"Dans
les petites salles, le rythme s'accélère, et les nouveaux groupes
de Heavy-Metal trouvent enfin leur place sur l'affiche."
Johnny
Rotten fixe le public du Winterland de San Francisco pendant que le
reste des Sex Pistols ferraille « No Fun » derrière lui.
Puis la lumière s'éteint et il s'exclame dans l’obscurité et
d’un ton narquois : « Ah ! Ah ! On vous a bien
eu ! ». Ainsi se termine le dernier concert du groupe
Punk-Rock ultime, sonnant le glas d'un mouvement apparu durant l'été
1976. Le Punk fut un électrochoc pour le Rock anglais. Depuis le
début des années 70, les formations britanniques dominent le monde,
vendant des millions d'albums et remplissant les plus grands stades
au cours de tournées américaines aussi lucratives qu'interminables.
Le Hard-Rock et le Rock Progressif ont la main mise, accompagnés de
quelques vétérans des années soixante devenus des institutions :
Who, Rolling Stones, Kinks. Led Zeppelin, Deep Purple et Black
Sabbath sont les rois du Metal lourd, et ont comme beaucoup des
tendances à l'utilisation de synthétiseurs et aux improvisations
interminables dignes du courant Progressif. Le Hard-Rock n'est
d'ailleurs pas étanche à ce genre, et certains groupes très
populaires ont osé la fusion délicate : Jethro Tull par
exemple, mais aussi Yes, qui sait parfois faire rugir la guitare.
Deep Purple a toujours eu une propension a traîné dans les
structures Jazz et Classique, Led Zeppelin s'est lancé dans
plusieurs morceaux très progressifs, notamment sur les albums IV
et Houses Of The Holy. Et
même les massifs Black Sabbath ont eu recours au clavier de Yes,
Rick Wakeman, sur l'album Sabbath Bloody Sabbath,
et progressivement, sa musique va se sophistiquer vers un point de
non-retour pour les fans sur
Technical Ecstasy en
1976 et Never Say Die en
1978.
Le
Punk-Rock va être le rejet de ce Rock de trentenaires, virtuose,
encombré de claviers et de double voire
triple albums prétentieux.
Le Rock anglais a perdu le contact avec la base de son public qui
veut de l'électricité et une certaine forme de réalisme sur sa
condition. Les Who échappent ainsi à ce classement péjoratif grâce
à l'oeil averti de Pete Townshend sur la société. Les Anglais
préfèrent s'éclater sur des groupes plus proches d'eux :
Status Quo et Slade
en tête,
puis une nouvelle génération de groupes Hard-Rock plus simples et
directs : UFO, Thin Lizzy, The
Sweet ou Judas Priest.
Pourtant, cette seconde
génération arrive au milieu des années soixante-dix, et est vite
assimilée aux mammouths du Hard'N'Heavy, notamment
par leurs looks très Glam.
L'autre aspect qui ne colle pas, c'est la virtuosité, que les
groupes Punk bannissent, au nom du retour à la simplicité du Rock
anglais du milieu des années soixante, sans chichi. Malgré tout,
plusieurs personnages du renouveau Hard-Rock de la fin des années
soixante-dix sauront se faire accepter des Punks grâce à leur
ouverture d'esprit et leurs personnalités bien trempées : Phil
Lynott de Thin Lizzy, Pete Way de UFO, Steve Marriott d'Humble Pie,
ou Lemmy Kilmister de Motorhead.
Le
Punk balaie donc tout, et les maisons de disques se précipitent sur
le filon. Exit les groupes de Rock aux cheveux longs et aux accords
bluesy. Tous survivront grâce
aux tournées américaines, d'autres attendront que la tempête passe
pour surgir le moment venu, et certains arrêtent les frais, faute
d'engagements : Stray, Chicken Shack, Groundhogs….
Parmi
ceux qui serrent les dents, on retrouve quelques pionniers d'une
nouvelle vague métallique. Ils jouent dans les clubs, armés de
leurs cheveux longs et de leurs Gibson Les Paul, un mélange de
reprises Heavy-Rock pointues et de compositions originales. Ils
s'appellent Iron Maiden, Sledgehammer, Def Leppard, Saxon, Illusion
ou Diamond Head, et n'attendent qu'une chose : que ce satané
Punk fiche le camp.
C'est que les gamins n'adhèrent
pas vraiment à ces nouvelles formations. Quelques-unes brillent
au-dessus du lot par leur audace et leur personnalité :
Buzzcocks, Damned, Stranglers…. Mais beaucoup disparaissent au bout
de quelques simples, incapables de faire vibrer les gosses. Car ils
veulent des héros, des musiciens que l'on peut admirer, aduler. Il
faut des guitar-heroes, des chanteurs charismatiques, des bassistes
solides, des batteurs puissants et pas des tocards cachant leur
médiocrité derrière du spectacle de mauvaise qualité. Les Sex
Pistols ne pouvaient que disparaître, avec un bassiste incompétent,
un manager requin, et des musiciens sans ambition, à part un Johnny
Rotten dont les projets sont au-delà de la musique et de
l'excitation de la scène.
La
tornade finit par retomber. Les Sex Pistols lâchent la rampe en
janvier 1978, et leur manager, dans une ultime bravade, explique que
tout cela n'est qu'une escroquerie. Mais les gamins ne veulent pas
d'une escroquerie. Ils croient au Rock, aux bienfaits de
l'électricité, au pouvoir de ces fiers guerriers métalliques qui
brisent le carcan de la société imposée
par la politique sans pitié
de Margaret Thatcher. Dès
la mi-1978, il n'y a plus de groupes Punk dans les clubs. Ils
laissent place au Post-Punk, à la New Wave, ses atmosphères
glaciales et ses accords synthétiques.
Quelques guerriers venus d'Australie ont pris la place des
furieux : Angels, AC/DC,
Rose Tattoo…. Ils sont suivis de quelques desperados renégats,
venus de l'antre secrète des années soixante-dix : Motorhead,
Judas Priest désormais vêtus
de cuir noir, mais aussi
Budgie, dont le retour sera fracassant en 1979. Motorhead
va ainsi percer au jour après trois années de galère sans nom dans
l'ombre du Punk avec Overkill
début 1979. Quant à Budgie, après dix années sur la route, dont
trois en Amérique du Nord, il
a échoué. Il revient avec
un nouveau guitariste, John Thomas, et la rage au ventre. Le
maxi au titre Thrash If Swallowed Do Not Induce Vomiting,
suivi de l’album Power Supply,
publiés
en 1980, sont
de
violents
uppercuts
à base d'AC/DC-Judas
Priest, sales
et méchants,
presque Thrash avant l'heure, toujours
torturés
par l'esprit malsain du bassiste-chanteur Burke Shelley.
Même le vénérable Black Sabbath revient au Heavy-Metal tranchant
avec son nouveau chanteur, Ronnie James Dio et
l’implacable album Heaven And Hell.
Dans
les petites salles, le rythme s'accélère, et les nouveaux groupes
de Heavy-Metal trouvent enfin leur place sur l'affiche. Samson, Iron
Maiden, Sledgehammer, Saxon, Def Leppard, Diamond Head, Trespass, et
Tygers Of Pan-Tang sont les nouveaux héros. Dès
1979, les majors du disque prennent le train. EMI publie la
compilation Metal For Muthas avec
Iron Maiden en vedette, Tygers Of Pan-Tang signe chez sur
la major MCA. Mais cette
nouvelle vague désormais appelée New Wave Of British Heavy-Metal
(NWOBHM) par le magazine Sounds dès 1979 trouvent aussi sa place
dans l'autoproduction. Def Leppard, Trespass, Diamond Head …
publient leurs premiers disques par leurs propres moyens, pendant que
quelques labels indépendants tentent de lancer de nouveaux groupes
prometteurs : Neat Records, Ebony Records, Heavy-Metal Records,
Rondelet Records….Beaucoup
vont éclore grâce à ces circuits parallèles : Blitzkrieg,
Venom, Witchfynde, Witchfinder General, Savage….
Musicalement,
la NWOBHM est un véritable renouveau du Heavy-Metal. S’il est
fortement imprégné de la musique des prédécesseurs, il gagne en
nervosité en fusionnant avec l’urgence du Punk. Les tempi
s’accélèrent, les riffs sont plus tranchants et acérés, se
coupant de plus en plus nettement des bases Blues de la fin des
années 60. Les longs soli disparaissent pour chercher la concision,
le choc frontal.
L’une des grandes faiblesses de la NWOBHM deviendra aussi sa grande
force ; la quasi-totalité des albums du mouvement sont dotés
d’une production frustre, voire limite garage, qui renforce
l’esprit violent et sans concession de ce nouveau Heavy-Metal.
C’est un paramètre important qui fera partie intégrante de
l’esprit du Thrash à venir, mais aussi des premières productions
Black-Metal norvégiennes du début des années 90. Un bon disque de
NWOBHM se doit d’être cru, brutal, frustre, pour accentuer la
violence de la musique , lui donner ce son de la rue,
prolétaire, alors que Margaret Thatcher vient d’entamer la purge
du Royaume-Uni.
Ce
qui va aussi
faire la grande force de la NWOBHM, c'est sa richesse. S'arrêter aux
grandes formations est une erreur, car comme pour le Heavy-Rock du
début des années soixante-dix, la magie
réside aussi dans la seconde et la troisième division, avec des
albums totalement passés inaperçus, mais parfaitement fabuleux.
S'arrêter à Iron Maiden, Saxon et Def Leppard est une erreur, car
la vraie matière de la NWOBHM réside dans ses publications
secrètes. Ces groupes vont
profiter du rayonnement des formations de tête et de leur succès
commercial pour décrocher des tournées dans les clubs et les
petites salles, puis publier quelques simples voire un ou deux
albums. Preuve de l’engouement populaire pour le nouveau
Heavy-Metal : le Festival de Reading. Son édition de 1980 va
être un symbole de la suprématie de la NWOBHM sur le Rock anglais
avec à l’affiche la fine fleur du mouvement : Iron Maiden,
Budgie, Sledgehammer, Def Leppard, Praying Mantis, Angel Witch,
Tygers Of Pan-Tang, Samson…. Les deux éditions suivantes
conserveront d’ailleurs une affiche très métallique.
Il
y eut en fait plusieurs générations dans la NWOBHM : la
première, celle des pionniers historiques, avec Iron Maiden, Saxon,
Sledghammer, Fist, Tygers Of Pan-Tang, Witchfynde. Puis il y eut la
seconde, une fois la première établie, dès 1981 : Raven,
Venom, Holocaust, Demon…. Et enfin, celle qui lutta avec les
pionniers américains du Thrash soit
en cherchant l'agression sonore :
Jaguar, Blitzkrieg,
Warfare,
Cloven Hoof, Avenger, Rogue Male, Satan,
Chateaux….
Soit en pliant aux
sirènes mélodiques de Def Leppard : Jaguar encore, Cloven
Hoof, Blue Blud, Tygers Of Pan-Tang, Saxon, Raven, Praying
Mantis, Quartz, Grand Prix,
Dark
Star…. Voici
quelques clés parmi les nombreux groupes palpitants de ces années
métalliques anglaises entre 1980 et 1985.
(à suivre)
tous droits réservés
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire