Want To Be My Friend ». Ce n'est pas très bon, et c'est originellement une idée de Mick Jagger, qui reproduira ce genre de miévrerie avec davantage d'intensité sur des disques à venir, comme « Fool To Cry » sur Black'N'Blue.

« Short And Curlies » est un petit intermède Blues et Rock qui semble issu de Exile On Main Street. Il précède un immense chef d'oeuvre, celui de ce disque : « Fingerprint Files ». Ce Blues-Rock Funk est le pinacle de cet album, presque la raison de l'acheter. Sur quasi sept minutes, Taylor et Richards se répondent comme des coyotes affamés, entre riffs sales et flashes de wah-wah. Wyman et Watts tapent un rythme impeccable, presque zeppelinien. Mick Jagger se prend pour un chanteur de soul. Il coasse, il éructe, comme les shouters noirs. Ce qui brille, ce sont les illuminations de Fender Telecaster à la wah-wah et les énormes arabesques de Les Paul de Mick Taylor. Il survole le Funk, se joue de lui, grogne le blues. « Fingerprint Files » est un immense morceau. Ce fut un choc lorsque je l'entendis par hasard à la radio, tard dans la nuit, il y a bien longtemps.

Le disque ne sera pas défendu en tournée. Taylor annonce son départ, il faudra recruter un successeur. Après des hésitations avec Jeff Beck ou Rory Gallagher, ce sera Ron Wood. La tournée du grand retour aura lieu aux USA en 1975.

Il annonçait à la fois Black And Blue, et le départ de Mick Taylor. Le jeune homme fuit sa dépendance évidente à l'héroïne, et va poursuivre une carrière solo discrète. On peut chercher des explications où l'on veut. Mick Taylor n'a fait que sauver sa peau, sortant d'un groupe où il a tout donné et bien plus. Beaucoup de ses contributions ne furent jamais rétribuées. Tout était signé Jagger-Richards. Pourtant, son impact artistique est évident. Son arrivée fut un choc sonore, son départ fut le début de la déliquescence artistique des Rolling Stones. Ron Wood et Keith Richards furent les meilleurs amis du monde, mai personne ne remplaça Mick Taylor, et son indescriptible talent. A tel point qu'il est encore difficile de l'évaluer à sa juste valeur.

tous droits réservés

4 commentaires:

Malvers a dit…

Salut Budgie, Ta chronique tombe comme un poil crépu sur une cuisse frite de poulet cajun... En ce moment je réécoute beaucoup les Stones typiquement la période avec Taylor, let it bleed, sticky finger et exil on main st... j'écoutais moins it's only rock'n roll car je ne l'ai pas en vinyle.. J'ignorais qu'on appelait ça la période vampire!? Tu le dis si bien, ils sont un véritable groupe et ça se palpe dans tous leurs disques y compris les mauvais... Mais j'adore ça avec les rolling stones: tu peux prendre chacun de leurs disques tu y retrouves toujours au moins un morceaux de blues mirockifié, mi-mélancolié à souhait post moiteur sexualisée! Enfin bon par où commencer?
Connaitrais-tu un bon livre illustré sur l'histoire des Stones!?
Ont ils sérieusement pensée à Rory, pour remplacer Taylor!!!? Rory était-il au courant!? Est-ce que ça aurait été le même feeling??... L'homme de Cork si humble, authentique et généreux... un poil moins histrionique que les Stones..?
Est ce que tu sais ce que valent les albums solo de richards dans ses autres groupes? D'autre part cette chronique m'a donné envie de ré-explorer leur discographie. J'ai lu des critiques incendiaires sur leur album Satanic Majesties request... Moi je le trouve spécial, mais c'est eux... et puis je trouve que Brian amenait vraiment qlq chose de plus au cocktail! Non? Au lycée je me saoulais au rock psyché, sgt pepper, jefferson airplane, gratefull dead etc pour moi celui des stones reste toujours une référence... Ils ont un peu piqué cette capacité de john lee hooker à retomber dans ses baskets en fonction de la demande du public, et à se mouvoir en caméléon d'un genre à un autre en restant eux même...comme quand mick chante reggae, Jah is not dead! avec tjrs ce petit mais lubrique balancement de hanche aux sons des guitares...

Bon courage et merci d'avance pour tes réponses.

Julien Deléglise a dit…

Salut Malvers,
Commençons par le premier point : le livre. Je te conseille "1969, année Rolling Stones" d'Ethan Russell chez Michel Lafon. Cet ouvrage richement illustré retrace la tournée américaine 1969 des Stones, la première avec Mick Taylor, celle qui conduira à Altamont. Je te conseille aussi l'autobiographie de Keith Richards, excellente.
Second point : Rory. Et comment qu'il le savait : il a fait une audition avec eux ! Toutefois, Rory était un compositeur et un showman solo. Le duo Jagger-Richards a eu peur qu'on leur fasse de l'ombre. D'autre part, ils cherchaient un musicien capable de se fondre dans le groupe, et de soutenir moralement un Richards à la dérive. Ron Wood fut le bon candidat. Toutefois, Jeff Beck fut également sérieusement démarché, c'est lui qui refusa.
Concernant les albums de Brian Jones, pour moi, le meilleur album psychédélique est "Between The Buttons" de 1967. Pour l'érudition Blues de Brian Jones, je te conseille "Beggars Banquet", mais aussi les trois premiers albums : "The Rolling Stones", "12X5" et "Out Of Their Heads". Le groupe ne compose pas encore (il va s'y mettre sur "Out Of Their Heads" avec "Satisfaction"), et reprennent du Blues et du Rock'N'Roll : John Lee Hooker, Muddy Waters, Chuck Berry...
Est-ce que les albums solo de Keith Richards sont bons ? La réponse est très sincérement non. Pour être tout à fait précis, Richards chante mal. Ca passe bien sur un ou deux titres des Stones, mais sur un disque complet.... Bon, lorsque le premier album solo de Richards est sorti, les Stones étaient englués dans un Rock merdique, donc c'était toujours mieux, plus Blues-Rock, mais c'est pas fameux. De manière générale, les Stones en solo, c'est anecdotique. Ce qui fait la magie, c'est quand ils sont ensemble. Jagger l'a bien compris, c'est pour ça qu'il a arrêté d'insister avec ses albums solo.
Toutefois, je peux te conseiller un disque intéressant : "Live From Kilburn" des First Barbarians. Ce live est à l'origine un concert de Ron Wood solo,pour promouvoir l'album "I've got my own album to do" en 1974. Sur cet album, on retrouve Keith Richards, Mick Jagger et Mick Taylor. Pour ce concert, Keith Richards vient jouer avec Wood. La musique est un joyeux bordel mêlant blues, rock, funk et reggae.
J'espère avoir répondu à tes questions, à bientôt !

Malvers a dit…

Merci je vais me pencher sur tout ça, livre et disque! Beggars banquet tellement mythique! De toute façon y avait tellement de concurrence cette année là... mais juste le début le grattement du diamant sur le sillon et le début des percu et le crapaud qui commence à chanter... please let me introduce my self!! Tout est là mais je réécouterais beetween the button! Le live aussi de promo de wood! D’autre part je bug toujours autant sur sister morphine et le quasi solo/impro de la guitare sur cinq minute qui enlumine tout le long de la chanson... est-ce de taylor ou de richards?! Parce que sur les live c’est toujours différent car j’ai l’impression que c’est un solo en fonction de l’inspi!? D’autre part c’est vrai que richards chante pas super, son tout dernier album de 2016 m’a déçu pour ça! Mais j’ai aussi découvert une video formidable que je te recommande où il joue avec james cotton en 2016 ( paix à son àme) et il y chante bien le little red rooster !! Et l’accompagnement à l’harmo du maître... Je ne sais pas si t’as écouté le dernier Blue and lonesome!? Moi y a certaines reprises que je trouve terribles où il y mettent de leur moiteur typique!! Merci de tes réponses, belle chronique pour robin trower aussi ( d’ailleurs c’est le premier album que j´ai pu trouver de robin trower chez mon disquaire après avoir lu une ta chronique sur son deuxième album!)

Julien Deléglise a dit…

L'improvisation de guitare sur "Sister Morphine" est l'oeuvre de Mick Taylor. Avec son arrivée dans le groupe en 1969, les postes de guitaristes se sont calés : Richards aux rythmiques, et Taylor aux soli. Richards a toujours reconnu que Taylor était un virtuose, et ne voyait donc pas l'intérêt de le brider et de vouloir le défier sur ce terrain. Concernant "Blue And Lonesome", ils ont en fait retrouver la formule de leurs deux premiers albums. malgré les années et les évolutions personnelles, ils restent les Rolling Stones, ceux qui ont composé "let It Bleed" et "Sticky Fingers"...