"Le
contenu de Hold On a une âme mélancolique et amère bien
éloignée de la New Wave de l'époque. Trapeze a l'expérience de la
vie pour eux."
TRAPEZE :
Hold On 1979
Etre
sur la brèche, le nez dans le vent. Etre aux abois, mais le ventre
pétri de résignation. Se dire que l'on va faire du mieux que l'on
peut, mais que cela ne suffira pas pour atteindre le sommet. Que la
pierre que l'on va ajouter à l'édifice ne sera qu'une pierre de
plus, mais qui donnera de l'ampleur au résultat final. Et que malgré
tout, on aura passé de bons moments, qu'importe ce qu'il adviendra
dans les années à venir.
Lorsque
le guitariste Mel Galley fonda le groupe Trapeze en 1969 avec le
batteur Dave Holland, il avait sans aucun doute de beaux rêves. A
commencer par celui de fuir son quotidien de l'époque : le
Black Country. Région située entre Birmingham et Cardiff, elle
regroupe toutes les industries lourdes de la Grande-Bretagne :
sidérurgie, mines de charbon et de minerais. Son surnom provient de
la fumée et de la poussière omniprésentes qui flottent dans l'air
et recouvrent le paysage. D'abord quintet psychédélique, Trapeze
devient dès 1970 un power-trio : Galley à la guitare, Holland
à la batterie et le bassiste-chanteur Glenn Hughes. Sa voix
puissante, très soul survole désormais un hard-rock pétri de funk.
Medusa est un premier chef d'oeuvre électrique, totalement
oublié. Le troisième album de 1972, You Are The Music, We're
Just The Band, est l'accomplissement de cette fusion inédite,
surtout de la part d'un groupe de blanc-becs venu des tréfonds de la
Grande-Bretagne industrielle, davantage bercé par le Pub-Rock, le
Boogie et le riff lourd. Black Sabbath, Judas Priest, Budgie et la
moitié de Led Zeppelin, Plant et Bonham, viennent eux-aussi de ces
terres.
Cependant,
alors que Trapeze galère dans les clubs dans son pays natal, les
premières dates américaines portent leurs fruits, ils sont demandés
aux USA. Le trio se retrouve sur les plus belles scènes de l'Ouest
américain avec You Are The Music, We're Juste The Band, alors
qu'il n'est quasiment rien en Europe. Cette brutale rupture sera le
lot de Trapeze jusqu'à la fin de ses jours en 1982.
Alors
que leur carrière est en pleine ascension, Glenn Hughes est débauché
par Deep Purple en juillet 1973 pour remplacer Roger Glover et
assurer les choeurs aux côtés du nouveau chanteur David Coverdale.
La compilation The Final Swing regroupe les meilleurs titres
des trois premiers albums ainsi que deux inédits destinés à un
futur album qui ne verra jamais le jour. Elle connaîtra un joli
succès grâce au coup de projecteur lié au départ de leur
chanteur-bassiste vers une sommité du Rock international. Néanmoins,
Trapeze est décapité. Hughes regrettera souvent son départ,
d'abord confronté à un choix impossible entre son groupe de copains
indéfectibles en pleine ascension, et une consécration fulgurante
au sein de l'une des trois plus grandes formations de Hard-Rock du
monde. Ensuite, il y aura les affres de la célébrité, et une
consommation de cocaïne infernale qui détruira son existence et sa
carrière de 1976 à 1995, année où il décrochera enfin, et
reprendra avec application et frénésie une carrière solo qu'il
gâcha copieusement.
Trapeze
poursuit sa carrière en 1974, et embauche deux nouveaux musiciens :
le guitariste-chanteur Rob Kendrick et le bassiste Pete Wright. Mel
Galley assure aussi désormais le chant. Deux disques de très bonne
facture sortent : Hot Wire en 1974 et Trapeze en
1975. Comme le démontre l'excellent disque en direct Live At The
Boat Club 1975, Trapeze reste une tornade scénique. Dave Holland
est un batteur exceptionnel à la frappe parfaite, précis et
inventif. Galley et Kendrick délivrent des riffs et des chorus
sensationnels. Le groupe est d'une cohésion époustouflante,
puissant, sans concession. Le seul bémol se trouve dans la voix de
Mel Galley : très bon chanteur, on sent qu'il s'essouffle
pourtant en fin de set, et abîme la prestation de son groupe. Mais
en 1975, peu de formations anglaises ont une telle puissance de feu,
et un son aussi original, à la fois heavy et funk.
Sur
l'album Trapeze, Glenn Hughes est venu chanter sur deux
morceaux : « Chances » et « Nothin' For
Nothing ». En novembre 1975, Trapeze est mis en suspens afin
que Mel Galley et Dave Holland puissent assurer une série de
concerts au sein des Blue Jays, une formation comptant également
Justin Hayward et John Lodge des Moody Blues. Deep Purple a donné
ses dernières dates au printemps 1976 et se séparera officiellement
en juillet. Si l'album avec le nouveau guitariste Tommy Bolin, Come
Taste The Band en 1975, est excellent, la tournée est massacrée
par les problèmes d'héroïne et le manque de charisme de Bolin. Le
dernier concert aura lieu le 15 mars 1976 à Liverpool : David
Coverdale quittera brusquement la scène, exaspéré de voir Bolin
incapable de jouer, et Jon Lord le couvrir du mieux qu'il peut avec
son orgue. Hughes en sort vivant mais pas indemne. Bouffi,
blanchâtre, il picole et sniffe un à deux grammes de cocaïne par
jour. Toutefois, la première chose qu'il entreprend, c'est de
retourner auprès de ses compères Holland et Galley afin de leur
donner un coup de main. Hughes, encore sous contrat chez Purple
Records, leur fait bénéficier du confort d'un grand groupe de Rock.
Toutefois,
le fossé entre Galley et Holland d'un côté, et Hughes de l'autre,
est évident. Les deux premiers se sont contentés de quelques bières
et de cachets plus ou moins modestes, pendant que l'autre a plongé
dans les excès de rock-star. Lorsqu'ils décident de repartir sur la
route ensemble en novembre 1976 pour une tournée américaine,
l'histoire tourne court. Au bout de quelques dates, tout est terminé.
Hughes est insupportable, caractériel, ingérable. Deux morceaux
sont mis en boîte pour un futur album : l'excellent « Space
High » et le plus mitigé « LA Cut Off ». Ils
atterriront finalement sur le premier album solo de Glenn Hughes :
Play Me Out en 1977.
Après
cette déconvenue, Mel Galley décide de reprendre en main son
groupe, et de s'éloigner de Glenn Hughes. Dave Holland reste à ses
côtés, et Pete Wright revient à la basse. Un jeune chanteur des
West Midlands, ancien membre de Fable, est embauché : il
s'appelle Pete Goalby. Nous sommes en 1978, et la scène musicale a
bien changé. Le Punk a fait le ménage, le Rock Californien domine
aux USA. Le Hard-Rock est en perte de vitesse et se cherche un
nouveau souffle. Quelques courageuses formations font survivre le
genre : UFO, Judas Priest, Thin Lizzy. Deep Purple n'existe
plus, Led Zeppelin et Black Sabbath sont au bout du rouleau.
Dans
le Lee Sound Studios de Walsall puis le Basing Street Studios de
Londres se retrouve un concentré de losers magnifiques. Trapeze a
toujours eu plus de succès aux USA, et plus particulièrement au
Texas, sans toutefois faire le carton miraculeux grâce à un album
en or. Le groupe est donc une attraction de scène appréciée, qui
fera notamment la première partie de ZZ Top à plusieurs reprises. A
la console, le producteur s'appelle Jimmy Miller. Il fut l'homme
derrière les Rolling Stones entre 1968 et 1972, sur leurs meilleurs
albums. Mais travailler à côté de Keith Richards à cette époque
coûte cher : il deviendra héroïnomane, mettra cinq ans à
s'en sortir. Il vient d'émerger, il est abordable en termes de
tarifs, et n'a pas perdu son talent. C'est d'ailleurs lui qui va
produire, quelques mois plus tard le magnifique Overkill de
Motorhead.
Entre
ces quatre murs, au coeur de l'automne 1978, Galley, Holland, Wright,
et Goalby composent et enregistrent de nouveaux morceaux. L'ascension
vertigineuse de 1972 est loin derrière, tout comme le coup de
projecteur du départ de Glenn Hughes. Le Hard-Rock est bien loin
aussi, remplacé par le Punk et le début de la New Wave.
Pete
Goalby va décoincer la machine Trapeze. Si Hot Wire et
Trapeze furent de bons disques, ils étaient dans la
continuité des disques avec Hughes, cherchant à recréer la machine
infernale Hard-Rock'N'Funk. Toutefois, le résultat, de qualité,
n'égalait pas les exploits du début des années 70. Et lorsque l'on
cherche à faire revivre un souvenir, c'est que l'on est déjà dans
la panade.
Pete
Goalby va apporter une voix plus nuancée, capable de travailler sur
plusieurs registres : le côté Soul initial, le Hard-Rock FM,
la ballade Rock pure. Il ne demande rien aux autres. Ils vont jouer
comme ils le savent : riffs abruptes et funky, rythmiques
impeccables transpirant le groove, lignes de basse obsédantes. Tout
cela sera réalisé avec quelques bières, dans une atmosphère
modeste, sans débordement de rock-star.
Le
résultat des sessions sortira à la fin de l'année 1978 en
Allemagne sous le titre Running, et avec une pochette
psychédélique totalement décalée et composée de femmes nues
digne des années 1969-1970. La formation a signé sur un label
allemand : Aura Records, ce qui explique cette primeur, et
peut-être aussi le mauvais goût de la pochette initiale. Une image
plus stylisée sera utilisée pour la version anglo-saxonne de 1979 :
Hold On.
Le
contenu de Hold On a une âme mélancolique et amère bien
éloignée de la New Wave de l'époque. Trapeze a l'expérience de la
vie pour eux. Cette dureté de l'expérience humaine donne aux
groupes du Black Country une puissance inédite. Ils seront plus
résistants, plus acharnés, plus créatifs aussi : Spencer
Davis Group, Move, Black Sabbath, Judas Priest, Budgie, Traffic,
Chicken Shack…. C'est l'esprit de Detroit, côté Grande-Bretagne.
Le Black Country était la version noire et infernale des Stones et
des Beatles. Déjà, dès 1967, Move faisait trembler le Rock tout
entier.
Toutefois,
Trapeze ramène aussi avec lui le sens du riff punchy et accrocheur.
Il en est un des inventeurs, mais l'écoute des groupes américains
comme Foreigner, Boston et Blue Oyster Cult a patiné leur son.
Trapeze, n'est toutefois pas authentiquement AOR, il conserve la
teigne de son univers originel. On retrouve cette saveur sur le titre
d'ouverture : « Don't Ask Me How I Know ».
En
réalité, Trapeze est en train de créer une nuance subtile :
celui du Hard-Rock mélodique. Il ne s'agit pas de morceaux sucrées
ou empreints de synthétiseurs. Trapeze ne joue pas dans la même
cour que Journey ou Foreigner. Sa musique est bien du Hard-Rock,
musclé, mais avec cette touche mélodique qui le rend accrocheur. La
frontière entre ce Hard-Rock mélodique et le Hard-FM est mince,
toutefois, elle va permettre à des groupes d'atteindre un succès
commercial important sans s'abandonner à des concessions musicales
et esthétiques promptes à repousser le vrai fan de riffs. Hold
On est ainsi le précurseur du Whitesnake de Slide It In
qui comptera d'ailleurs dans
ses rangs un certain… Mel Galley, du Blackfoot de Siogo,
du Budgie de Nightflight et Deliver Us From Evil, ou
des deux premiers albums de Def Leppard.
La
musique de Trapeze dispose d'une âme unique, que l'on retrouve sur
tous ses albums. Elle est toutefois difficile à définir. Elle
dépend du jeu de batterie puissant de Dave Holland, précis,
incisif, mais aussi du style de Mel Galley. Ses riffs puissants,
mordants, et percutants teintés de Hard-Blues et de Funk, son
approche très rythmée, presque syncopée, qui rend presque chaque
morceau de Trapeze dansant. La basse est aussi très présente,
tendue, appuyant la guitare. On la retrouve sur « Take Good
Care », « When You Go To Heaven », ou « Livin'
On Love ».
L'autre
facette de l'identité sonore de Trapeze, c'est son talent pour le
morceau mélancolique gorgé de rage. Le terme de power-ballad n'est
même pas approprié. Ce sont des pièces de musique sur lesquelles
rampent une tristesse infinie irradiée d'un soleil de fin d'orage,
comme une lueur d'espoir, toujours. Plus que jamais, ce sont sur ces
titres que le talent de mélodiste de Mel Galley est à son sommet.
« Hold On » mêle mid-tempo et riff en forme de marche
vers la lumière. « Running » est un cas particulier,
puisqu'il mêle les deux facettes de Trapeze : Hard-Rock
mélodique et mélancolie intense. Ultra-rythmé, il distille une
atmosphère de course effrénée après un amour qui s'enfuit. Les
paroles sont simples, chantées comme un mantra, à bout de souffle.
Les harmonies vocales insufflent un côté dramatique supplémentaire
à cette scène de rupture tragique. « Running » est
entêtant, obsédant.
L'album
se termine par deux pièces sonores totalement imprégnées de la
facette mélancolique et mélodique de Trapeze. « You Are »
a ce crescendo de sentiment qui monte, appuyé par les riffs, les
choeurs en harmonie, et les cymbales qui claquent. Les parties de
claviers sont assurées par Terry Rowley, qui fut membre de Trapeze
dans son premier line-up à cinq de 1969. Mais les musiciens du Black
Country aime faire appel aux copains. Quelques arrangements de cordes
viennent apporter de l'ampleur au final.
Le
second morceau, fermant le disque, s'appelle « Time Will
Heal ». Quelques bruits de vagues sur la plage ouvre le
morceau. Le chant de Mel Galley est perturbant. Il ressemble à
plusieurs reprises, dans les intonations, à Glenn Hughes. Terry
Rowley apporte un piano électrique fin et jazz. Mel Galley brode des
motifs blues. La puissance émotionnelle de ce torrent de larmes
électriques est incomparable. Au fur et à mesure des notes, on
distingue une histoire d'amour qui se termine mal, mais aussi,
peut-être, le départ brutal de Hughes qui a brisé le groupe. Et
pourquoi pas, sans doute, des histoires d'amour que la vie de ces
musiciens, perpétuellement sur la brèche, entre Amérique et
Grande-Bretagne, a régulièrement brisé, au nom de la musique.
C'est étrange d'ailleurs, car c'est sur cet ultime morceau à la
mélancolie infinie que se termine la discographie studio de Trapeze.
La formation n'en a aucunement conscience à ce moment-là. Pourtant,
les choses vont se précipiter.
D'abord,
il va y avoir le départ de Dave Holland le métronome pour Judas
Priest en août 1979, juste avant la sortie de Hold On en
Grande-Bretagne. Steve Bray prend sa place, et va assurer la batterie
sur la tournée de promotion. Les concerts de mai 1981 aux USA
serviront à alimenter le disque en direct : Live In Texas :
Dead Armadillos la même année. Trapeze accompagne alors Humble
Pie, Nazareth et Krokus. En 1982, Steve Goalby est embauché par
Uriah Heep. Trapeze survit quelques mois, avant qu'à la fin de
l'année, Mel Galley ne rejoigne Whitesnake. C'est lui qui va muscler
Whitesnake, tout en conservant son identité Rock et bluesy. Trapeze
disparaît. Il se reformera avec Glenn Hughes en 1992 pour quelques
concerts. Mais la magie peine à redémarrer, comme en 1976. Parce
qu'en réalité, la vraie âme de Trapeze est constituée de Dave
Holland et Mel Galley. Les deux hommes sont désormais morts,
laissant derrière eux quelques superbes albums trop méconnus.
4 commentaires:
Le jeu de Mel Galley au sein de Trapeze m'a toujours subjugué. Quelle science du riff ! Un malchanceux qui n'a jamais été reconnu à sa juste valeur. Malgré le respect de ses pairs.
Et cette dernière réalisation est encore là pour le prouver.
Tout comme le "Slide It In", bien qu'à mon sens, Mel y soit moins éclatant. Probablement parce qu'il doit se fondre dans un orchestre à deux guitares.
De mémoire, en son temps "Hold On" avait été bien accueilli par la revue Best (certainement par Hervé Picart).
Oui Mel Galley est un guitariste étonnant. Il y a beaucoup de modernité dans son jeu. Il est punchy, hard, rythmé, il s'éloigne des idiomes Blues. Il ouvre véritablement la voie au Hard-Metal des années 80. Son passage au sein de Whitesnake fut hélas trop court. Un poignet cassé va lui coûter sa place alors qu'il faisait l'idiot dans un caddy avec John Sykes après un concert... Le premier album de son projet avec son frère Tom, Phenomena, connaîtra lui aussi un joli succès commercial.
Oui, je me souviens de ce Phenomena. Une approche du son très moderne (pour l'époque), voire précurseur (du même ordre que le second opus d'Aldo Nova). Hélas, la profusion d'intervenants rendait l'album inégal.
En aparté, il y avait confusion avec le film du même nom de Dario Argento, sorti la même année. D'autant plus que l'on retrouvait Motörhead et Iron Mesdents, dans la B.O.
Au sujet du poignet cassé, John Sykes a été soupçonné de ne pas être totalement innocent. Poussé par son ambition, il aurait un peu appuyé son geste. Bien certainement sans jamais présumer des terribles conséquences qui vont avoir raison de la santé et de la carrière de Mel Galley. On parlait également de petite bagarre. Info ou intox ?
Il y aurait de quoi en faire un bouquin ... :-)
En tout cas, "l'accident" fut effectivement préjudiciable à Galley, qui fut handicapé à vie. Sur Phenomena, il dut jouer avec une sorte d'attelle afin de tenir sa main et son poignet, les nerfs étant gravement touchés. Il est certain que Galley était un sacré concurrent pour Sykes, notamment en termes de composition. Sykes vit toujours des royalties de "1987". Il n'a en réalité fait que cela, puisqu'il est parti juste avant la tournée. Il aura couru après le succès, avant de l'abandonner une fois atteint. La suite, Blue Murder inclus, prouvera que son talent n'avait de valeur qu'au sein d'une formation dont il n'était pas le leader : Tygers Of Pan-Tang, Thin Lizzy, Whitesnake.
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